Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

La vie religieuse dans l’Église et dans le monde

Eduardo Pironio

N°1982-2 Mars 1982

| P. 67-80 |

Pour éclairer, à la lumière de la Parole de Dieu, quelques aspects de la vie religieuse actuelle, le Cardinal Pironio, s’adressant à l’Assemblée générale 1981 des Supérieurs Majeurs de France, les invite à réfléchir à trois points très simples, mais fondamentaux. Il leur présente d’abord l’Église et le monde dans lequel nous vivons : l’Église se perçoit elle-même, de plus en plus nettement, comme sacrement d’unité et sacrement universel de salut ; d’autre part, dans un monde en profonde et rapide mutation, la violence s’installe à demeure, ainsi que l’oppression et l’injustice. Quels sont, en conséquence, les aspects les plus importants de la vie religieuse aujourd’hui ? L’auteur en relève brièvement un certain nombre : recherche plus profonde de Dieu, insertion plus marquée dans les Églises locales, recherche des valeurs essentielles, valorisation de la prophétie, tendance vers une vraie communauté. Dans une troisième partie, le Cardinal Pironio dégage, à la lumière de trois documents récents, quelques lignes d’une véritable rénovation : une communion organique (Mutuae relationes), le sens de la mission (Optiones evangelicae) et l’importance de la contemplation (Dimensio contemplativa).
Allocution prononcée, le 15 octobre 1981, à l’Assemblée générale des Supérieurs Majeurs de France, reproduite avec l’aimable autorisation de l’auteur et du C.P.R.

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Je laisserai subsister chez toi un peuple humble et pauvre qui mettra sa confiance dans le nom du Seigneur, le reste d’Israël (So 3,12).
Appel à la pauvreté

Nous ne formons qu’un seul corps dans le Christ et nous sommes tous membres les uns des autres (Rm 12,5)
Appel à l’intimité avec le Christ, à la communion et à l’identité propre

Redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance approche (Lc 21,28). Appel à l’espérance

Le thème est immense et très riche. Peut-être le titre semble-t-il trop ambitieux. Mon seul désir est d’éclairer, à la lumière de la Parole de Dieu, quelques aspects de la vie religieuse actuelle, mettant en relief l’appel pressant du Christ, de l’Église et du monde à une véritable sainteté comme réponse unique et originale aux exigences du monde contemporain.

Introduction

Je voudrais commencer par trois remarques très simples :

La vie religieuse dépend de la vie de l’Église et de la situation du monde

La vie religieuse dépend de la vie de l’Église (de son mystère intrinsèque, de son dynamisme missionnaire) et de la situation du monde. Elle les ressent fortement. La vie religieuse est toujours une annonce explicite du Royaume, mais elle se réalise dans un contexte historique déterminé et à l’intérieur d’une Église concrète (universelle et particulière). Quand une Église locale est réellement vivante et unie (par la vitalité et l’unité que donnent l’Esprit, la Parole et l’Eucharistie), on y trouve sûrement une vie religieuse florissante, mûre et engagée de façon évangélique.

On ne peut parler d’une vie religieuse qui ne soit chrétienne, ecclésiale, historique.

Chrétienne : La vie religieuse – suite radicale du Christ – est une expression privilégiée du mystère pascal du Christ : ce qui suppose une alliance d’amour, de croix, d’espérance. Nous trouvons cette dimension dans un très beau texte de saint Paul aux Philippiens : « Mais ces choses qui pour moi étaient des avantages, je les ai considérées comme un préjudice à cause du Christ. Bien certainement, je ne vois dans tout cela qu’un préjudice en regard de ce bien suprême : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur. Pour lui, j’ai renoncé à tout et je considère tout comme une ordure, afin de gagner le Christ, et d’être trouvé en lui, non pas avec ma justice, celle qui vient de la Loi, mais avec la justice qui s’obtient par la foi au Christ, la justice qui vient de Dieu par la foi. Et ainsi je connaîtrai le Christ, lui et la puissance émanant de sa résurrection : je connaîtrai la participation à ses souffrances en me conformant à lui dans sa mort, avec l’espoir de parvenir, si possible, à la résurrection des morts. Ce n’est pas que j’aie déjà remporté le prix, ou que je sois parvenu à la perfection. Mais je poursuis ma course pour essayer de le saisir, puisque, moi-même, j’ai été empoigné par le Christ Jésus. Frères, je ne crois pas l’avoir déjà gagné. Je ne sais qu’une chose ; oubliant le chemin que j’ai derrière moi, et me précipitant en avant, je cours droit au but, pour remporter le prix de la vocation d’en haut, de l’appel de Dieu dans le Christ Jésus » (Ph 3,7-14).

