Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Réflexions à propos de l’accompagnement spirituel

Françoise Cassiers, r.s.c.j.

N°1988-6 Novembre 1988

| P. 359-368 |

Comment une personne responsable du gouvernement dans une Congrégation apostolique voit-elle aujourd’hui l’accompagnement spirituel ? En traitant comme le Père Viard ce thème d’un de nos derniers Conseils, l’auteur s’intéresse non seulement aux conditions concrètes de l’accompagnement (appartenance à un institut, formation des accompagnateurs, double accompagnement, etc.), mais elle souligne surtout la complémentarité et la distinction des divers « rôles » en la matière. Nourrie de l’expérience, cette réflexion toute en finesse rejoindra les questions de ceux que la pratique de l’accompagnement peut préoccuper.

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D’autres articles, parus dans cette revue, ont déjà traité excellemment de l’accompagnement en lui-même, ou de son lien avec le gouvernement [1] ; ici, je n’aborderai le sujet que sous un angle bien précis et limité : comment une personne responsable du gouvernement dans une congrégation apostolique, voit-elle aujourd’hui le rôle de l’accompagnement spirituel ?

Si nous voulons une vie religieuse capable de se fonder sur le discernement, l’écoute de l’Esprit, plus que sur des normes extérieures ou une discipline commune, la question de l’accompagnement devient tout à fait essentielle. Nous émergeons, il me semble, d’une période où, dans un certain nombre de congrégations du moins, elle avait été trop négligée, ou mal comprise, mal vécue. Or l’expérience de ces dernières années, comme d’ailleurs toute l’histoire de l’Église, ne montre-t-elle pas qu’il y a un lien entre l’absence d’accompagnement et le manque de qualité d’une vie religieuse ? Et inversement. Pour ma part, j’ai vu avec joie des vies apparemment médiocres reprendre vigueur et profondeur, simplement parce qu’une personne – ou une communauté – avait décidé un jour de se lancer dans l’aventure de l’accompagnement...

Les fruits de cet accompagnement, s’il est authentique, se reconnaissent vite : meilleure conscience de soi et du travail de Dieu en soi ; capacité plus grande de « dire » à soi-même ou aux autres où l’Esprit nous touche. C’est une source de joie, d’énergie nouvelle, parfois même de transformation du caractère. Il en découle des forces neuves pour la mission, plus de douceur et de vérité dans les relations communautaires. En ce sens, l’accompagnement – qui vise la croissance de la personne dans sa liberté d’enfant de Dieu – et le gouvernement, qui vise le bien commun et la croissance du corps tout entier, se rejoignent dans une même intention.

Mais faut-il absolument, pour donner ces fruits, se faire « accompagner », c’est-à-dire rendre compte à quelqu’un de sa vie spirituelle, mettre son expérience en mots devant quelqu’un d’autre ? La réponse est sans doute à nuancer. Tout le monde n’a pas besoin du même type d’accompagnement ; cela dépend à la fois de l’âge, de la formation qui a précédé, du tempérament, des périodes de la vie humaine et spirituelle. Le seul guide absolument indispensable est l’Esprit Saint. Si les fruits sont là, c’est qu’il est devenu lui-même le maître intérieur permanent, et peut-être suffisant. C’est bien vers ce but que tend l’humble accompagnement humain, toujours limité, toujours serviteur, et destiné à s’effacer. En même temps il me semble que l’aide d’un frère ou d’une sœur sur ce chemin pas toujours clair permet à la personne d’aller plus loin qu’elle n’aurait osé ou pu aller seule. Plus loin et plus vite. Rappelons-nous Thérèse d’Avila regrettant d’avoir trouvé si tard un bon directeur, et tout le temps perdu... Et il faut reconnaître, même si nous parlons ici d’accompagnement plutôt que de direction, qu’une des raisons pour l’avoir négligé si souvent est la difficulté de trouver le bon accompagnateur, la bonne accompagnatrice ; plus encore dans une congrégation féminine, où peu de sœurs ont été formées à rendre ce service. Comment trouver, si l’on est un peu timide et sans beaucoup de relations, la personne qui aura tout à la fois la capacité de vous comprendre, le temps de vous écouter, et qui vivra en outre dans une relative proximité géographique ? Il faut parfois de longs tâtonnements avant de découvrir ce précieux trésor – qui peut d’ailleurs aussi bien se cacher tout près –, à moins qu’on attende une telle perfection qu’on ne le trouvera jamais...

