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Un ouvrage sur la vie religieuse apostolique par Noëlle Hausman

Jean-Marie Hennaux, s.j.

N°1989-3 Mai 1989

| P. 184-189 |

Noëlle Hausman, Vie religieuse apostolique et communion de l’Église. L’enseignement du Concile Vatican II. Préface de Mgr A. Houssiau, évêque de Liège, 15x24, 244 p., 110 FrF, Cerf, Paris, 1987.

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Ce livre constitue, à notre connaissance, l’étude la plus complète et la plus approfondie de l’enseignement de Vatican II concernant la vie religieuse apostolique. Il rend accessible une partie importante de la thèse soutenue par l’auteur en 1985, devant la Faculté de Théologie et de Droit canonique de Louvain, et intitulée : « La vie religieuse apostolique selon Ignace de Loyola et d’après Vatican II ». N. Hausman a bénéficié de la méthode d’investigation des textes conciliaires mise au point à Louvain – qui a fourni tant d’experts au Concile – par Mgr Houssiau, évêque de Liège, à l’époque doyen de la Faculté, lequel préface le présent ouvrage. Elle a pu utiliser les Archives Mœller et les Archives Thils.

Grâce principalement à une étude statistique et sémantique des vocables « religieux » et « vie religieuse » dans les textes conciliaires, le premier chapitre détermine les textes majeurs à étudier. Deux de ceux-ci font l’objet des chapitres II (Les étapes de rédaction de Lumen gentium VI) et III (Les étapes de rédaction du numéro 8 de Perfectae caritatis). Le chapitre IV étudie d’une manière très fine et très fouillée les sens de l’adjectif « apostolique » au Concile et plus particulièrement lorsque ce dernier parle de la vie religieuse. Tous les matériaux ayant été ainsi rassemblés, le chapitre V peut développer en toute sécurité « L’enseignement du Concile sur la vie religieuse apostolique ».

Il nous est impossible d’entrer dans les détails de cette recherche partout menée avec rigueur et précision, et dont les résultats nous paraissent extrêmement riches et importants, mais il faut dire en tout cas et avant toute autre chose que l’enseignement du Concile s’y révèle avec une cohérence et une force insoupçonnées. Nous résumerons seulement ici quelques thèses du livre, qui ne manqueront pas d’intéresser les théologiens et dont certaines provoqueront peut-être leur étonnement ou leur discussion.

On ne sera certes pas surpris de lire que l’œuvre majeure de Vatican II, en ce qui concerne la vie religieuse, a été de la comprendre théologiquement en l’insérant dans le Mystère de l’Église et que, par conséquent, tous les textes doivent être interprétés à la lumière du chapitre VI de Lumen gentium (LG). Cependant, on n’a peut-être pas encore aperçu toutes les conséquences de cette « situation ». Les chapitres I à IV de LG concernent la « constitution fondamentale » de l’Église, tandis que les chapitres V à VIII concernent sa « mission salvifique » (pp. 151-160). Rapprochée de « la vocation universelle à la sainteté » (V), « la vie religieuse ne se spécifie pas d’abord par un élément qui lui serait propre mais par la manière dont elle exerce ce qui est commun à tous les chrétiens. (...) Ses traits fondamentaux lui viennent de son lien intime avec la sainteté de l’Église (V), sainteté que fortifient les bienheureux (VII) et que Notre-Dame personnifie en quelque sorte (VIII) » (p. 154). Ce dernier aspect, eschatologique, de la vie religieuse est désormais bien connu, mais a-t-on suffisamment évalué les liens qui rattachent les derniers chapitres de LG aux premiers ? La sainteté des chrétiens vient de Dieu (I), à travers le mystère de l’Église structurée hiérarchiquement, par laquelle ils reçoivent les sacrements. Non seulement « l’existence liturgique et canonique des religieux procède d’un acte de l’Église » (p. 156), mais la vie religieuse en son entier est inséparable de la présence et de l’action de l’Église hiérarchique.

