Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Chemins de Dieu aujourd’hui

Vies Consacrées

N°1982-4 Juillet 1982

| P. 241-246 |

À l’occasion d’une rencontre, quelques jeunes ont été amenées à évoquer la manière dont le Seigneur les avait conduites à la vie religieuse.

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Parce que Dieu m’a comblée...

Parce que Dieu, depuis ma naissance, m’avait comblée de tant de biens, moi, ma famille et tous ceux que j’aime, j’ai voulu lui donner deux années de ma vie, don purement gratuit, me dépenser uniquement à son service, en Afrique, dans une mission. À la fin de ces deux années d’Afrique, j’avais compris que Dieu voulait toute ma vie. J’ai accepté.

Devant le péché, le mal, la guerre, la maladie, la mort, la haine, devant tout ce qui pouvait me choquer, j’ai eu le désir d’une vie donnée à Dieu dans un rôle de corédemption, avec Jésus, comme Marie, rôle d’intercession, (et je croyais que, pour cela, je devais être contemplative). J’étais sûre d’une chose, c’est que je ne voulais pas rester laïque, mais apprendre à aimer Dieu toujours plus, en me détachant du monde, de mes tentations, avec l’aide d’une communauté, d’une fraternité, où l’amour de Dieu nous unirait dans une vie fraternelle et de charité.

Je suis restée quatre ans dans la même mission en Afrique, où j’ai vécu près des missionnaires, m’unissant le plus possible à leur vie de prière. J’y ai appris la vie d’équipe, la vie en commun (qu’on ne connaît pas dans une famille). J’y ai aussi appris la disponibilité aux autres, à tous ceux qui peuvent frapper à la porte. J’ai appris à les aimer tels qu’ils sont, même quand ça dérange très fort ; à les aimer très différents de moi. Je suis revenue pleine et forte de mon expérience d’Afrique, de toutes les richesses et grâces que Dieu m’avait données là-bas, pour être religieuse ; toute consacrée, toute donnée à Dieu, dans une vie pauvre, humble et cachée. Je savais que ce serait dur parce que je restais très attachée à ma famille, à ma liberté, de penser surtout.

Mes recherches d’une communauté religieuse m’ont amenée deux fois chez des contemplatives, et malgré tout ce que j’y trouvais de beau, je ne pouvais pas y adhérer pleinement. C’est surtout dans une des deux maisons que j’ai compris que la vie de communauté, dans le silence, ne correspondait pas à ce que je désirais pleinement.

Je crois que c’est poussée par une force intérieure, et un peu malgré moi, que j’ai pris contact avec l’Institut, ou plus exactement avec la responsable de formation, que j’avais rencontrée une fois et dont on m’avait parlé plusieurs fois. J’attendais surtout d’elle qu’elle m’aide dans mes recherches d’une communauté. Notre entrevue s’est tout de suite passée un peu différemment. Je ne crois pas lui avoir dit ce que je cherchais, mais tout de suite, elle m’a parlé de l’Institut :

  • la vie active (travail social) auprès des plus pauvres dans les villes ;
  • la catéchèse, l’aide aux prêtres, la vie d’une paroisse à une époque où il y a de moins en moins de prêtres ;
  • la vie de prière, de contemplation, qui occupe une grande place dans la journée ;
  • la disponibilité et l’accueil.

Ce sont les grandes lignes de ce qu’elle m’a dit, et en l’écoutant, je ne cessais pas de me dire au fond de moi : « voilà ce que je cherche ». Ma décision a été rapidement prise, et quelques mois après je rentrais à l’Institut.

Ce que j’avais cru voir de l’Institut en quelques heures, il me faut maintenant le redécouvrir de l’intérieur, avec les yeux de Dieu, avec un regard purifié de tout empressement, de toute considération personnelle et de sensibilité.

Parce que je suis infirmière, je travaille au centre de soins et de ce fait je rencontre beaucoup de gens qu’il est facile, ou très difficile d’aimer. J’ai appris à les aimer et à être à leur service, pas comme moi je le voyais, mais comme ma responsable le voyait. Après quatre ans d’Afrique, j’avais ma petite idée de la disponibilité et de la charité, il me faut la perdre...