Ecclésiale : La vie religieuse constitue une forme spécifique, essentielle, d’être Église : « elle appartient inséparablement à sa vie et à sa sainteté » (LG, 44). En même temps, l’Église vit de la vie religieuse ; de sa fidélité à son identité propre et à la communion. Il serait bon de méditer ce texte de saint Paul aux Romains : « De même que dans notre seul corps nous avons plusieurs membres, et que tous ces membres n’ont pas la même fonction, ainsi tout nombreux que nous sommes, nous ne formons qu’un seul corps dans le Christ, et nous sommes tous membres les uns des autres. Suivant la grâce qui nous a été conférée, nous avons des dons différents : que celui qui a le don de prophétie l’exerce en proportion de la foi ; que celui qui est appelé à un service s’attache à servir ; si c’est le don de l’enseignement, qu’on enseigne ; le don d’exhorter, qu’on exhorte » (Rm 12,4-6).

Historique : La vie religieuse est une réponse évangélique particulière à des hommes concrets qui souffrent et qui espèrent, une claire prophétie du règne de vérité et de grâce, de justice, d’amour et de paix, à un monde qui a besoin d’être transformé et offert à Dieu « selon l’esprit des Béatitudes » (LG, 31). Le monde d’aujourd’hui a réellement besoin de témoins de pauvreté, de miséricorde, de justice et de paix, de croix et d’espérance.

Un moment providentiel

Nous vivons certainement un moment providentiel, difficile, mais chargé d’espérance. Ce n’est pas le moment de se perdre en lamentations inutiles sur le passé ou de rêver superficiellement au futur. C’est le moment de vivre avec une intensité évangélique l’instant présent et d’être réalistes : avec l’expérience du passé, préparer le futur. « Debout, que brille ta lumière, car elle vient, ta lumière » (Is 60,1).

Une véritable rénovation

Il s’agit de présenter la vie religieuse avec une intention sincère de véritable rénovation qui corresponde aux racines évangéliques et spécifiques (charisme), à la situation présente de l’Église et aux mutations de l’histoire. « Ne vous conformez pas à ce monde-ci, mais transformez-vous par le renouvellement de votre intelligence pour discerner quelle est la volonté de Dieu » (Rm 12,2).

Je voudrais présenter trois points de réflexion très simples :
I - L’Église et le monde dans lequel nous vivons ;
II - Aspects plus importants de la vie religieuse aujourd’hui ;
III - Quelques lignes pour une vraie rénovation.

L’Église et le monde dans lequel nous vivons

Depuis le Concile, nous sommes habitués à considérer l’Église comme « sacrement d’unité » : « L’Église est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG, 1 ; cf. SC 5e 26) ; et comme sacrement universel de salut (LG, 48 ; GS, 45). Ce sont deux catégories essentielles qui montrent le dynamisme vital du mystère de l’Église. J’aime définir l’Église comme « sacrement du Christ pascal » : « le Christ parmi vous, l’espérance de la gloire » (Col 1,27).

Il est très important de rappeler que le « sacrement d’unité » se réfère au schéma trinitaire de l’Église : « Un peuple qui tire son unité de l’unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (LG, 4). Et le « sacrement universel de salut » se rapporte au monde comme signe et communication d’un Dieu amour. « Tout le bien que le peuple de Dieu au temps de son pèlerinage terrestre peut procurer à la famille humaine découle de cette réalité que l’Église est le sacrement universel de salut, manifestant et actualisant tout à la fois le mystère de l’amour de Dieu pour l’homme » (LG, 45).

Comment pouvons-nous caractériser ce moment de l’Église et du monde après le Concile ? Je voudrais le faire en catégories qui reflètent les documents conciliaires (au moins les principaux).