Ceci dit, je voudrais soulever quelques points concrets qui me semblent importants :

  • la personne accompagnée n’est pas seulement un individu, elle est aussi membre d’un groupe ;
  • la formation de l’accompagnateur ;
  • l’accompagnement : par quelqu’un de la congrégation, ou extérieur à celle-ci ?
  • l’accompagnement d’une femme par un homme, d’un homme par une femme ;
  • enfin, est-il bon que la supérieure soit aussi l’accompagnatrice ?

La personne est membre d’une congrégation

En général, les accompagnateurs, c’est heureux et c’est leur rôle, ont un immense respect pour la personne et pour ce qu’elle dit de son expérience unique. Tous ont-ils également à l’esprit – et laissent-ils clairement entendre à la personne qu’ils accompagnent – qu’en tant que religieux ou religieuse, elle est membre d’un corps qui est plus grand qu’elle-même, qui a ses propres appels, ses règles de vie, et auquel elle a librement choisi d’appartenir ? Bien sûr, la personne est une valeur absolue, et devant son accompagnateur elle a le droit d’être reconnue, indépendamment de toute relation à sa congrégation. Mais en fait, aussi longtemps que cette relation existe, elle constitue justement une des dimensions de la personne. L’accompagnement qui n’en tiendrait pas compte réduit, me semble-t-il, la personne à l’individu ; il lui permet de se maintenir dans une vision fausse de la réalité, et donc dans une immaturité qui ne peut que ralentir sa croissance spirituelle. J’avoue avoir été parfois surprise des conclusions auxquelles arrivent des sœurs dont l’accompagnateur semble mal connaître la congrégation ou, plus grave, la personne même qu’ils accompagnent, faute de la voir vivre. On en arrive alors à des interprétations de ce genre : « Mon accompagnateur dit que, puisque je vis mal mon obédience, c’est qu’elle a été mal donnée » ; ou bien : « Mon accompagnateur dit que de toutes façons il n’y a pas moyen de dialoguer avec la provinciale »... Bien certainement, aucun accompagnateur n’a parlé de la sorte. Mais prévoyait-il assez l’usage qui serait fait de ses paroles ? Bien sûr, une écoute vraiment profonde devrait lui permettre de saisir l’éventuel manque de cohérence d’une personnalité ; ce sera plus difficile s’il ne connaît rien de son environnement. Et surtout, aura-t-il les éléments pour l’aider à progresser sur les points où elle aurait précisément besoin d’un appui extérieur, afin de mieux discerner le lieu de son combat spirituel ? La seule base d’un dialogue individuel suffit-elle ? Et si oui, à quelles conditions ?

Formation des accompagnateurs

Pour répondre à ce qu’on attend de lui, ou d’elle, l’accompagnateur ou l’accompagnatrice ont-ils besoin d’une formation spécifique ? Pour ma part, je serais portée à dire que leurs qualités personnelles : cohérence intérieure, esprit de discernement, objectivité, détachement, capacité d’écoute, importent plus qu’une formation théorique. Leur tâche n’est pas celle du psychologue, qui a besoin d’une technique précise. Et pourtant, s’ils manquent de psychologie, on risque bien des malheurs : sublimations inopportunes, imprudences, erreurs d’aiguillage. Même si le travail de connaissance de soi n’est pas identique selon que l’approche se veut psychologique ou « spirituelle », ce travail reste indispensable. Un accompagnement qui ne s’en soucierait pas me paraît à la fois appauvri et dangereux, peu respectueux de notre réalité humaine. De même, l’accompagnateur n’a pas nécessairement à être un théologien ; mais un certain flou dans ses bases théologiques, une spiritualité trop subjective, vont gêner l’écoute, diminuer l’acuité du regard.

