Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Les étapes de la formation initiale

Paolo Molinari, s.j.

N°1982-2 Mars 1982

| P. 81-106 |

L’auteur a rencontré beaucoup de communautés de formation et donné nombre de sessions aux responsables, en particulier dans les milieux anglophones et au Tiers Monde. Il expose dans ces pages les lignes de force qui lui paraissent fondamentales en tout travail de formation initiale à la vie religieuse. On ne trouvera pas ici d’indications immédiates sur la pédagogie spirituelle à mettre en œuvre ni sur la nécessaire attention aux réalités humaines à évangéliser. La réflexion se situe à un autre plan, celui qui donne son fondement aux démarches pédagogiques concrètes. Tout s’éclaire à la lumière de la foi en l’œuvre de Dieu au cœur de celle ou de celui qu’il appelle à lui dans telle congrégation. Pour ce faire, le P. Molinari commence par une relecture de la manière dont le Christ lui-même agit lors de l’appel et de la formation de ses disciples. Avec ces données, il déploie des éléments qui lui paraissent devoir être présents dans les deux premières étapes de la formation à la vie religieuse : le temps qui précède le noviciat et le noviciat lui-même. Les derniers paragraphes contiennent une suggestion intéressante pour le premier engagement : elles s’efforcent de présenter une manière de mieux respecter le mouvement d’oblation de tout l’être au Christ et d’éviter les inconvénients reconnus à la promesse ou aux vœux temporaires.

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Introduction [1]

Il s’avère utile, voire nécessaire, de parcourir en détail les passages de l’Évangile qui décrivent les étapes de l’appel des disciples et d’analyser tout particulièrement les textes éclairant la nature de cette forme de vie qui découle de l’appel du Christ. Leur signification est d’une importance capitale pour comprendre les éléments constitutifs de la formation initiale à la vie religieuse, dont les exigences essentielles trouvent leur source et leur origine dans l’expérience des disciples de Jésus. Le Concile a mis en relief que la vie religieuse est pareillement le fruit de l’action divine dans le cœur de ceux que le Père a librement choisis. Il leur a accordé « ce don précieux offert par le Père à certains de se consacrer dans la virginité ou le célibat à cause du Royaume » (cf. Lumen gentium, 42) : donc en union avec le Christ qui se donne au monde auquel son Père l’a envoyé.

Avant de développer davantage ces implications évangéliques concernant la formation religieuse initiale, il nous semble opportun de réfléchir à certaines vérités fondamentales que parfois l’on passe sous silence, ou du moins auxquelles on ne prête pas suffisamment d’attention ou qu’on ne met pas correctement en valeur.

Dieu, premier maître d’œuvre

Dans les récits de vocation divine rapportés par la Sainte Écriture et dans les effets de celle-ci sur la vie et la personnalité de ceux que Dieu appelle « selon le plan préétabli de celui qui mène toutes choses au gré de sa volonté » (Ep 1,11), un fait émerge avec une netteté sans équivoque : c’est la souveraine liberté divine de l’Esprit Saint, « qui souffle où il veut ». Il appelle qui il veut ; dans sa conduite envers ceux qu’il a appelés, il garde l’initiative tout au long de leur vie. Non seulement il entre dans la vie de quelqu’un ; il continue à agir en lui avec une constance et une bienveillance infinies. Sans cesse il attire et invite, cherchant à susciter au cœur de la personne appelée une séquence de réponses que seule cette personne peut et doit donner dans la liberté et la spontanéité de l’amour.

Dieu est vraiment le potier qui tente patiemment de façonner l’argile selon le modèle qu’il a conçu. Et notre Dieu connaît l’argile dont nous sommes pétris ; toujours il est disposé à recommencer, même lorsque nous refusons de correspondre au mouvement de ses mains ; et quand nous lui échappons, il ne cesse de nous rappeler à lui.

Il est donc bien évident que Dieu est le seul qui assume vraiment la formation. Nul autre ne détient le pouvoir de créer et de donner la vie. Un tel attribut n’appartient qu’à Dieu seul. Il est celui qui communique son Esprit vivifiant ; et ce même Esprit de Dieu qui habite le cœur de la personne, la pousse à chercher et à agir sous sa mouvance. Tel est le principe de base de toute vie ; par conséquent, c’est aussi la loi fondamentale de la formation à la vie. L’écoute de Dieu et la docilité à son action vivifiante, voilà ce qui doit être prioritaire :

Mes actions, tes yeux les voyaient,
toutes, elles étaient sur ton livre ;
mes jours, inscrits et définis
avant que pas un d’eux n’apparût (Ps 139,16).

Collaborer avec Dieu

La contribution attendue d’autres personnes, qui ont certainement un rôle important à jouer dans la formation, doit toujours tenir compte de ce premier principe. La révélation elle-même montre que, dans ce processus de croissance, Dieu attend souvent que d’autres personnes collaborent à son œuvre qui procède avec délicatesse et agit en profondeur. De même que, dans l’Ancien Testament, nous avons vu, par exemple, comment Éli amène le jeune Samuel à être attentif et à reconnaître la voix de Dieu qui persiste à l’appeler (cf. 1 S 3,1-18), de même le Nouveau Testament nous présente la forte personnalité de Jean-Baptiste et son attachement à Jésus. C’est Jean-Baptiste qui prépare les voies du Seigneur, qui annonce au peuple la venue du Messie, qui révèle à ses disciples celui qui se trouve parmi eux, quoiqu’il ne soit pas encore reconnu publiquement, pour enfin le leur désigner du doigt, lorsqu’il viendra à passer (cf. Jn 1,10-23 et 29-36). La scène se répète avec André et Philippe (cf. Jn 1,40-42 et 45-46). Cependant le rôle de ces intermédiaires découle de celui de Dieu et en dépend totalement. Il n’a de valeur que dans la mesure où il favorise le contact entre la personne appelée et celui qui seul a le droit d’appeler et le pouvoir de donner vie par son action créatrice.

C’est clair, en vertu de ce principe directeur fondamental : ceux qui sont impliqués dans le travail de la formation doivent être constamment attentifs à l’action de Dieu dans la personne qu’il est en train de façonner ; comme d’humbles serviteurs, ils doivent y apporter leur collaboration empreinte de délicatesse et de sensibilité. C’est alors que nous pouvons affirmer que toute contribution dans le domaine de la formation est valable pour autant qu’elle s’associe à l’Esprit agissant dans la personne que Dieu a appelée. Un tel accompagnement aide celle-ci à prendre conscience de l’action de Dieu et l’encourage à se rendre docile à ses motions.

Ce principe directeur de la formation implique évidemment de la part des collaborateurs de Dieu (cf. 1 Co 3,9 sv.) la nécessité de se familiariser avec la manière dont il agit avec les hommes. Cela veut dire : savoir reconnaître les traits distinctifs de son action dans ceux qu’il invite à une forme particulière de vie évangélique : une vie enracinée dans l’appel et qui en découle, marquant que son option fondamentale est le Christ aimé comme « l’unique nécessaire ». À nouveau, il nous faut recourir aux Évangiles et centrer notre attention sur l’expérience de ceux qui, les premiers, ont été appelés à devenir les compagnons de Jésus.

Comment mettre en œuvre une formation ?

En réfléchissant à l’action du Christ et à l’effet qu’il a produit dans le cœur de ceux qu’il a ainsi appelés à lui, nous comprenons le sens profond de ce que lui, le Christ ressuscité présent parmi nous, continue à opérer aujourd’hui dans la vie de ceux qu’il attire et invite à le suivre inconditionnellement. La contemplation des récits évangéliques nous permet d’en saisir le processus de croissance spirituelle dans le cœur des disciples : d’abord une véritable prise de conscience de l’appel lui-même et, ensuite, une initiation progressive à la vie qui leur est réservée.