Plus précisément encore, la mission de la vie religieuse apostolique ne peut se comprendre, d’après le Concile, qu’en référence au sacerdoce et à la mission proprement rédemptrice des évêques, des prêtres et des diacres. Outre sa signification proprement théologique, la thèse de N. Hausman prend ici un tour historique. Selon l’auteur, en effet, le Concile a compris la vie religieuse apostolique à la lumière du charisme des clercs réguliers. Il est nécessaire de fournir sur ce point quelques citations : « La relation de la vie religieuse apostolique avec le sacerdoce des clercs réguliers doit elle aussi être soulignée. (...) Il s’agit (dans Perfectae caritatis interprété à la lumière de LG) d’inscrire les religieux de vie apostolique dans un mouvement qui a son origine dans les Apôtres, eux-mêmes envoyés du Seigneur, afin de poursuivre son œuvre évangélisatrice et rédemptrice. Par là, la vie religieuse apostolique se trouve inscrite dans la mission sacerdotale de l’Église, en analogie avec le ministère des clercs réguliers. (...) Cette orientation de la vie religieuse au sacerdoce ministériel permet donc que, dans la vie religieuse apostolique, le ‘service’, l’‘enseignement’, l’‘exhortation’, le ‘don’ et la ‘miséricorde’ soient toujours exercés au nom de l’Église qui les a confiés » (pp. 181-182). Avant cela, il avait été dit que le mouvement de Lumen gentium permet de penser que « la liberté d’action découle, dans la vie religieuse apostolique, d’une nécessaire dépendance de la charge épiscopale. C’est d’ailleurs ce que souligne vigoureusement Christus Dominus (CD), lorsqu’il voit dans les religieux des ‘coopérateurs’ ou des ‘auxiliaires’ de l’évêque dans les œuvres d’apostolat. Pour la vie religieuse apostolique, cette détermination implique une disponibilité aux pasteurs du diocèse qui n’a d’autres limites que l’état religieux lui-même (CD 35, 20). Sans doute n’a-t-on pas encore mesuré toutes les conséquences de ce principe pour une vie religieuse à laquelle l’action apostolique appartient comme un saint ministère et une œuvre de charité, confiés par l’Église pour être exercés en son nom » (pp. 179-180 ; cf. PC 8). Un peu plus loin, on lit : « Loin d’opposer à la structure hiérarchique de l’Église un quelconque surgissement charismatique, la vie religieuse reçoit de l’institution ecclésiale la nécessaire reconnaissance de son ‘ état’ de vie évangélique, et elle apparaît ainsi réellement comme un fruit du sacerdoce ministériel qu’elle peut dès lors conforter » (p. 184). Mentionnons encore : « La vie religieuse apostolique procède du ministère sacerdotal pour s’orienter vers des œuvres de l’apostolat marquées de l’origine apostolique qu’elles symbolisent diversement » (p. 144).

On le voit : c’est en un sens très précis que l’auteur parle de la « vie religieuse apostolique ». Il s’agit d’une participation réelle à l’ apostolicité de l’Église, apostolicité qui ne peut se comprendre sans référence aux Apôtres et à Pierre, ni, par conséquent, sans une dépendance étroite par rapport aux successeurs des Apôtres et au Pape. C’est à travers eux que l’Église et, en elle, la vie religieuse apostolique reçoivent leur mission. A cette condition seule, les œuvres de l’action apostolique sont vraiment « confiées par l’Église et exercées en son nom », ainsi que le veut Perfectae caritatis pour les « instituts voués à la vie apostolique ». Selon ce dernier décret encore, « dans ces instituts, l’action apostolique et bienfaisante appartient à la nature même de la vie religieuse, comme un saint ministère et une œuvre propre de la charité ». De la même manière que la mission appartient à la nature de l’Église.