Et cependant j’ai vu des personnes très simples, sans beaucoup de culture, mais saines et équilibrées dans leur vision de foi, avec une solide vie intérieure, devenir une aide véritable pour ceux ou celles qui viennent se confier à elles ; tandis que d’autres, avec un meilleur équipement théologique ou psychologique, mais peut-être moins de sérénité, de dégagement, moins d’expérience spirituelle personnelle, n’arrivent pas à la même qualité de relation. Or il me semble que, dans tout accompagnement, cette relation joue un rôle capital. Non pour le lien qu’elle établit entre les deux personnes : il s’agirait alors d’amitié, et c’est autre chose. Mais parce qu’elle est l’ébauche d’une expérience humaine fondamentale : je n’existe qu’en me recevant d’un autre. Grâce à la parole que je puis dire à l’autre, je me reçois. Une telle relation touche donc aux zones les plus profondes de notre être. Comment, dans le gouvernement d’une congrégation ou d’une communauté, pourrait-on y donner trop d’attention ?

Accompagnement dans ou en dehors de la congrégation

L’un est-il meilleur que l’autre ? Pas nécessairement, mais c’est différent. Au point que certaines sœurs ont à la fois l’un et l’autre, sans qu’il y ait double emploi ! Il me semble que celles qui choisissent une accompagnatrice dans leur congrégation, parfois même dans leur communauté, le font pour deux raisons. Ou bien il y a au départ une volonté de se mettre à nu, d’être à la fois plus connue et plus vulnérable, puisque ce n’est plus le dialogue seul qui permet de se révéler, mais aussi la vie quotidienne ; ce choix suppose donc une grande confiance. Ou bien il s’agit de personnes timides, qui connaissent peu de monde, n’osent pas « déranger », ne rencontrent un prêtre que lors de retraites prêchées à un groupe, sans occasion d’échange personnel un peu suivi. Et cependant elles ont tout autant besoin que les autres d’avoir une parole sur leur expérience, parole parfois plus modeste mais non moins profonde, et qu’elles seront plus à l’aise de partager à une sœur connue. Peut-être y a-t-il une troisième raison possible, mais beaucoup moins valable, de préférer l’accompagnement d’une consœur : ce serait une certaine paresse spirituelle, qui poussera à se choisir une « amie » dont on pressent ou espère qu’elle ne sera pas trop exigeante... La chose existe ; mais en général, il me semble au contraire que la relation d’accompagnement entre sœurs a entraîné un progrès mutuel, une conscience plus vive de nos ressources intérieures, et parfois une forme d’amitié qui est une richesse pour la congrégation. Pendant les années de formation de la jeune religieuse, et pour des raisons évidentes, c’est ce type d’accompagnement qui est la norme.

Accompagnateur ou accompagnatrice ?

Quand l’accompagnateur n’est pas un membre de la congrégation, il s’agit le plus souvent, concrètement, de l’accompagnement d’une religieuse par un prêtre, donc d’une femme par un homme ; mais le mouvement inverse se trouvera sans doute de plus en plus : une femme accompagnant un homme, prêtre ou non, sur son chemin spirituel. Sans oublier le cas, de moins en moins rare dans certains mouvements, de religieuses accompagnées par des laïcs. La question sera d’autant plus importante qu’on envisagera davantage l’accompagnement comme un échange, ou un rendre-compte, touchant non seulement au domaine de la prière mais à tous les aspects de l’existence humaine. Dans cette perspective, qui est certainement de plus en plus celle des jeunes générations, il n’est pas neutre de s’adresser à un homme si on est une femme, ou inversement. Et de fait on peut constater que certaines sœurs ont une nette préférence pour un accompagnateur, d’autres pour une accompagnatrice, tandis que quelques-unes ont l’un et l’autre, mais ne leur parlent pas des mêmes choses, ou alors pas de la même façon.

Tout cela n’est pas insignifiant, et nous invite à être attentifs. Non pas du tout par soupçon, mais parce que nous sommes là en un lieu où peuvent se jouer des choses essentielles, et qu’il serait dommage, par peur, par fausse pudeur, de ne pas aller au cœur de la question.

Et si nous parlons d’essentiel, il ne faut pas oublier qu’avant d’être homme ou femme – ou plutôt au-delà du fait qu’il est homme ou qu’elle est femme –, celui ou celle qui accompagne l’autre est une personne, c’est-à-dire une réalité spirituelle. C’est à ce niveau-là que l’accompagnement se situe. « Lors de la résurrection, on ne prend ni femme ni mari » (Mt 22,30), la promesse de Jésus commence dans toute rencontre qui vise l’ouverture de notre esprit à l’Esprit.

