Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Discernement et élections dans les instituts religieux

Marcello Azevedo, s.j.

N°1987-6 Novembre 1987

| P. 330-349 |

Toujours nécessaire en temps de crise, le discernement spirituel requiert aujourd’hui certaines conditions fondamentales, dans la vie individuelle comme dans la vie communautaire. Après avoir finement analysé les dimensions et les modes d’exercice d’un discernement authentique, l’auteur nous offre un véritable « modèle de discernement » pour l’élection d’un supérieur général et de son conseil.

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Dans les années qui ont suivi le Concile Vatican II, la vie religieuse a vécu des expériences profondes qui, à certains moments, furent pour elle des facteurs de bouleversement, mais aussi de renouveau. J’en relève entre autres deux qui sont directement liées au thème de ce travail.

Réduction des effectifs

La première fut une réduction sensible des effectifs. Elle se produisit surtout durant les dix premières années après le Concile. Alors beaucoup de religieux quittèrent leur institut et le nombre des entrées baissa sensiblement. Ces deux facteurs accrurent l’impact du vieillissement des personnes dans les congrégations par leurs conséquences dans les domaines communautaires, économiques, fonctionnels et apostoliques.

Un processus de rénovation

Une seconde expérience fut le processus d’actualisation, de rénovation et de reprise de la vie religieuse dans l’après-concile. A partir de Perfectae caritatis, lu dans le contexte des autres documents conciliaires et du Motu proprio Ecclesiae sanctae, ce processus a comporté une triple phase, par laquelle sont passés de nombreux instituts religieux.

Une large consultation

Une première phase se caractérise par une large consultation et un appel à la réflexion adressé à tous les religieux, à tous les niveaux et partout dans le monde. Cette réflexion se déroula dans le cadre d’une interaction intense de la vie religieuse avec les diverses réalités de son propre champ de mission ou de service apostolique, avec les multiples courants théologiques régionaux ou sectoriels qui se développèrent après le Concile (théologie de la libération, « process theology », théologie de la femme, de la négritude, de l’inculturation), avec les Églises locales remises en valeur par le Concile et fortement dynamisées par les nouvelles perspectives ecclésiologiques et pastorales ainsi ouvertes.

La tenue des chapitres spéciaux

Suivit une seconde phase, préparée par la première : la tenue des chapitres spéciaux et des autres assemblées qui les complétèrent. Par eux, les congrégations et les ordres religieux tendirent à diriger et assimiler, au plan global de l’institut, la diversité considérable de situations et d’expériences vécues par leurs membres au niveau apostolique local et ou sectoriel.

L’élaboration des nouvelles constitutions

Une troisième phase fut l’élaboration des nouvelles constitutions ou leur relecture à un niveau plus profond. Ce travail fut abordé de plusieurs points de vue : la réalité vécue dans le contexte du monde et de l’Église d’aujourd’hui ; les études historiques et théologiques sur les origines, le charisme, les réalisations missionnaires concrètes des divers instituts au long de leur histoire comparées aux situations actuelles.

Crise et discernement

Aussi bien dans la première expérience que dans les trois phases de la seconde, les religieux se trouvèrent pris dans ce que l’on peut appeler une « crise ». Techniquement parlant, une « crise » est un phénomène ou un processus par lequel la marche de l’histoire, une situation ou un ensemble de facteurs historiques affectent, mettent en question ou forcent à réévaluer les valeurs et les raisons d’être et de vivre dont sont porteurs un individu, un groupe, une institution, une société ou une culture.

Naturellement, la prise de conscience de cet état de crise amène d’une part à l’analyse, l’étude, l’évaluation des faits, de leurs causes et de leurs conséquences, de l’autre à la nécessité de décisions au plan individuel, communautaire, institutionnel et socio-culturel. C’est le cas pour la société dans son ensemble ; ce le fut, spécifiquement, pour l’Église et les congrégations. La recherche, l’élaboration et la prise de telles décisions, dans un contexte de crise, amène à redécouvrir, revaloriser et pratiquer constamment le discernement.

Le discernement n’est pas une nouveauté. Il a été présent, dès les origines, aux divers moments de la vie de l’Église. Mais, dans les périodes de plus grande stabilité de l’histoire de l’Église, le recours au discernement tend à être plus rare dans la pratique des chrétiens. De fait, une telle stabilité découle d’une acceptation et d’une manière de vivre plus homogènes, sans graves perturbations ni mises en question des valeurs, critères, manières de faire et raisons profondes d’être et d’agir que partagent communément les individus et les groupes. Mais le discernement réapparaît presque toujours en période de crise. Ainsi, par exemple, il fut hautement valorisé par saint Ignace de Loyola et par sa spiritualité, surgie dans un contexte de crise (Réforme, Concile de Trente, Contre-Réforme). Aujourd’hui, le discernement fait l’objet d’études et de recherches, mais il est surtout vu comme un instrument et une méthode de travail dans la vie des personnes et des congrégations, de nouveau plongées dans un contexte de crise, encore que la situation soit moins tendue de nos jours que dans l’immédiat après-concile.

