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La paternité de saint Bruno sur une famille spirituelle : les monastères de Bethléem

Vies Consacrées

N°1984-6 Novembre 1984

| P. 358-376 |

Au moment où l’Église fête le neuvième centenaire de la fondation de la Chartreuse par saint Bruno, ce texte témoigne de sa présence toujours actuelle dans la recherche des chrétiens. On voit en effet, tout au long de ces pages, comment c’est à l’écoute de saint Bruno que le charisme de la famille monastique de Bethléem se déploie depuis sa fondation. On voit aussi sa paternité spirituelle : c’est sa vocation qui éclaire et confirme l’appel des frères et des sœurs dans l’Église aujourd’hui. L’on est heureux de découvrir comment des traditions orientales et occidentales se rejoignent pour manifester leur fécondité en cette forme nouvelle de vie religieuse.

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L’intuition initiale

Sur la Place Saint-Pierre de Rome, au cœur de l’Église, le 1er novembre 1950, quelques laïcs reçoivent au cœur l’intuition qu’un ordre nouveau doit exister, consacré à essayer de vivre sur la terre comme au ciel, en solitude et en communion avec Marie dans la gloire.

Le 1er novembre 1950, le Pape Pie XII proclame le dogme de l’Assomption de la Vierge Marie. À l’heure remplie de grâce de cet événement d’Église, quelques pèlerins venus de France, accompagnés par le P. Ceslas Minguet, o.p., reçoivent l’intuition que doit exister une famille spirituelle nouvelle. La vocation de ses membres serait de vivre cachés avec le Christ en Dieu [1] en entière dépendance de la Vierge très pure, première créature élevée en corps et en âme dans la gloire des trois Personnes divines.

De cet événement spirituel est née la famille monastique de Bethléem. Une première communauté de sœurs vit dans la solitude et la communion, le silence et l’adoration. Elle est fondée en Bourgogne, le 2 février 1951. Les petites sœurs demeurent en dépendance filiale à l’égard du pasteur du diocèse de Sens, Monseigneur Lamy, qui ne cesse de leur manifester sa sollicitude. Elles essayent de se laisser éclairer par l’Évangile et la présence eucharistique. Marie présente dans la gloire est regardée comme la mère et la prieure de la maison. Peu à peu, à partir de ce bourgeon initial, d’autres monastères de sœurs de Bethléem sont fondés.

Le 6 octobre 1976, en la fête de saint Bruno, les premiers frères de Bethléem reçoivent l’habit monastique et constituent leur premier monastère dans le massif de Chartreuse.

En 1984, les frères sont 22 en deux monastères. Les sœurs sont 250 en douze monastères répartis en France, en Belgique et en Italie. Frères et sœurs constituent une même famille monastique en deux communautés autonomes.

Le fondement

Jésus est lui-même le fondement de toute vie de solitude et de communion ; Marie est sa première disciple.

Depuis le début de la fondation, les membres de Bethléem déchiffrent dans l’Évangile, de manière vitale, à travers la personne de Jésus, les fondements de leur vocation de solitude et de communion. Jésus demeure en relation avec son Père. Le Fils bien-aimé parle de son Père, mais surtout il en vit. Son silence de solitude avec le Père dévoile mieux que des paroles l’abîme de leur intimité.

Aucun texte scripturaire ne donne de détails concernant la première communauté évangélique formée par Marie et Joseph autour de l’Emmanuel. Ils n’ont aucune autre occupation importante que de se laisser enseigner par le silence et l’enfouissement volontaire de Jésus dans la banalité de la vie quotidienne qui voile la splendeur de l’indicible communion du Fils avec le Père dans leur Esprit. A Nazareth, la vie se déroule dans la simplicité des gestes d’adoration du Père et des gestes d’amour et de service mutuel. Le travail s’accomplit dans la maison ou dans l’atelier de bois. Les voisins sont accueillis avec amour mais la famille entière choisit une vie cachée dans le silence pour écouter le Père. Chacun rencontre le Père dans une relation incommunicable. Chacun respecte le secret de la solitude de l’autre. Et pourtant, où trouver sur terre une plus grande communion ?

Pour Jésus, la communion au Père n’exige nul cadre extérieur de recueillement. Mais cette conversation est si prenante que l’Esprit le pousse au désert. Lorsque l’Évangile montre Jésus en attitude de prière durant sa vie publique, il est souvent loin des foules, soit entièrement seul, la nuit sur la montagne, soit avec ses apôtres, par exemple à la transfiguration et à Gethsémani. De même, il est seul lorsque les apôtres le trouvent en train de parler à son Père et lui demandent de leur apprendre à prier. Ainsi Jésus prie dans la solitude, ou avec des frères qu’il entraîne avec lui pour qu’ensemble ils prient dans la solitude.

Appelés à se laisser entraîner à la suite de Jésus dans son accueil à l’effusion de la complaisance du Père, les frères et les sœurs regardent comment Marie, première disciple, se laisse introduire dans cette économie du silencieux accueil à l’amour divin. Pendant trente ans, Marie regarde, entend, touche et reçoit en son cœur quelque chose de ce feu que son Fils a, hâte d’apporter au monde. Dans la sérénité et la foi, la Vierge se fait vulnérable au travail secret de Dieu qui ne cesse de déchirer son âme. C’est pourquoi, alors même que l’amour de Jésus pour la Vierge surpasse tout amour humain, les paroles du Seigneur à sa Mère rapportées par l’Évangile paraissent bien abruptes. « Pourquoi donc me cherchiez-vous ? » « Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi ? » « Qui est ma mère et qui sont mes frères [2] ? » Jésus ne semble-t-il pas vouloir conduire sa Mère dans un état de solitude intérieure, partage de ce qu’il expérimente lui-même : une communion si intense avec son Père qu’elle implique une rupture avec le créé ?