En conséquence, si nous cherchons à découvrir de quelle façon collaborer avec le Christ dans ce processus de formation, il nous faut aborder les questions suivantes :

Comment le Christ agissait-il à l’égard de ceux qu’il approchait afin de les attirer progressivement à lui ? Quelles dispositions cherchait-il à développer en eux ? Quelle expérience ont-ils vécue sous son influence et sous sa guidance ?
Qu’est-ce qui caractérisait l’action du Christ pendant le temps où se développait leur affection pour lui de telle sorte qu’à un moment donné, ils ont tout quitté pour le suivre et ont commencé à vivre avec lui et à se mettre à son école ? Quelle fut exactement l’expérience vécue au moment de ce choix ?

Les réponses à ces questions nous feront voir comment aider davantage ceux que Dieu appelle aujourd’hui, comment ils peuvent le mieux lui répondre au cours des deux étapes successives de la formation initiale : le temps qui précède l’entrée au noviciat et le temps de celui-ci.

Le temps qui précède le noviciat

Nous abordons la première étape, c’est-à-dire le temps qui précède l’entrée au noviciat. Nous suivrons la même méthode : nous examinerons en détail les passages de l’Écriture qui nous rapportent les premiers et fréquents contacts de Jésus avec ceux qu’il destinait à devenir les siens. Ce qui frappe en premier lieu, c’est la façon personnelle et familière avec laquelle Jésus s’entretient avec eux. Sur ce point, les évangélistes sont sans équivoque. Jésus vient à eux, il les regarde, il leur parle, il leur demande quelque chose, il leur pose des questions, il les invite à passer quelque temps avec lui. Une telle approche éveille en eux un attrait, et c’est le début d’une relation personnelle, présage d’une amitié profonde et durable : c’est le lien d’une affection véritable qui se noue.

Le Seigneur les rencontre dans leur vie

Encore une fois, il faut souligner la diversité des moyens dont se sert le Seigneur pour développer en eux cet attrait : pour venir à eux, il choisit le moment, la situation. Il vient à eux, là où ils se trouvent : dans leur milieu propre, dans leur village, sur le lieu de leur travail, tandis qu’ils sont dans leur cadre familial et social. Après ces contacts, Jésus continue son chemin en poursuivant sa mission propre : l’accomplissement de la volonté de son Père qui l’a envoyé proclamer la Bonne Nouvelle, mission qui le mène de village en village, où il prend contact avec les gens et les réconforte dans leur détresse ; puis il se rend de nouveau au bord du lac.

Pourquoi Jésus agit-il ainsi ? Que cherche-t-il dans ces rencontres à la fois fréquentes et passagères ? Une fois la relation établie, il veut l’approfondir tout en ayant soin de ne pas s’imposer. Il importe que ce soit, de la part des disciples, le fruit d’une réponse libre, réponse qui s’affermit par des contacts souvent renouvelés, réponse qui les engage à vivre dans la liberté et la spontanéité de l’amour.

Ainsi, à chaque rencontre, la présence de Jésus suscite dans les disciples un attrait accru pour lui. Il fait appel à quelque chose qu’ils désirent inconsciemment, mais jamais Jésus ne le leur imposera. Cette approche, nous la retrouvons dans l’Écriture : « Voici que je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi » (Ap 3,20), où l’expression biblique « moi près de lui et lui près de moi » est utilisée pour désigner une relation d’intimité.

La réaction des disciples est évidente. Sous l’effet de cet attrait, ils se laissent attirer, ils le suivent, ils le cherchent et ils éprouvent la joie de l’avoir « trouvé ». Ils commencent à attendre sa venue, désireux de le voir et d’être à ses côtés chaque fois qu’il revient au bord du lac. De cette façon, le Seigneur suscite en eux ces dispositions : un vif désir et un empressement à répondre à ce qu’il leur demande au moment présent et à ce qu’il compte leur demander à l’avenir.

Peu à peu, l’action de Jésus produit dans les disciples une disponibilité plus grande à être avec lui. Bien que l’expression « et à l’instant, ils le suivirent » fasse ressortir, nous semble-t-il, l’urgence de l’appel, elle révèle clairement qu’ils sont de plus en plus préparés et disposés à le suivre. Et en même temps, nous remarquons que ce processus de croissance s’effectue dans la vie ordinaire ; les disciples ont, par conséquent, à faire continuellement des choix afin d’être avec lui et de correspondre à son action dans leur vie. C’est en effet lorsqu’ils sont dans leur milieu, engagés dans leurs occupations et relations quotidiennes qu’ils sont invités à accueillir la ‘ Parole de Dieu’, à la laisser pénétrer et fructifier dans leur cœur, tout comme la semence qui tombe dans un sol fertile.

C’est de cette façon que graduellement de nouvelles attitudes et de nouvelles dispositions vont pour ainsi dire naturellement pénétrer tous les aspects de leur milieu de vie et de leurs relations de tous les jours.

Leur connaissance grandissante de Jésus et de la place qu’il occupe dans leur vie les conduit au moment où ils choisiront de tout quitter afin d’être avec lui. Cette prise de conscience de leur attachement au Christ éveille dans leur cœur la conviction qu’ils doivent le suivre pour finalement s’abandonner à la puissance de son attrait, ce qui va modifier tout le cours de leur vie.

Telle est la méthode qu’utilise le Christ, telle est la pédagogie du Fils du Père. Cependant, avant d’introduire ces hommes au cœur de sa vie, avant de les inviter à poser le geste irrévocable de « quitter père, mère, maison » et le reste, il sait qu’il doit les aider à parvenir à un certain degré de maturité. Il leur fait prendre conscience de leur propre conviction que son appel est à la fois devenu irrésistible et qu’il leur laisse cependant le choix de la réponse positive ou négative. Il avait pleinement conscience de la nécessité pour eux d’une telle conviction, de la nécessité que leur affection pour lui puisse se développer au point de le préférer aux autres, au point de préférer le suivre plutôt que de continuer à vivre à leur gré, en s’occupant de leurs affaires et de leurs intérêts personnels. Sans une telle conviction et un pareil attachement, les dures exigences de la marche à sa suite et de l’acceptation les auraient écrasés. Plus tard, elles auraient même pu les amener à s’écarter de lui. L’épisode de Capharnaüm nous le montre clairement ; se tournant vers les douze, Jésus leur dit : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » (Jn 6,67). De la réponse de Simon Pierre faite au nom de tous, il ressort avec évidence que seule leur amitié pour Jésus les retient à ses côtés. Mais la réaction même de Jésus, qui leur rappelle que c’est lui qui les a choisis et que ce n’est pas eux qui l’ont choisi, annonce que, pour être introduit dans sa vie et la partager, il faut préalablement y être appelé et prendre conscience de cette vocation. Cette réflexion nous permet de formuler quelques conclusions concernant la première étape de la formation initiale.