Nous pouvons nous demander : pourquoi donc le discernement a-t-il aujourd’hui une telle faveur et une telle importance ? quelles sont les conditions fondamentales pour sa réussite ? comment le mettre en œuvre aux moments-clés de la vie individuelle ou communautaire ? J’essayerai de répondre aux deux premières questions ; quant à la troisième, je me limiterai au cas concret des élections – et, plus précisément, à celui des élections au gouvernement général – dans les instituts religieux.

L’importance du discernement aujourd’hui

Sémantique du discernement

En vue d’y voir clair, il convient de préciser d’abord le contenu sémantique du mot « discernement ». Étymologiquement, discernement est apparenté à critique, crise, décret, tous liés au verbe grec krinein et au verbe latin cernere. D’après leur racine grecque, ces termes recouvrent des significations telles que : évaluer, séparer, distinguer, déterminer, choisir, trier, décider. A partir de l’étymologie latine, à tous ces sens s’en ajoute encore un autre : percevoir avec acuité (discerner), saisir avec précision (grasp en anglais) et définir avec exactitude (décréter). Sous l’angle sémantique, le discernement connote donc un exercice d’analyse (critique) pour une évaluation en vue d’une décision.

Dans la constellation sémantique où s’inscrit le discernement, nous pouvons parler de critique, de conscience critique, de jugement critique. Il est donc question d’actuer la capacité que possède notre raison d’analyser, de distinguer, de prendre position, de décider. Toutefois, quand nous parlons de critique ou de conscience critique, nous restons encore au plan de la raison humaine, dans le domaine spécifique de ses capacités. Or le terme discernement, dans son acception courante en théologie et en spiritualité, suppose et englobe l’exercice de la raison humaine articulée à la foi et inspirée par elle. Discerner, c’est chercher une décision, et s’orienter vers elle dans une perspective de foi. Discerner, c’est vivre dans un contexte de prière – expression et aliment de la foi – le processus lui-même et la perspective de la décision. De là, l’usage fréquent de l’expression « discernement spirituel » (cf. 1 Co 3,1 sv. ; 15,44 sv.).

Domaine et portée du discernement

La pratique du discernement nous amène à distinguer le discernement individuel et le discernement communautaire ou en groupe selon qu’il se fait au niveau de la personne individuelle – comme dans le cas prévu, par exemple, dans les Exercices spirituels de saint Ignace – ou au niveau des objectifs communs d’un groupe ou d’une communauté [1].

Dans la vie religieuse, le discernement se situe toujours dans une perspective qui intègre la vocation et la mission, la vocation en vue de la mission. Et notre mission de religieux est dans le prolongement de celle de Jésus-Christ, envoyé du Père. Faire la volonté du Père fut toujours le sens et l’aliment de la vie de Jésus. Tendre à réaliser la volonté de Dieu est précisément l’objectif du processus de discernement. Il se révèle aussi comme la médiation et l’instrument qui rendent possible l’actuation du sens même de notre vie de consacrés pour la mission. Tout discernement authentique se situe et se déroule sur l’horizon de la mission.

Le fondement anthropologique et théologique que je propose ci-dessous est valable pour l’une et l’autre modalité du discernement, individuel ou communautaire. Les différences se manifestent plutôt au plan méthodologique de leur pratique respective. A ces deux plans, individuel et communautaire, notre discernement peut porter sur les personnes et les choses, sur les projets et les situations, bref, sur n’importe quel point qui soit objet de décision.

Fondement anthropologique du discernement

Partant de la réalité humaine dans son unité et sa diversité, je désire signaler quatre dimensions dans lesquelles nous pourrons reconnaître des raisons pour la nécessité du discernement.

Toute personne humaine, étant un être humain, porte en elle la limite ontologique de la réalité créée de sa propre humanité. Outre cela, étant une personne entre beaucoup d’autres, elle est existentiellement limitée dans sa réalité psychosomatique. Elle n’épuise les potentialités humaines ni au plan biologique, ni au plan psychologique. De là procède une limite inévitable tant dans la recherche que dans la perception de la vérité.

Transposé au plan de la foi, dans le discernement spirituel, soit de la personne, soit du groupe, cela traduit aussi une limite dans la recherche et dans l’identification de la volonté de Dieu, objet propre du discernement.

L’expérience des individus, des groupes ou de la société dans son ensemble nous amène à prendre conscience d’une autre limite importante de la réalité humaine : sa peccaminosité, cette tendance qui nous affecte tous et se manifeste dans de nombreuses formes et expressions du péché en nous. Cette limite influe, c’est trop clair, sur notre recherche de la vérité et notre quête de la volonté de Dieu.