La liberté la plus profonde de Marie consiste à adhérer à cette solitude. En se laissant ainsi emporter par son Fils plus loin que sa maternité humaine, Marie entre en coopération invisible à l’œuvre de la rédemption qu’il accomplit. N’est-ce pas au pied de la croix que Marie devient mère des multitudes qu’il sauve ? L’Esprit l’unit étroitement à la mort d’amour de Jésus, à sa résurrection et à son ascension de gloire. Elle est alors attirée auprès de lui. Marie immaculée, prémices de l’humanité rachetée, est irradiée en son âme et en son corps par l’incorruptibilité de son Fils jusqu’à être élevée dans la gloire des trois Personnes divines.

Pour vivre sans cesse en participation à la béatitude de Jésus et de Marie dans le grand silence de la très sainte Trinité, les frères et les sœurs de Bethléem perçoivent avec acuité la nécessité de s’enraciner dans une tradition de vie solitaire longuement expérimentée dans l’Église. Dans sa sollicitude maternelle, la Vierge Marie sait combien ses enfants du XXe siècle sont faibles et ne peuvent demeurer dans la solitude intérieure sans l’aide d’un désert extérieur et sans le soutien d’une communion fraternelle limpide et réaliste. N’est-ce pas pour cette raison qu’elle confie la famille de Bethléem à l’un de ses fils de prédilection, saint Bruno ? Les pages qui suivent tendent à exprimer cette affinité mystérieuse qui existe, de fait, entre la sagesse de saint Bruno et le charisme de cette famille.

La paternité de saint Bruno

Ce que les frères et les sœurs de Bethléem découvrent de la personne de saint Bruno éclaire et confirme leur propre appel dans l’Église.

La personne de saint Bruno, son histoire, son caractère, ses choix de vie, sa vocation de solitude pour se tenir en la présence de Dieu

Aucune description de l’aspect physique de Bruno n’est parvenue jusqu’à nous. Mais l’étude de ses ossements nous permet de présumer qu’il était de très grande taille et d’une solide constitution.

Par sa consonance, le nom de Bruno rappelle le mot germanique Brunnen, c’est-à-dire : source. Ce mot si beau avait toujours chanté au cœur des membres de Bethléem l’identité de Bruno. Durant les trente années où il est écolâtre à Reims, cet homme au cœur profond [3] cherche les vraies sources de la foi pour les communiquer à ses élèves. Bruno est un homme d’un grand équilibre. Il marche droit dans la voie du Seigneur, sans se relâcher et sans dépasser la mesure [4]. Sa sagesse et sa prudence sont admirées par ses contemporains [5]. Homme transparent de la bonté de Dieu [6], il a le visage toujours en fête [7].

Vers l’âge de quarante-sept ans, au cours d’une rencontre avec deux amis, Maître Bruno reçoit du Seigneur l’appel à cesser tout enseignement ou ministère visible pour se retirer dans la solitude en présence de Dieu. Il quitte tout pour s’adonner lui-même, chaque minute de sa vie, à l’occupation exclusive de boire à la source de l’eau vive. En 1084, il part avec des frères dans le désert de Chartreuse. Désormais sa vocation est de « monter une garde sainte [8] » et d’attendre dans le silence que la divine miséricorde le visite, le purifie et le désaltère [9]. Et, lorsque des novices de la solitude se groupent autour de lui pour recevoir sa sagesse de sainteté, que fait-il sinon leur transmettre son charisme d’« homme de source », en leur apprenant à n’avoir aucune autre soif que celle de l’amour au-delà de tout ?

Ainsi se constitue une communauté fraternelle d’hommes marqués par un appel identique à prendre au sérieux la parole de Jésus : « Si tu veux prier, entre dans ta chambre, ferme sur toi la porte et prie ton Père qui est là dans le secret [10] ». Même si saint Étienne de Muret et saint Romuald connaissent le même dilemme et essayent d’y répondre selon leur charisme propre, Bruno ne trouve nulle part en Occident un Ordre où se trouve entièrement privilégiée cette adoration solitaire dans le secret d’une cellule [11]. Sans le lui signifier encore clairement, Dieu a bien le projet de constituer, par son ami et ses fils spirituels, une famille monastique originée des sources orientales, inédite dans l’Église d’Occident.

Benoît reçoit la tradition des laures d’Orient et l’influence de la tradition canoniale d’Occident

La tradition des laures

Même si Bruno et ses compagnons passent la plus grande partie de leur temps en cellule, ils ne sont pas exclusivement des ermites. La sage alternance entre la solitude de la cellule et les assemblées à l’église ou au cloître instaurée au désert de Chartreuse s’inspire des laures de Macaire d’Égypte ou d’Euthyme de Palestine, dont Bruno, « remarquable par la pénétration de son esprit et l’étendue de sa science [12] », avait certainement une connaissance approfondie.

Dans les Consuetudines [13], qui décrivent les détails pratiques de la vie quotidienne tels que Bruno les a transmis à ses fils, nous trouvons la relation fidèle de cette transposition en Occident de la vie des laures d’Orient.