Au préalable, il importe de rappeler que c’est Dieu seul qui peut appeler à une vie de compagnonnage et d’union à lui. Cette vérité détermine la nature même de la vie dont il s’agit ici et, en conséquence, la vision et la compréhension à la fois du pré-noviciat et du noviciat. On ne dicte pas de loi au Seigneur lorsqu’il veut instaurer des relations d’amitié. En effet, la liberté souveraine d’agir comme il lui plaît est un de ses attributs. Il peut paraître hors de propos de le rappeler, mais on est surpris de voir combien de personnes bien intentionnées risquent souvent de l’oublier. Il est évident aussi que personne ne peut être initié à cette vie fondée sur une relation d’amour toujours croissante avec le Seigneur constamment recherché comme l’unique nécessaire tant qu’on n’a pas pris tous les moyens pour découvrir chez cette personne un véritable appel de Dieu. Autrement, nous ne perdons pas seulement notre temps mais, en fait, nous nous moquons de la volonté et du dessein de Dieu sur la personne concernée, car il s’agit d’un appel différent, qui requiert une autre orientation, un autre style de vie. L’histoire de la vie consacrée depuis son origine illustre bien cette vérité.

Renovationis causam – qui a énoncé clairement que la « vie religieuse débute avec le noviciat » (lieu de l’initiation) –, affirme que personne ne doit être admis au noviciat tant que le candidat et la communauté ne sont pas convaincus qu’il y a appel de Dieu.

Le temps qui précède l’entrée au noviciat a pour but, bien entendu, d’ aider la personne à croître dans tous les domaines. Il permet aussi à la communauté et au candidat de vérifier les points suivants :

s’il atteint un degré suffisant de maturité humaine et spirituelle pour répondre à l’appel du Seigneur avec conviction et en toute liberté, appel dont le candidat perçoit peu à peu l’authenticité ;
si le candidat possède une connaissance suffisante et l’intuition quasi instinctive des exigences essentielles de la vie religieuse, attitude qui influence et affecte son comportement dans le sens du progrès ;
si le candidat a été en état de poser des choix libres, conformes aux exigences de la vocation, lorsqu’il s’est plus clairement rendu compte de celles-ci ;
si le candidat a, en conséquence, montré de la promptitude à opérer certains changements indispensables dans son style de vie, comme conséquence d’un attachement croissant au Dieu qui l’appelle.

Ces points se trouvent déjà clairement affirmés dans Renovationis causam. Il est regrettable que ces directives aient fréquemment été mises au rancart, souvent avec des conséquences négatives, voire destructrices. Avec l’Instruction, nous ne pouvons trop insister sur le fait que la clé de la porte ouvrant le noviciat doit être laissée à l’intérieur, pour ne l’ouvrir que lorsque l’on a acquis une telle certitude morale humaine.

Admettre au noviciat des personnes qui n’ont pas encore atteint ce niveau de disponibilité, cette ouverture du cœur et cet abandon à Dieu qui correspondent à une « certitude morale humaine » de vocation, ne serait pas seulement créer une situation préjudiciable à l’intensité de vie propre au noviciat ; ce serait aussi se montrer injuste envers ceux qui sont vraiment prêts à cette initiation et dont la réponse personnelle et le développement souffriraient inévitablement, en particulier pour ce qui regarde la dimension communautaire de leur vocation, qui est supposée commencer dans une ambiance saine et chaleureuse.

Pour que le noviciat atteigne son but, il doit être vécu à un moment où la première « rencontre » avec le Christ a créé l’ardent désir « d’être avec lui ». Autrement, il est à peine vraisemblable que la relation avec le Christ se développe en une réelle familiarité, qui se maintienne et s’intensifie tout au long d’une vie. Alors, ses diverses étapes seront perçues et vécues comme un approfondissement constant de l’amour pour celui avec lequel on doit vivre comme un compagnon, jusqu’au jour où nous le rencontrerons face à face.

En 1969, dans l’Instruction sur la rénovation de la vie religieuse (Renovationis causam), l’Église avait présenté des réflexions approfondies sur l’état actuel du monde et de la société, afin de nous aider à comprendre plus pleinement les divers aspects souhaitables et nécessaires de la vie d’un candidat. Dans ce document, les religieux ont été exhortés à réfléchir et délibérer sur la nécessité de mettre en question et même d’abandonner certaines structures du passé en vue d’introduire des manières de faire nouvelles et plus adaptées. Plusieurs congrégations ont été grandement encouragées par ces recommandations et elles se sont attelées à cette tâche avec empressement et loyauté, dans une démarche de prière et de réflexion. De nouvelles voies ont été essayées, des structures meilleures et plus souples ont souvent été introduites, et plusieurs d’entre elles portent déjà les fruits qu’on en espérait. A travers cette réflexion et ces expériences, beaucoup ont été capables de pénétrer au cœur du problème. Ils ont découvert le but véritable de la période qui précède l’entrée au noviciat. Nous pouvons formuler ainsi leurs conclusions :

aider le candidat à prendre conscience de l’action de Dieu dans son cœur et son esprit, et vérifier l’authenticité de sa conviction d’être appelé par lui à la vie religieuse ;
voir si le candidat répond à l’action de l’Esprit, c’est-à-dire si sa manière de vivre et d’agir montre que cette personne fait progressivement et de manière de plus en plus ferme les choix qui correspondent à la nature de cet appel ;
aider la personne à acquérir la maturité humaine et spirituelle, psychologique et affective, intellectuelle et morale, qui est requise de chacun pour entrer dans la vie religieuse.

Quelle est la meilleure manière d’atteindre ce but ?

Il est essentiel que celui qui a manifesté non un simple intérêt pour la vie religieuse, mais un réel désir de devenir religieux, puisse vivre dans une situation et un milieu qui lui permettent de vivre et d’agir avec spontanéité. Si nous plaçons les gens dans un cadre irréel, il est à peu près inévitable qu’ils deviendront artificiels et agiront de même. Il leur sera également difficile de profiter des occasions qui contribuent à la croissance normale d’une personne, spécialement dans les domaines de l’affectivité et de la générosité.

De même, il va sans dire que chaque individu est différent et que les besoins de chacun, dans les divers domaines de la croissance humaine et chrétienne, varieront eux aussi. Il n’y a donc pas de formule unique valable pour tous. Le Seigneur attend de nous que nous collaborions avec lui pour offrir à chaque candidat les moyens qui répondent le mieux à ses besoins individuels ; et ceux-ci, redisons-le, peuvent varier très largement selon le cas.

Après avoir découvert les besoins les plus urgents de chacun, qu’il s’agisse de sa vie et de son instruction chrétiennes, de ses études, de son affection et de sa vie familiale, nous devrions chercher à offrir à chacun les occasions et les moyens de répondre à ces besoins. Ceci exigera énormément d’ingéniosité dans la recherche de solutions vraiment adaptées à ce que demande chaque cas. Par-dessus tout, nous devons éviter cette « conformité » qui, dans le passé, s’est avérée être un si grand obstacle à la croissance de la personnalité humaine.

Par conséquent, il est essentiel d’être en contact étroit avec chaque candidat, pour que ceux-ci puissent expérimenter notre attention réelle et notre appréciation pleine d’amour de leurs efforts. Ces contacts devraient se situer avant tout à un niveau personnel. Dans son ensemble, l’approche devrait être empreinte de simplicité et de bienveillance. On doit les rencontrer « là où ils sont », les voir évoluer dans leur propre milieu, afin de se rendre compte des multiples facettes de leur vie, de leur famille, de leur milieu social, etc.

De temps à autre, ils devraient être invités pour un week-end, afin de faire l’expérience de la vie de la communauté. En ces occasions, nous devrions être capables de leur ouvrir de nouveaux horizons sur ce que le Seigneur est en droit d’attendre d’une jeune personne qui souhaite répondre à son appel à la vie religieuse : mais sans leur laisser oublier qu’il y a d’autres démarches vitales qui appartiennent également aux plans de Dieu.