L’unité biologique de l’humanité se réalise à travers une inépuisable multiplicité culturelle et sociale. La culture caractérise en même temps une personne et un groupe et les distingue des autres. À travers la culture, nous acquérons des manières propres de voir, de juger, d’agir, de communiquer. La même réalité peut donc être vue et évaluée différemment à partir de cultures différentes. Plus encore, la culture est si profondément enracinée en nous qu’il n’est pas rare que la perspective qu’elle présente se transforme inconsciemment en norme. À partir de notre point de vue culturel, nous sommes portés à juger que notre perception est la seule valide. L’importance de ceci pour une congrégation internationale, répandue dans plusieurs aires culturelles, est une évidence. Or une grande partie des implantations des instituts religieux dans des régions autres que leur pays d’origine fut effectuée et longtemps marquée par le transfert culturel et l’exigence d’une pleine acculturation de leurs nouveaux membres à la manière culturelle d’être des origines ou de la majorité des membres de la congrégation. La même chose peut se dire de l’évangélisation durant les siècles qui s’écoulèrent entre le Concile de Trente et celui du Vatican II, en lien avec l’absolutisation de la culture européenne occidentale chrétienne traditionnelle, prise comme unique paradigme acceptable de vie chrétienne.

Un peu partout, mais surtout dans le premier monde et dans les zones urbaines et métropolitaines du tiers monde, c’est la culture moderne contemporaine qui prédomine. Cette culture présente trois caractéristiques décisives en ce qui concerne la nécessité de la conscience critique et du discernement.

La première est la sécularisation. Je la comprends comme une fragmentation de l’univers hégémonique et homogène des valeurs et des significations qui caractérise les cultures traditionnelles. De là découle le pluralisme des idées, des épistémologies, des méthodologies, des vocabulaires et des discours, des valeurs et des critères. La polarisation ou l’absolutisation de visions partielles qui s’arrogent la prérogative d’interprétation globale produit les idéologies, troisième caractéristique de la culture moderne contemplative. Cette culture est donc marquée par le conflit, la diversité des lectures et des interprétations, la radicalisation potentielle et la manipulation, qui s’affirment vigoureusement dans le champ des relations sociales et dans le processus intensif actuel d’information et de communication.

À partir des quatre facteurs rappelés ci-dessus et de leur action conjointe, il est aisé de percevoir combien s’imposent, dans la situation actuelle de l’Église au cœur de ce monde concret, la formation et la mise en œuvre de la conscience critique et l’exercice du discernement, que ce soit pour chercher et reconnaître la vérité ou pour découvrir avec précision et accueillir la volonté de Dieu dans la perspective de la mission.

Fondements de théologie biblique

Ce que nous avons dit ci-dessus se situe encore au niveau anthropologique et les raisons avancées sont de type rationnel, qu’on les applique au pur plan de la raison (conscience critique) ou à celui de la raison éclairée par la foi (discernement). Voyons brièvement quelques éléments pris à la théologie biblique et qui nous aident à mieux comprendre la nécessité du discernement. Trois textes, entre autres, nous incitent à nous rendre compte des diverses influences qui s’exercent au plus profond de nous-mêmes.

1 Jn 4,1-6 : « Bien-aimés, ne vous fiez pas à tout esprit, mais éprouvez les esprits pour voir s’ils viennent de Dieu ».

Ga 5,16-17.25 : « Laissez-vous mener par l’Esprit et vous ne risquerez pas de satisfaire la convoitise charnelle... Puisque l’Esprit est notre vie, que l’Esprit nous fasse aussi agir ».

Rm 7,13-25 : dans ce texte, qu’il faut lire en entier, saint Paul dénonce clairement la contradiction que nous portons en nous entre le bien que nous cherchons et le mal que nous faisons. C’est le passage qui nous révèle le mieux le drame de notre peccaminosité : celle-ci affecte radicalement notre conscience et notre liberté, notre être et notre agir.

Il ne nous est donc pas possible de minimiser la nécessité du discernement pour nous situer, jusqu’au plus intime de nous-mêmes, en face de forces et d’inspirations aussi contradictoires. L’Évangile nous montre que Jésus se recueillait pour chercher dans la prière le climat convenant à ses grandes décisions (Lc 3,21 ; 5,15-16 ; 6,12-16 ; 9,18.28-29 ; 10,21-24 ; 11,1).

Nous savons de plus, par toute la théologie du Saint-Esprit, principalement chez saint Paul et saint Jean, que celui-ci agit en nous et sur nous, qu’il nous inspire et nous meut. Il le fait pour chacun de nous et pour la communauté croyante (Rm 8,1-27 ; Jn 14,15-25 ; Ac 2,1-47).

La Bible tout entière témoigne de l’immense respect de Dieu pour les personnes humaines, leur conscience et leur liberté, leurs rythmes et leurs limites. La pédagogie de Dieu envers Israël, envers l’Église, envers l’humanité dans son ensemble est une manifestation cohérente de son attention à la capacité propre d’évolution et au rythme des personnes et des groupes.

Nous pouvons donc dire que l’action du Saint-Esprit sur les personnes et les communautés s’adapte à l’identité et à l’histoire de chacune d’elles. Dans ce sens, cette action de Dieu se laisse aussi limiter et conditionner par les réalités anthropologiques rappelées ci-dessus. En conséquence, même si l’on suppose un degré optimum de sincérité dans la recherche de la volonté de Dieu et un maximum de docilité dans l’accueil de ses inspirations, je puis toujours affirmer que jamais ne s’épuise, en moi ni en personne d’autre, l’inscrutable densité de la manifestation de Dieu. Aucun de nous ne peut prétendre exprimer ou représenter pleinement, de manière exhaustive et sans appel, la vérité ou la volonté de Dieu. L’une et l’autre, dans la lecture que j’en fais, dans leur interprétation et leur expression, portent la marque de mon individualité, qui les filtre et les limite, les réduit et les conditionne.

