Vingt ans de grâce ou de disgrâce ?
Jean-Marie Roger Tillard, o.p.
N°1986-6 • Novembre 1986
| P. 323-340 |
L’auteur nous est bien connu : il est un des témoins privilégiés de l’évolution de la vie religieuse depuis le Concile. Dans une conférence donnée en Italie en septembre dernier, il tente de faire le point de la situation. Son intention est de « saisir sur le vif les dynamismes qui ont traversé la vie religieuse, dans sa communion aux puissants mouvements qui, depuis un quart de siècle, ont travaillé l’ensemble de l’Église de Dieu ». Redécouverte du lien essentiel avec l’Église locale, relecture d’identité qui supprime les cloisonnements et relativise certaines différences, déplacement massif des effectifs au profit des « jeunes Églises », humanisation de la vie appelée à rendre témoignage à l’existence et à la présence de Dieu : telles apparaissent certaines grandes lignes de cette évolution. Chemin de pauvreté appelé à devenir chemin de grâce.
[Résumé, fait sur le manuscrit que le P. Tillard a eu l’obligeance de nous communiquer, de la conférence donnée par lui le 8 septembre 1986 au Convegno Nazionale « Testimoni » (La Mendola, Italie), publié avec l’aimable autorisation de cette revue.]
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Il y a plusieurs façons d’évaluer une période de l’histoire. On peut essayer de découvrir ce qui, durant ce laps de temps, est né ou a disparu. Pour la vie religieuse, cette démarche serait assez simple. Mais il est une autre façon, plus difficile et sans doute plus honnête, de juger d’une époque : saisir sur le vif les dynamismes qui l’ont traversée. Aussi vais-je essayer de lire l’évolution de la vie religieuse dans sa communion aux puissants mouvements qui, durant ce quart de siècle, ont travaillé l’ensemble de l’Église de Dieu. Ma recherche sera toutefois marquée d’une double limite : mon regard portera explicitement sur ce qu’on appelle la vie religieuse apostolique et il considérera les grandes lignes de cette évolution, sans pouvoir se porter sur les rythmes différents selon lesquels elle se développe. Notre monde est tel que, lentement mais inexorablement, ce qui se passe ici aujourd’hui adviendra là-bas demain, avec des variantes sans doute, mais néanmoins selon la même logique. C’est donc à la fois à un constat et à une interpellation que je vous invite par ces réflexions.
Une mutation ecclésiologique
Le déplacement vers l’Église locale
Je ne pense pas caricaturer en affirmant qu’il y a vingt ans, pour la plupart des religieux (même pour les clercs engagés dans une tâche pastorale), leur lieu d’Église normal était la communauté religieuse. On était sur la paroisse, on n’était pas dans la paroisse. En effet, la communauté se voulait spirituellement auto-suffisante (Eucharistie, vie sacramentelle, prédication propres). Pour sa fidélité et sa ferveur, elle n’entendait pas avoir besoin de l’aide d’une Église locale. Elle la servait, elle ne dépendait pas d’elle.
Tout cela a lentement changé. Religieux et religieuses ont commencé à s’intégrer, comme membres authentiques de la paroisse, à la vie sacramentelle de l’Église locale, à ses groupes de prière et de ressourcement spirituel, à ses activités caritatives. Ils ne sont plus simplement ceux qui donnent à cette Église locale, mais aussi ceux et celles qui reçoivent d’elle, ont recours à elle et même s’appuient sur elle. C’est là une évolution de la plus grande importance. Ecclésiologiquement, elle signifie que les religieux découvrent qu’ils ne peuvent être d’Église qu’en étant dans une Église. Pour cela il ne suffit pas de travailler pour elle, il faut aussi vivre d’elle.
Par la force des circonstances, tout autant peut-être que par conviction, les communautés religieuses ont également été amenées à se situer d’une façon nouvelle dans l’engagement apostolique de l’Église de Dieu.
Il est clair que congrégations et ordres religieux, même de droit pontifical, ont depuis leurs origines travaillé pour les diocèses. Orphelinats, cliniques, collèges n’étaient pas des corps étrangers à la vie de l’Église locale. Formant des chrétiens compétents aptes à s’engager dans les tâches sociales, actualisant la compassion du Christ pour les petits et les affligés, ils entraient par là dans la vie évangélique du diocèse. Pourtant, durant les deux derniers siècles surtout, il était rare que les communautés confrontent explicitement leurs vues et leurs méthodes avec la visée d’ensemble de la pastorale locale. On se faisait mutuellement confiance et cela suffisait (souvent, l’unique souci de l’évêque était que les religieux ne drainent pas vers leurs noviciats des jeunes gens qui auraient été « de bons prêtres diocésains »).
Cette situation se modifie lentement. Il se peut que cette mutation ait été provoquée par la fermeture des « œuvres » tenues par des congrégations n’ayant plus assez de membres valides. Je crois cependant que l’esprit de Vatican II n’y est pas étranger.