Viendra le temps où le candidat aura fait preuve de constance dans sa réponse à Dieu et aura manifesté ces signes qui caractérisent une authentique vocation à la vie religieuse. C’est alors que la communauté sera raisonnablement sûre que cette personne est actuellement appelée et maintenant capable de donner sa première réponse ferme. Il faudrait donc faire connaître alors à de tels candidats que nous les considérons sincèrement comme des personnes qui ont montré et montrent encore, par leur manière de vivre et d’agir, qu’elles désirent véritablement répondre à un appel et qu’elles donnent tous les signes de sentir le besoin de demander avec une certaine insistance d’être admises. Quand une telle démarche est faite par la communauté, simplement et sans formalités, cela donne aux candidats l’assurance et la sécurité psychologique dont ils ont besoin. Cela constituera une reconnaissance de ce qu’ils sont : des personnes qui ont manifesté par la qualité de leur vie une humble et sincère demande d’être acceptés. Pour le dire en passant, ceci est la vraie signification du mot « postulat ». Celui-ci ne désigne ni une place ni une maison, mais une ferme disposition du cœur qui fait du candidat un « postulant », quelqu’un qui demande instamment (le mot vient du latin postulare, demander avec une insistance basée sur une conviction). Assurer aux candidats qu’ils sont des « postulants » au sens propre du terme leur procurera un nouvel encouragement à répondre avec générosité et enthousiasme à ce qui est attendu d’eux, en sorte qu’ils puissent plus tard être admis au noviciat.

À un certain moment, de pareils candidats pourront, si on le juge souhaitable – bien que ce ne soit nullement nécessaire – être réunis pendant un certain temps, de façon à faire connaissance les uns avec les autres et spécialement avec des membres de la communauté. Si l’on tente cet expériment, il ne faudrait jamais attendre des « postulants » qu’ils mènent un genre de vie qui se rapproche en quelque manière de la vie religieuse. Ce n’est pas le moment de les introduire à la vie religieuse : ils ne sont pas encore des novices et rien de prématuré ne devrait être attendu d’eux. Ils ne devraient certainement pas vivre dans la même maison que les novices.

La chose la plus importante dont ils ont besoin, c’est évidemment une direction spirituelle vraie et solide. Toutefois, cela ne signifie pas que le directeur spirituel prenne les décisions à la place des candidats, mais bien qu’il les aide à être honnêtes avec eux-mêmes et avec Dieu. Le directeur devrait poser des questions simples mais profondes qui rendent les candidats capables de réfléchir aux mouvements intérieurs qui se manifestent en eux : paix, sérénité, ou manque de paix, trouble (un remarquable exemple de ceci est donné dans la manière d’agir de Jésus avec ses disciples sur le chemin d’Emmaüs). Grâce à cette aide en vue du discernement – mais sans discernement fait à leur place –, les candidats se familiariseront davantage avec les voies de Dieu ; ils entreront dans une démarche et développeront une disposition qui devrait les accompagner tout au long de leur vie.

Il est manifeste que cette manière d’envisager les étapes qui précèdent l’entrée au noviciat offre le maximum de garantie que le candidat jouira de la liberté qui est nécessaire pour faire un choix qui commandera toute sa vie, un choix qui doit être le fruit d’un « oui » responsable et libre à l’invitation de Dieu.

D’aucuns sont effrayés par cette approche ; d’autres sont même sceptiques à son égard. Ils ont l’impression qu’elle est trop vague, pas assez structurée. Cependant, ceux qui sont familiers avec les voies de Dieu, avec sa manière mystérieuse et cependant délicate et puissante d’agir avec les gens, perçoivent que cette approche personnelle apparaît comme étant la seule qui réponde aux intentions de Dieu, telles que nous les révèle l’Écriture et telles que nous les recommandent les documents récents de l’Église. Elle est certainement en harmonie avec « les signes des temps ». Il serait tellement plus facile de rassembler les gens, de les jeter dans le même moule, de leur donner les mêmes instructions et d’attendre d’eux tous qu’ils répondent de la même manière. Mais il est extrêmement douteux que ceci soit encore applicable à la croissance que l’Église elle-même a fermement recommandée.

Une manière beaucoup plus personnalisée de traiter avec les candidats possibles garantira que nous leur offrons l’aide adaptée aux besoins spécifiques de chacun. Ceci impliquera aussi que la durée du temps qui y sera consacré variera de la même façon. La probabilité est que, même si plusieurs personnes montrent quelques signes réels d’un appel authentique, elles ne seront pas toutes prêtes en même temps pour le noviciat ; peu importe l’avantage qu’il pourrait y avoir à ce que toutes « entrent » au même moment. Ce qui nous est demandé, c’est quelque chose de plus exigeant, qui entraîne de notre part un empressement à être présent, fut-ce au prix d’un grand dérangement, au moment et à l’endroit où l’on a besoin de nous. Cela présuppose aussi chez nous ouverture et docilité aux suggestions divines. Souvent, les demandes qui nous atteignent viennent des sources les plus inattendues ; comme, au début, elles peuvent n’exprimer quelque chose de ce qu’elles cherchent qu’avec beaucoup d’humilité et de manière presque imperceptible, nous devons être vigilants pour discerner ces premiers essais de « trouver leur chemin », prêts à nous charger d’aider ces débutants quelle que soit leur situation. Ils doivent être capables de trouver chez nous cette compréhension et cette attitude non possessive qui leur laisse la liberté d’exprimer leurs aspirations et leurs désirs les plus profonds dans leur essai de réponse à Dieu.

En fin de compte, comme nous l’avons vu, c’est ainsi que Jésus, conduit par l’Esprit du Père, tandis qu’il parcourait la Galilée et les provinces voisines, se montrait attentif aux nombreux appels au secours que lui adressaient les foules : ils ne lui demandaient pas seulement des biens matériels, mais aussi lumière et conseil sur la manière de répondre au mieux à Dieu.

De même, dans ses rapports avec ceux qui, selon le dessein du Père, étaient destinés à devenir ses « disciples », Jésus respectait la croissance de chacun. Les ayant graduellement amenés à une authentique maturité dans leur vocation, il a su qu’il pouvait formuler clairement l’invitation à faire le pas qui lui permettrait d’aller plus loin et de les introduire dans l’intimité de sa propre vie.

Le noviciat : initiation à la manière de vivre du Christ

Au moment où le candidat acquiert cette profonde et irrésistible certitude : « Dieu m’appelle, je dois lui répondre », un profond changement intérieur s’opère en lui et s’exprime dans un choix dicté par l’amour, un choix qui implique de « quitter père, mère, frères, sœurs et toutes choses », pour suivre le Christ. « Tu m’as séduit et je me suis laissé séduire » (Jr 20,7). Ce moment marque le début, le point d’entrée dans une nouvelle phase de la vie dont nous avons ci-dessus essayé de décrire le développement. Le candidat est sur le seuil d’une nouvelle aventure d’amour. L’affection que cette personne ressent pour le Seigneur se ramasse maintenant dans un désir prédominant et profondément ressenti : celui de se retirer avec lui dans la solitude, afin de pouvoir arriver, en lui parlant et en l’écoutant, à une connaissance intime du Christ. C’est un mouvement semblable à celui qu’éprouve un jeune homme ou une jeune fille absolument sûr d’être réellement amoureux d’un partenaire. De tels amoureux commencent à parler l’un à l’autre et à s’écouter mutuellement d’une manière nouvelle, arrivant ainsi à connaître et à partager, chez l’autre, tout ce qui lui tient vraiment à cœur. En fait, cet amour pousse à partager la même vie ; lorsque cette disposition du cœur est présente, chacun est ouvert et vulnérable à l’influence de l’autre.