L’Église

Nous pouvons caractériser l’Église d’aujourd’hui (depuis le Concile) en ces idées centrales : Une Église qui écoute la Parole de Dieu (DV) et la célèbre dans l’Eucharistie (SC). Cet aspect de la dimension contemplative et adorante de l’Église est essentiel. Le premier grand document approuvé par le Concile fut le document sur la liturgie (5-XII-1963). Il est très important pour la vie religieuse de souligner ce fait : la dimension contemplative, christocentrique et théocentrique, d’expérience de Dieu, de prière et de louange, d’adoration, parce que c’est l’aspect le plus caractéristique de la vie religieuse aujourd’hui.

Une Église qui redécouvre son identité (sa vie, sa mission) dans une configuration avec le mystère du Christ et son intime communion (LG). La vie religieuse n’est pas simplement insérée dans l’Église, elle naît de la fécondité de l’Esprit au sein de la communion ecclésiale. Il est donc absolument nécessaire de découvrir la dimension de communion de cette vie religieuse, son rôle spécifique irremplaçable. C’est en même temps un appel très fort à suivre le mystère de l’Église particulière. « L’Église particulière est le lieu privilégié où se réalise l’Église universelle » (Jean-Paul II ; cf. MR, 18).

Une Église qui se sent envoyée au monde comme sacrement universel de salut, comme missionnaire, comme évangélisatrice (AG, GS). Surtout, elle est envoyée au monde des plus pauvres, des opprimés, des marginaux. Ce sens d’incarnation, de mission, d’évangélisation s’est développé depuis le Concile. Qu’on se rappelle les Synodes sur la justice, l’évangélisation et la catéchèse, les grandes exhortations Evangelii nuntiandi (Paul VI) et Catechesi tradendae (Jean-Paul II). Pour la vie religieuse, c’est un appel très pressant à être présente aux nécessités du monde comme une réponse évangélique. Il est certain que la vie religieuse, parce qu’elle est plus fortement insérée dans l’Église locale, se sent constamment interpellée par la situation du monde ; elle ne peut vivre en marge. Il est vrai que le mode privilégié de l’évangélisation est, pour les religieux, leur vie consacrée elle-même (EN, 69), mais leur existence doit être une réponse évangélique au monde d’aujourd’hui.

Le monde

Nous pouvons souligner trois aspects ou caractères du monde actuel.

Un monde qui change profondément, rapidement, universellement (GS, 5). La vie religieuse ne peut s’identifier au monde présent (Rm 12,2). Les mutations sont un appel à la fidélité essentielle, à une configuration plus radicale au Christ. La fidélité au charisme propre droit être conçue comme fidélité dynamique. Quels sont, par exemple, les pauvres, les besogneux, les marginaux d’aujourd’hui ? Quelles sont les nouvelles formes de présence de vie religieuse apostolique ? Quelles sont les attentes spéciales du monde par rapport à la vie contemplative ?

La violence comme forme normale d’existence, alors que l’homme est fait pour la réconciliation, l’amour et la communion. Nécessité d’exprimer dans la vie religieuse l’expérience d’un Dieu amour, pardon, réconciliation.

L’injustice et l’oppression, alors que l’homme est fait pour la liberté, la justice, la paix. Exigence d’une vie religieuse qui soit témoignage de valeurs évangéliques : pauvreté, liberté, charité, don total de soi-même.

Aspects les plus importants de la vie religieuse aujourd’hui

Nous pouvons souligner les suivants :

Une recherche plus profonde de Dieu. Désir d’une vie de prière plus authentique, de vivre une dimension contemplative véritable. Recherche d’une spiritualité apostolique basée sur l’Évangile, sur les inspirations des fondateurs, sur les exigences des temps nouveaux. Nécessité d’une forte vie intérieure qui évite les dichotomies. Comment aider de façon ecclésiale certaines communautés plus besogneuses ? Expérience de quelques « mesures d’animation ».

Une insertion plus forte dans les Églises locales. La vie religieuse se sent partie essentielle de cette Église locale. On sent la nécessité d’une communion forte et dynamique.

Des problèmes naissent également : entre la fidélité à la réalité concrète et à l’esprit universel (soit de la vie religieuse comme telle, soit de la Congrégation internationale). Parfois les problèmes naissent à cause d’une connaissance insuffisante de l’identité spécifique des religieux de la part des évêques. Il existe un désir très marqué de fidélité à la réalité concrète.