Cela s’est d’abord produit au niveau des orientations personnelles. On trouve de plus en plus de religieux et de religieuses assumant des responsabilités-clefs dans les services de pastorale et d’animation spirituelle, sous la direction immédiate de l’évêque ou de ses délégués. Mais cela s’est également réalisé (avec peut-être moins de spontanéité) au plan des insertions communautaires. On discute avec l’évêque de la fermeture de telle maison, du transfert de telle communauté dans une partie défavorisée du diocèse. Bien plus, les diverses congrégations acceptent une redistribution de leurs insertions, évitant qu’il y ait dans un secteur quatre équipes spécialisées pour le monde ouvrier et aucune à l’autre extrémité du diocèse, cinq collèges dans une ville et aucun ailleurs, etc. L’Église locale, avec ses tâches et ses besoins et en concertation avec celui qui en est le responsable devant Dieu, devient l’objet de l’engagement apostolique. Et cela entraîne même parfois à créer des communautés de vie avec des laïcs de cette Église.
Ce point me paraît essentiel. La vie religieuse apostolique – comme d’ailleurs la vie monastique et la vie contemplative – n’a d’avenir que dans la mesure où elle se tisse dans la « communion » aux drames et aux sursauts d’invention des Églises locales. Durant les derniers siècles, les congrégations étaient fort liées à une ecclésiologie universaliste, qui leur permettait de « flotter » en quelque sorte au-dessus des situations locales concrètes. Elles doivent maintenant se couler dans le grand dynamisme de Vatican II, qui rappelle à l’Église universelle sa nature de communion d’Églises locales.
Mais ce tournant doit être pris avec lucidité et intelligence, sans panique. L’histoire des relations difficiles et souvent tendues entre hiérarchie et ordres religieux montre que cette remarque n’est pas vaine. Les évêques, pour leur part, doivent savoir (il revient au besoin aux religieux de le leur rappeler) que la vie religieuse est un don de l’Esprit, qu’ils ont à accueillir et à intégrer aux énergies des Églises locales en le respectant. Les communautés religieuses ont leur propre finalité, leur propre cohésion, leurs propres besoins, leurs propres exigences. Elles ne sont pas destinées à se muer en succédanés face à la crise des vocations cléricales. Il n’est pas mauvais de se rappeler que, sous Léon XIII, le mouvement vers le statut de « congrégation de droit pontifical » est né pour une grande part du désir d’échapper à une autorité épiscopale plus soucieuse d’utiliser les congrégations que de leur permettre de s’épanouir selon leur esprit.
L’avenir dépendra de la façon dont les évêques comprendront en profondeur la vie religieuse et de la manière dont les religieux et religieuses saisiront la nature de l’Église de Dieu confiée à la garde (épiskopè) du collège des évêques des Églises locales. L’exemple de la CLAR, en Amérique latine, prouve qu’une telle compréhension mutuelle est possible et toujours bénéfique.
Le changement de « lieu apostolique »
Avant le dernier Concile, religieux et religieuses – sauf rares exceptions – accomplissaient leur apostolat dans l’enclos de ce qu’on appelait « leurs œuvres » : écoles, collèges, hôpitaux, orphelinats de « leur » congrégation. Souvent celle-ci avait surgi pour ces œuvres. Et les missionnaires considéraient comme une de leurs tâches de créer là-bas des institutions analogues à celles de leur pays d’origine. Il était donc possible de considérer l’endroit du travail comme un « lieu religieux » (enclave ou annexe de la congrégation) et d’y faire régner un climat de piété, de recueillement, de prière tel que les gens de l’extérieur se sentaient saisis dans un univers « religieux ».
Depuis vingt ans, la raréfaction des vocations et les circonstances politico-sociales aidant, on a changé de « lieu apostolique ». De plus en plus rares sont les congrégations qui ont pu ou voulu garder leurs institutions propres. Par ailleurs, celles qui ont maintenu leurs œuvres ont été contraintes d’y employer un personnel non religieux, dont les convictions chrétiennes ou les comportements humains posent souvent problème. Beaucoup de religieux et de religieuses sont donc allés travailler apostoliquement dans les « lieux séculiers » : écoles, hospices, voire cuisines ou buanderies de la ville. Dans ces lieux a-confessionnels, on rencontre des indifférents, des athées, des musulmans, des juifs, des protestants...
Ce bouleversement, lié à la rupture d’une vision de l’Église comme société parfaite, a deux conséquences considérables. Voici la première : les religieux et religieuses sont devenus les témoins évangéliques qu’exige leur vocation par leur seule personne et non plus grâce à leur environnement ou leur milieu religieux. La seconde conséquence est peut-être plus grave : dans l’œuvre d’autrefois, l’indélicatesse, le manque d’authenticité, voire l’attitude scandaleuse d’un membre de la communauté étaient compensés par le dévouement, la qualité chrétienne, la grandeur d’âme d’un autre membre ou de l’ensemble. Ce n’est plus le cas. Dans les lieux « séculiers », plusieurs vivent une solitude apostolique extrêmement exigeante. On comprend que des religieux, effrayés ou écrasés par cette requête, se soient repliés sur un certain anonymat. Mais d’autres s’y sont sentis interpellés à un renouvellement spirituel. On le devine, celui-ci ne pouvait plus se contenter des schèmes classiques centrés sur l’apostolat dans les « lieux religieux ». D’où une certaine errance spirituelle, la recherche de sources d’inspiration extérieures à la congrégation, le recours à l’Église locale.