Être avec le Seigneur

Il en va de même pour la personne que le Seigneur a choisie, appelée et touchée de la sorte. C’est ce que l’Évangile nous décrit : les « disciples », séduits par l’attrait du Seigneur et appelés par lui en présence de la foule, abandonnèrent tout sur le champ et commencèrent à vivre avec lui. Entraîné par le Seigneur, ce groupe d’hommes l’accompagne quand il se déplace en faisant le bien ; ils écoutent chacune de ses paroles, observent chacun de ses gestes, au point de devenir progressivement capables de pénétrer le cœur de celui dont ils expérimentent l’amour et dont la manière d’agir avec les gens les attire tellement (cf. Mc 3,13 sv ; Lc 6,12 sv). Chaque détail de sa vie, son style de vie, ses attitudes et ses réactions prennent pour eux une signification qui échappe à la compréhension des autres.

De temps en temps, lorsque le moment s’y prête, le Christ, lui, les prend à l’écart dans un endroit isolé où ils pourront être entre eux (Mc 6,31 ; Lc 9,10). Là il leur parle en particulier (comme en un murmure) et il leur explique les secrets du Royaume (cf. Mc 4,11 ; Mt 13,11).

Ce compagnonnage croissant entre Jésus et ses disciples caractérise aussi tous ceux qui répondent à son appel par le même « oui » inconditionnel et résolu et se sentent poussés à se déclarer pour le Maître et à le suivre. Sous la même action divine, lorsque le novice entre dans cette période d’initiation, il désire par-dessus tout acquérir cette familiarité aimante avec le Christ, qui le conduira à cette connaissance du cœur, fruit de la profonde union d’amour qui se réalise alors. Si donc le novice veut répondre à ce que Dieu a fait et est en train de faire pour lui, il aura besoin d’une période prolongée de retraite relative et de calme solitude, suffisante pour lui donner d’être aux côtés du Seigneur pour contempler celui qu’il aime à ce point.

Ceux qui acceptent quelque responsabilité dans ce temps de formation doivent encourager cette tendance et favoriser l’action divine. Animés par le même Esprit, ils essayeront de soutenir les aspirations les plus profondes de ceux qui ont tout abandonné pour l’amour du Christ.

Si une jeune personne, vraiment éprise, était privée de toute occasion d’être proche de celui qu’elle aime ou d’arriver à le connaître, si elle ne trouvait, dans sa famille ou chez un ami, aucune attention sympathique, aucun encouragement à vivre selon ce que son cœur expérimente, elle serait portée à déclarer : « vous ne savez pas ce qu’est l’amour ; vous n’y comprenez rien ! » La même chose est vraie pour celui qui, par amour du Christ, a quitté sa maison et sa famille, à cause de son profond et sincère désir de se rapprocher du Seigneur et d’apprendre à connaître ses voies.

Éveiller à la connaissance et à l’amour du Christ

En gardant ceci présent à l’esprit, il serait peut-être utile que ceux qui sont impliqués dans la formation se rappellent les « programmes » qui régissaient maints noviciats dans le passé et les apprécient aussi objectivement que possible. La priorité était donnée aux livres de règles, aux « coutumes » à mémoriser et à observer. Des instructions apprenaient comment agir et se comporter. On entendait nombre de pieuses exhortations concernant la « sanctification » personnelle de chacun et la manière de donner bonne « édification » en étant « vertueux ». Le résultat était que, par suite de cet accent indu sur le comportement extérieur, la vie était artificielle et stylisée, présentée qu’elle était d’une manière qui ne comportait aucune relation à une union intérieure avec le Christ et avec la nécessité de partager les dispositions de cœur et d’esprit qui caractérisaient sa propre mission et avaient formé ceux qu’il appelait à la partager. L’expérience nous rappelle que, trop souvent, les novices n’avaient que peu entendu parler de la personne de Jésus-Christ. Ils étaient rarement encouragés à se servir des Évangiles d’une façon qui alimenterait leur besoin d’union avec lui. Beaucoup trop rarement leur était offerte la « nourriture solide » basée sur une connaissance sérieuse de l’Écriture, une familiarité avec l’authentique théologie de la vie religieuse et la riche tradition de la spiritualité vécue de l’Église.

Malheureusement, bien que la chose se comprenne, il y eut une réaction massive, et ses résultats font peine à voir. Trop nombreux sont ceux qui, rejetant ce qui était malsain et sans signification, ont pris une voie diamétralement opposée et ont adopté une manière de faire encore plus destructrice que cette fixation sur une discipline extérieure périmée. Il n’est pas rare d’entendre des déclarations dans ce genre : « Tout ce non-sens doit cesser... les novices doivent être insérés dans la vie, en contact avec elle... s’ils apprennent par l’expérience, la vie les formera... il faut insister sur les études et sur une formation scientifique convenable en vue de l’apostolat, en sorte que l’on marche avec le progrès du monde actuel et que l’on se trouve sur pied d’égalité avec les « professionnels » d’aujourd’hui ! » Dans de nombreux cas, une telle appréciation du temps du noviciat a tout simplement ignoré la substance même de la vie et des aspirations authentiques des novices : le besoin, nourri par l’action de Dieu, de chercher la présence du Seigneur dans le recueillement et la paix, dans le but de parvenir à connaître celui qui les a attirés à lui et pour lequel ils ont laissé tout ce qui leur était cher. En conséquence, l’action de Dieu dans leur cœur fut souvent ignorée. A vrai dire, que pouvons-nous espérer réussir dans ce domaine de la formation, si nous-mêmes nous ne savons pas comment le Seigneur opère dans le cœur de ceux qu’il appelle, et comment pourrons-nous accompagner leur démarche en facilitant leur croissance ? Il est clair que ce qu’il faut, avant tout et en tout premier lieu, c’est donner au novice l’occasion d’en venir à connaître le Christ non d’une façon abstraite et théorique, mais à partir d’une expérience semblable à celle des premiers disciples, qui nous en ont heureusement confié le moyen authentique.

Au début de sa première lettre, Jean écrit :

ce que nous avons entendu,
ce que nous avons vu de nos yeux,
ce que nous avons contemplé,
ce que nos mains ont touché
du Verbe de Vie,

et il continue

ce que nous avons vu et entendu,
nous vous l’annonçons,
afin que vous soyez en communion avec nous (1 Jn 1,1-3).

Leur ouvrir les Écritures

Ce dont les novices ont besoin, ce à quoi ils aspirent, c’est à rencontrer celui qui est maintenant devenu l’objet de leur amour et de leur attention. Ceci requiert quelqu’un pour leur ouvrir les Écritures, en sorte qu’ils soient introduits à une manière de lire les Évangiles qui les rende capables de découvrir la personne de Jésus et, dépassant la lettre, de rencontrer « le Verbe qui est vie ». Le novice n’a pas accompli ce pas décisif simplement pour être nourri par un cours d’exégèse savante. Cela, il aurait pu l’obtenir ailleurs, sans avoir à laisser maison et famille et tout ce que cela implique. Ce qui est urgent à ce moment, c’est une démarche solidement fondée sur l’Écriture qui tende à cette « connaissance par le cœur » et puisse donc satisfaire de l’intérieur son vif désir.

