De la liberté spirituelle en termes ignaciens
Jean Burton, s.j.
N°1992-1 • Janvier 1992
| P. 28-37 |
Articuler dans l’unité les quatre moments d’une description ignacienne de la liberté paraîtra peut-être « un peu abrupt », comme nous en prévient l’auteur. La liberté chrétienne trouve dans l’« indifférence » sa condition concrète, elle est un chemin d’offrande balisé par des combats, elle se nourrit de l’acte eucharistique, elle connaît enfin dans les « figures » de l’humilité sa triple profondeur, La liberté est bien une tâche, symbolisée dans le « prends et reçois » de la « Contemplation pour atteindre l’amour » ; mais ici le travail de l’homme se découvre enraciné dans la joie même de Dieu.
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Nous voudrions, dans ces quelques lignes, proposer une description de la liberté chrétienne. Cette description empruntera au vocabulaire ignacien des Exercices Spirituels les mots – par ailleurs traditionnels dans la théologie spirituelle – nécessaires à cette approche. Il s’agira donc de la description de l’exercice plénier de la liberté humaine quand elle accède par grâce au véritable amour de Dieu, des autres et de soi-même.
De cette liberté, nous envisagerons d’abord la condition : l’indifférence ; puis la forme : l’offrande ; ensuite la nourriture : l’Eucharistie et enfin les manières : le triple oui d’un cœur humblement aimant.
Notre description sera forcément schématique et parfois un peu abrupte, sinon laconique ; elle devra donc être élaborée, nuancée, ou même reformulée par le travail que chacun peut faire à l’occasion de cette lecture.
La condition de la liberté chrétienne
La liberté chrétienne, au départ et tout au long d’une existence qui se veut véritablement spirituelle, a comme principe dynamique de sa croissance : l’indifférence.
Nous prendrons ce mot rébarbatif tel quel, sachant bien qu’il peut être mal compris et que les attitudes et comportements qu’il suggère peuvent être sujets à des déviations en sens divers. Il ne faut pas s’en étonner, car désirer et choisir uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés (E.S. 23) représente le stade plénier de la maturité spirituelle et l’indifférence, condition qui la prépare et ne cesse de l’accompagner, est toujours un combat.
L’indifférence donc, en tout cas la recherche courageuse du se rendre indifférent (E.S. 23) - car Ignace ne parle jamais abstraitement de l’indifférence -, se présente comme la condition de la liberté chrétienne.
C’est que, pour le chrétien, la liberté est, en son fondement, pensée comme une capacité d’épouser la liberté de Dieu. On s’en souvient : L’homme est créé pour louer, respecter, servir Dieu notre Seigneur (E.S. 23). La création de l’homme le constitue comme une capacité d’accorder toujours sa liberté à la louange, au respect et au service de son Créateur.
Ce n’est pas le lieu de déployer ici toute la conception de l’homme évoquée par ces trois mots. Il est pourtant intéressant de remarquer que nous n’entendons pas souvent affirmer dans notre culture que la liberté se trouve à son plein régime quand elle loue, respecte et sert. Les représentations de la liberté que nous véhiculons à notre insu viennent bien souvent d’un tout autre horizon...
Est-il possible de se maintenir à ce sommet ? C’est ici qu’il est important de constater que nous ne sommes pas habituellement indifférents et qu’il s’agit bien plus de la tâche de se rendre indifférent, qui est comme une mise en liberté de notre liberté. Cette tâche de libération de notre capacité de choisir selon Dieu, l’expérience nous la fait si souvent expérimenter en régime d’esclavage que nous comprenons combien il est important d’accueillir les grâces de nombreux détachements – de dépouillements même – où s’exerce concrètement le devoir de se rendre indifférent. C’est une tâche parce que la liberté est en croissance : elle est en chemin.