Le changement de lieu apostolique a, en toute logique, suscité une certaine sécularisation non de la vie religieuse elle-même, mais de ses expressions. Le phénomène est extrêmement complexe et il a provoqué tensions, polémiques et même dénonciations. Il faut donc prendre du recul pour le regarder avec lucidité.
L’aspect le plus apparent a été le changement vestimentaire. Or le vêtement joue un rôle considérable dans la perception sociale. Aux yeux de beaucoup, ce changement est donc apparu comme une mutation spécifique. C’était oublier une différence importante. Pour la tradition monastique d’Orient et d’Occident, l’habit monacal a une valeur particulière, car il se situe dans un cadre qui donne sens à son symbolisme. Il n’en a jamais été de même pour la vie religieuse apostolique : il lui suffit que l’habit soit simple et modeste.
Mais la sécularisation la plus lourde de conséquences s’est produite au niveau de la relation aux biens matériels. Par le passé en effet, la pauvreté individuelle des religieux et religieuses était sans problème : sécurité garantie par la solidarité de l’implantation, mais vie dominée par un principe d’économie et d’épargne, peu de dépenses (sauf parfois en faveur des missions) même quand les rentrées étaient importantes, beaucoup de travail courageux, mais sans point de comparaison avec ceux du dehors, guère de souci de modeler le style de vie sur celui du milieu ambiant. C’est ce qui explique la surprise provoquée par les premières fraternités s’inspirant de Charles de Foucauld.
Le passage au « lieu apostolique séculier » a fait éclater cette situation. Il a d’abord permis de mieux percevoir (ou de découvrir) les angoissants problèmes du salaire, du chômage, de l’incertitude pour le lendemain qui sont le tourment de milliers d’hommes et de femmes. Ceci a poussé à la solidarité avec les mouvements sérieux en quête de justice sociale. De plus, on a vu nombre de communautés adopter le style de vie et de logement du milieu populaire dans lequel elles s’étaient insérées. Avec parfois des conséquences de ce genre : « Quand une voisine part d’urgence à l’hôpital, son mari ne craint pas de nous apporter les enfants pour que nous les gardions ». D’économique, la pauvreté est devenue communionnelle. N’est-ce pas plus conforme à la « suite du Christ » ?
Évidemment, il y a aussi un risque, celui de se laisser vaincre par l’esprit de Mammon. L’attachement au salaire a conduit certains à mesurer leurs droits et à réclamer un statut, à la façon dont on le fait au royaume de Mammon. Des fraternités douillettement bourgeoises, tournant en rond dans un confort vulgaire, ont rompu avec l’une des dimensions essentielles de la pauvreté évangélique, la contestation d’un monde bâti sur les rêves de possession et de puissance. Elles se sont laissé vaincre par les trois grands maux de la civilisation urbaine : « l’isolement, la dureté du cœur, la peur » (Albert Tévoedjré).
Il est clair que ce sont des échecs. Ils ont toutefois leur source non dans le passage au lieu séculier, mais dans un grave manque de profondeur spirituelle. Même dans leurs austères maisons de pierre aux parquets cirés, ces hommes et ces femmes se seraient probablement construit une oasis de médiocrité. Le drame est que, dorénavant, cela ne peut plus être voilé. Le passage au « lieu séculier » fait de l’appel à l’authenticité un impératif. C’est pourquoi, comme je l’ai déjà dit il y a quinze ans, le contact avec les « lieux du monde » est le meilleur moyen pour trier les vocations.
Il se peut que, vaincus par l’âge ou la fatigue ou faute de relève, des religieux et religieuses authentiquement insérés dans un « lieu apostolique séculier », retournent un jour dans l’ancienne demeure de pierre. Mais alors la vieille bâtisse aura changé d’âme : elle recevra dans ses parloirs immigrés, paumés, pauvres venus retrouver celui ou celle qui les a aimés et qu’ils continuent d’aimer. Le passage dans le « lieu séculier » aura redonné à la vie religieuse son « cœur de chair ».
Telle est la mutation ecclésiologique qui s’amorce depuis vingt ans dans la vie religieuse : celle-ci redécouvre son lien essentiel avec l’Église locale, elle abat les murs qui l’isolaient du monde à sauver. Sous l’action de l’Esprit Saint et portée par les circonstances, elle se situe ainsi à la croisée de Lumen gentium et de Gaudium et spes.