Une recherche plus vraie des valeurs essentielles : la vie religieuse comme alliance d’amour. Réponse d’amour à un Dieu qui nous a aimés le premier. Le mystère pascal trouve dans la vie religieuse une réalisation concrète. La vie religieuse n’est pas conçue d’abord et exclusivement dans un contexte purement juridique, mais plutôt évangélique et théologique. Il existe un approfondissement véritable et riche du charisme et de la spiritualité propres, qui se manifeste dans la célébration pascale des chapitres et la présentation des nouvelles constitutions.

Un sens particulier de la justice et une véritable option pour les pauvres. Un désir de s’insérer plus profondément dans la réalité populaire, tout en demeurant fidèle au charisme propre. Ceci présente à la vie religieuse un défi pascal, qui comporte certainement des risques évangéliques ; il s’agit aussi de « perdre sa vie » pour la retrouver dans le Christ. Il y a eu des déviations : une dangereuse radicalisation socio-politique qui a fait perdre l’identité propre (et même parfois l’identité évangélique, en assumant des idéologies contraires à l’Évangile). Mais l’Esprit de force et de courage est aussi l’Esprit de conseil, de sagesse et de prudence.

Beaucoup d’instituts s’interrogent à nouveau, à la lumière du charisme et de la spiritualité des fondateurs, sur le sens actuel et concret des nouveaux pauvres. Qui sont-ils ? Où sont-ils ? Comment aller vers eux ? Comment être évangélisé par eux ?

Une valorisation spéciale de la prophétie dans l’Église, comme annonce du Royaume et comme dénonciation d’une réalité qui s’oppose à ce règne de vérité et de grâce, de justice, d’amour et de paix. La vie religieuse est un cri évangélique continuel : « Le Règne de Dieu est parmi vous. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1,15). Il existe pourtant un double péril : une certaine polarisation de cette prophétie (quasi un certain monopole de la part des religieux) et la peur qui freine, immobilise, détruit essentiellement la prophétie.

La recherche d’une communauté vraie, d’une communauté pascale et d’une communion authentique à l’intérieur de l’institut, tout en reconnaissant les charismes personnels et les tempéraments divers qui portent à reconnaître la validité d’un pluralisme légitime. Malheureusement, en ces derniers temps, depuis les chapitres de rénovation, certaines tensions et divisions se sont accrues. Certaines expériences ont détruit les communautés ; on est allé trop vite, sans la nécessaire prudence et sans sagesse. D’autres, au contraire, se sont affermis dans une fidélité statique et matérielle. Plus préoccupés de sécurité, ils se sont stabilisés dans des formes et des expressions inadéquates aux temps nouveaux. Je pense qu’un véritable discernement se réalise toujours dans une attitude de vraie pauvreté, de contemplation authentique, de fidélité au Christ et à son Évangile, à l’Église et à sa mission, à l’homme contemporain et à ses attentes de salut, au charisme des origines. On ne peut diviser ou briser facilement un institut. Il y a malheureusement une tendance dans ce sens, encouragée par un certain désir et une intention de fidélité. La pauvreté – qui cherche dans la prière et le dialogue – et l’esprit d’une vraie communion ecclésiale peuvent éviter tensions et ruptures.

Quelques lignes d’une véritable rénovation

Je voudrais en indiquer trois qui me semblent essentielles : communion, mission, contemplation. Elles constituent d’ailleurs le thème central des trois derniers documents de la Sacrée Congrégation pour les Religieux et les Instituts Séculiers : Mutuae relationes (14-5-78), Optiones evangelicae et Dimensio contemplativa (ces deux derniers du 12-8-80).

Communion

Il s’agit fondamentalement de la « communion organique » de l’Église : unique peuple de Dieu, unique corps du Christ, unique temple de l’Esprit Saint. « Tous les membres, pasteurs, laïcs et religieux participent, selon leur manière propre, à la nature sacramentelle de l’Église : chacun, selon son rôle, doit être signe et instrument de l’union avec Dieu et du salut du monde » (MR, 4).