La conséquence de ceci est la nécessité d’une double attention. La première tournée vers moi-même, pour saisir en moi l’action de l’Esprit Saint. La seconde, dirigée vers les autres, dans le désir de percevoir chez eux les traces de l’inspiration de Dieu. Pour que l’une et l’autre soient reconnues, il faut la communication et le partage. Spontané et libre, ni persuasif ni agressif, le partage deviendra le point de rencontre de l’action de l’Esprit telle qu’elle se traduit à travers l’identité variée des personnes et des groupes. La conviction que Dieu peut me parler à travers ce qu’il donne à connaître ou à expérimenter à un ou plusieurs de mes frères et sœurs m’ouvre à l’écoute et au dialogue, relativise ma propre vue des choses et enrichit ma perception ultérieure et mon estimation des personnes, des choses et des situations. En même temps et de façon analogue, cela m’ouvre à la communication de ma propre grâce et cela m’aide à surmonter mes blocages et les barrières qui entravent ma disposition personnelle au partage.

Que ce soit dans la recherche de la vérité au niveau de la raison ou dans le désir de découvrir la volonté de Dieu au niveau de la foi éclairant la raison, nous reconnaissons la force et la portée de ce fondement biblico-théologique du discernement et des médiations qui le rendent nécessaire et possible. Dans le domaine personnel de ma propre conscience comme dans l’interaction multipersonnelle de la communication et du dialogue, il y a une dynamique de purification des limites et de complémentarité mutuelle des valeurs et des grâces. Cette dynamique est fondamentale dans la marche vers la vérité et dans l’identification de ce que Dieu veut de moi ou de la communauté dans la perspective de la mission.

Conditions de base pour un discernement authentique

Pour que les choses se déroulent dans la clarté, tout ce qui a été dit jusqu’ici requiert tout d’abord que certaines conditions indispensables soient assurées.

Définition de l’objet

Cela requiert d’abord une claire définition de l’objet du discernement et de sa portée, dans le contexte précis du discernement que je prétends faire.

Intention droite

Cela requiert ensuite une intention droite et explicite de me laisser conduire par l’Esprit dans la recherche de ce que Dieu veut. Cette attitude s’oppose à un usage artificiel du discernement, employé plus ou moins comme une méthode pour faire approuver, justifier ou légitimer des orientations éventuelles ou même des décisions déjà prises d’avance.

Information

Cela requiert encore la meilleure information possible sur ce qui est l’objet du discernement – personne, chose, situation, projet, etc. – et sur les éléments qui sont en corrélation avec lui. Cette information devra être étendue. Par là, je veux dire qu’il est nécessaire d’élargir la base de la consultation, d’entendre d’autres personnes que le petit cercle habituel qui s’occupe normalement de cet argument ou de cette personne, de diversifier les points de vue de l’information. Celle-ci doit aussi être synchronique et diachronique. Synchronique, en tant qu’elle prend en compte la situation actuelle de la question ou de l’objet en cause dans le discernement. Diachronique, en tant qu’elle cherche à saisir, dans une lecture historique, les processus et les chemins qui ont amené la personne ou la situation à son état actuel. Fréquemment, le recours à l’une seulement de ces lectures aboutit à une injustice ou rend le processus incomplet. Par exemple, se borner, pour le passé, à certaines données d’archives sur une personne peut laisser ignorer son évolution ultérieure, sa réponse concrète à l’action de Dieu ou de la vie sur elle, source parfois de profondes transformations.

La clef herméneutique

Cela requiert encore la détermination de la clé herméneutique de lecture et d’analyse de la réalité de l’objet du discernement. Cet objet (personnes, situations, etc.) peut être abordé de multiples façons et à partir de points de vue divers. Si la clé d’interprétation n’est pas précisée, on court le risque de se pencher sur la même réalité avec des critères très différents, ce qui ne mène à rien. De ce point de vue, décisive aussi est la définition du « lieu social [2] » à partir duquel se font la lecture et l’interprétation.

Critères de discernement

Cela requiert, à la lumière de la définition de la clé herméneutique, la fixation des critères pour le discernement et les décisions qui doivent le suivre. Dans la vie religieuse, le cadre premier de référence pour toute critériologie est la mission. Dans le cas d’une élection de personnes, par exemple, c’est à ce critère fondamental que restent subordonnés les autres, tels que la compétence, la nationalité, la mobilité, etc.

Une profonde liberté intérieure

Cela requiert, finalement, comme élément central, sous-jacent à tous les autres, une profonde liberté intérieure. Elle doit constamment être demandée à Dieu, parce qu’elle est une grâce. Elle doit sans cesse être vérifiée en nous, dans l’analyse de notre réponse à cette grâce : d’où vient que je ne sois pas libre ? ou qu’est-ce qui me bloque devant telle ou telle hypothèse envisagée dans la décision ? Seule, cette liberté, individuelle et communautaire, toujours actuée dans le processus de discernement, rend celui-ci viable et lui donne crédibilité. Seule, elle permet aussi bien l’établissement de la clé herméneutique et des critères que leur application concrète. Seule, la liberté ouvre les personnes à la participation au dialogue et à l’action de l’Esprit sur tous et chacun.