Une relecture d’identité
Le renoncement au cloisonnement
Autrefois, chaque congrégation avait son fief, son collège, son hospice, ses écoles. Elle les gardait jalousement. De l’apostolat au ressourcement spirituel, tout devait se faire chez soi et pour soi. Une Salésienne n’aurait jamais pris la coiffe d’une Fille de la Sagesse ; sauf rarissimes exceptions, une Ursuline n’aurait jamais enseigné chez les Frères des Écoles Chrétiennes. On regardait même avec un certain contentement, vertueusement contrôlé, les déboires de l’institution concurrente. Les problèmes spirituels eux-mêmes étaient rigoureusement gardés dans l’enclos de la congrégation. En discuter avec des sœurs d’une autre robe était souvent vu comme indiscrétion, voire une trahison. Un an avant le Concile, le projet de réunir les religieuses se préparant à la profession perpétuelle fut rejeté à grands cris : pensez donc, ces religieuses auraient pu se contaminer en réfléchissant ensemble !
Ici encore, les conditions de pauvreté et de besoin provoquées par la baisse des effectifs, le vieillissement des personnes et la crise du recrutement ont été portées dans une grâce de l’Esprit. Une solidarité dans l’épreuve et dans la recherche remplace peu à peu la mentalité de caste, anti-évangélique. On s’entraide pour le travail apostolique ; on prend ensemble en charge celle des institutions qui apparaît comme la plus viable. Qui plus est, on essaie de découvrir ensemble les chemins d’une vie religieuse en pleine harmonie avec la situation de l’Église et, par là, avec le dessein de Dieu.
Sessions et retraites intercommunautaires sont devenues habituelles : elles élargissent l’horizon, créent des liens de solidarité et de profonde amitié, font découvrir que communautés et congrégations sont solidaires dans un même engagement pour l’Évangile de Dieu. En plusieurs pays, on organise maintenant les noviciats ou les années de probation de telle sorte qu’une large partie de la formation soit donnée en commun, dans un regroupement de diverses familles religieuses.
Comment ne pas voir dans ce mouvement un immense progrès ? Dans un monde où les chrétiens se voient de plus en plus minoritaires face à de puissantes vagues d’incroyance, religieux, religieuses, laïcs chrétiens engagés redécouvrent leurs profondes ressemblances et décident d’aborder dorénavant ensemble leurs problèmes, de chercher désormais ensemble les voies de Dieu, de s’aider à vivre ensemble en Église. Telle est la grâce que Dieu accorde en ces temps de pauvreté, telle est la puissante interpellation que son Esprit adresse à tous ceux et celles qu’il appelle au service de l’Évangile. Si, parfois, des religieux ou des religieuses adoptent certaines manières de faire des militants laïcs, nous en scandaliser, ne serait-ce pas courir le risque de faire obstacle au grand souffle de l’Esprit, qui parvient enfin, parce que notre pauvreté nous rend plus malléables malgré nos orgueils, à faire tomber les barrières dressées en plein peuple de Dieu entre nos congrégations ? Dieu nous pousse à la communion, il nous fait comprendre que l’unanimité, la koinonia et le partage dont parlent les Actes des Apôtres (4,32), que nous avons inscrits dans nos Règles de vie, valent à l’intérieur de toute l’Église.
Une relecture de la vie religieuse apostolique
L’une des conséquences de ce mouvement de communion a été une certaine relativisation de ce que l’on appelait le « charisme » de chaque congrégation (avec sagesse, Vatican II avait refusé d’employer cette expression). Une fois uniformisés (ou disparus) les habits distinctifs, on s’est aperçu que seules se détachaient avec netteté les familles religieuses fondées par une grande figure charismatique, qui cherchait à incarner dans une communauté évangélique une vision « spirituelle » majeure. Ici, tout est modelé par le génie original d’un fondateur ; dans les autres cas, tout s’explique par le besoin auquel répond la fondation. C’est ce qui fait que, malgré les similitudes de leurs appels, jamais un vrai Dominicain ne ressemblera à un vrai Jésuite, un vrai Capucin à un vrai Petit Frère de l’Évangile (de Charles de Foucauld). C’est aussi ce qui fait que, malgré leurs différences, une Sœur de la Miséricorde de Moissac ressemble étrangement à une Sœur de la Charité de Québec, un Frère de Sainte-Croix à un Frère Mariste.
Peu de congrégations apostoliques s’organisent dans une intuition « spirituelle ». Leur charisme « de fondation » est en effet la réponse qu’un homme généreux, une femme de foi donnent à un besoin de l’Église à cette époque et dans ce milieu : ils sentent qu’il faut faire quelque chose pour les orphelins, les malades, les illettrés, les peuples non encore évangélisés. Leur charisme est celui d’une intense générosité liée à la perception lucide d’un besoin de l’Église ou du monde interpellant la charité chrétienne.
Pour la forme de la vie en commun, on s’inspirera de ce que d’autres ont été poussés par Dieu à réaliser ailleurs face à des besoins analogues. Les différences viendront plus des circonstances de lieu, d’époque, de travail que d’une intuition spirituelle vraiment originale. Souvent la spiritualité adoptée sera relue à la lumière d’une dévotion (au Sacré-Cœur, à l’Enfant Jésus, au Cœur de Marie, à l’immaculée Conception, à saint Joseph) qui, la plupart du temps, est celle de l’époque. Notons en plus que, depuis Léon XIII, toutes ces congrégations prendront des constitutions bâties sur le même modèle.
