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Tribune libre : Dans un monastère zen

Marie-Daniel Vanhoomissen, o.s.b.

N°1985-1 Janvier 1985

| P. 53-56 |

Une religieuse bénédictine a eu l’occasion de passer un mois dans un monastère zen au Japon. Elle nous invite à partager ses découvertes.

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Le concile, dans sa déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, a eu l’heureuse audace de nous ouvrir le chemin du dialogue interreligieux : par sa vie, le catholique doit donner témoignage de sa foi, rechercher avec prudence et amour la collaboration et le dialogue avec ceux qui appartiennent à d’autres religions.

En 1979, le projet « Échanges spirituels Est-Ouest n° 1 » avait permis aux bouddhistes japonais de séjourner dans les monastères européens. C’est ainsi que quatre Japonaises avaient vécu en communauté pendant trois semaines, partageant intégralement notre prière et notre travail. Ensemble, nous avons remercié le Seigneur pour ces semaines de découverte mutuelle, d’estime réciproque et de communion fraternelle.

Les années passent. Cependant, nous gardons fidèlement contact par lettre avec nos amies japonaises, surtout Aoyama-Sensei de Nagoya et Ikawa-san de Tokyo.

Ce fut donc une très grande joie pour moi de les revoir dans leur pays. En effet, encouragés chaleureusement à poursuivre ce dialogue, les organisateurs ont élaboré le projet « Échanges spirituels n° 2 » permettant à dix-sept moines et moniales d’Europe de découvrir le bouddhisme zen. Partis le 4 octobre, nous sommes revenus le 6 novembre 1983.

Quelles sont mes impressions ? Une phrase de saint Paul me vient spontanément à l’esprit : « J’ai appris à me contenter de ce que j’ai ; je sais vivre dans le dénuement, je sais vivre dans l’abondance ; je peux tout en celui qui me rend fort » (Ph 4,11.13). Ces deux extrêmes, nous les avons connus dans les monastères zen et pendant la période plus « touristique » en visitant les principaux temples.

Tout le voyage était pris en charge par le Zen Bunka, parfaitement préparé et minutieusement organisé pour que nous ayons du bouddhisme une vue globale aussi complète que possible. Ainsi, nous avons admiré les temples splendides de Nara, de Kyoto, de Kamakura. Nous avons passé trois jours dans le cadre merveilleux de l’Eiheiji, incrusté dans les montagnes, monastère fondé par Dogen Zenji en 1245.

Je parlerai surtout de mon séjour dans le monastère zen. Mais, tout d’abord, peut-on parler de « monastère » au sens où nous l’entendons couramment ? A l’heure actuelle, les monastères zen sont plutôt des « écoles de formation de type monastique » (les termes de « séminaire » ou « noviciat » conviennent-ils mieux ?) où les jeunes sont formés pour desservir les temples. Ceci est également valable pour les femmes. J’ai donc séjourné au Nisodo de Nagoya avec Sœur Marie Pia Martens, moniale bénédictine d’Hurtebise.

L’accueil fut très cordial. Dès notre arrivée, la révérende Aoyama nous a conduites dans le hondo, devant la statue de Bouddha pour y faire brûler un bâtonnet d’encens. Ce geste marquait l’importance de la dimension religieuse de notre rencontre. Ce qui m’a fort touchée aussi, ce soir-là, c’était de savoir que les nonnes bouddhistes guettaient notre arrivée depuis plusieurs heures. Heureusement, l’une d’elles, une Américaine résidant au Japon depuis plusieurs années, nous servait d’interprète, ce qui facilita énormément le contact. Nous pouvions lui poser toutes nos questions. Les réponses étaient parfois déroutantes pour nos mentalités occidentales. Mais prendre conscience de nos différences, n’est-ce pas déjà un premier pas vers l’unité ?

Nous avons vécu quinze jours avec les vingt-deux nonnes en formation, dont trois Américaines. Leur style de vie est simple et ressemble beaucoup au nôtre : lever matinal, zazen, offices, repas sobres, travail, vie commune... Notre devise bénédictine Ora et labora pourrait aussi être la leur. Quant au silence, il me semble plus strict dans nos monastères au cours de la journée.