Méthodes et modes de discernement

Parmi de nombreuses manières possibles de conduire un discernement, j’en détache deux. Combinées, elles peuvent se prêter à un emploi très fréquent dans les discernements courants, individuels et communautaires, qui se font dans la vie religieuse, spécialement en vue d’élections. Il est important cependant que le processus se déroule dans un climat de prière et d’ouverture à l’Esprit, qui est la clé propre de tout discernement.

La réflexion sereine à la lumière de la foi

La première manière consiste à réfléchir et peser sereinement les choses à la lumière de la foi. Gardant présent à l’esprit ce qui a été dit sur les limites et les conditionnements, sur les conditions requises et la liberté nécessaire pour un bon discernement, nous pouvons y procéder dans un climat de prière. Au fur et à mesure du progrès de notre considération sur l’objet du discernement, nous notons les raisons pour et contre une éventuelle décision à son sujet. La reprise et l’approfondissement de cet examen peuvent nous révéler graduellement des dimensions que nous n’avions pas saisies à première vue. Le partage de ces arguments pour et contre dans un dialogue sans discussion nous amènera à enrichir notre information personnelle sur la position des autres comme aussi l’éventail des références se rapportant à l’objet du discernement. Ici encore, la répétition du partage, sans intention persuasive ou agressive, peut aboutir à la formation d’un accord substantiel sur la décision envisagée.

Une attention priante aux motions intérieures

La seconde manière est une espèce d’attention prolongée, dans la prière, à l’objet de la décision. Attention particulièrement à ce que nous ressentons ou expérimentons tout au long du temps pendant lequel nous le considérons. C’est comme une harmonie priante, qui peut se prolonger durant toute la journée ou durant plusieurs jours, à la manière d’une musique de fond qui se perçoit sans que cela perturbe nos activités. Il est impressionnant de percevoir comment Dieu agit en nous de multiples manières, alors même que nous nous y attendons le moins. Maintenir notre attention aux mouvements, dispositions, résistances, inclinations et à tout ce qui se passe au plus intime de nous-mêmes est un bon moyen pour percevoir cette action de Dieu et découvrir petit à petit ce qu’il veut. Ici, il est également indiqué de prendre note de ce qui se passe en nous. Il est utile d’enregistrer les hauts et les bas, les mouvements souvent de sens contraire qui se produisent quand nous considérons l’objet du discernement sous tel ou tel angle, en fonction de telle ou telle situation. Nous verrons que ce qui se dessine n’est pas toujours une trajectoire rectiligne ou cohérente. Au contraire, les états d’âme sont variables, nous expérimentons tantôt la paix ou le trouble, l’allégresse ou la tristesse, la générosité ou des sentiments mesquins. Nous pouvons même ne rien ressentir ou succomber sous le poids de la crainte, du découragement, de la répulsion, ou, au contraire, nous surprendre pleins d’enthousiasme et de courage.

Tous ces mouvement sont des signes de Dieu mis à notre portée ; ce sont des formes de sa présence à travers notre présence et celle des autres. Ici aussi, dans le cas d’un discernement communautaire, un partage éventuel peut être éclairant pour ceux qui y participent.

Chaque fois que nous reconsidérons la matière de la décision, il importe de faire retour sur nous-mêmes à la lumière de l’action du Saint-Esprit. Si nous essayons d’unir dans la prière et la réflexion les deux modes de discernement – la confrontation des raisons pour et contre et l’expérience profonde des mouvements ressentis à l’intérieur de nous-mêmes –, ils peuvent nous aider ensemble à découvrir la volonté de Dieu et à mieux l’expliciter pour nous-mêmes et pour les autres. La liberté et la paix peuvent être des signes qui révèlent notre accord harmonieux avec la volonté de Dieu : nous sentir libres et en paix devant la décision que nous sommes portés à prendre.

Il est bien clair, à partir de ce que nous avons dit jusqu’ici, que le processus de discernement demande un certain temps, qui sera proportionnel à l’importance et à l’urgence de la décision en question. Le temps consacré à la préparation et au processus lui-même rend plus parfaite la qualité de la décision et facilite sa mise en œuvre ultérieure.

Discernement et élections

En gardant présent à l’esprit tout ce qui a été dit jusqu’ici, nous pouvons établir des modèles (des scénarios) pour n’importe quel objet de discernement : personnes (mutations, destinations, formation) ; choses (fermer ou ouvrir des maisons, assumer tel ou tel type de travail) ; situations (relations à nouer avec des personnes, facteurs décisifs pour la mission) ; projets de tous ordres.