Cela ne veut pas dire que l’on puisse se passer de la nécessité d’une information de base qui éclaire le sens vrai de l’Écriture, sa composition, son contenu, etc. Il en va de même avec les instructions qui ont pour objet d’approfondir chez les novices leur compréhension de la prière, de ses diverses formes et de leurs conditions, leur estime pratique pour la liturgie, spécialement pour l’Eucharistie et le sacrement de la réconciliation, leur connaissance du développement historique de la vie consacrée dans l’Église, etc. Mais tous ces éléments ont à être intégrés harmonieusement dans la démarche formative fondamentale : c’est-à-dire l’attachement croissant à la personne du Christ et à sa manière de vivre. Tout ce qui leur est offert devrait converger vers ce but. Au noviciat, il n’y a pas place pour une connaissance « scientifique » poursuivie pour elle-même.

Un maître spirituel

L’accent sera donc toujours mis sur la relation croissante des novices avec le Christ, en faisant confiance à leur « capacité intérieure » d’arriver à connaître le Maître d’une manière qui relève uniquement de leur vocation. Ce mouvement doit être aidé par des instructions et des cours de valeur, qui apportent une certaine satisfaction aux facultés intellectuelles et critiques des novices ; toutefois, ceci ne sera jamais leur premier but, car celui-ci est de développer en eux ce que les Pères ont appelé « l’intelligence spirituelle », celle qui promeut la vie dans l’Esprit, une vie d’union avec le Maître. Il est en conséquence essentiel que les novices soient en contact avec un « guide spirituel » authentique : c’est-à-dire un homme ou une femme livré à Dieu, pour lequel le souci premier n’est pas la théorie ou « l’enseignement livresque », mais qui est une personne dont la vie et l’enseignement se sont unifiés et qui en est arrivé à connaître d’expérience les voies de Dieu. Tel est le type de personne dont les novices ont besoin et qu’ils désirent trouver : quelqu’un cheminera avec eux, les accompagnera dans leur démarche vitale vers le Seigneur. Lui, il est celui qu’ils aiment vraiment, sans l’avoir encore vu ni ouvertement reconnu (cf. 1 P 1,8). Ce qu’ils cherchent, c’est quelqu’un comme Jean-Baptiste, qui, à cause de son affection pour le Seigneur, puisse le désigner à d’autres lors de son passage et puis se retirer en se réjouissant que ses disciples aient trouvé le Christ qu’ils brûlaient de rencontrer ; c’est-à-dire, c’est quelqu’un qui, avec délicatesse et discrétion, s’introduise dans la vie d’un autre pour lui procurer cette aide pleine d’amour qui rendra le novice capable d’entrer toujours plus profondément dans les voies mystérieuses du Seigneur.

Le maître des novices, conscient de la délicatesse et de l’importance de son rôle, mais aussi de ses propres limites, devrait se rendre compte de la nécessité d’avoir recours à la contribution d’autres personnes ; il devrait compter sur leur aide pour procurer aux novices ce qui leur est le meilleur et le plus adapté à chaque étape particulière de leur formation. Ces collaborateurs devraient être des personnes que la qualité de leur vie rend réellement capables de travailler d’accord avec le maître des novices ; disposés à entrer en scène lorsque le bien des novices exige leur présence ou à se retirer lorsque Dieu les pousse à s’effacer ; suffisamment souples et disponibles pour entrer dans les plans de Dieu et agir conformément à ses désirs.

Une familiarité transformante

Si le mouvement engendré par Dieu est encouragé et fortifié de la sorte, l’attachement du novice à la personne du Christ est assuré d’acquérir la qualité d’une intimité authentique, de telle sorte qu’il ressente le besoin de ressembler davantage au Seigneur et de vivre comme lui. Une relation vraie ne peut demeurer au niveau des sentiments, elle doit exercer une profonde influence sur la manière de vivre de l’intéressé. C’est ainsi donc que l’authentique lien d’amour pour le Christ qui s’est développé chez le novice changera son cœur et opérera en lui une conversion graduelle. Quand le novice est aidé à faire attention et à contempler, il est mû par les attitudes mêmes du Christ et sa manière de vivre et de converser avec les gens ; attiré par elles, il désirera les faire siennes. En conséquence, la familiarité avec le Christ transforme graduellement le novice en développant en lui un besoin profondément ressenti de changer sa propre vie. L’Esprit du Christ, actif et vivant en lui, le pousse et l’incite à être semblable à son Maître, à « revêtir le Seigneur Jésus-Christ », à adopter les mêmes dispositions de compassion, de bienveillance et d’amour désintéressé (cf. Rm 13,14 ; Col 3,10 ; Ep 4,20-24).

Après un certain nombre de mois vécus de la sorte, les novices devraient être capables de faire un important pas de plus : faire jaillir de leur cœur une générosité plus grande et affiner davantage encore la qualité de leur relation au Christ. Il s’agira ici de les aider à éprouver la sincérité de leur attachement au Christ, à devenir plus conscients de ce que signifie être avec lui dans le partage de son attitude envers les gens et de sa sollicitude pour eux. Ici, de nouveau, cela ne peut se faire par des considérations théoriques. Cela ne peut se réaliser qu’en les exposant à des situations et des circonstances où leur capacité d’aimer puisse s’exprimer dans des voies nouvelles et beaucoup plus exigeantes.

Mettre l’amour à l’épreuve

Tel est le but d’une des innovations les plus soigneusement pesées de l’Instruction Renovationis causam : elle permit d’introduire des périodes d’activité formatrice comme parties intégrantes du noviciat. Il faut tout de suite reconnaître que la signification vraie et la valeur de ces expériences n’ont été ni comprises ni appréciées dans de nombreuses congrégations. Certains ont considéré ces périodes, qui devaient se vivre en dehors de la communauté du noviciat, comme une occasion « bienvenue » d’interrompre la monotonie de l’année canonique ; d’autres les ont saisies comme des occasions de perfectionner les « compétences » des novices en vue de leur futur « travail » ; d’autres ont même été jusqu’à les utiliser comme des temps durant lesquels les novices pourraient « boucher les trous » dans les communautés locales, pour les aider à en sortir d’un travail apostolique nécessaire, qui souffrait d’un manque de personnel.

Dans bien des cas, donc, malgré la définition tout à fait claire donnée par l’Instruction à l’expression « activité formatrice », on les a interprétées et parfois nommées des « temps d’activité apostolique ». Ceci est contraire à leur nature, et en même temps différent de l’intention et du but dans lequel elles ont été envisagées. L’intention n’est pas que le novice puisse pratiquer un certain « apostolat », mais plutôt que les dispositions fondamentales requises de celui qui est appelé à partager la vie et la mission du Christ puissent être éveillées et développées. Ce sont la générosité du cœur, l’amour qui se sacrifie, l’oubli de soi, la patience, une compassion vraie pour ceux qui souffrent, l’endurance persévérante, et, par-dessus tout, l’expérience de notre insignifiance devant Dieu et devant les autres, qui crée en nous un sens profond de notre dépendance envers lui et, en conséquence, de notre besoin de prière.

On ne doit pas craindre de placer les novices dans des situations passablement difficiles et exigeantes, mais on doit avoir confiance dans leur capacité de réponse aux exigences divines. Nous avons besoin de nous rappeler que c’est de cette manière que le Christ lui-même a formé ses disciples, n’hésitant jamais à les provoquer en leur demandant d’agir contre leurs préférences personnelles. Toutefois, il est important de trouver pour chacun le type d’expérience qui garantira que les novices donneront d’eux-mêmes quelque chose qu’ils sentent devoir donner, mais n’ont pas encore donné : développer l’un ou l’autre aspect de leur vie, telle disposition qui semble être faible ou absente dans leur cœur, mais est indispensable dans la vie de toute personne désireuse de grandir dans la ressemblance du Christ et de devenir donc participante à sa mission.