La variété des costumes religieux et des lieux d’implantation pouvait donc voiler le fait que ces groupes représentent au fond des variations sur un unique appel évangélique. N’allons pas en conclure que ce serait une marque d’infériorité, car il s’agit de « variations » sur l’une des lignes essentielles de la vie ecclésiale : le maintien, dans le monde, de l’attitude du Seigneur Jésus face au drame de l’humanité et à toutes ses détresses. De la Pentecôte à la Parousie, cette unique et indivisible attitude du Christ doit enserrer l’histoire ; elle doit demeurer toujours la même et pourtant s’adapter sans cesse aux circonstances et aux besoins. En s’inscrivant dans cette attitude unique, la diversité des fondations de vie apostolique répond à la perpétuelle nouveauté de l’Esprit face aux nécessités toujours neuves de l’actualisation de l’amour du Christ. C’est ce qui fait leur importance, car elles ont pour origine la démarche même du Christ qui est passé en « faisant le bien » (Ac 10, 38) et elles existent pour la perpétuer. Leur diversité s’explique par l’immense gamme des maux et des appels humains. Aussi font-elles corps avec la mission ; elles en sont comme le fer de lance.
L’évolution des vingt dernières années fait donc apparaître l’authentique statut ecclésiologique de ces fondations de vie apostolique en même temps qu’il relativise leurs différences. Reprenant une de mes vieilles images, je dirais qu’elles sont plus les régions d’une même contrée que des états indépendants.
Il me paraît évident que, si elles veulent survivre, il faudra que beaucoup parmi ces congrégations tablent très vite sur cette situation. Il leur faudra en venir à une communion telle que s’établisse une « plate-forme » de la vie apostolique de chaque contrée. Elle sera analogue, en plus large et en plus souple, aux fédérations. Les diverses congrégations s’y inscriront, relativisant leurs différences dans la prise de conscience que, toutes ensemble, elles assurent le service de l’unique et indivisible attitude du Christ face à ceux et celles que blesse la misère.
Puisque ce qui spécifie cette forme de vie religieuse est plus l’entrée dans cette attitude globale du Christ que le caractère particulier du besoin à combler, cela peut aussi permettre une grande souplesse d’adaptation. Durant ces vingt années, beaucoup de groupes fondés pour un besoin qui n’existe plus ou auquel la société civile pourvoit suffisamment se sont demandé s’ils avaient encore une raison d’être. Certains se sont même recentrés sur la dimension contemplative. N’était-ce pas oublier que l’appel spécifique à communiquer la charité du Christ est ce qui compte par-dessus tout dans la vie apostolique et qu’il peut donc pousser à modifier l’activité originelle si celle-ci ne représente plus un authentique service évangélique ?
Une autre leçon, plus importante encore, découle de la situation d’ensemble des Églises et du déplacement des forces vives à l’intérieur de celles-ci. Dans le « vieux monde » (Europe et Amérique du Nord), l’Église perd visiblement de sa vitalité et de son influence : elle se trouve dans des régions non seulement post-chrétiennes, mais de plus en plus a-chrétiennes. Chaque Église locale voit diminuer le nombre de ses baptisés et plus encore de ceux qui acceptent de tout miser sur le Christ Jésus. Or la vie religieuse apostolique est née dans ces contrées, elle s’y est modelée en fonction de l’appel du Christ à une présence au sein des besoins et des détresses humaines qui s’y rencontraient. Quand est apparue la nécessité de la mission, ces congrégations ont essaimé vers les terres lointaines et suivi l’exemple des Églises locales. Celles-ci y gardaient le modèle des chrétientés qui les avaient fondées ; de même, les communautés religieuses ont apporté là-bas leurs traits natifs, elles ont continué, pour l’essentiel, de vivre selon les normes et les coutumes de la Maison-Mère.
Or, durant les deux dernières décennies, la vitalité et la créativité de l’Église s’est déplacée. La force évangélique des communautés de base de l’Amérique latine, la puissance inventive des Églises africaines et malgaches, le dynamisme de la chrétienté en Inde et dans d’autres portions de l’Asie contrastent avec l’atonie du « vieux monde ». Et la vie religieuse y fleurit. Il est évident qu’elle doit entrer pleinement dans l’effort de ces Églises pour prendre les traits qui répondent à leur culture, à leur mémoire ancestrale, à leurs propres besoins aussi. Elle doit donc petit à petit se dépouiller de ses « oripeaux » importés et se donner une âme africaine, asiatique, malgache, latino-américaine. Le processus est déjà commencé. En Amérique latine, par exemple, l’apport de nombreuses vocations issues des secteurs les plus humbles a poussé des congrégations à insérer leur projet religieux dans la recherche des pauvres. La pauvreté vouée devient partage et solidarité avec les dépossédés, la chasteté, communion à la solitude des délaissés. En Afrique, la pauvreté religieuse renoue avec l’attachement viscéral à la famille, au clan, à la tribu. Par la force des choses, la vie religieuse de ces Églises change déjà de visage. Ce serait une faute contre l’Esprit et contre l’Église de s’opposer à cette mue.