Quand on parle de « communion ecclésiale », il ne s’agit pas seulement de coopération élémentaire entre les religieux et les pasteurs pour une plus féconde efficacité pastorale, mais d’une réalité sacramentelle voulue par le Christ. Celui-ci a fondé l’Église à la fois sur le fondement des Apôtres et des Prophètes (cf. Ep 2,20) et il a envoyé l’Esprit pour habiter dans la communauté des croyants comme principe d’unité et de communion (LG, 13). Il est important de souligner « comme critère de participation à la communion ecclésiale, le primat de la vie dans l’Esprit sur laquelle repose l’écoute de la Parole, la prière intérieure, la conscience de vivre comme membre de tout le corps et le souci de l’unité, le fidèle accomplissement de la mission propre, le don de soi dans le service et l’humilité dans le repentir » (MR, 4).

Cette « communion organique de l’Église n’est pas exclusivement spirituelle, c’est-à-dire née pour ainsi dire de l’Esprit Saint... elle est aussi simultanément hiérarchique, en ce que, par une impulsion vitale, elle dérive du Christ chef » (MR, 5).

Dans cette « communion organique », il est important de souligner le ministère des évêques (MR, ch. 2), comme vicaires et légats du Christ chef, comme principe d’unité et d’animation, et la nature ecclésiale des religieux, appelés, en parfaite fidélité à leur charisme, don de l’Esprit, à donner dans l’Église un témoignage évident de totale donation à Dieu, option fondamentale de leur existence chrétienne (MR, 14).

Toutefois, en parlant de « communion », il faut souligner les divers niveaux à considérer :

le premier et le plus fondamental est celui d’une communion intime et profonde avec Dieu : vivre à l’écoute de la Parole, guidés par l’Esprit, en féconde dimension contemplative ;

la communion à l’intérieur de l’institut : communauté locale et communauté globale. Former une communauté profondément unie dans la prière, dans la fraternité évangélique, dans la mission et le service. Ces communautés se manifestent dans la « simplicité et dans la joie », comme la communauté primitive (Ac 2,46). Mais elles sont insérées dans la communauté plus vaste et universelle – celle de l’institut – qui cherche la communion dans la fidélité au même charisme et à la spiritualité des fondateurs, à la même règle de vie, aux mêmes supérieurs légitimes ;

la communion « intercongrégations », communion fraternelle des divers instituts pour vivre plus profondément la vie religieuse, la fidélité au charisme et collaborer dans l’union à la dimension évangélisatrice de l’Église ;

communion à l’intérieur du Peuple de Dieu que préside l’évêque. Elle se réalisera dans la mesure où :
– l’évêque promeut positivement la fidélité des religieux à leur charisme et les incorpore à l’activité et à la programmation pastorale ;
– les religieux sont vraiment sensibles aux urgences pastorales de l’Église locale, et profondément fidèles à leur charisme et à leur mission propre ;
– finalement, communion évangélisatrice avec le monde : le religieux doit se sentir partie d’une Église « sacrement de salut ».

Mission (OE)

« Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20,21). Il s’agit d’une référence particulière au monde, à l’histoire, à l’homme. C’est toute l’Église qui est envoyée au monde dans un rôle spécifique de pleine évangélisation et de promotion humaine et intégrale.

Je voudrais souligner quelques aspects :
il s’agit d’une « mission ecclésiale », qui doit donc être effectuée dans un contexte de communion ;
il s’agit d’une « réponse originale », donc dans une grande fidélité à l’être religieux et au charisme spécifique ;
il s’agit d’une « mission évangélique », qui doit être réalisée dans un contexte concret de réalité historique de salut ; d’où la nécessité d’être constamment revue à la lumière d’une fidélité complète et dynamique au Christ et à l’Église, au charisme propre, dans une réalité toujours nouvelle.

Je voudrais proposer à votre réflexion quelques problèmes plus graves de ce moment :

Le choix préférentiel pour les pauvres. Aujourd’hui, l’Église entière se sent fortement engagée dans ce choix. D’autre part, il est profondément évangélique, mais il convient de discerner dans la prière, la réflexion et l’étude, la recherche communautaire, quels sont aujourd’hui les vrais pauvres, les plus nécessiteux, les marginaux. L’Évangile – et donc la vie religieuse – ne peut exclure personne du Royaume. Cependant il est vrai que le Christ, dans le dessein du Père, a fait un choix : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a oint. Il m’a envoyé annoncer la bonne nouvelle aux pauvres » (Lc 4,18).