Une vie solitaire

Comme Antoine, les moines des laures sont appelés à recevoir la dominante fondamentale de leur vie de Jésus lui-même poussé par l’Esprit au désert. C’est bien cette même soif de se laisser introduire par l’Esprit Saint dans la profonde solitude du cœur du Christ qui meut Bruno. Guigues montre l’enracinement de cette solitude dans l’Évangile :

Jésus lui-même, délaissant la foule des disciples, gravissait seul la montagne pour prier. Puis, à l’heure où sa passion est imminente, il abandonne les apôtres et s’en va seul prier : exemple qui fait saisir entre tous combien la solitude est favorable à la prière, puisqu’il ne veut pas prier parmi des compagnons, fussent-ils ses apôtres.

Les sept premiers solitaires construisent autour de l’église des cellules semblables à de simples cabanes de bûcherons, reliées par un cloître. Leur propos de solitude s’inscrit ainsi jusque dans la topographie de leur monastère, comme cela était déjà vrai des laures primitives.

La « laure » évoque un certain nombre de cellules solitaires dont la vie s’organise autour d’un centre commun, comprenant une église et une boulangerie ; les ascètes se réunissaient les samedis et dimanches, passant le reste de la semaine dans leurs cellules.

Dans leurs cellules, Bruno et ses compagnons se tiennent en présence du Très-Haut, à l’abri de tout regard humain. Ils sont seuls face à Dieu seul. Comme les moines des laures dans leurs grottes, il s’adonnent à la prière et à la méditation, de jour et de nuit [14].

Chacun dans sa cellule, ils travaillent sans cesse de leurs mains sans pourtant jamais omettre la méditation des Psaumes et des autres Écritures ; à tout moment ils y mêlent des prières et oraisons, passant ainsi tout le jour dans des offices... En effet, ce qui est offert sans interruption a plus de valeur que ce qui est accompli à temps fixe.

En toutes leurs occupations, qu’ils travaillent, qu’ils mangent, qu’ils dorment ou qu’ils veillent, les compagnons de Bruno font l’expérience de ce « que la solitude et le silence du désert apportent d’utilité et de divine jouissance à ceux qui les aiment [15] ». C’est ainsi qu’ils ont choisi la meilleure part, telle Marie qui demeure assise aux pieds du Christ,

où, toute libre et disponible, elle voit qu’il est Dieu. Elle purifie son esprit, recueille sa prière en son cœur, écoute le Seigneur lui parler au-dedans ; ainsi, selon la faible mesure possible à qui contemple par reflet et en énigme, elle goûte et voit combien il est bon.

Dans le silence, les moines solitaires reçoivent au cœur l’amour du Seigneur qui les recrée et creuse en eux des profondeurs inconnues d’eux-mêmes. C’est pourquoi ceux qui veillent dans la prière continuelle du cœur et la solitude sont, plus que d’autres, vulnérables aux larmes.

Quand Jérémie réclame de l’eau pour sa tête et, pour ses yeux, une source de larmes, il demande aussi le lieu approprié pour accomplir en toute liberté une œuvre si sainte... Il laisse entendre combien la présence de compagnons fait obstacle à la grâce des larmes.

Le souci de l’ascèse et le combat contre les passions ne cessent de les interroger. Ils déplorent et rougissent de rester inertes et négligents dans la misère de leurs péchés [16]. Certains apophtegmes chantaient déjà cette pureté du cœur qui consiste, pour le moine, à accepter de se reconnaître pécheur aux yeux de Dieu et de ses frères. Peu à peu, ils acquièrent ainsi « cet œil dont le clair regard blesse d’amour le divin époux et dont la pureté donne de voir Dieu [17] ».

Une vie de communion fraternelle

Dans les laures de solitude, si l’on en croit les Vitae Patrum, un courant de vivantes relations mutuelles circule entre les solitaires :

Leurs cellules n’étaient guère éloignées les unes des autres et eux-mêmes étaient unis par le lien de la charité.

À la suite des moines des laures, Bruno enseigne la sagesse d’une relation d’amour très pure et pleine de tendresse entre ceux que Dieu appelle à une vie au désert. La communion des solitaires s’enracine et s’exprime en tout premier lieu dans la liturgie qui les rassemble pour célébrer la gloire de Dieu.

À ses frères qu’il aime « plus que tout au monde dans le Christ », Bruno écrit qu’il se réjouit de les voir s’aimer d’une parfaite charité. Il les invite à la manifester en acte par leur délicatesse et leur attention les uns pour les autres [18]. Cette charité fraternelle appelle constamment chacun à porter et à construire la solitude de ses frères et à mendier de l’Esprit une solitude fidèle à toutes les exigences de l’amour évangélique.

Les relations mutuelles sont expressives d’une amitié forte et d’un profond respect du mystère de l’autre. Par la fréquentation de l’Évangile et la continuelle union au Christ crucifié, les yeux du cœur s’affinent dans le secret. Dans la solitude et ensemble, les moines passent sans cesse de la mort à la vie, dans le creuset du « non-vouloir » et du « joyeux mourir ».

Lorsque les moines des laures se rassemblaient le samedi pour la synaxe, c’était pour eux l’occasion de recevoir une catéchèse monastique de la part de l’Ancien, les provisions de la semaine et le matériel de leur travail, par exemple le jonc pour tresser les corbeilles [19].