Comme annoncé dans le titre de ce travail, je souhaite offrir maintenant un modèle de discernement en vue de l’élection d’un Supérieur général [3] et de son conseil. Cette manière de procéder a été détaillée par moi il y a environ dix ans. Elle a ensuite été appliquée ou suivie par diverses congrégations. Plusieurs obtinrent des résultats significatifs, tels que l’élection du Supérieur général au premier tour avec plus de deux tiers des voix. Outre la profonde satisfaction qui découle d’un tel résultat et l’autorité morale qu’il confère à la personne élue dans de telles conditions, le processus amena aussi et en plus à surmonter ou à relativiser des polarisations qui se constataient, depuis longtemps, dans certaines de ces congrégations. La sincérité des participants et leur participation responsable au processus fournirent une meilleure connaissance mutuelle ; celle-ci se manifesta dans la préparation des élections, mais porta particulièrement ses fruits après les chapitres généraux en cause, dans la mission vécue au jour le jour.

Présupposés

L’élection d’un Supérieur général et de son conseil est fondamentale pour la vie d’un institut religieux. Assurément c’est autre chose que les élections politiques ou institutionnelles auxquelles nous sommes habitués dans la vie civile. La plus grande différence consiste en ceci : dans les élections pour un gouvernement religieux, doivent être fermement exclus, au niveau des personnes comme à celui des groupes, toute forme d’ambition du pouvoir et tout procédé compétitif en vue de l’obtenir. Ceci découle de la nature même du gouvernement religieux, dont l’inspiration centrale est la conception de l’autorité comme service et la cohérence radicale avec les exigences et les critères de l’Évangile par rapport à la nature et à l’exercice du pouvoir.

Sous l’action de l’Esprit Saint, il s’agit de choisir par élection des personnes dont la mission principale sera de promouvoir l’unité de l’institut, en construisant et encourageant la communion et l’union, dans la fidélité à la vocation et à la mission communes. Les personnes qui élisent portent, par là même, une responsabilité spéciale et très grande devant Dieu, l’Église et les membres de l’institut. Étant donné la nature de cette élection, celle-ci ne peut se dérouler et être fructueuse que dans un climat de vérité et d’amour, de grande docilité à l’action de l’Esprit et dans la prière.

Cette élection suppose une connaissance sérieuse de la réalité et des personnes, connaissance qui s’acquiert difficilement à partir seulement de l’initiative et des efforts individuels. L’instance d’élection (le chapitre général) doit se percevoir comme un corps apostolique ayant une mission spécifique et il doit travailler comme tel. Une des expressions de cette conscience d’être un corps apostolique ordonné à l’élection sera l’engagement commun dans un processus de discernement qui prenne en compte les connaissances de chacun de ceux qui élisent et les mette au service de tous.

Pour le réaliser toutefois sans s’impliquer dans la dynamique des influences indues en vue de la conquête du pouvoir, un discernement particulièrement discret et soucieux de la liberté d’autrui est requis, dans le but de sauvegarder et le respect pour les personnes et l’intérêt de l’institut. Je propose donc un discernement intense au niveau individuel, qui rejaillit toutefois, de fait, en service pour un discernement communautaire [4].

Le modèle que je propose de suivre présuppose naturellement la préparation informative qui est généralement assurée avant l’élection. Dans la méthode ici décrite, il est question de connaître, expérimenter et approfondir l’évaluation faite par les divers électeurs sur les divers facteurs et les personnes et de le réaliser dans un climat de prière, en vue des décisions à prendre sur les personnes concrètes à élire.

Plan d’un processus de discernement pour l’élection d’un gouvernement général religieux

Il est essentiel que le processus de discernement se déroule dans un climat de recueillement et de prière. La durée du processus sera fonction du nombre de personnes, mais elle ne devra pas être inférieure à deux journées ; l’idéal, quand c’est possible, se situe entre deux et quatre jours, dans un contexte de silence et de prière, personnel et communautaire.

1. Voir, à part soi, quels sont les problèmes ou les points de vue principaux que le gouvernement général devra affronter dans les prochaines années :

  • à l’échelle mondiale (1.1) ;
  • au plan de l’Église universelle (1.2) ;
  • au plan de son pays, de sa région, de son continent, des Églises locales (1.3) ;
  • au plan de la congrégation dans son ensemble (1.4) ;
  • au niveau de sa province (1.5).

Pour chacun de ces plans, écrire sur une fiche un seul problème ou point de vue, le plus important dans ce domaine.
Utiliser une fiche distincte pour chacun de ces plans.
Écrire, en haut à droite de la fiche, le numéro correspondant (1.1 ; 1.2 ; 1.3 ; etc.).

2. Que souhaite-t-on du gouvernement général à élire comme première priorité pour le bien de la congrégation ?

Écrire sur une fiche, numérotée 2 dans le coin supérieur droit, une seule priorité.
Ne pas signer la fiche.

3. Quelles sont les qualités principales que l’on désire rencontrer chez le Supérieur général à élire pour le moment concret que la congrégation est en train de vivre ?

Écrire sur une fiche, numérotée 3 dans le coin supérieur droit, une seule qualité, sans penser pour l’heure à des personnes concrètes.
Ne pas remplir plus de deux fiches (une pour chaque qualité).
Ne pas signer les fiches.