Sa forme
Ce chemin de la liberté n’est pas le tracé rigide et abstrait d’une carte de géographie. Car dans cette liberté, éprouvée en un premier temps - non chronologique bien sûr - comme la grâce faite à la créature par son Créateur, on peut concrètement percevoir les péripéties d’un drame actuel et de toujours en fait, les luttes continuelles exigées pour l’acquisition d’une conviction (pour l’intelligence qui n’y est pas spontanément accordée) et pour la réalisation d’une adhésion (pour la volonté qui ne sait pas aimer ainsi) toutes personnelles. Conviction et adhésion où s’expérimente toujours, certes de façon plus ou moins hésitante ou plus ou moins épanouie, une offrande où il est donné à chacun de répondre à l’offrande que le Père nous fait à tout instant de nous-mêmes en son Fils Jésus Christ notre Seigneur, dans l’inspiration amoureuse de leur Esprit.
Répondre. Il est important, ici, pour la conception que nous nous faisons de la liberté chrétienne, de bien voir que l’offrande - la nôtre, irréductiblement la nôtre-, est pourtant seulement une réponse à un appel et que cet appel est déjà, en quelque sorte, sous la forme d’une offrande : celle de Dieu, celle de vivre « en Christ ». Offrande si souveraine, royale, que ce serait déchoir chrétiennement que de ne pas y répondre : de toute sa personne, avec jugement et raison illuminés par la foi ; et davantage même, touché plus au cœur par le désir d’une réponse totale et allant contre toute séduction contraire et même toute « sagesse » humaine ; enfin de toute notre personne à l’imitation de Jésus Christ lui-même.
Qui dit offrande dit évidemment, de la part de Dieu et de la part de l’homme, relation à l’autre, et donc, en ce qui regarde notre réponse, sortie de soi, détachement de tout. De tout ? Oui, en tant que ce tout - faux absolu - nous retiendrait en nous-mêmes, englués dans les choses, les rêves, et les craintes...et nous handicaperait pour le chemin proposé du « service total », de l’offrande de soi dans l’excès amoureux de l’imitation du Christ, selon ce que le Père choisira.
Cette expérience de l’offrande, telle que l’appel du Seigneur nous invite à la vivre, est toujours - pour nous pécheurs pardonnés - à reprendre. Déjà dite entièrement, certes, avec une détermination réfléchie, alors qu’à l’orée de la vie chrétienne fervente nous commençons à contempler le Christ (le Fils venu en notre monde accomplir parfaitement cette offrande au Père), il nous reste encore à la vivre « jusqu’au bout », totalement, tout en recevant chaque jour de lui son Esprit, qui orientera nos choix quotidiens pour que le Christ prenne chair de notre chair.
Toujours à reprendre donc ! Et, même dans les mots et dans les actes où nous est donnée la grâce d’aimer vraiment de l’agapè même de Dieu, même là (du moins tant que dure notre passage sur cette terre), cette nécessité de reprise continuelle est présente et se nourrit de la miséricorde sans cesse renouvelée. C’est peut-être ce que suggèrent (entre autres nuances) le « et » et les deux verbes du « Prends, Seigneur, et reçois » de l’offrande de la contemplation et de la vie où conduisent les Exercices. Certes, le « et » conjoint deux mouvements qui sans cela risqueraient de ne pas s’accorder. Reste que les deux verbes marquent l’existence de deux moments où je reconnais au Seigneur de mon existence le droit de la prendre toute et j’éprouve aussi que la liberté de la lui offrir pour qu’il la reçoive n’est pas toujours entière et prompte. En cette fine pointe de l’esprit où la liberté demande d’être conjointe - dans la contemplation et dans l’action - à la liberté divine, ces deux verbes réunis attestent que nous sommes encore en chemin.
Un chemin balisé par des combats - jamais si définitivement gagnés qu’on pourrait les taire - les combats de la disponibilité amoureuse qui n’est rien d’autre que cette indifférence, condition permanente de la victoire.de Dieu en nous.