De même, Bruno et Guigues rassemblent leurs frères le dimanche, dans le cloître, pour parler de choses utiles [20], c’est-à-dire de l’amour de Dieu, qui est le seul bien dont ils ont soif [21]. Avant de se séparer, chacun reçoit ce qui lui est nécessaire pour le travail et les repas de la semaine et regagne le port tranquille et sûr de sa cellule [22].

Finis les psaumes et congédiée... l’assemblée..., personne n’ose traîner, fût-ce un peu de temps, ou parler avec un autre. Mais, même durant la journée, nul ne s’autorise à quitter sa cellule ou à abandonner le travail qu’il a coutume d’y accomplir, hors le cas où l’on est appelé pour remplir un service nécessaire.

Parmi les compagnons de Bruno se trouvent deux laïcs ou convers, attirés eux aussi par une vie solitaire. Auprès de ceux qui adorent et travaillent en cellule, les frères convers participent à la réalisation de la commune vocation de solitude, aussi bien par leur prière dans le silence que par leur travail manuel dans la maison.

La lecture des Consuetudines nous manifeste à la fois la séparation et la complémentarité d’amour qui existent entre ces deux modes de vie au désert. Cette distinction n’était pas si nette dans les laures. Cependant certains moines demeuraient au monastère lui-même et assuraient le travail nécessaire à la subsistance de tous. Les autres demeuraient dans des cellules plus favorables à la solitude.

Une vie d’obéissance

Lors de la synaxe dominicale, les moines des laures pouvaient rencontrer l’Ancien qui les dirigeait et recevoir de sa part des conseils spirituels. Leur vie au désert était donc vécue dans l’obéissance. Dans certaines laures, la simandre du monastère rythmait la vie des anachorètes dans leurs cellules [23].

En effet, l’habitant de la cellule ne peut y demeurer avec fruit que s’il remet par amour toute sa volonté à Dieu par la médiation de son supérieur, en suivant Jésus obéissant jusqu’à la mort.

(Le moine) fera la preuve de sa ferveur... à proportion de son empressement à l’obéissance et au travail.

Bruno enseigne à ses frères à quel point « l’obéissance est la clef et le sceau de toute l’observance spirituelle [24] ». Il leur apprend à obéir par amour de la liberté [25]. Lorsqu’il voit ses frères pratiquer « avec tout le soin et le zèle possible la véritable obéissance... (recueillant) avec sagesse le fruit tout suave et vivifiant des divines Écritures [26] », Bruno magnifie le Seigneur.

À propos de la profession monastique, Guigues affirme que tous ceux qui ont décidé de vivre sous une règle ont à garder l’obéissance avec une soin extrême. Plus leur propos de vie est austère et solitaire, plus ils ont à y mettre d’amour et de ferveur [27].

Saint Bruno a donc su recevoir la tradition monastique primitive dans son absolu, comme le montre cette affirmation d’Arnaud d’Andilly, dans une édition du XVIIe siècle de L’Échelle Sainte de saint Jean Climaque :

Cette institution (des laures) n’a point passé dans l’Occident, et toute l’Église latine n’avait que des monastères de cénobites et des anachorètes, ou des reclus. Mais il semble que saint Bruno, fondateur des Chartreux, l’a voulu imiter au onzième siècle, lorsqu’en 1086 (sic) il fonda la grande Chartreuse... Car la division de cellules, la solitude perpétuelle, qui est l’esprit de ce saint Ordre, et l’obéissance à un supérieur nous représentent dans toutes les Chartreuses les laures des Grecs.

Une intuition déjà ancienne dans le cœur des premiers membres de Bethléem se trouva ainsi ratifiée : une connexion est voulue par Dieu entre la source du monachisme primitif oriental, saint Bruno, chanoine à Reims puis solitaire avec ses frères dans la montagne de Chartreuse, et leur propre chemin.

La vie canoniale d’Occident

Une vie dont l’Évangile est la norme

Les frères et les sœurs de Bethléem ont cru percevoir, dans la sagesse de vie instaurée par Bruno et décrite par Guigues 1er dans les Consuetudines, l’importance de certaines options qui semblent provenir de la tradition canoniale issue de saint Augustin. Il est vrai qu’il ne s’agit là que d’une hypothèse. Mais Bruno n’était-il pas chanoine séculier ? Deux de ses premiers compagnons n’étaient-ils pas chanoines de Saint-Ruf ? Ils avaient donc connu une tradition et une règle proches de l’esprit de saint Augustin. Le chapitre de la cathédrale de Reims auquel appartenait Bruno était régi par les décrets du Concile d’Aix-la-Chapelle, qui reprennent la règle de saint Chrodegang. Cette règle, comme celle de saint Augustin, se fonde sur l’exemple des premiers chrétiens, qui n’avaient qu’un cœur et qu’une âme en Dieu [28].

C’est dans ce climat augustinien que, durant trente ans, Bruno s’adonne à la lecture de la Parole, à l’oraison, à la célébration liturgique, à l’étude, aux colloques fraternels et à sa charge d’écolâtre au service de l’Église. Lorsqu’il sera poussé au désert par l’Esprit, un silence plus éloquent que toute parole se substituera à l’enseignement oral de la science sacrée et deviendra son unique ministère prophétique dans l’Église.