Alors, il faut être logique. Tout porte à penser que, dans un avenir qui n’est plus très lointain, le gros des effectifs des congrégations ne se trouvera plus en Europe ou en Amérique du Nord. Pour se montrer cohérentes avec ce renversement de la situation, règles et constitutions devront être écrites pour cette vie apostolique de type nouveau et en fonction des besoins auxquels elle veut répondre. Ce sera aux communautés d’Europe et d’Amérique du Nord (à supposer que la vieille sève ne tarisse pas) de s’adapter. Le glissement qui s’est amorcé dans les vingt dernières années risque d’aboutir à l’une des plus profondes mutations que la vie religieuse aura connues au cours de sa longue histoire. Et ce sera pour le plus grand bien de l’Église de Dieu.
Une humanisation de la vie
Un changement dans les relations humaines
Dans la vie communautaire des deux derniers siècles, on était d’ordinaire ensemble à longueur de journée : lieux de prière, de travail, de loisirs, d’étude et même souvent dortoirs étaient communs. Mais je ne crois pas être injuste en précisant que, dans la plupart des cas, cela signifiait « être côte à côte » plus qu’« être en communion ». Car on craignait de tisser entre frères ou sœurs des liens d’une amitié authentique, tant on était hanté par le spectre des amitiés particulières. Un petit livre des années cinquante écrivait encore : « Vous devez aimer vos sœurs, sans toutefois manifester cette affection par des moyens humains ; recourez surtout à la prière pour elles ».
Les mêmes principes valaient a fortiori pour les relations apostoliques et les contacts avec la famille, même la plus proche. Plusieurs directoires interdisent aux religieuses ayant reçu une nouvelle obédience d’écrire aux personnes qu’elles ont connues dans le poste précédent. On met en garde contre les liens d’amitié avec les personnes du dehors ; on demande de refuser leurs invitations. Les relations avec la famille sont souvent tolérées plus que recommandées. Combien de religieuses n’ont pas reçu la permission de se rendre aux funérailles de leur frère ou de leur sœur ! Même dans les rares relations avec l’extérieur, on accepte mal la chaleur du cœur. Un romancier français a bien caractérisé ce « cœur de pierre » que l’on reprochait souvent aux religieux et aux religieuses en les qualifiant de « fourmis asexuées ».
Le nouveau type d’insertion ecclésiale, l’insistance de Vatican II sur la personne humaine et sa richesse intrinsèque d’image de Dieu, l’influence du milieu ambiant ont fait craquer ce cercle de glace.
Avec les supérieurs hiérarchiques, les relations polies et courtoises de jadis se veulent maintenant chaleureuses. Certains journalistes ont ironisé sur les déclarations de supérieurs généraux nouvellement élus : ils disaient vouloir se considérer plus comme l’ami fraternel de leurs religieux que comme un chef. C’était oublier que ces paroles font écho aux mots que l’évangile johannique met sur les lèvres du Christ Jésus comme définition de l’exercice évangélique de l’autorité. Ce changement est sans doute un des plus beaux fruits de Vatican II.
Plus largement, je ne crois pas exagérer en disant que religieux et religieuses apprennent peu à peu à ne plus avoir peur d’aimer au sens, si bien explicité par Augustin, que la tradition johannique donne à ce terme. En ce sens, la chasteté elle-même est devenue plus humaine. La disparition de coutumes vétustes, l’abolition des classes (sœurs de chœur et converses, etc.), l’assouplissement des règles du silence ont ouvert la voie à la rencontre. Les confidences et l’aide fraternelle qu’elle rend possibles sont devenues partie intégrante de la vie fraternelle. Que, dans une situation difficile, on recoure à l’avis, au conseil, à l’appui d’un frère ou d’une sœur (et non du seul supérieur) ne scandalise plus. On a compris que les dons de conseil, de jugement, de consolation ne sont pas concentrés dans le supérieur : c’est la communauté comme telle qui est porteuse des grâces et des charismes.
Les relations avec l’extérieur ont changé, elles aussi. Les religieux nouent des liens d’une amitié vraie et sans équivoque avec des couples, des familles. Il faut être honnête dans le jugement porté sur cette situation. Elle permet à l’engagement évangélique de ces religieux de s’infiltrer au plus vrai des problèmes humains. Souvent, au moment des grandes épreuves, ces hommes et ces femmes apparaissent comme les plus désintéressés, les plus fidèles. Et si, dans ces amitiés, ils sont authentiquement chastes et pauvres, c’est là un merveilleux témoignage rendu à l’Évangile. De leur côté, ces amis sont aussi une aide évangélique précieuse pour les religieux. Il y a des conseils que je demanderai, non à ma communauté, mais à tel ami marié. Il y a des témoignages d’héroïsme que m’offre un foyer ami dont un enfant est gravement handicapé : il m’apprend ce qu’est le don absolu de soi, le respect et l’amour passionné du plus pauvre. Sans ce couple, je n’aurais jamais compris le sens profond du jugement dernier selon saint Matthieu.