La vie fraternelle est, ce me semble, le point capital de notre vie de postulat et noviciat. C’est une réalité qui ne peut se voir et se comprendre de l’extérieur, mais qui se vit, certains jours douloureusement. L’amour a conduit Jésus à la mort sur la croix, il doit en être de même pour nous ; sinon on passe à côté de la dimension du don de notre vie pour les autres. Notre vie fraternelle, si imparfaite soit-elle, doit quand même être le témoignage de notre foi, de l’appel qu’on a reçu, de l’amour que Dieu a pour chacun de ses enfants et que nous sommes chargés de révéler. Notre vie fraternelle, avec Jésus au milieu de nous, doit être un milieu dans lequel on puise des forces pour annoncer Jésus Rédempteur et Sauveur, pour prendre sur nous les souffrances et les désespérances et laisser après notre passage un peu de paix et d’espérance. C’est vrai qu’au début je me suis sentie écrasée par tout ce que les gens me confiaient de leurs souffrances, de leurs peurs pour l’avenir et de leur désespoir, et j’ai compris que je ne devais pas porter cela toute seule, mais en fraternité et surtout avec Jésus-Eucharistie, Jésus offert sur l’autel dans une perpétuelle immolation, et j’ai entendu plus concrètement cet appel que j’avais depuis toujours à être corédemptrice avec Jésus, comme Marie l’a été tout au long de sa vie.

Durant toute sa vie, Marie a dit « oui » chaque fois qu’elle ne comprenait pas ; elle s’en remettait totalement à Dieu et méditait toutes ces choses dans son cœur. Dans notre vie fraternelle, on est si souvent appelé à faire de même. Bien souvent Dieu me demande de dire « oui » quand je ne comprends pas, quand je n’admets pas, quand je n’arrive pas à aimer. Mais ce « oui » à Dieu doit passer d’abord par un « oui » à l’Église, un « oui » à mes responsables.

Notre petite fraternité du postulat-noviciat s’appelle « Notre-Dame de Nazareth ». C’est tout un programme merveilleux. Nous devons être ensemble la Sainte Famille de Nazareth, où Marie vit seule avec son mystère et son « oui » à Dieu, où Joseph vit seul, dans la foi et l’abandon à son Dieu, ce que l’ange lui dit de faire, où Jésus est seul aussi avec sa mission que Marie et Joseph ne peuvent comprendre. Mais leur union en Dieu est parfaite. Voilà ce que nous devons être.

Marie-Paule (fin du postulat)

Le Christ, en elles, m’aimait

Je viens de faire mes premiers vœux : en cette fête de l’Annonciation, moi aussi, « j’ai trouvé grâce aux yeux de Dieu », puisqu’il me donne de me livrer à lui, dans un « oui » absolu.

Que dire ? Autour de moi, il n’y a que l’amour, j’ai tout, vraiment tout reçu de Dieu, de l’Institut dans lequel je m’engage. Heureusement, en ces jours, Dieu me garde de regarder le passé, ce passé déjà consumé par sa miséricorde, car je ne puis que pleurer devant tant et tant de prévenances ; pour la première fois de ma vie, je demande : « Laisse-moi le temps de t’aimer au moins un peu... ».

Oui, car avant d’arriver dans la communauté, je voulais tout le temps mourir, la vie m’ennuyait et j’avais tellement peur de souffrir, alors je souhaitais la mort par refus de combat ; j’avais pourtant beaucoup reçu de la vie, mais je refusais de reconnaître ce qu’il y avait de beau en moi et chez les autres...

La première découverte stupéfiante, ici, fut non seulement que Dieu m’aimait (cela, il me l’avait dit au fond du cœur, sinon je ne me serais jamais mise en route vers une communauté religieuse), mais que des femmes pouvaient m’aimer comme Dieu aime ! Je les regardais avoir pour moi des délicatesses, des sourires, avec une telle générosité que je ne pouvais me tromper : c’était le Christ en elles qui m’aimait ainsi. Du coup, tout devenait limpide ; je n’étais pas écrasée par leur amour, mais il me donnait envie de faire comme elles, de m’oublier, de sourire à Jésus présent en chacune. Cette pureté de relations a été pour moi quelque chose d’ahurissant, quelque chose de désiré depuis toujours, mais expérimenté pour la première fois. Je pourrais donner des milliers d’exemples de cette relation d’amour entre nous toutes, car sans arrêt je touche Dieu et je vois aussi la solution à tous les problèmes de communication qui « empoisonnent » la vie des gens au bureau, en famille, partout...

La miséricorde que j’ai vu vivre a été aussi une révélation : ce qui avait à être repris, corrigé, l’était, parfois même durement selon les tempéraments, mais la minute d’après, c’était terminé. Je voyais que c’était terminé, car on passait à autre chose. Ici, le passé est vraiment du passé et pas une arme qu’on sortait à l’occasion, du genre : « Oui, tu promets cela maintenant, mais l’autre jour, tu as fait ceci, donc... »

Moi qui étais un peu rancunière, j’ai désiré vivre sur le même mode ; et, avec la grâce de Dieu, j’ai trouvé beaucoup plus stimulant de pardonner que de traîner indéfiniment mes vieilles rancunes...

Quand on rentre à l’Institut, il y règne une telle simplicité qu’il n’y a pas de grands discours à faire, il suffit de faire pareil : vivre en famille par amour de Dieu, chaque sœur étant tout à fait elle-même, vraie devant Dieu comme devant ses sœurs.