Une vie rythmée par la liturgie communautaire quotidienne

Bruno, habitué à célébrer chaque jour avec les chanoines de Reims l’Office divin au nom de toute l’Église, lègue à ses frères un rythme liturgique quotidien. Chaque jour, deux ou trois assemblées réunissent au chœur les fils de Bruno. Ces solitaires d’Occident se savent ainsi mandatés pour assurer en fraternelle communion la louange divine. Quant aux petites Heures, pour marquer l’importance de la vocation à la solitude, elles sont célébrées en cellule ; mais, pour rappeler l’importance de la communion fraternelle, elles sont célébrées simultanément par tous.

Une vie de recherche de la vérité

D’expérience, Bruno connaît la nécessité, dans une vie où tout favorise l’intimité divine, d’une perception juste et profonde du mystère de Dieu par l’intelligence. Aussi, à la différence des déserts d’Orient, la communauté a-t-elle très vite disposé d’une bibliothèque considérable. En plein désert et selon leur appel, les fils de Bruno assument la soif de vérité de l’Église. C’est ainsi que Guigues recommande aux solitaires de privilégier comme travail la copie des manuscrits.

Nous voulons que les livres soient faits avec la plus grande application... afin de prêcher par nos mains la Parole de Dieu que nous ne pouvons proclamer de notre bouche. Car, chaque fois que nous copions des livres, nous croyons faire à notre place des hérauts de la vérité.

Une conception fraternelle de l’autorité

L’influence de la tradition canoniale semble se manifester également dans la conception de l’autorité. Saint Augustin voulait que celui qui détient l’autorité se considère comme celui qui sert :

Celui qui vous dirige ne doit pas s’estimer heureux de dominer par le pouvoir, mais de servir par charité...Qu’il s’offre à tous comme un exemple de bonnes œuvres.

Guigues précise que l’autorité ne confère aucun signe distinctif dans les vêtements [29].

À l’écoute de saint Bruno

À l’écoute de saint Bruno, le charisme de Bethléem se désenveloppe depuis sa fondation.

C’est en référence habituelle à Marie dans la gloire que la première communauté des sœurs de Bethléem commence de vivre, à Chamvres, en 1951. Toutefois, c’est bien l’ensemble des mystères du Christ venu sauver l’homme et le diviniser qui structure leur vie contemplative. L’Archevêque de Sens, Monseigneur Frédéric Lamy, s’intéresse à ces humbles commencements. Il érige la communauté en Pia Unio. Épris de la vie contemplative qu’il a découverte chez les Chartreux, il communique à la petite communauté trois précieux recueils de textes de formation des novices, composés en Chartreuse. Toute la maison respire ce climat très simple où l’Évangile est reçu dans le silence, la liturgie, l’oraison et la vie de solitude ; l’adoration du Corps du Seigneur, le rosaire vécu, la tendresse mutuelle, l’étude et le travail tissent la vie quotidienne. L’une des sœurs a déjà expérimenté une vie proche de la tradition de saint Bruno et en reste imprégnée. L’ensemble de la communauté est avide de recevoir la sève du désert contenue dans les livres cartusiens et cette soif ne cesse de grandir. À cause de leur appel de solitude, les petites sœurs n’ont qu’une seule rencontre fraternelle hebdomadaire. Ce rythme silencieux sera toujours maintenu à travers les années. Ces perspectives si belles concernent pourtant des personnes très ordinaires et même pauvres en foi et en vertu autant qu’en argent, qui mendient sans cesse la miséricorde divine et l’aide du Père des passereaux. Dès les premières années, les petites sœurs tendent à gagner leur vie par leur travail.

En 1954, la maison étant devenue trop exiguë pour recevoir les novices, les petites sœurs quittent Chamvres. C’est Monseigneur Alexandre Renard, alors Évêque de Versailles, qui accueille avec beaucoup de bienveillance la jeune fondation transférée à Méry-sur-Oise.

Les premières chapelles, instaurées dans d’anciennes étables, sont si pauvres que les sœurs reçoivent le nom de « petites sœurs de Bethléem ».

Jusqu’en 1970, la communauté est confiée à la Province dominicaine de Paris, qui lui transmet une formation doctrinale et liturgique de grande qualité, éclairée par le charisme augustinien. La famille de Bethléem éprouve une très grande reconnaissance à l’égard de chacun de ceux qui lui ont prodigué cet enseignement avec désintéressement.

Durant ces années, tout en sachant avec lucidité que telle n’est pas sa vocation et que l’appel au désert est plus fondamental pour elle que tout autre ministère dans l’Église, la communauté de Méry-Sur-Oise consent à un accueil à tous. Cette décision est prise à titre expérimental et provisoire, du fait de la nécessité cruciale d’assurer le gagne-pain et de rembourser le prix d’achat de la maison. En raison de cet accueil accompli en esprit de service et d’amour de l’Église, l’appel de la famille de Bethléem à se livrer à l’unique nécessaire dans une vie d’entière solitude ne risque-t-il pas d’être occulté ?

