Un habit, mais quel habit ?
Vies Consacrées
N°1984-2 • Mars 1984
| P. 110-113 |
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Je crois à la valeur de l’habit religieux et à son importance. Je ne pense pas qu’il puisse disparaître ni subsister seulement dans les monastères.
L’une de mes amies très chères était Supérieure générale d’une congrégation qui, dès sa fondation à la fin du siècle dernier, pour l’enseignement, renonça à l’habit religieux. C’était une vraie religieuse. Je dis ceci pour manifester qu’il n’y a, en moi, aucun blocage entre vie religieuse profonde et habit religieux ; je crois que la vie intérieure peut évidemment se traduire à l’extérieur sans l’habit. Mais je pense que la question du vêtement n’est pas indifférente ; je rejoins ce qui a été exprimé ici en ce sens. De plus, il m’apparaît qu’il y a des vocations, des charismes qui ont besoin de ce signe pour être eux-mêmes, sauf situations spéciales. Aussi les dispositions du nouveau Droit canon me semblent-elles sages : les congrégations ne peuvent y renoncer ; il doit être simple et adapté ; des dispenses sont prévues.
Plus le type de vie est liturgique et communautaire, plus il me paraît requérir un habit commun. La vie monastique, bien sûr. La vie canoniale, évidemment. Mais aussi toute vie religieuse apostolique où la vie commune est essentielle, « a valeur apostolique par elle-même ». Parmi d’autres, celles qui sont du type des familles franciscaine, dominicaine, carmélitaine, etc. ; ma congrégation leur est apparentée.
Ceci, sans renoncer pour autant au contact avec certains milieux que l’on laisserait à d’autres congrégations, voire aux instituts séculiers, mais parce qu’il y a différentes approches possibles, des types de contacts différents. Et certains, qui ne partagent pas notre foi, préfèrent qu’on « annonce la couleur ».
Un habit, mais quel habit ? Nous sortons d’un temps où on a peut-être pu lui donner trop d’importance et où il avait pris une nuance pénitentielle contestable. « Notre habit doit nous enlaidir », disait la Supérieure d’une congrégation. Dans son cas, c’était vrai... Mais cela venait sans doute d’une erreur d’interprétation : l’habit religieux étant traditionnellement le signe du renoncement total, on peut envisager son aspect pénitentiel, mais on doit aussi et surtout, je pense, y voir le signe de l’appartenance à une communauté et du don de soi libre et joyeux [1]. C’est ce que signifient les diaconesses de Reuilly quand elles écrivent : « Conçu pour la louange et la fête... c’est le vêtement de la liturgie, du travail du peuple de Dieu, de notre danse, de notre joie... le signe de notre appartenance à l’unique Amour ».
Plutôt qu’à un enlaidissement, je serais sensible à la beauté d’un ensemble pour la liturgie. S’adressant, l’hiver dernier, à des maîtres et maîtresses des novices, le Frère Pierre-Yves Emery, de Taizé, faisait remarquer que la vie religieuse (comme la vie chrétienne en général et la vie de prière) aurait besoin de retrouver des formes, des rites riches [2]. Il faut reconnaître que, sans l’habit religieux, certains rites traditionnels expressifs disparaissent, d’autres apparaissent facilement un peu étriqués. Des prêtres, des clercs peuvent revêtir une aube. Il faut reconnaître aussi que certains habits « simplifiés » ne sont ni assez sobres, ni assez simples...
Comme des communautés récentes, qu’elles soient charismatiques ou non, Taizé, qui est de type monastique, et Grandchamp, qui se situe plutôt dans la ligne des congrégations religieuses apostoliques, ont redécouvert la valeur de l’habit religieux. Et ceci va, je crois, dans le sens de la requête actuelle de bien des jeunes ; les témoignages en ce sens ne manquent pas. Je pense notamment à une congrégation hospitalière qui a de nouveau des entrées : les candidates, venant de milieux médicaux (infirmières spécialisées, médecins, etc.) ne reculent pas, bien au contraire, devant le port d’un habit simple et significatif.