Pour moi, la relation d’obéissance avec la responsable a été un apprentissage de la vie en vérité avec quelqu’un. Il a fallu beaucoup d’amour de sa part, car je ne suis pas parvenue rapidement et facilement à me dépouiller du personnage que je m’étais fabriqué pour cacher mes manques, mes limites ; il fallait que je me découvre acceptée totalement, jusque dans mes infirmités les plus secrètes pour vivre paisiblement avec elles, sans en vouloir aux autres, ni me culpabiliser moi-même : il devenait simple ensuite de chercher, avec elle, la volonté de Dieu sur moi, d’obéir par amour, sans raideur, avec un cœur réconcilié. Sans ce préalable, j’aurais peut-être « obéi » à la force du poignet ; j’en aurais peut-être eu le mérite, mais pas la paix, ni l’abandon, ni la liberté du cœur.

L’important, c’était d’aimer instant après instant ; à cause de cet amour, je découvrais la prière. Au début, j’allais aux Offices quand la cloche sonnait ; je faisais tout ce que l’Institut nous propose mais, à part l’Eucharistie qui m’apparut immédiatement comme « vitale », j’avais l’impression de prier partout sauf à la chapelle : je rêvais de pierres nues, de cloîtres où il me semblait que j’aurais sûrement beaucoup mieux prié. Puis en m’efforçant d’aimer la volonté de Dieu du moment, en étant présente à ce que je faisais, j’ai expérimenté que c’était le Christ en moi qui s’offrait au Père, chaque fois que je faisais sa volonté et... je ne rêve plus de prier ailleurs.

Je ne voudrais pas avoir l’air « d’encenser » mes Sœurs, mais quand j’écris : « J’ai tout reçu », c’est loin d’être une formule ; tout, c’est tout et je ne sais ni par où commencer ni par où finir...

Dans le fond, Dieu m’a guidée sur le sol où je commence à m’enraciner, pour que je donne le meilleur de moi-même et que je reçoive le meilleur de mes Sœurs, pour que ceux qui nous approchent voient que l’amour est possible, qu’on peut vivre en étant très différents ; qu’il suffit de commencer...

Anne

On vit l’Évangile à chaque instant

Il y a six mois que je suis rentrée à l’Institut. Ce que je recherchais exactement, je ne saurais le dire. Mon appel a été si rapide et mon déclic si fort pour cette communauté que je n’ai pas eu le temps de réfléchir profondément. Ce qui m’a frappée tout d’abord, même quand je suis venue en visite pour une semaine, c’est cet esprit évangélique qui y régnait. On vivait l’Évangile à chaque instant en aimant la personne qui était à côté, en l’écoutant et en partageant joies et peines.

Ce qui m’a paru important, c’est cette immense dévotion à Marie. Chaque fête de Marie est respectée et célébrée, et les premiers vœux se font toujours à une fête de la Sainte Vierge. Pour moi, Marie a été vraiment une maman qui m’a fait découvrir son fils. « Écoute Marie, et tu suivras Jésus », m’avait dit un prêtre à Lourdes.

Autre point : l’accueil. J’étais arrivée le 13 novembre ; mes parents sont venus passer quelques jours à Noël avec la communauté. Ils ont été agréablement surpris par l’accueil de toutes, accueil à la fois simple et chaleureux. Papa m’a avoué que c’était le plus beau Noël de sa vie. Ils ont vraiment participé à la vie communautaire : les offices, la Messe de Minuit, les repas (Papa était même à la cuisine pour couper la dinde de Noël). Toutes disaient que quand les parents d’une d’entre nous arrivent, c’est un peu nos parents que nous accueillons.

Étant infirmière, je vais, pendant mon postulat, dans les familles pour faire des piqûres à domicile. Ce qui m’attire davantage, ce sont les « pauvres de Dieu », c’est-à-dire tous les gens qui ne sont pas bien dans leur peau, et surtout les déprimés. J’étais personnellement ainsi avant d’avoir découvert Jésus-Christ, et je sens très fort en moi le besoin de les écouter et de les aider. Moi personnellement, je ne peux rien faire pour eux, mais je peux prier et Dieu fait le reste.

Au sein de la vie fraternelle, je sens très fort que je suis soutenue ; c’est sûr, c’est moi seule qui fait route avec le Christ mais en même temps, je me sens épaulée par les autres sœurs. Il y a vraiment un esprit de partage, que ce soit les joies ou les peines. Un jour où j’ai des difficultés, je sens vraiment que je fais partie de la communauté et elle m’aide vraiment à continuer la route.

Je pense que tous les points forts que j’ai découverts dans cette nouvelle vie, je les avais désirés au fond de mon cœur. Et il me semble que Dieu et la Sainte Vierge ont été au-delà de mes désirs.

Odile (postulante)

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