Au cours des dix-sept années passées à Méry, la journée de désert hebdomadaire revêt une importance croissante dans la communauté. Et l’élan de chacune à s’y engager est révélateur de l’appel de plus en plus solitaire posé par Dieu sur chaque petite sœur. Elles disent volontiers qu’elles aimeraient que tous les jours de la semaine soient des jours de désert. Pour que cette identité de fond puisse enfin s’accomplir pleinement, des espaces de solitude sont recherchés. En 1962, Monseigneur André Bontems, alors Évêque de Maurienne et de Tarentaise, offre un presbytère vacant, dans la montagne d’Hautecour. En 1968, Monseigneur Bontems sera nommé par Rome supérieur canonique de l’ensemble des maisons de Bethléem. Dès 1967, plusieurs petites sœurs commencent de vivre en solitude dans des ermitages situés non loin du presbytère. Le rythme de leur existence se déroule dans l’obéissance et l’amour fraternel. Il comporte deux célébrations liturgiques quotidiennes, les repas en cellule et une unique rencontre fraternelle le dimanche. La référence au mode de vie instaurée par saint Bruno commence alors à se manifester.

En 1966, des relations avec des communautés chrétiennes orientales permettent aux petites sœurs de découvrir à sa source la vie des Pères du désert et des premiers moines d’Orient, génératrice d’une grande sainteté : théologie chantée à la liturgie, prière continuelle du cœur dans le Nom de Jésus, humble conversion de la vie dans la Pâque du Christ, saint repentir et larmes du cœur. À partir de 1968, quelques sœurs sont invitées à partager la vie de certains monastères en Grèce, au Liban, en Palestine. Ces séjours leur font pénétrer la tradition des laures, instaurée par Macaire et ses disciples en Égypte et dans les vallées de Bethléem.

En 1971, au terme de ce long chemin de vingt années, le chapitre général de la famille de Bethléem prend une orientation décisive. À l’unanimité, les quarante sœurs choisissent l’autonomie par rapport à l’Ordre dominicain, en vue de constituer une famille monastique assumant comme unique fonction dans l’Église une vie d’adoration où la solitude pour Dieu soit l’option fondamentale. Elles reçoivent leur appel au désert avec une intensité renouvelée. Désormais, les relations des petites sœurs avec le peuple de Dieu seront accomplies dans une fécondité spirituelle, au cœur de l’invisible et silencieuse communion des saints, dans la seule mesure où elles ne cherchent que le visage du Seigneur dans la solitude et le silence du désert. N’ayant rien de plus grand à partager que la joie, au-delà de toute parole, de demeurer aux pieds du Seigneur, les monastères où s’exerce l’hospitalité offrent simplement un espace de désert où l’on peut adorer.

Les petites sœurs continuent à remettre à la Vierge Marie le gouvernement de la famille qu’elle a fondée. Elles sont sûres que, dans la mesure où elles lui font confiance, la reconnaissance par l’Église de leur véritable identité viendra un jour. Seule la Vierge, comme mère et fondatrice, peut réaliser ce désenveloppement d’une manière juste, selon le rythme et le calendrier qui plaisent à Dieu. Au cours de leurs recherches, les petites sœurs envisagent un rattachement à l’une des communautés de saint Benoît ou de saint Bernard marquées par l’Orient chrétien ou le monachisme primitif. En définitive, l’appel au désert selon la sagesse spécifique de saint Bruno s’avère plus impératif que la perspective d’une intégration dans ces familles monastiques amies qui, pourtant, envisagent avec une infinie charité d’accueillir les petites sœurs en leur conférant le statut de moniales. Cependant aucun signe n’est encore donné qui permette aux petites sœurs d’espérer que leur filiation spirituelle secrète avec saint Bruno puisse être un jour reconnue.

Saint Bruno étend sa paternité sur la famille monastique de Bethléem

C’est alors que saint Bruno lui-même, qui de façon souterraine ne cesse d’exercer sa paternité sur la famille de Bethléem depuis sa fondation, vient à son secours. En 1973, sans connaître encore la soif de solitude des petites sœurs et leur lien spirituel si discret avec saint Bruno, les moines de la Grande Chartreuse leur proposent de venir vivre et prier dans l’ancienne Chartreuse de Currière, restaurée par leurs soins, afin qu’y soient accueillis ceux qui désirent rencontrer Dieu dans la solitude. Monseigneur Matagrin, Évêque de Grenoble et successeur de saint Hugues, est heureux que soit fondé dans son diocèse un monastère de Bethléem. Quelques années plus tard, il devient supérieur canonique de l’ensemble des monastères. Il l’est encore aujourd’hui.

À Currière, l’existence de tout un monastère de Bethléem peut enfin être complètement conçue en fonction de la continuelle demeurance en cellule. Tous les autres monastères adoptent à leur tour le rythme de vie spécifique du charisme de saint Bruno, que certaines sœurs avaient expérimenté en Tarentaise depuis 1967 et que toutes désiraient. Pour préserver la sainte solitude pour Dieu, les journées ne comportent que deux célébrations liturgiques à la chapelle. Les sœurs prient, célèbrent les petites Heures et prennent les repas dans la solitude de leur cellule. Elles y travaillent aussi lorsque cela est possible. Le dimanche, jour d’agapè fraternelle, tous les offices sont célébrés communautairement. Les sœurs prennent ensemble un repas au réfectoire en écoutant une lecture. Elles se retrouvent également pour une marche et un échange fraternel.

Entre 1975 et aujourd’hui, peu à peu, malgré une situation pécuniaire très difficile, les monastères construisent des cellules solitaires partout où c’est possible, par leur propre travail et avec l’aide de leurs amis.