La nourriture de la liberté chrétienne
La croissance de la liberté, disions-nous, est un chemin. Mais un chemin qui n’est en rien abstrait. En effet, l’offrande qui l’éclaire, dès le départ et à chacun de ses moments, est la forme et le contenu d’un itinéraire qui se déroule, si on peut dire, entre deux moments de parfaite « indifférence », de parfaite liberté filiale et fraternelle. Ces deux moments d’un même acte sont comme les deux faces du oui éternel du Fils manifesté pour nous en Jésus Christ, la vie : le « me voici, je viens faire ta volonté » du Fils assumant en personne le trois fois saint et unique désir de Dieu : faisons la Rédemption (ES. 102), et le "Ceci est mon corps... » où le Fils fonde, dans l’action de grâce, tous les oui de la liberté chrétienne (à commencer par le oui plénier de Marie), ces oui où nous obéissons (d’une manière ou d’une autre et parfois même sans en être pleinement conscients ou même en rechignant...) au « faites ceci en mémoire de moi ». C’est l’ Eucharistie.
L’élection du Christ faite en pleine liberté, c’est le Principe et Fondement pleinement accompli qui assure nos oui - aussi fragiles soient-ils - et qui sauve (anticipant aussi le « non pas ma volonté mais la tienne » de l’agonie, où la liberté du Fils lui-même peine sous le terrible poids de chacun de nos refus, de tous nos désordres, de cette immense connivence avec l’esprit du monde) la liberté pécheresse, mauvaise et imparfaite, cette liberté qui, choisissant la mort, erre si souvent loin des choix de vie auxquels le Père en son Fils nous appelle.
Rien d’abstrait donc dans notre chemin d’offrande ainsi enchâssé dans celui du Fils. Car le chemin qu’est le Fils et qui se déroule entre ces deux éclairs d’un même oui, ce chemin, nous le contemplons, c’est-à-dire que nous laissons l’Esprit de Dieu le faire devenir nôtre. Sur ce chemin, je me suis laissé choisir à une place singulière aux côtés du Christ - dans les services de Marthe ou le regard de Marie, dans l’unique obéissance de Béthanie -, à une place singulière qui est un service personnel « ayant part » à l’unique et extrême service du Serviteur. Par grâce, j’ai part avec lui, si je le veux, à sa peine, à sa gloire, à sa vie.
Au début de cette réflexion, nous disions que la liberté vraie était pensée, en terre chrétienne, comme la capacité réelle qu’a la créature d’épouser la volonté aimante de son Créateur. Nous voyons ici qu’il faut dire, sur le chemin de l’offrande, que la liberté sauvée est la capacité offerte à la liberté humaine de se nourrir de la liberté même du Fils qui pour nous s’est fait chair - et chair de péché, de refus, de non-liberté - jusqu’à en mourir.
Si donc l’offrande est comme la forme que prend le louer, respecter et servir Dieu à toutes les étapes de la croissance de la liberté en chemin, l’Eucharistie en est la vie. Eucharistie du Christ où nous sommes associés à l’extrême de l’amour, nourris de la charité divine à l’autel de la croix, au chevet du plus petit. Comment cela se fera-t-il ?
Les « manières » de la liberté chrétienne
C’est ici que l’on peut proposer une lecture des « trois humilités » et des « trois groupes d’hommes » qui sont les deux pierres de touche du réalisme de l’existence chrétienne, de la liberté engagée sous « l’étendard de la croix », engagée dans la liberté du Christ, prompte et diligente (E.S. 91) à le suivre selon sa volonté.
L’option prise pour la vie vraie qu’est le Christ est une œuvre, en chantier peut-on dire, une tâche qui en son propos de pauvreté, d’effacement, d’humilité dans l’amour de Dieu et des frères, rencontre toujours, à chaque coin de rue, à chaque action engagée pour le Royaume, les contre-projets, fantastiques évidemment, d’une liberté contraire se rêvant dans l’or, la renommée, la gloire, dans le profit, le prestige et le pouvoir. Il y a toujours combat. C’est ainsi.
Ce combat nous engage à la suite de Jésus Christ ou, pour mieux dire, la suite de Jésus nous engage à son combat. C’est pour cela qu’il nous faudra toujours revenir au fondement : nous rendre indifférents à toutes choses créées, en tout ce qui est permis à la liberté de notre choix et ne lui est pas défendu (E.S. 23). Mais ce que nous désirons et choisissons maintenant a pris figure. Figure à connaître et à aimer.
Il y a comme trois « profondeurs » à cette connaissance et à cet amour. Trois démarches qui se conjuguent, peut-on dire, pour nous garder au plus près de l’unique chemin qu’est le Christ.