Il s’agit donc d’aller aux pauvres. Mais à quels pauvres ? Comment ? Pourquoi ? Il s’agit de rompre le pain aux affamés (Is 58,7). Mais quel pain ?

Ce choix pour les pauvres réclame de revoir le sens des activités et des œuvres sociales des religieux ; plus profondément encore, il demande de revoir le sens de toutes les œuvres et structures dans lesquelles la vie religieuse exerce sa mission. Il est évident que la situation actuelle du monde et les attentes particulières des hommes imposent une révision profonde : soit dans l’éducation, soit dans l’assistance sociale. Sans détruire les formes traditionnelles de présence (cherchant au contraire à les revaloriser), il faudrait penser à des formes nouvelles de mission évangélique de la vie religieuse, toujours cependant dans une profonde communion ecclésiale (cf. MR, 40-43).

La défense de la justice. La vie religieuse ne peut être étrangère à cette exigence évangélique. Mais celle-ci doit être réalisée à la lumière de la foi et en pleine communion ecclésiale. Des problèmes difficiles se présentent ici : il existe le péril d’une facile instrumentalisation politique et d’une idéologie étrangère à l’Évangile ; mais il existe également le péril d’une évasion commode d’un engagement sûrement chrétien et ecclésial. Ce problème est intimement lié au premier : le choix pour les plus pauvres. C’est seulement dans un contexte de véritable humilité personnelle, de sincère pauvreté évangélique, de profonde contemplation et de communion authentique, qu’on pourra arriver à discerner la volonté concrète salvifique de Dieu. Cette défense de la justice – engagement concret pour la défense des droits de l’homme – devra toujours être effectuée à la lumière de l’Évangile (interprété en communion ecclésiale avec le Magistère) et en vue de la paix et de la liberté chrétienne.

Il existe encore deux autres problèmes, plus délicats et plus concrets, qui peuvent atteindre la vie religieuse : l’insertion dans le monde du travail et l’engagement direct dans la « praxis politique ». Il n’existe pas de solution facile à ces questions, qui doivent toujours être examinées à la lumière de cette fidélité : à l’homme et à notre temps, au Christ et à l’Évangile, à l’Église et à sa mission dans le monde, à la vie religieuse et au charisme de l’institut (cf. OE, part. I, 3 et 4).

Le rôle spécifique du religieux dans le monde des réalités temporelles doit être examiné à l’intérieur de la communauté ecclésiale pour assurer la fidélité à l’identité propre et la relation nécessaire entre consécration et mission.

Ici encore, je voudrais souligner quelques principes :

Les religieux, participant à la mission évangélisatrice de l’Église, sentent qu’il y a une « intégration adéquate entre évangélisation et promotion humaine » (OE, Introd.), donc entre vie religieuse et promotion humaine.

Le mode le plus valide d’évangélisation pour les religieux est leur existence consacrée (cf. EN, 69) ; par conséquent, leur meilleure contribution à la promotion humaine est leur vie même vécue dans une dimension vraiment prophétique d’annonce, de joyeuse fidélité à leur charisme, à l’appel du Christ mort et ressuscité.

Ce choix évangélique pour les pauvres et pour la justice, cette légitime préoccupation pour la situation sociale, économique et politique, entre pleinement dans la mission évangélisatrice de la vie religieuse, profondément unie avec la consécration. Mais il faut alors vivre cette consécration radicale dans une fidélité joyeuse et profonde. Il faut également unir fortement, sans tomber dans une fausse dichotomie, consécration et mission.

Tout doit être vécu dans un profond climat ecclésial ; donc dans un esprit de recherche d’une communion réelle et parfois douloureuse. Je sais que c’est parfois difficile : il existe des positions radicales de part et d’autre. Plus que jamais, il est nécessaire de proclamer et de vivre le mystère pascal de mort et de résurrection, de croix et d’espérance. Cette recherche de communion suppose un grand esprit de fidélité au Seigneur, de pauvreté évangélique, de prière.