4. On dressera une liste avec le catalogue des problèmes (1), des priorités (2) et des qualités, en les inscrivant dans l’ordre de fréquence avec laquelle ils ont été indiqués.

5. Cette liste générale sera remise à chacun, afin qu’il puisse la considérer dans la prière, sans penser encore à des personnes concrètes. Devant cette vue d’ensemble, chacun fera une évaluation de caractère global sur chacun des points et sur l’ensemble.

6. Dans un climat de silence, chaque personne demandera à Dieu, dans l’oraison :

  • la grâce de procurer uniquement le bien de la congrégation ;
  • la grâce d’écarter de son cœur toute raison moins pure, qui pourrait la porter à préférer une personne ou à en exclure une autre ;
  • la grâce de la liberté intérieure, de la force et de la générosité, pour ne pas se laisser influencer par telle ou telle raison moins pure qui la porterait à refuser la charge dans le cas où elle y serait élue ;
  • la grâce d’être aidée à chercher dans l’oraison la personne la plus indiquée, selon l’Esprit Saint, celle qui, le plus objectivement, s’approche des qualités requises pour assumer cette charge.

7. Sans consulter personne et uniquement avec la connaissance que l’on a des diverses personnes éligibles, choisir devant Dieu le nom de deux personnes.

Écrire sur une fiche numérotée 8 dans le coin supérieur droit le nom complet d’une seule personne éligible (l’écrire en majuscules ou caractères d’imprimerie).
Utiliser une fiche distincte pour chacun des deux noms.
Ne pas signer.

8. On dressera une liste avec les noms qui ont été indiqués, dans l’ordre alphabétique du nom principal, sans indication de la fréquence avec laquelle ces noms ont été indiqués.

9. Cette liste sera remise à chacun pour qu’il puisse la considérer dans la prière. Chacun pourra ajouter à sa liste d’autres noms, dans le cas où ceux-ci lui viendraient dans sa réflexion.

– Si, par hasard, quelqu’un ne connaît pas suffisamment l’un ou l’autre de ceux qui sont indiqués sur la liste, il peut chercher à s’informer sur eux auprès d’une personne qui les connaît. Ceci cependant devra se faire individuellement et seulement en vue d’obtenir des informations sur la personne, mais pas une appréciation à son sujet. La personne consultée devra donc répondre avec une sincère et sobre objectivité, sans faire connaître ses préférences ou ses réticences [5].

10. On passera à un vote indicatif sans aucune valeur juridique.

Chacun écrira sur une fiche, numérotée 10 dans le coin supérieur droit, un seul nom de candidat éligible.

On dressera la liste des noms indiqués et de la fréquence avec laquelle ils l’ont été. Cette liste n’a aucune valeur juridique. Cette liste sera communiquée personnellement à chacun pour qu’il puisse la considérer dans l’oraison. Les électeurs ne feront entre eux aucun commentaire ; ils ne s’efforcent pas non plus d’exercer aucun type de pression sur les autres personnes.

11. La veille du jour des élections, devant le Saint Sacrement :

  • chacun des électeurs, conscient de sa responsabilité devant Dieu, l’Église et la congrégation, choisira, dans la prière, le nom de la personne qu’il juge devoir être élue ;
  • tous prieront le Seigneur pour la personne que l’Esprit Saint veut donner à la congrégation comme Supérieur général, à travers le vote de ce corps apostolique qu’est le chapitre général ;
  • tant que n’aura pas été officiellement proclamé, après le vote, le nom du Supérieur général élu, aucun membre du chapitre ne dira à personne le nom de celui qu’il veut élire ou qu’il a choisi.

12. Le jour de l’élection, après la messe du Saint-Esprit, suivra la procédure prévue par la législation de chaque congrégation. Évidemment, sont et demeurent éligibles toutes les personnes qui ont cette qualité en vertu des constitutions de l’institut, indépendamment de la liste purement indicative et sans valeur juridique qui a été présentée au cours du processus de discernement en vue de l’élection.

13. Le Supérieur général étant élu, on procédera, selon les termes des constitutions, à l’élection des conseillers ou assistants, d’après la législation de chaque institut.

Si l’on cherche à pousser plus loin, à cette étape aussi, le processus de discernement, on gardera présents à l’esprit les points suivants :

  • Étant connu le Supérieur général, on devra tendre à :
  • lui donner un groupe de conseillers qui puissent effectivement travailler en équipe avec lui ;
  • compléter les aspects dans lesquels le Supérieur général pourrait être limité, comme personne ou dans sa connaissance sectorielle ou géographico-culturelle de la situation ecclésiale de la congrégation ;
  • offrir au niveau du gouvernement général une représentation relative, mais significative, de toute la congrégation.
  • Ces éléments devront faire l’objet de la considération dans le processus de discernement, en gardant toujours présentes à l’esprit les exigences de ce processus et la nécessité d’écarter ses conditionnements et toute forme de manœuvre ou d’ambition du pouvoir de la part d’individus ou de groupes.