Ignace les appelle les « trois humilités ». Oui, ce sont les pas de l’humilité, les humbles sentiers de l’amour qui nous conduisent à rechercher « ce qui est bon, ce qui plaît à Dieu, ce qui est parfait » (Rm 12,2).
Et d’abord à rechercher ce qui est bien(ce qui est bon). C’est, sans doute, l’objet de la demande : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » (Lc 18,18 ss). C’est rechercher ce qui est bien dans l’humble fidélité commune aux commandements de Dieu et de l’Église. Ici, la recherche est relativement simple. Ne négligeons évidemment pas cette instance (pourtant vécue trop souvent comme extérieure à la conscience), elle est le sentier primordial et indispensable de la vie vraie, de la liberté. Sa mise en œuvre sérieuse, où l’on désire vraiment éviter pour tout l’or du monde un détour mortel (cf. ES. 165), est nécessaire à la rectitude de notre liberté arrivée au carrefour de la vie ou de la mort éternelle.
Mais encore à rechercher ce qui lui plaît (ce qui est agréable à Dieu). Ici, alors même que nous sommes déjà en prise avec ce qui est commandé - et toujours supposé bien sûr que l’on ne se permette pas à ce sujet le moindre écart véniel volontaire (cf. E.S. 166) -, « rechercher ce qui est agréable à Dieu » s’exercera dans l’humble abandon aux dispositions providentielles de notre vie où se lisent les attentions de la sagesse et de la bonté de Dieu, ne cherchant pas - pour ce qui est de nous - santé plus que maladie, richesse plus que pauvreté, honneur plus que déshonneur, vie longue plus que vie brève (E.S. 23). On peut entendre ici le : « Ne craignez pas ceux qui peuvent causer la perte de vos corps mais craignez plutôt celui qui peut vous plonger âme et corps dans la géhenne » (Mt 10,26 ss), sur le versant de la sainte crainte de la justice de Dieu, et en même temps, le : « soyez donc sans crainte, vous valez, vous, mieux que tous les moineaux » (ibid.), sur le versant miséricordieux du même adorable mystère de Dieu notre providence.
Ainsi, me supposant parvenu à ce point d’équilibre intérieur, étant égaux en tout cela le service de Dieu et le bien de mon âme (E.S. 166), pourra se fortifier alors en moi cette capacité de liberté intérieure à me disposer, par avance, pour ce à quoi le Seigneur veut me choisir.
Ce sera alors rechercher ce qui est parfait, c’est-à-dire se disposer concrètement (l’humble obéissance à la loi et l’humble travail de l’indifférence étant à l’œuvre) à l’humble préférence (toute personnelle, singulière et désirée) d’une ressemblance unique au Christ : me laisser incliner, en tout, à entrer dans sa pauvreté, dans son effacement, dans sa folie d’amour qu’aucune prudence, ni la mienne ni a fortiori celle du « monde », ne peuvent mesurer. Lui seul en est la mesure sans mesure.
Grâce que nous demandons avec Marie au Fils, avec le Fils au Père, au Père lui-même pour qu’il nous l’accorde. Car ici, comme ailleurs bien sûr, mais avec insistance, nous devons demander et recevoir du Père seul, qu’il veuille bien nous choisir pour conjoindre ainsi notre volonté à la sienne en notre acquiescement même.
De plus, j’éprouverai volontiers la fermeté de cette disposition de moi-même à me laisser conduire aux combats du Christ en parcourant, encore et toujours, les sentiers onéreux où incarner cet appel royal à une vie souverainement libre. Nous le savons bien, de la tête au cœur, de l’intention juste et droite aux actions et opérations bonnes de notre vie, s’éprouve et se fortifie l’amour qui se met plus dans les actes que dans les paroles. Ici aussi une sorte de triple humilité pratique, peut-on dire, est à exercer car : en combien de petits royaumes, « chasses gardées », ne voudrions (cf. E.S. 153) - nous pas être libres ? En bien des choses nous restons des velléitaires jusqu’à la mort. Plaise au ciel que la patience qui nous retient d’arracher l’ivraie par crainte de blesser le bon grain soit bien la patience de Dieu.