Dès leur fondation, en 1976, les premiers frères de Bethléem reçoivent la paternité spirituelle de saint Bruno et sa sagesse. Ils sont les premiers, avant les sœurs, à ajouter à la formule de profession une promesse explicite d’obéissance à saint Bruno. Plusieurs parmi eux commencent à vivre en cellule solitaire. D’emblée ils adoptent le mode et le rythme de vie de la tradition de saint Bruno. Ces options solitaires spécifient leur appel.

En 1982, un deuxième monastère de frères est fondé dans l’ancienne Chartreuse de La Verne. Malgré d’immenses difficultés matérielles, les petits frères espèrent établir, sans tarder, une clôture permettant une vie vraiment solitaire.

En 1979, le Chapitre général de l’Ordre des Chartreux, en réponse à une demande des frères et de sœurs de Bethléem, leur reconnaît le droit de recevoir la paternité de saint Bruno. Cela ne signifie par ailleurs aucune relation de dépendance entre Bethléem et les Chartreux. Pour les membres de Bethléem, cet événement est décisif. Il est pour eux source d’une indicible joie et d’une profonde action de grâce à l’égard de Dieu et de saint Bruno.

Les structures

En plein XXe siècle, saint Bruno donne aux moines et aux moniales de Bethléem les structures nécessaires pour pouvoir être fidèles à leur vocation.

Peu à peu, les membres de la famille de Bethléem peuvent constater combien leur manière de vivre depuis les premières années de leur fondation est en attente des exigences apportées par saint Bruno et ses fils. À Chamvres et à Méry, les premières sœurs vivaient dans un climat augustinien. L’alternance de solitude et de communion fraternelle, en fonction d’un appel profond à la solitude avec Dieu, se voyait confirmée, en 1967, par la découverte des laures orientales. Entre 1950 et aujourd’hui, les petites sœurs ont donc vu émerger progressivement une cohérence inattendue entre leur cheminement spirituel et la synthèse exceptionnelle opérée par saint Bruno entre les lignes de force des chanoines d’Occident et des moines d’Orient.

En effet, saint Bruno, avec Guigues et le texte des Consuetudines, lègue à la famille de Bethléem une vie caractérisée par une triple exigence, dont l’Évangile est la source :

  • La garde de la cellule, pour rencontrer le Père et recevoir sa Parole réconfortante. En solitude, les frères et les sœurs apprennent à garder la Parole en leur cœur. Ils y découvrent le visage de Jésus, icône parfaite du Père. La solitude les simplifie.
  • La communion fraternelle, colorée par le maximum de dilection dans le maximum de silence, et dont les deux célébrations liturgiques quotidiennes à l’église sont l’une des expressions privilégiées. Un chapitre de coulpes hebdomadaire informe aussi la qualité des relations mutuelles des membres de la famille de Bethléem.
  • L’obéissance à Dieu, à la Vierge Marie et à l’Église, par la médiation de l’obéissance à un prieur et à une règle de vie. L’autorité priorale est conçue de telle façon que le prieur est mandaté par ses frères, tous les deux ans, lors du chapitre général. Depuis 1982, la prieure des moniales de Bethléem remet sa charge à chaque chapitre général et ses sœurs peuvent ou non lui renouveler leur confiance. Il en est de même pour le prieur des moines depuis 1980.

Modalités et rythmes

Diverses modalités et rythmes de solitude sont possibles au sein de chaque monastère.

On peut préciser que tous les membres de Bethléem ont la même vocation d’adoration en esprit et en vérité, dans la solitude et la communion fraternelle. Cette unique vocation se réalise en diverses modalités au sein de la communauté. Certains gardent la cellule de façon permanente, d’autres assument le travail de la maison tout en revenant à la cellule autant qu’ils le peuvent. Le choix d’un mode de vie est éprouvé, purifié dans la prière et discerné avec les responsables. Il peut être définit ou constituer une étape (c’est là une différence que l’on peut noter entre les monastères de Bethléem et ceux de Chartreuse, où la vocation de frère convers est réellement distincte de celle des pères du cloître).

L’influence de l’Orient chrétien

L’influence des monastères orientaux reçue par la famille de Bethléem marque la structure et les textes des Heures liturgiques. Qui sait si cette vie de prière héritée de l’Orient, dans un grand amour de l’Église indivise, ne ressemble pas à ce que Bruno vivait en Calabre avec la communauté, probablement d’origine grecque, dont il était prieur durant les dix dernières années de son existence ?

Soulignons à cette occasion que, moins de cinquante ans après le schisme byzantin, à l’heure de sa mort, Bruno a posé un acte prophétique pour notre temps. Dans sa manière de rédiger son testament, son Credo confié à ses frères [30], il devient instrument d’unité et de communion au cœur de l’Église. En effet, ce texte contient de façon surprenante la succession de deux énoncés possibles d’une même foi en la Trinité :

  • le premier, selon la tradition d’Occident, avec le Filioque ;
  • le second, selon la tradition conservée par nos frères d’Orient, sans le Filioque.

Aujourd’hui, que dit l’Église de la vocation de saint Bruno ?