Le respect des personnes
Le changement dans les relations humaines a entraîné une modification dans la façon d’envisager la relation entre le bien commun et la personne. L’attention aux droits de celle-ci commence à pénétrer dans nos mœurs religieuses. C’est là un bouleversement considérable.
Il ne faut pas caricaturer la situation d’avant le Concile, mais la regarder dans l’ensemble des mœurs et des comportements de l’époque. Il faut bien le reconnaître toutefois, la préoccupation dominante était celle de l’œuvre à assurer plus que le souci du bien concret des personnes (sauf en des cas graves). Assignations ou obédiences tombaient d’en-haut sans que d’ordinaire la voix de l’intéressé ait pu se faire entendre.
Il arrivait même qu’une motivation ascétique entre dans la décision des supérieurs. Un petit guide à leur usage, datant du siècle dernier, explique qu’il faut éviter au religieux ou à la religieuse la tentation de trop se plaire dans sa tâche ou son milieu, car alors il risquerait de travailler « par plaisir et non par dévouement, ce qui serait moins méritoire ».
En bien des cas, on avait peur de créer un « précédent », qui aurait compromis la discipline, souvent identifiée avec le bien commun. Les règles et les constitutions ne prévoyaient qu’une attitude, la même pour tous. Ce fut d’ailleurs le tourment de beaucoup de supérieurs et de supérieures, qui auraient souhaité tenir davantage compte des besoins personnels. Mais on voulait des religieux forts, des religieuses dociles, au service de la congrégation. Peut-être oubliait-on que celle-ci se devait aussi d’être au service des personnes...
Le respect du droit des personnes est maintenant entré dans nos mœurs. Le changement le plus spectaculaire au niveau des comportements est probablement l’association de la communauté à certaines prises de décision qui la concernent. La décision du supérieur garde son poids, car on n’est pas dans un régime démocratique où tout se règle à la majorité des voix. Pourtant son choix vient couronner une démarche où ont été pris en compte les avis des intéressés et où les conséquences prévisibles ont été analysées par tous. Vingt ans d’expérience prouvent, de façon indubitable, qu’il y a là beaucoup de sagesse.
De plus en plus, dans les décisions concernant les personnes, on prend en compte leurs besoins, leurs souffrances, leurs échecs, leurs succès, leurs désirs. On choisit en pensant à leur bien et à leur paix. On tient compte de la rareté des vocations et du vieillissement des personnes et l’on veille à ne pas les épuiser jusqu’au bout. Même s’il faut pour cela fermer une œuvre ou engager du personnel laïc, on évite de produire une génération de « martyrs des œuvres », victimes de l’acharnement thérapeutique au chevet d’institutions moribondes.
En plusieurs pays, les congrégations féminines se sont appliquées à souligner les valeurs de féminité. Ceci correspond à une vieille tradition. Jadis, en Occident, les ordres et instituts religieux ont fourni aux femmes la possibilité d’occuper des postes de direction et d’exercer une influence à laquelle leurs consœurs, dans l’Église et dans la société civile, ne pouvaient guère prétendre. Or aujourd’hui les femmes cherchent à obtenir un respect plus concret et plus total de leurs droits ; elles s’opposent vigoureusement à ce qu’on les confine dans des rôles de second rang. Dans la société civile et même dans l’Église, il en est résulté une contestation du « sexisme » réservant aux hommes la confiance et l’exercice de l’autorité. Quoi qu’il en soit des outrances et des excès souvent regrettables de ce mouvement, il faut reconnaître qu’il appartient désormais au tissu de la société civile et de l’Église.
Dans cette perspective, il est important que les communautés féminines, fortes de leur tradition séculaire, se présentent sereinement comme des groupes ecclésiaux qui reconnaissent à la femme toute la responsabilité, tout l’épanouissement, tous les droits qui sont les siens. L’on peut même rêver au jour où une religieuse occupera une fonction significative dans la Congrégation pour les religieux. La manière dont plusieurs supérieures générales et de nombreux chapitres ont mené leur aggiornamento témoigne éloquemment de leur capacité de gouvernement. Il faut le souligner : c’est la preuve que les congrégations religieuses féminines sont porteuses d’un germe prophétique au sein de l’Église.
Une redécouverte de la prière
Durant ces vingt années, la vie religieuse n’a pas cessé de rencontrer sur sa route le mouvement charismatique. Durant cette période, celui-ci s’est lentement purifié de certains aspects folkloriques ou de tendances à l’illuminisme ; il est de plus en plus devenu un mouvement de renouveau et de prière.