S’il en est ainsi, la vie religieuse apostolique a des « œuvres propres » : celles qui conviennent à son apostolicité telle qu’elle a été définie. Elles sont déterminées à la fois par la mission salvifique de l’Église hiérarchique qui les « confie », en tant que cette mission se distingue de celle des laïcs, et par la profession des conseils évangéliques qui « atteste d’une manière lumineuse et exceptionnelle que le monde ne peut être transfiguré et offert à Dieu sans l’esprit des béatitudes » (LG 31). Par conséquent, si la tâche des laïcs est d’éclairer et d’orienter toutes les réalités temporelles selon Dieu, « il ne s’agit pas, pour les religieux, d’être à l’origine de la création de l’homme (dans la procréation) ou du développement historique des cultures (dans l’engagement social et politique), là où l’homme se cherche encore. Il s’agit d’être au point précis où l’histoire des efforts de l’homme se cherche encore. Il s’agit d’être au point précis où l’histoire des efforts de l’homme et la puissance créatrice de sa volonté ont échoué, là où l’homme s’est déjà perdu. Les religieux ont à montrer tangiblement, et donc visiblement et institutionnellement, que, dans le Christ, l’action de l’homme et les visées des sociétés sont reprises et conduites plus haut, par la force rédemptrice du Saint-Esprit. Cette restauration dont l’homme n’a pas par lui-même la puissance, nous la nommons miséricorde. La tâche propre des religieux est de la manifester là où l’homme se perd et les sociétés défaillent, là où personne n’est plus ou n’est pas encore présent, là où les pauvres du Seigneur attendent toujours sa justice » (pp. 193-4). N. Hausman repense ainsi à frais nouveaux la théologie des « œuvres de miséricorde » comme œuvres propres de la vie religieuse apostolique.

Vatican II distingue pour unir et unit sans confondre : les missions des prêtres, des laïcs, des religieux, sont celles d’une Église une, et elles sont comprises dans une « ecclésiologie de communion ». Ce livre donne partout à contempler la vie religieuse apostolique comme épiphanie de l’Église – de son unité, de sa sainteté, de son apostolicité, de sa miséricorde, de sa béatitude.

Tous n’accepteront peut-être pas les options théologiques de N. Hausman : la liaison étroite qu’elle discerne entre l’Église hiérarchique et la vie religieuse, la relation de la vie religieuse apostolique au sacerdoce et au charisme des clercs réguliers, la détermination de ses œuvres propres par la miséricorde en référence prioritaire au mystère de la rédemption, l’insertion de sa mission dans la mission proprement salvifique et restauratrice de l’Église, le rôle reconnu à l’épiscopat dans la vie apostolique des religieux – mais tous devront reconnaître que la pensée vigoureuse qui s’exprime ici serre de près le Concile et manifeste sa logique interne.

Plusieurs annexes concernant le vocabulaire de Vatican II et la genèse de différents documents conciliaires, ainsi qu’un index onomastique et un index analytique, complètent ce précieux ouvrage. Quiconque voudra à l’avenir réfléchir à la théologie de la vie religieuse apostolique ne pourra s’en passer.

Nous ferons encore deux remarques. En pleine fidélité au Concile, que l’on a pu appeler le « Concile de l’épiscopat », N. Hausman a mis dans une vive lumière le rôle des évêques dans la vie religieuse apostolique. La fonction propre des supérieurs religieux a été, de ce fait, davantage laissée dans l’ombre [1]. Enfin, dans la ligne même de ce beau livre consacré à l’être épiphanique de la vie religieuse apostolique, il apparaît que celle-ci est également par essence épiphanie de l’ universalité de l’Église. Par conséquent, l’insertion dans l’Église particulière est une médiation de l’insertion dans l’Église universelle, et l’évêque, qui veille sur la mission, en accord avec les supérieurs religieux, ne doit pas être considéré abstraction faite de son appartenance au Collège épiscopal tout entier que le Pape symbolise en sa personne singulière. La relation de la vie religieuse apostolique aux évêques doit donc s’équilibrer par une relation particulière au Pape. N. Hausman a plus d’une fois rappelé la place unique de ce dernier pour les religieux (par ex. p. 197), mais, sur le point précis que nous touchons ici, le livre souffre quelque peu de n’avoir pu intégrer, pour des raisons que l’on comprend parfaitement, la première partie de la thèse de l’auteur [2], qui traitait précisément de cette question à la lumière de saint Ignace de Loyola.

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[1Ce silence relatif est le fait du Concile lui-même. Le rôle des supérieurs religieux a été ultérieurement mis en évidence par le magistère dans les importantes directives Mutuae relationes (14 mai 1978) ; l’auteur en traitait dans une partie inédite de sa thèse.

[2Une publication partielle en est envisagée par le Centrum ignatianum spiritualitatis (= CIS) de Rome pour 1990.

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