L’Église ne cesse d’affirmer l’importance de cette vocation des contemplatifs précisément en raison du service qu’ils rendent au peuple de Dieu : « Ils l’entraînent par leur exemple et contribuent à son expansion par une fécondité apostolique cachée [31] ». Jean Paul II a écrit récemment :

Dans le cours accéléré des événements qui emporte les hommes de notre époque, il est nécessaire que... vous persévériez dans votre saint projet de vie avec une volonté inébranlable. Notre temps semble avoir besoin de l’exemple de votre genre de vie : distraits par tant de mouvements d’opinions et d’idées, troublés souvent et entraînés dans des crises spirituelles par tant de publications allant dans tous les sens, surtout par les instruments de communication sociale qui ont une grande influence sur les esprits et sont parfois opposés à la vérité et aux principes chrétiens, les hommes ont besoin de rechercher l’absolu et de le trouver confirmé par le témoignage vécu. Vous avez donc pour fonction de leur fournir ce témoignage. Les fils et les filles de l’Église qui se dévouent dans le monde aux œuvres apostoliques doivent pouvoir faire fond sur la stabilité de Dieu et de son amour, dont ils pressentent la réalisation en vous qui avez part à cette stabilité de façon particulière dès cette vie.

Avec toute l’Église qui fête, en cette année 1984, le neuvième centenaire de l’arrivée de saint Bruno et de ses compagnons au désert de Chartreuse, on peut constater que le double commandement de l’amour évangélique est poussé au plus haut point par Bruno, selon sa vocation de fils du désert. Solitude pour Dieu et communion aimante avec des frères constituent l’héritage fondamental de ce grand saint.

Pour les moines et les moniales de Bethléem, cette manière de vivre apparaît comme une participation à ce que vit déjà Marie en son âme et en son corps au sein des trois Personnes divines : une solitude inviolable dont Dieu seul est la plénitude et une communion d’amour avec tous ceux qu’elle enfante. Le fruit de l’accomplissement plénier de ce double commandement de l’amour est, pour Marie, une joie que nul ne peut lui ravir. Elle invite ceux que l’Esprit attire à sa suite à laisser leur vie s’illuminer dès ici-bas par ce qu’elle vit dans la gloire. Avec le Christ et saint Bruno, Marie ne nous dit-elle pas : là où je suis, je veux que vous soyez vous aussi, afin que le vouloir du Père soit pleinement accompli sur la terre comme au ciel ?

Sœur Marie, Prieure de Bethléem
Notre-Dame du Buisson Ardent Currière-en-Chartreuse
F-38380 SAINT-LAURENT-DU-PONT, France

Frère Patrick, Prieur de Bethléem
L’Assomption Notre-Dame Currière-en-Chartreuse
F-38380 SAINT-LAURENT-DU-PONT, France

[1Cf. Col 3,3.

[2Lc 2,49 ; Jn 2,4 ; Mt 12,48.

[3Guigues 1er, Vita sancti Hugonis, III, 12 ; Patrologia latina (= PL), 153, 770.

[4Cf. Epistola encyclica (annonce de la mort de saint Bruno), PL 152, 554, note.

[5Cf. Tituli funebres (réponses à la lettre mentionnée ci-dessus), n. 64, 127, 138 ; PL 152, 572-592.

[6Cf. ibid., n. 82, 146, 178.

[7Cf. la note 4.

[8Saint Bruno, « À Raoul le Verd », n° 4, Lettres des Premiers Chartreux, Coll. Sources chrétiennes (= SC), 88, Paris, Cerf, 1962, 69.

[9Ibid.

[10Mt 6,6.

[11Cf. Guigues, Vita sancti Hugonis, III, 11 ; PL 153, 769.

[12Tituli funebres, n. 66 ; PL 152, 573.

[13Guigues Ier, Consuetudines Carthusiae, SC 313, Paris, Cerf, 1984.

[14Cf. Vitae Patrum, III, 199 ; PL 73, 804.

[15Saint Bruno, « À Raoul le Verd », 6, SC 88, 71.

[16Cf. saint Bruno, « À ses fils Chartreux », 1 ; SC 88, 83.

[17Saint Bruno, « À Raoul le Verd », 6 ; SC 88, 71.

[18Cf. « À ses fils Chartreux » ; SC 88, 83 et 87.

[19Cf. D. J. Chitty, Et le désert..., 49.

[20Cf. Consuetudines Carthusiae, VII, 9 ; SC 313, 179.

[21Cf. Saint Bruno, « À Raoul Le Verd », 16 ; SC 88, 79.

[22Cf. Consuetudines Carthusiae, VII, 1.2.9.10 et XVI, 2 ; SC 313, 175-179, 201.

[23Cf. R. Génier, o.p., Vie de saint Euthyme le Grand, Coll. Études palestiniennes et orientales, Paris, Gabalda, 1909, 132 (la simandre est une sorte de gong).

[24« À ses frères Chartreux », 3 ; SC 88, 85.

[25Cf. saint Bruno, Expositio in Psalmos, Ps 125 ; Monsterolii, Carthusia Sanctae Mariae de Pratis (Montreuil-sur-mer, Chartreuse N. D. des Prés), 1981, 588, col. 2 ; PL 152, 1326.

[26« À ses frères Chartreux », 3 ; SC 88, 85.

[27Cf. Consuetudines Carthusiae, XXV 2 ; SC 313, 219.

[28Ac 4,42. Cf. « Règle de saint Augustin. Instruction », Règles monastiques d’Occident, Coll. Vie monastique, 9, Bégrolles-en-Mauges, Abbaye de Bellefontaine, 1980, 75.

[29Cf. Consuetudines Carthusiae, XV, 4 ; SC 313, 199.

[30« Profession de foi de Maître Bruno », Lettres des Premiers Chartreux, SC 88, 91 et 93.

[31Code de droit canonique, c. 674.

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