Évoquant la phrase célèbre de saint Vincent de Paul : « La rue sera leur cloître, une chambre de louage leur cellule, la modestie leur voile... » (je cite de mémoire), on en conclut quelquefois que le Saint ne voulait pas d’habit particulier pour les Filles de la Charité. Cela m’a beaucoup éclairé d’apprendre que, si saint Vincent de Paul ne les voulait pas vêtues comme des moniales, mais comme les femmes du petit peuple de Paris et des alentours, il attachait une grande importance à l’uniformité de leur tenue, au point de ne pas vouloir que les Filles de la Charité envoyées à Amiens adoptent la tenue des femmes de Picardie. Elles durent garder celle des femmes de la région parisienne, bien que des enfants leur aient jeté des pierres du fait de leur tenue particulière. Il paraît que, dans ses écrits, saint Vincent de Paul revient très souvent sur l’importance de l’uniformité dans le vêtement.
Notre propre expérience
Fondées avec un habit que l’on pouvait quitter pour les tâches où ce serait préférable, mais pas assez pensé pour qu’il soit facile de le faire, nous l’avons peu à peu simplifié. Dès le départ, nous avions la perspective de pouvoir nous mettre en laïques dans les lieux où ce serait indispensable pour la vie apostolique. Des sœurs passaient facilement d’une tenue « religieuse », en communauté et lorsque c’était sans inconvénient, à l’habit laïque lorsque le genre de travail ou le milieu fréquenté le rendaient préférable. L’une d’elles en avait même parlé à des camarades d’usine, en général étrangères à l’Église, qui jugeaient cela très naturel. D’autres sœurs trouvaient difficile ou inopportun de passer d’une tenue à l’autre. Peu à peu, l’ambiance générale allant par ailleurs en ce sens, il n’y eut plus qu’une très petite proportion de sœurs à porter l’habit.
Ce qui m’a semblé très important, c’est que le Chapitre général de révision des constitutions maintienne qu’il existe un habit de la congrégation ; actuellement, c’est à lui aussi qu’il revient d’en régler le port. En cas de tenue laïque, qui doit être très sobre, nous avons pour signe commun une petite croix semblable. Dans les rassemblements de congrégation, il est demandé que nous ayons aussi quelque vêtement commun, au moins par la couleur. Suite à une demande du Chapitre, une réalisation de nos supérieures, qui me paraît une recherche intéressante, a été de proposer une tenue commune, sobre et simple, pouvant se porter avec ou sans voile sur la tête, qui, avec la petite croix, correspond bien à ce que l’on attend de l’habit : « permettre de distinguer la religieuse qui le porte » et « ne pas le laisser à l’arbitraire de chacune [3] », ce qui est un aspect de la pauvreté religieuse.
Peut-être est-ce une étape qui permettra, un jour, de faire un pas de plus dans une redécouverte créatrice, conformément d’ailleurs à ce qui me semble bien être une aspiration de notre temps, rejoignant la longue tradition de l’Église et d’autres religions, où le signe de l’habit est traditionnel.
En Afrique, notre évêque nous a demandé de porter toutes la même tunique, au moins dans les rassemblements religieux et les réunions un peu officielles, pour qu’ainsi les gens nous reconnaissent. Tant il est vrai que cette question « a quelque chose à voir avec le témoignage public, même si ce dernier ne saurait se réduire à une question de costume [4] ».
Dans l’ensemble, les Sœurs se tiennent à une réelle simplicité du vêtement. Mais ceci, même si c’est important, n’épuise pas la question.
Une sœur d’une Congrégation de fondation récente
[1] Le nouveau Code précise, au canon 669, § 1 : « en signe de leur consécration et en témoignage de pauvreté ».
[2] « L’expérience chrétienne dans la vie religieuse. Dimension mystique et présence au monde », Vie consacrée, 1984, 17-18.
[3] Lettre de la Congrégation des Religieux, du 25 février 1972 (La Documentation catholique, 69, 1972, 720), dont le P. M. Dortel-Claudot dit qu’elle « garde toute sa valeur » (« Les nouvelles dispositions du Code concernant la vie religieuse », Vie consacrée, 1983, 192).
[4] M. Dortel-Claudot, s.j., loc. cit.