Il n’empêche que, dans son accompagnateur, la religieuse peut rencontrer, ou chercher inconsciemment, soit le frère qu’elle aurait aimé avoir, soit l’image plus ou moins sublimée de l’époux qu’elle n’a pas, soit le « frère d’âme » mais qui n’en a pas moins un corps. Tout cela peut être très bien vécu, et devrait même, il me semble, épanouir dans la personne quelque chose d’infiniment précieux. J’ai souvent vu que cette expérience, même tâtonnante au départ, permettait à des sœurs de prendre une conscience plus affinée et, au sens fort du mot, plus spirituelle, de leur féminité, de la complémentarité, dans l’ordre spirituel aussi, de l’homme et de la femme. Dans son livre récent sous-titré « la vie religieuse, expérience actuelle », Leonardo Boff a sur ce thème quelques pages inspirées, où il montre comment, en face de l’homme la femme s’éveille à ce qui en elle est masculin, tandis que l’homme, lui, s’éveille à ses forces féminines [2]. Si l’on est sensible à cette manière de voir, on peut se demander si des religieux, des prêtres, ne gagneraient pas à avoir plus souvent une accompagnatrice. Dans certains pays, la chose est devenue normale. Chez nous elle reste relativement rare. Pourquoi ? Par manque de formation chez les femmes ? En partie, sûrement. L’importance de sérieuses bases théologiques chez celui ou celle qui en accompagne un autre, est plus grande encore, naturellement, si cet autre est lui-même responsable d’une pastorale, d’un enseignement. Mais ne flotte-t-il pas aussi une vieille conviction de supériorité masculine, ressentie d’ailleurs autant par les femmes que par les hommes ? Il est difficile pour une femme, surtout dans certains domaines longtemps réservés à un clergé masculin, de croire à sa capacité, non identique mais « égale et complémentaire ». Le changement viendra sans doute des nouvelles générations : plusieurs sœurs sont accompagnatrices d’adolescents ou jeunes hommes, qui semblent s’en trouver bien.

Bien vécue, cette relation d’accompagnement spirituel entre un homme et une femme peut donc aider, me semble-t-il, à conduire notre vie intérieure à sa pleine maturité. Il est vrai aussi qu’elle n’évite pas toujours des déviations, comme par exemple de créer une dépendance, pas toujours consciente et d’autant moins bonne. On peut être convaincu de rechercher très purement une guidance « spirituelle », et en fait on souhaite sans s’en rendre compte une complémentarité qui manque, en effet, dans une vie religieuse « monosexuée ». Tant que ce désir reste inconscient, il peut dévaloriser une relation dont la force est justement de ne pas se chercher pour elle-même, mais de servir seulement à faire grandir dans la relation à l’unique Seigneur. Cette dépendance est évidemment plus grave si l’accompagnateur lui-même n’en a pas conscience, et joue, fût-ce involontairement, de son pouvoir.

Car l’accompagnement met en jeu un certain pouvoir (serait-ce ce qui rend plus facile à un homme d’accompagner une femme que l’inverse ?), dont je ne suis pas sûre que tous les accompagnateurs se rendent bien compte. Leur parole, pour certaines sœurs, a plus de force, et fait davantage loi, que celle de leur congrégation. Il peut arriver, bien sûr, que ce pouvoir s’exerce aussi d’une femme sur une femme : mais alors ce sera le plus souvent à l’intérieur d’une congrégation, ce qui n’entraîne pas les mêmes risques de conflit d’autorité. Et surtout, il ne s’agit pas alors de ce pouvoir, d’autant plus subtil qu’il porte sur le « spirituel », que beaucoup de femmes aiment concéder à un homme, et que peut-être beaucoup d’hommes aiment exercer sur une femme.

Évidemment, dans la mesure où on laisse se développer ce type de relation à l’intérieur d’un accompagnement, celui-ci perd d’autant sa qualité spirituelle ; il perd le détachement, l’absolue gratuité et non-possessivité qui seuls rendent un être humain capable d’en accompagner un autre sur son chemin personnel, sans vouloir le lui tracer, ni même l’infléchir. Ne serait-ce pas à cause de ces jeux de pouvoir, surtout quand ils sont inconscients, que tel accompagnateur, habituellement sûr et sage, confondra un jour son rôle avec celui des personnes chargées du gouvernement, inspirant des missions, contestant des obédiences ? Au nom de l’aide à apporter à une sœur en difficulté, ne risque-t-on pas de l’acculer à un conflit entre son guide privé et sa congrégation ? Ce genre de conflit ne peut guère faciliter une disponibilité paisible à la parole de Dieu.