Le premier soir, nous avons reçu une très bonne initiation au zazen [1]. Dans une semaine normale, les nonnes pratiquent le zazen une heure le matin et une heure le soir. La sesshin (c’est-à-dire la semaine intensive), comportant huit heures de zazen par jour, fut très dure pour nous. À ce moment, j’étais unie à tous ceux qui souffrent dans leur chair. Les minutes deviennent des heures ! Je ne regrette pourtant pas cette expérience bienfaisante : « Si vous vous concentrez avec un cœur tranquille, alors les fleurs s’ouvrent ». Seule, je n’aurais jamais eu le courage de rester en hanka (demi-lotus) aussi longtemps. Le stimulant communautaire est efficace. Dans la salle régnait un silence apaisant, enveloppant, porteur d’une grande énergie spirituelle.

Dans les célébrations, nous pouvons reconnaître une certaine similitude avec nos offices : récitation monocorde des sûtras, parfois rythmée par des gongs ou des clochettes, prosternations, offrandes de riz, de thé, aspersion d’eau... Les rites ne sont pas extérieurs, mais une expression universelle de la nature. Le premier contact est déconcertant. À la longue, les sûtras deviennent plus familiers et la beauté des gestes nous fascine.

En participant à ces cérémonies, j’ai souvent offert au Seigneur toutes ces prières, lui demandant de se révéler aux nations. Chaque jour, nous le recevions dans l’Eucharistie. Ces eucharisties quotidiennes, célébrées par le Père van Bragt, c.i.c.m., venu de l’université Nanzan, nous les avons vécues intensément « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ».

Une fois, nos « sœurs » y ont assisté. Le baiser de paix fut émouvant. Ai-je perçu chez elles une ouverture au mystère de Jésus-Christ ? Que puis-je répondre ? Comment sonder les secrets du Père ? En lui, j’ai mis ma confiance ; et cette confiance me donne espoir : « L’Esprit souffle où il veut ».

Les novices nous ont interrogées sur la vie de saint Benoît et sur son enseignement. Nous avons pu leur offrir une Règle des moines en anglais, qu’elles ont lue avec intérêt, appréciant surtout le chapitre sur l’humilité, qui décrit l’attitude fondamentale de toute personne désireuse de progresser dans la vie spirituelle. Le moine zen ou chrétien se reconnaît à son humilité, à sa simplicité, à sa pauvreté, à sa joie. La vie au Nisodo est profondément religieuse.

En signe d’engagement, les femmes ont la tête rasée, tout comme les moines ! La robe monacale est l’okesa de couleurs diverses. Sur la poitrine, la nonne porte une sorte de petit scapulaire à l’envers duquel elle inscrit son nom et ces mots :

Si ton cœur est attaché en toute pureté
au Dharma (à la loi),
où que tu sois, tu ne manqueras jamais de vêtement,
ni de nourriture.

Certains bouddhistes envient la stabilité de notre vie monastique : par nos vœux, nous nous engageons pour toute la vie. Ils souhaitent que notre passage au pays du soleil levant soit pour eux l’occasion de redécouvrir cette donnée essentielle du monachisme.

Ce séjour, bien que trop bref à mon avis, a créé des liens d’amitié, comme en témoignent ces quelques mots écrits par l’une ou l’autre nonne au moment du départ : « J’ai été vraiment contente de vous revoir au Japon », « Je suis heureuse d’avoir fait votre connaissance », « Portez-vous bien en attendant le jour où vous reviendrez ». Ces relations d’amitié faciliteront le dialogue : « Faisons notre possible ensemble. Encourageons-nous mutuellement et marchons ensemble ». Il y a encore un long chemin à parcourir.

Je pourrais encore raconter beaucoup de choses : les réceptions officielles, les interviews à la radio, les prises de vues pour la télévision et, profitant de quelque temps libre, le contact avec les communautés religieuses catholiques (Trappistines, Carmélites, Bénédictines, Filles de Saint Paul). Je pourrais aussi soulever les difficultés de l’adaptation à la vie moderne, la confrontation au monde matérialiste, le problème des vocations, l’engagement pour la paix... Je m’arrête cependant à ces quelques lignes où j’ai essayé de partager mes découvertes.

Vraiment, je peux rendre grâce au Seigneur : Est et Ouest se sont rencontrés avec joie. La langue japonaise s’exprime d’une façon plus imagée encore : « Est et Ouest ont formé un cercle ».

Oud Begijnhof 30
B-8000 BRUGGE, Belgique

[1Pour pratiquer le zazen : s’asseoir calmement, croiser les jambes, contrôler la posture, la respiration, l’esprit. Le zen, au sens large, n’est autre qu’une façon plus raffinée de vivre, sans s’arrêter en chemin, jusqu’au bout, en se détachant de soi. On avance pas à pas en s’identifiant à l’instant présent, en coïncidant avec ce qui nous est demandé. Le zen pénètre tous les actes de la vie quotidienne.

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