Dans un tel contexte réaliste, en vertu duquel les novices sont rendus capables de répondre personnellement à ce qu’ils perçoivent être de vraies exigences de Dieu, le noviciat peut devenir une initiation authentique à la vie du Christ, et donc une véritable introduction à la vie religieuse apostolique. Il est évident qu’une pareille manière de procéder vise à développer une intégration progressive et de plus en plus harmonieuse des diverses composantes de ce qui relève d’une vie vécue en union avec le Christ pour le bien des autres ; elle assure aussi cette croissance équilibrée qui rend les personnes capables de devenir ce que le Seigneur voudrait qu’elles soient.

Lorsque les novices sont engagés dans ces expériences formatrices, il s’impose que les maîtres des novices remplissent leur rôle d’authentiques collaborateurs de Dieu : ils devront se rendre disponibles, de temps en temps, au cœur de ces expériences de formation, afin d’offrir leur aide sur le plan affectif et sur le plan effectif. Il y aura des moments de partage en profondeur, durant lesquels les novices parleront de leurs expériences, de leurs états d’âme, de leurs joies et de leurs peines, de leurs échecs, de leurs luttes, de leur découragement, de leurs réponses et de leurs faiblesses. Le maître des novices, par sa présence aimante, les aidera à évaluer ce qui se produit dans leur vie, à la lumière de l’Évangile et de ce dont ils ont précédemment fait l’expérience dans le milieu propre à la phase précédente de leur noviciat. Ils en deviendront plus capables de discerner ce que le Seigneur leur demande ; ils comprendront mieux les voies du Seigneur et les implications d’une vie vécue comme une mission ; ils seront aidés à développer cette fusion harmonieuse entre prière et action qui doit caractériser la vie d’un apôtre.

Un soutien fraternel

Tandis qu’ils vivent de telles expériences, les novices commenceront aussi à apprécier la beauté et la valeur d’un véritable soutien fraternel. Dans l’aventure dans laquelle ils se sont embarqués, ils en viennent à découvrir la nature hautement personnelle de leur réponse et en même temps l’importance de vivre côte à côte avec d’autres que le Seigneur mène par les mêmes chemins ; ils apprennent à apprécier l’expérience d’un guide spirituel, dont la présence aimante les rend attentifs aux exigences divines, en même temps qu’il encourage leurs efforts pour y répondre. De la sorte, le novice est existentiellement et progressivement aidé à une compréhension saine et une appréciation vivante de ce que signifie une vraie « communauté » ; il en vient à réaliser que ceci ne peut exister si ce n’est grâce au lien par lequel les frères s’aiment vraiment l’un l’autre « dans le Seigneur », avec le désir de s’aider mutuellement à répondre aux motions de l’Esprit. Lorsqu’ils ont vécu des expériences de ce genre au milieu des dures réalités de la vie, ils peuvent entrer dans une nouvelle phase de leur développement. Le novice a été interpellé, les exigences d’une vie d’union avec le Christ lui sont devenues de plus en plus une réalité, l’importance d’une plus profonde intégration de la contemplation et de l’action est perçue sans cesse plus clairement. Le besoin se fait maintenant sentir d’un temps durant lequel, sous l’action de Dieu, le novice soit amené, dans une démarche priante, à peser de façon réfléchie la signification vraie et les implications de son appel comme invitation à une suite radicale du Christ.

Lumières sur la vie religieuse

C’est le moment où le maître des novices, docile à l’action de l’Esprit de Dieu dans le cœur de ceux qu’il a appelés, devrait les aider à parvenir à une connaissance plus exacte et à une compréhension plus profonde de la forme radicale de la vie évangélique que Dieu leur offre. Ils sont prêts maintenant à aborder la théologie de la vie religieuse avec un regard neuf. Maintenant ils ont besoin d’une étude plus structurée des dimensions bibliques et théologiques de cette forme d’existence chrétienne. Une pareille approche aidera les novices à acquérir une vision unifiée des vœux ; ils verront par eux-mêmes qu’ils sont les facettes et les expressions nécessaires de la vie qui, enracinée et fondée dans une relation personnelle d’amour pour le Christ, amène quelqu’un à tout partager en lui. D’abord et avant toute autre chose, il y a le fait de réaliser que cette relation signifie l’offre inconditionnelle de soi-même au Christ : « Je veux t’appartenir... Je désire m’engager envers toi... Je souhaite partager ta vie et vivre avec toi... »

Cette compréhension intime est le fruit de l’action constante de Dieu dans le cœur du novice. Moyennant le type adapté d’encouragement et d’aide, il n’est pas difficile de saisir que la vie religieuse implique essentiellement un choix déterminé pour le Christ. Un tel choix a sa racine et sa source dans un amour préférentiel qui pousse quelqu’un à laisser de côté tout ce qui est naturel, instinctivement attirant et précieux pour le cœur et l’esprit (à savoir : avoir un partenaire humain et une famille à soi, bâtir soi-même son avenir...) afin de devenir un vrai compagnon de Jésus et de consacrer son être tout entier totalement à lui, en partageant sa vie et ses objectifs.

Ce lien affectif sincère pour le Christ, qui a maintenant grandi et mûri jusqu’à devenir un très réel attachement pour lui, engendre chez le novice un besoin irrésistible de partager toujours plus effectivement le don que Jésus fait sans cesse de lui-même. Les paroles de saint Paul résonnent dans son cœur : « Vous connaissez la libéralité de notre Seigneur Jésus-Christ, comment de riche il s’est fait pauvre pour vous, afin de vous enrichir par sa pauvreté » (2 Co 8,9). Elles le poussent à vivre comme le Christ l’a fait, à ne s’accrocher à rien, mais à se déposséder lui-même de tout, avec un cœur constamment ouvert et disposé à donner. C’est ici que se découvre la signification vraie de la pauvreté évangélique.

C’est une conséquence d’une attitude d’amour, qui conduit quelqu’un à donner et à partager tout ce qu’il a et tout ce qu’il est, sans rien retenir pour lui-même. Également, c’est le même amour qui crée le besoin de donner non seulement tout ce qu’on possède, mais encore ce qui est le plus intime au cœur de l’homme : sa propre liberté. Un pareil don n’est possible qu’en vertu de la puissance unitive de l’amour. Lorsqu’une personne est appelée à aimer le Christ avec un cœur non partagé, l’union cherche à pénétrer toujours plus avant dans le mystère de celui qui appelle, à être comme lui autant que c’est possible ici-bas. C’est pourquoi le Seigneur invite ceux qui souhaitent être associés à sa mission à partager de tout cœur sa propre « mentalité » : cette attitude fondamentale imprégnant sa propre vie humaine, par laquelle, « s’étant fait obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix » (Ph 2,8), il a racheté le genre humain.

Lorsque, à la lumière de la Révélation, on médite le mystère du « Verbe fait chair », on apprend à connaître, dans l’expérience de la foi, que l’incarnation a eu lieu en vue d’une « rédemption surabondante », et que celle-ci a été accomplie par le Christ dans une vie de soumission aimante et totale au Père. Comme les Évangiles y insistent – c’est un point très vigoureusement souligné par saint Paul –, son propos était la pleine restauration de l’humanité. Ce fut par son obéissance inconditionnelle que Jésus répara la désobéissance de l’homme, si clairement manifestée dans sa prétention et sa tentative d’être indépendant de Dieu. Ceci est la logique propre au Christ : la seule voie pour ceux qui sont appelés à le suivre, dans la virginité et la pauvreté, et à partager sa mission, est de s’approprier l’esprit du Christ et donc de partager son attitude fondamentale de totale obéissance par amour. Ainsi le novice apprend, de nouveau par une expérience intime, que la pauvreté et l’obéissance s’enracinent dans l’oblation faite par le vœu de virginité, avec laquelle elles sont intrinsèquement liées.