Je ne crois pas être injuste en disant qu’au départ les congrégations ont quelque peu jalousé les communautés charismatiques, avec leurs nombreuses et jeunes recrues, alors que les noviciats se vidaient. Elles ont aussi envié l’audace de ces groupes, leur mise sur pied d’un style de vie extrêmement exigeant, souvent plus proche de l’intuition des fondateurs des ordres religieux que le ronronnement ankylosé de plus d’une congrégation actuelle. Leur créativité interpellait. On se donnait bonne conscience en soulignant leurs naïvetés, leurs manques d’équilibre, voire leurs excès.
La situation a peu à peu évolué grâce aux relations de plus en plus étroites des congrégations avec les Églises locales et du besoin de puiser dans les paroisses et les diocèses des valeurs nécessaires à leur vie spirituelle. Des religieux et des religieuses ont participé aux réunions charismatiques. Leur formation antérieure les a d’ordinaire (pas toujours, hélas) préservés de certains excès. Et ces membres ont interpellé leurs communautés sur le formalisme de leur prière, son excès de rationalité, l’ignorance pratique de la place de l’Esprit dans la vie évangélique. Cela a fait naître un nouveau climat : sens de la prière paisible, de l’oraison, du silence devant Dieu, importance aussi du corps dans la prière. C’est un progrès très positif, que les congrégations n’auraient pas connu si elles ne s’étaient pas mêlées à l’Église locale.
Grâce à la réforme liturgique de Vatican II, la prière des communautés est entrée dans celle de l’Église. A mon sens, c’est là un changement encore plus important.
Par suite des circonstances de leur fondation, les congrégations avaient d’ordinaire centré leur vie de prière autour d’une dévotion (Sacré-Cœur, Immaculée Conception, Saint-Sacrement, Saints Anges...) et du « Petit Office » correspondant. Outre le chapelet, leur prière commune était faite de pratiques de dévotion : visites et saluts au Saint-Sacrement, litanies, etc... C’était donc une pratique parallèle à la grande prière commune de l’Église, rythmée par les temps liturgiques et l’office divin qui leur correspond. Bien plus, leur sens de l’Eucharistie était plus proche de la dévotion que de la participation à l’événement du salut dans son mémorial sacramentel. A une certaine époque, rappelons-le, on ne communiait pas chaque jour, pas même dans les monastères contemplatifs.
Le renouveau liturgique a opéré une révolution dans ce domaine. Tout d’abord, l’Eucharistie quotidienne, célébrée comme mystère du Christ Seigneur, est redevenue l’acte communautaire par excellence. Ajoutons que, de plus en plus, c’est dans l’Église paroissiale et avec le peuple de Dieu que les religieuses y prennent part. En second lieu, l’office divin, avec la richesse de ses psaumes, de ses lectures d’Écriture Sainte et de ses textes patristiques, a supplanté les « Petits Offices ». Imprégnées de l’esprit des temps liturgiques, en union profonde avec l’Église de Dieu dans son ensemble, les communautés sont portées par le grand courant de l’Esprit, qui prie dans et par l’Église, selon la merveilleuse intuition d’Augustin.
Il y a des âges dans la vie de l’Église. Nous sommes probablement à l’orée d’une époque où tous les chrétiens, dans nos sociétés d’Occident, seront appelés à rendre très intensément témoignage à l’existence et à la présence de Dieu. Or l’âme de ce témoignage est la prière. Par elle, quelque chose du témoignage – toujours efficace – des moines et des contemplatifs passe dans toutes les familles religieuses. Celles-ci à leur tour, sans devenir pour autant des ordres monastiques, mais dans le feu de leur engagement et au cœur de l’apostolat des Églises locales, deviennent témoins de la dimension cachée qui seule rend compte de ce qu’est l’Église et du pourquoi de son action.
Conclusion
Vingt ans de souffrance, certes. Vingt ans de traversée du désert, peut-être. Vingt ans où se mêlent échecs et succès. Mais en définitive vingt ans de grâce. C’est sans doute l’humour de Dieu qui veut que cette grâce coïncide avec une expérience de pauvreté, comme ce fut toujours le cas dans l’histoire du salut.
Tout a-t-il été parfait ? Assurément non. Il est en particulier un point que je voudrais évoquer en guise de conclusion. Il se peut qu’en certains cercles l’aggiornamento que l’Église nous demandait ait été entravé par une problématique de sauve-qui-peut. La baisse des vocations, l’éloignement des jeunes ont amené des religieux à se demander si leur vocation avait encore un sens. Ils ont peu à peu cessé de répondre à la question : « Au nom de l’Évangile, y a-t-il une parole que, sans nous, en dépit de notre pauvreté, la communauté chrétienne ne dira pas aussi bien ? »
Plusieurs ont oublié la grande leçon donnée par l’Israël de l’Exil : c’est souvent dans les situations d’extrême pauvreté que les porteurs de l’Esprit de Dieu délivrent avec le plus de vérité la parole évangélique. Face à la tentation de désespoir, il faut, parce que c’est Dieu qui envoie, croire en soi-même : alors tout devient possible... même l’impossible !
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