Souvent, et même quand nous voulons (cf. E.S. 154), n’est-ce pas d’avance dans le choix des voies et moyens qui nous conviennent en telle ou telle entreprise que nous décidons ? Entreprises où nous voulons vainement et de façon imaginaire faire la gloire de Dieu en y cherchant subrepticement la nôtre. L’Évangile est clair à ce sujet : « Vous avez votre récompense » (Mt 6,2).
Elle est indispensable, dès lors, la prière avec Marie et avec le Christ où nous mettons tout notre amour à vouloir ceci plutôt que cela, poussés uniquement par le désir d’être ainsi conjoints par le Père au Christ lui-même, accordés dans le vouloir et le faire au seul bon plaisir de la volonté amoureuse du Père en moi, pour moi (cf. ES. 155). Être, selon ce que Notre Seigneur mettra en ma volonté et selon ce qui me paraîtra être le meilleur (ES. 155), conjoint au Christ, ne voulant rien d’autre qu’avoir part avec lui, embrassant ainsi véritablement le meilleur pour moi.
Il n’est certes pas aisé pour la conscience moderne de penser ainsi, car, pour elle, la liberté s’est explicitée (depuis la Renaissance) comme capacité de prise en main de son propre destin : responsable d’elle-même, responsable devant elle-même de l’édification de son devenir temporel (richesse), social (honneur) et historique (gloire).
Au contraire, pour être pleinement chrétienne, la liberté ne se découvre, accédant à elle-même et se réfléchissant subjectivement comme projet de soi, que dans la connaissance du don qui lui en est fait par le Père et la reconnaissance filiale et fraternelle où s’exprime son projet.
C’est l’unique mouvement de la grâce demandée dans la « Contemplation pour atteindre et obtenir l’amour » : ... une connaissance intérieure de tout le bien reçu afin que par une pleine reconnaissance je puisse en tout aimer et servir sa divine Majesté (E.S. 233).
Pour ne pas conclure...
On voit donc que la tâche chrétienne de la liberté en notre monde est de libérer en toutes ces réalités (or, honneur, gloire) et l’action de grâce au Père et le service extrême des frères.
Ou, pour l’écrire en termes plus forts, comme l’a fait le P. A. Chapelle : « Il s’agit d’être docile à l’Esprit qui conjoint la vie des béatitudes au projet radical du monde moderne. Il s’agit, en d’autres termes, de convertir prophétiquement la visée première de la modernité ».
C’est la mission de l’Église en ce monde, c’est la mission de chaque chrétien dans cette Église. Et c’est, à un titre particulier, la mission de la vie religieuse dans l’Église et pour le monde, car la vie religieuse peut s’expliciter comme une manière de vivre la liberté chrétienne au plus près de l’Eucharistie filiale et fraternelle du Christ. Tâche immense, jamais achevée et pourtant engagée dans l’usage quotidien que nous faisons de notre liberté. Comment savoir si nous y sommes fidèles ?
Cet exercice de notre liberté, don de notre création et pardon de notre salut dans le Christ, accordé en harmonie profonde avec ce que. le Père désire pour mon salut et le salut des hommes, nous met fondamentalement en joie ou, pour parler comme saint Ignace, dans l’ allégresse, embrasés que nous sommes dans l’amour de notre Créateur et de toutes choses seulement en lui, pleurant nos péchés et les souffrances de sa croix (miséricordieusement devenue la nôtre en partage), reposant, sans peut-être même l’éprouver, dans la paix de la foi, de l’espérance et de la charité (E.S. 316). C’est à la qualité de cette joie intérieure, secrète, à sa présence ou à son absence, voire même à l’apparition de son contraire, que nous pouvons découvrir au fur et à mesure de nos choix les pas qui nous portent, le cœur libre, dans le chemin, la vérité, la vie... la liberté. Car il y a toujours à discerner dans notre vie les passages qui nous introduisent dans la Pâque de Jésus vers son Père en nous offrant sans réserve aux hommes et aux femmes à qui nous sommes livrés dans la tendresse de l’Esprit.
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