Le choix évangélique que les religieux effectuent suppose un chemin long et ardu de discernement dans l’Esprit, au niveau personnel, au niveau de la communauté locale, de l’institut, de la communauté chrétienne présidée par les pasteurs. Ce discernement ecclésial exige une sincère fidélité au Seigneur de la part des deux parties. Quand les évêques deviennent humbles auditeurs de la Parole (et donc vrais disciples), ils se montrent immédiatement comme des maîtres généreux, des prophètes, des pasteurs, des serviteurs de leurs frères. J’aime rappeler cet enseignement de MR (9,d) : « Que les pasteurs se rappellent l’avertissement apostolique de ne pas exercer leur domination sur ceux qui leur sont échus en partage, mais en se montrant les modèles du troupeau (1 P 5,3), qu’ils soient conscients du primat de la vie dans l’Esprit réclamant d’eux qu’ils soient à la fois guides et membres, vraiment pères mais aussi frères, maîtres de la foi, mais surtout condisciples devant le Christ ; maîtres de perfection pour les fidèles, mais aussi témoins de leur sanctification personnelle ».

Contemplation (DC)

Nous arrivons à un point qui me semble essentiel. On ne peut parler de vie religieuse authentique si on ne part d’une profonde configuration au Christ mort et ressuscité, d’une communion intime avec lui dans la prière et la croix, dans une contemplation sereine et joyeuse. La vie religieuse doit être une manifestation concrète et une communication du Dieu invisible, que nous avons vu, que nous avons écouté, que nous avons touché de nos mains, afin que la communion et la joie soient parfaites (cf. 1 Jn 1,1-4).

C’est toute une communauté contemplative qui s’insère profondément dans le monde. Seuls les vrais contemplatifs (hommes pauvres, guidés par le Saint-Esprit) peuvent découvrir la profonde réalité des hommes (la pauvreté et la misère, l’injustice et l’oppression) et la servir avec efficacité.

À propos de la contemplation, en référence à la vie religieuse, je voudrais souligner les points suivants :

Il s’agit d’une vraie contemplation (don de l’Esprit Saint), qui ne se détache pas de la réalité historique, mais s’insère en elle, comme Marie aux noces de Cana et dans le mystère de la Visitation. Marie, la contemplative, découvre immédiatement les problèmes et porte rapidement le salut.

Elle suppose une unité intérieure (don aussi de l’Esprit), qui ne porte pas à une dichotomie superficielle entre prière et action, mais qui fait de toute l’activité apostolique le fruit, le moyen et le début de la vraie contemplation. Dans ce sens, nous parlerons de « dimension contemplative de la vie religieuse ».

Une vraie vie contemplative suppose toujours ces trois éléments : la Parole, le désert, la communauté. Mais comment vivre cela dans une vie essentiellement active ? En vivant dans l’écoute continuelle de la Parole, en cherchant des moments intenses de désert (en s’employant pour que le désert s’installe dans notre cœur), en formant de vraies communautés évangéliques.

Finalement, je voudrais rappeler quelques moyens pratiques que nous trouvons cités dans le document sur la « dimension contemplative » :

  • écoute de la Parole de Dieu et richesse de la Liturgie des Heures ;
  • célébration des sacrements : réconciliation - Eucharistie ;
  • ascèse personnelle et communautaire ;
  • direction spirituelle ;
  • présence intime et irremplaçable de Marie.

Conclusion

Avec la figure lumineuse et simple de Marie « modèle de consécration », je voudrais conclure cette humble présentation sur la vie religieuse dans l’Église et dans le monde.

Marie est principe et image de l’Église (LG, 63-65), Mère de l’Église. Elle est la « femme nouvelle », « Mère de l’homme nouveau » (Marialis cultus). Collaborant avec le Christ Rédempteur, elle a changé l’histoire. Son « oui », fidélité à la Parole, à la croix, à l’Esprit, a donné naissance à la « nouveauté pascale ». La Vierge de l’offrande et du don. La Vierge de l’intériorité contemplative et du service. La Vierge du chemin et de l’espérance. La Vierge contemplative qui porte au monde la joie du salut.

Commençons avec Marie une nouvelle étape de notre chemin comme témoins et prophètes : hommes et femmes nouveaux, profondément renouvelés dans l’Esprit de Jésus, pour être témoins du Royaume et prophètes d’espérance.

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