La supérieure comme accompagnatrice ?

Est-il souhaitable que la supérieure soit aussi l’accompagnatrice de ses sœurs ? Sans doute chaque congrégation aura-t-elle sa réponse propre. Dans la nôtre, cette réponse n’a pas toujours été la même. Auparavant, les religieuses « allaient en direction » chez la supérieure, sans autre choix possible (hormis le confesseur de la communauté). Il y avait là de grands avantages, et beaucoup de sœurs y ont puisé une vie spirituelle forte. Mais certaines pouvaient aussi se sentir très mal à l’aise, ou incapables de s’exprimer vraiment, par manque d’affinité profonde ou pour d’autres raisons ; elles étaient alors réduites à une solitude qui n’était bonne que pour certaines natures spirituellement très vigoureuses. Aujourd’hui, une grande liberté de choix nous est laissée. Nos Constitutions récemment approuvées par Rome parlent de « l’accompagnement avec une religieuse de la congrégation » (c’est la règle en temps de formation), mais aussi de direction spirituelle, sans préciser avec qui. Les sœurs qui demandent à la supérieure de les accompagner le font donc en toute liberté. Cette liberté me semble, dans le cas de notre congrégation, et à cause de notre insistance sur le discernement personnel et communautaire, très aidante. Il faut constater en même temps que certaines supérieures peuvent en retirer le sentiment de moins connaître leurs sœurs, et de ne plus oser faire le premier pas vers elles ; c’est un nouvel équilibre à trouver.

La provinciale peut-elle être aussi l’accompagnatrice ? Dans notre congrégation, ce n’est ni défendu, ni conseillé ; il semble meilleur de clairement séparer les deux rôles. Bien que le « rendre compte » à la provinciale puisse se faire sous la forme d’un échange très semblable à celui de l’accompagnement, son sens reste différent. Il est bon que la personne qui en accompagne une autre n’ait pas ensuite un rôle de décision (la perspective est différente dans la vie monastique) ; et par ailleurs il ne faudrait pas qu’une sœur n’ayant pas cet accompagnement avec sa provinciale, se sente moins comprise que celle qui l’aurait. J’avoue pourtant que dans certains cas, par exemple si la relation d’accompagnement a précédé le mandat de provinciale, si la personne était vraiment en peine de l’interrompre, et s’il n’y a manifestement pas de problème d’autorité, il m’a paru plus simple et réaliste d’assumer les deux relations. Mais cela doit sans doute rester l’exception, et je sais que certaines positions sur ce point sont plus strictes que les miennes.

Conclusion

Cet exposé est bien loin d’avoir fait le tour de la question [3]. Il s’en dégage au moins, j’espère, qu’il y a, entre le gouvernement dans la vie religieuse et l’accompagnement spirituel, une interrelation très forte, et qui demande en même temps une extrême discrétion. Personnellement, j’ai immensément reçu de ce que mes sœurs me communiquent de leur vie intérieure, et je conçois mal mon service sans un partage à ce niveau. Mais leur liberté me semble, elle aussi, essentielle, cette vraie liberté qu’on reconnaît à ses fruits (entre autres, d’ailleurs, la clarté avec laquelle une sœur précise à sa provinciale qui est son accompagnateur ou accompagnatrice). Ces derniers, réciproquement, surtout s’ils sont extérieurs à la congrégation, doivent pouvoir renvoyer à elle, sans que la personne ait à craindre aucune interférence, mais en vue de la communion. C’est cette communion qui conduira la personne à sa pleine maturité dans le Christ, lui qui en définitive est le seul à pouvoir nous accompagner jusqu’au Père, lui le seul Chemin, la Vérité, la Vie.

31, rue de l’Abondance
1030 BRUXELLES, Belgique

[1Cf. André Louf, o.c.s.o., « Gouvernement et accompagnement dans les communautés contemplatives », Vie consacrée, 1986, 341-362.

[2Voir aussi dans Seigneur, apprends-nous à prier, d’André Louf, les pages lumineuses intitulées « Célibat et prière ».

[3On pourrait traiter par exemple de la fréquence de l’accompagnement (il y a un trop qui n’est pas meilleur que le trop peu), de la différence entre accompagnement et direction spirituelle, etc...

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