Grâce à ce temps de profonde réflexion sur la vraie signification de la vie religieuse, vécu sous la conduite d’une personne familière avec les voies de Dieu, et en présupposant que le novice est maintenant ouvert et suffisamment libre pour « manifester spontanément ses pensées » (selon une expression très précieuse qui fait partie du patrimoine spirituel de la vie religieuse), il fera certainement de sérieux progrès dans les voies de Dieu ; dans un esprit de joyeux abandon, il sera prêt à suivre l’Agneau partout où il va (cf. Ap 14,4).

Le charisme de la congrégation

Après une pareille période intensive de croissance, il sera indiqué d’initier les novices à un autre aspect essentiel de la vie dans le Christ : une juste perception de l’esprit de la congrégation.

En fait, jusqu’ici, toute l’expérience du noviciat a été acquise dans la compagnie d’autres novices, du maître des novices et d’autres membres de la communauté ; en sorte que l’intéressé a déjà commencé à se sentir chez lui dans une famille de frères. Maintenant le moment est venu d’expliquer en détail ce sentiment d’être « chez soi », cette expérience d’union.

L’attachement au Christ est la base et le noyau de la vie religieuse. Il est et doit toujours en être l’élément fondamental. Cependant, selon le plan de Dieu et son appel, cette même vie doit se mener en communion avec d’autres, comme membres d’une congrégation qui a son charisme et son esprit propres. Le novice a ressenti un attrait pour une communauté déterminée. Avoir été accepté, avoir fait ses premiers pas sous la conduite d’un guide dans cette congrégation, s’y sentir chez soi doit signifier que cette personne participe actuellement au charisme qui lie les frères entre eux. Elle doit maintenant être aidée à prendre une conscience réflexe de ces liens communautaires et de ce qu’ils impliquent pour une vie en communauté.

Il est vrai qu’une authentique expérience de mission en compagnie de frères soigneusement choisis, qui vivent eux-mêmes leur vie religieuse dans l’accomplissement de la mission propre de la congrégation, fait beaucoup plus que n’importe quelle considération théorique pour parvenir à une appréciation existentielle de l’esprit qui anime cette congrégation particulière. En outre, une telle expérience permet aux membres de la communauté de voir comment le novice vit actuellement son attachement au Christ et si celui-ci peut se maintenir sous les pressions auxquelles on est inévitablement soumis en dehors de l’atmosphère paisible et recueillie du noviciat.

En outre, le novice sera en contact avec l’esprit particulier de la congrégation, tel qu’il est incarné et actuellement vécu par les frères, esprit qu’ils communiquent sans même en parler : c’est une expérience qui est vitale à ce moment particulier de la croissance de l’individu. Si le novice a réellement été appelé à cette communauté, l’action de l’Esprit provoquera une réponse caractérisée par le charisme de la congrégation. Le germe de ce charisme, dont le fruit ne s’était fait connaître jusqu’ici que par un simple attrait, devient maintenant l’expérience d’une affinité avec l’esprit, le genre particulier de vie, le charisme lui-même et la communauté qui le vit : c’est tout cela que le novice est appelé à donner et à recevoir dans un partage total. Le lien communautaire croîtra en même temps et l’appréciation de ses vrais fondements deviendra plus explicite et plus mûre.

Ces expériences préludent à l’étape suivante, celle dans laquelle le maître des novices et d’autres membres qui ont une profonde connaissance de la congrégation, de son histoire, de ses débuts et de sa tradition, pourront aider les novices à approfondir leur perception du charisme par l’étude, la réflexion, le partage et la prière. De la sorte, ils sont introduits au cœur même de la communauté et, en fait, préparés à prendre leurs premiers engagements vis-à-vis de Dieu dans la congrégation. Si le noviciat tout entier a été organisé et vécu pour être une authentique initiation à la vie évangélique et si le novice a généreusement répondu à l’invitation sans cesse renouvelée du Christ à le suivre, il aura franchi cette nouvelle étape de la vie religieuse.

Le premier engagement envers Dieu dans l’institut

La conviction d’être appelé par Dieu qui l’a conduit à l’abandon de tout ce qui lui était cher et familier afin d’être aux côtés du Christ sera maintenant devenue une décision de demeurer avec lui.

D’où le besoin pressant de se donner inconditionnellement au Maître qui a attiré à lui le cœur et l’esprit. Le novice fera alors l’oblation de tout lui-même au Christ, l’engagement à partager une vie de chasteté, de pauvreté et d’obéissance dans la réalité de la mission, et ce, conformément à l’esprit de la congrégation qui a accompagné le novice tout au long de son initiation à sa vie religieuse. Toutefois, l’intéressé prendra cet engagement avec la permission de la communauté, qui doit authentifier, à partir de son expérience, la vocation et le sérieux de la réponse donnée à Dieu. De plus, quand la communauté accueille le novice dans sa famille religieuse, elle s’engage de son côté à lui continuer son soutien dans sa préparation à la profession.

À cause de la nature et du but de cette importante démarche, accomplie en vue de la profession, le don généreux et inconditionnel de lui-même que fait le novice n’est pas encore inconditionnellement accepté par Dieu, qui agit par le ministère de l’Église. Ce ne sera qu’après un certain temps de vérification supplémentaire que l’Église elle aussi acceptera inconditionnellement et au nom de Dieu l’oblation de cette personne comme perpétuelle et totale : alors et alors seulement, Dieu fera « sienne pour toujours » cette personne et « consacrera » le religieux à lui-même et à son service.

Il est donc clair que

le novice prend un authentique engagement envers Dieu ; cet engagement est donc un lien sacré ;
il s’engage à mener une vie selon l’Évangile et, en particulier, une vie de chasteté, de pauvreté et d’obéissance ;
il va le faire selon la règle de l’institut qui l’accepte et qui l’a aidé à persévérer durant l’initiation à la vie religieuse (le noviciat).

En conséquence, le premier engagement n’est pas purement un engagement ou un contrat avec la communauté ; il est premièrement un engagement total envers Dieu dans l’institut.

De plus, le premier engagement doit être envisagé comme un préliminaire essentiel qui, de par sa nature, prépare la personne à la profession ou consécration perpétuelle. Pour cette raison, on ne fixera pas que cet engagement n’est pris que pour un temps déterminé. Il est pris avec l’intention délibérée d’être admis à la profession aussitôt que possible.

En ce qui regarde la durée de cet engagement, elle doit être suffisamment longue pour permettre de vérifier que cette personne est vraiment prête à être admise à la profession et à l’incorporation définitive dans l’institut. Par ailleurs, elle ne doit pas être indûment prolongée. Il faut donc qu’un minimum et maximum pour la durée de ce premier engagement soient fixés par la communauté et par l’Église.

Le sérieux et la gravité d’un pareil engagement découlent de la volonté de celui qui a appelé cette personne ; c’est lui qui continue à attirer le religieux à lui, exactement comme il est celui auquel et avec lequel cet engagement est pris : engagement à une vie selon les conseils évangéliques et le charisme de la congrégation.

Borgo S. Spirito 5 - C.P. 6139
I-00195 ROMA, Italie

[1Texte traduit, avec l’aimable autorisation de l’auteur et des éditeurs, de The Way, Supplement n° 41 (Summer 1981), 42-64.

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