14. Pour permettre une plus grande réflexion et une meilleure oraison en vue de ces objectifs, il y a une certaine utilité à ce que les conseillers ne soient pas élus tous ensemble, mais un par un ou deux par deux, avec un certain délai entre les votes, de telle sorte que l’on puisse considérer l’équilibre de tous les facteurs dont dépend la création d’une équipe de gouvernement. Le discernement en vue de l’élection du Supérieur majeur a déjà fait apparaître de nombreux éléments nécessaires pour atteindre ce résultat.

Conclusion

Toutes les décisions à prendre dans la vie religieuse, au plan individuel ou communautaire, n’ont pas l’importance de telles élections. Toutefois, l’exercice fréquent du discernement est une excellente pédagogie pour la croissance de notre foi, pour la qualité de notre dialogue et de notre partage en vue de la mission commune. Par-dessus tout, c’est un moyen extrêmement efficace, à longue échéance, pour nous éduquer à la liberté de notre être et de notre agir et à la docilité envers l’action de l’Esprit, dans un monde qui, par sa propre structure culturelle, nous limite et nous conditionne.

Le discernement constitue donc un des éléments-clés de la formation initiale et permanente des religieux et une pratique fondamentale qui leur permet de faire face à la mission de Jésus-Christ au service du peuple de Dieu.

Rua Sâo Clemente 226
22260 RIO DE JANEIRO, RJ, Brésil

[1Aux origines de la spiritualité de la Compagnie de Jésus, se trouve une double expérience de discernement, individuel et communautaire. Le premier, c’est celui d’Ignace de Loyola lui-même dans sa vie ; il est consigné pour l’essentiel dans les Exercices spirituels. Les Exercices sont structurellement un processus de discernement. Ils s’orientent vers une « élection », comme l’appelle Ignace, qui est en vérité une recherche profondément libre de ce que Dieu veut de moi, à la suite du Christ, en vue du Royaume. Le second, ce fut le discernement communautaire d’Ignace et de ses premiers compagnons ; il aboutit aux questions qu’ils se posèrent sur un certain nombre de décisions fondamentales pour la création et le développement ultérieur de la Compagnie. Le noyau de cette expérience a été enregistré dans un document de grande importance pour notre sujet, sous le titre de « Délibération des premiers Pères ».

[2Le « lieu social » est le point ou la perspective à partir desquels je perçois, je comprends et j’interprète une réalité ou j’agis sur elle.

[3Il va de soit que tout ce qui est dit, au masculin, du Supérieur général vaut de la même façon pour la Supérieure générale.

[4Je désire faire une observation de portée générale sur le plan de discernement qui va suivre. À première vue, il peut sembler qu’il réduit l’élément de communication et de partage au bénéfice d’une procédure de type surtout individuel. De fait, non seulement il ne réduit pas, mais il intensifie et universalise le partage, en le réalisant cependant plus par écrit que verbalement. Dans ce cas précis, un partage écrit possède l’avantage de réduire le degré d’émotivité dans la communication et le risque d’influence persuasive entre les personnes. Il permet aussi à toutes les personnes de participer au processus et pas seulement à celles qui parlent mieux ou plus facilement, en raison de leur tempérament ou d’une meilleure qualification linguistique. Finalement, un partage écrit permet une considération renouvelée à plusieurs reprises, sans équivoques ni recours à un effort précaire de mémoire. Il va sans dire que la communication verbale et ouverte est la voie normale de partage d’un discernement en communauté. La communication écrite reste plutôt une exception réservée à des cas particuliers comme celui des élections.

[5Une des conditions d’un bon discernement est, comme il a été dit, une information responsable et aussi complète que possible. Cette information peut et doit être cherchée autant qu’il paraît encore nécessaire et elle doit être demandée aux personnes qui peuvent la donner, y compris à la personne vers laquelle il me semble que j’incline. Il est important toutefois que se maintienne la discrétion et le niveau individuel de l’information. L’expérience montre qu’il est plus nuisible qu’utile de contacter les personnes en leur proposant ou demandant une sorte de déclaration qui prenne les apparences d’une « plate-forme de gouvernement ». Amener d’autres à expliciter, avant l’élection, leur position sur des points déterminés ou des perspectives immédiates de la congrégation peut entraîner une double erreur. La première est celle de réduire en fait la liste des candidats éligibles aux seules personnes déjà manifestement capables de répondre à ce programme. Ceci conditionne aussi, avant l’élection, le type de réponse à donner ou à privilégier dans l’administration de l’institut. En vérité, la fonction même du gouvernement peut donner à la personne élue des informations ou des vues nouvelles, qui l’amèneront à perfectionner ou corriger les vues qu’elle avait avant l’élection. La seconde erreur est de tendre à élire une personne en fonction d’un seul ou de peu d’éléments, alors que ce qui est fondamental c’est la capacité d’un gouvernement général de travailler avec l’ensemble le plus large possible des problèmes, personnes et situations de la congrégation. A cela peut s’ajouter que le désir de tester ou de vérifier la plate-forme ou la position avant l’élection accorde plus d’importance à la fonction qu’à la personne, alors que c’est l’ensemble et la vue globale qu’on a de la personne qui doivent la qualifier comme éligible pour une fonction complexe dont le déroulement n’est pas du tout prévisible au moment de l’élection.

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