Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Religieux et religieuses engagés en monde populaire

Vies Consacrées

N°1981-6 Novembre 1981

| P. 349-352 |

Ce groupe relate l’itinéraire qui a été le sien depuis quelques années. Les solidarités qui en sont nées ont renouvelé leur compréhension de la vie religieuse. Ils nous en font part dans un langage simple et direct, sans entrer cependant dans une réflexion plus approfondie sur la manière propre aux religieux de vivre une pleine solidarité avec les pauvres et de lutter avec eux contre l’injustice.

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Plusieurs groupes de religieux se sont réunis pour faire un portrait de « la vie religieuse canadienne aujourd’hui et demain » en vue de la rencontre inter-américaine. Des religieux et des religieuses du Québec engagés dans les classes populaires veulent aussi partager leur expérience et apporter leur contribution à ce portrait de famille.

D’abord un déménagement

Vatican II et la « révolution tranquille » ont suscité sur le front politique et sur le front ecclésial une certaine remise en question. De nouveaux courants se sont manifestés, dont la modernisation de l’État et la perte de contrôle pour l’Église de secteurs clefs d’influence (éducation, hôpitaux). Des religieux et religieuses du Tiers Monde questionnaient aussi nos institutions et nos implications dans la société. Cette période de transition a amené chez un certain nombre de religieux et de religieuses le besoin de redéfinir leur projet de vie.

Mais où se redéfinir ? Avec qui ? Comment ? Telles étaient nos questions. Nos institutions religieuses, secouées par la perte de leur rôle et de leur prestige, nous semblaient plus préoccupées de s’assurer de leur survie que d’essayer de relever de nouveaux défis.

C’est ainsi que de petits groupes de religieux et de religieuses ont déménagé, se sont installés dans des quartiers populaires, se sont mis à l’écoute des gens, pour se redonner une nouvelle manière de vivre. Sortir la vie religieuse de ses formes institutionnelles existantes. Se remettre à l’écoute de l’Esprit à partir des cris des hommes et des femmes de notre milieu. Redéfinir un projet de vie religieuse. Telles ont été nos premières démarches.

Des solidarités nouvelles

Nous avons appris à écouter, à regarder la réalité, à analyser les enjeux de notre société. Certains (certaines) ont opté pour le travail en usine, d’autres se sont engagés dans des groupes de leur quartier. Nous avons partagé les préoccupations de la classe ouvrière aux prises avec l’inflation, le chômage, les fermetures d’usine, la hausse du coût des loyers, les coupures dans les services de santé, d’éducation, dans les politiques sociales, etc. Ces détériorations des conditions de vie de la classe ouvrière n’empêchent pourtant pas une augmentation astronomique des profits des grosses compagnies. L’exploitation avait des visages et des situations concrètes. Les victimes étaient des amis du quartier, des compagnons de travail. Nous avons appris à connaître et à nommer des coupables et des complices de ces situations.

Solidaires avec les conditions de vie des travailleurs, nous avons été solidaires avec eux dans leurs luttes. Nous avons fait du « piquetage » devant des usines, avons participé à des manifestations et des fêtes de solidarité des travailleurs, avons boycotté des produits de compagnies exploiteuses dans le Tiers Monde, avons appuyé les luttes des assistés sociaux, des locataires, de ceux qui réclamaient des garderies, avons dénoncé les dictatures à la Somosa, Pinochet, etc., avons célébré le martyre de Mgr Romero, etc. Nous avons mieux compris pourquoi les pauvres étaient de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches. Nous avons découvert les mécanismes d’exploitation basés sur l’organisation capitaliste du travail, où la recherche maximale du profit écrase les travailleurs en leur enlevant tout contrôle sur leurs conditions de vie et toute dignité humaine.

Notre expérience fut de découvrir un monde d’injustice, de violence et d’exploitation contre la classe ouvrière, dont les victimes principales étaient les handicapés, les accidentés, les assistés sociaux, les personnes âgées, les chômeurs, les bas salariés, etc. Nous avons découvert un monde bloqué de partout et dont le principe premier est le non-partage. Dans nos ghettos protégés, nous avions souvent parlé de partage. Mais en quoi étions-nous engagés à transformer cette réalité ?

Nous refusons la société telle qu’elle est

Comme religieux et religieuses du Québec, nous sommes au cœur de la société capitaliste. Nous n’acceptons pas que la majorité des travailleurs soient vendus sur le marché d’un travail sans créativité, déshumanisant, pour les seuls profits d’une minorité. Nous n’acceptons pas le chômage voulu et organisé. Nous n’acceptons pas plus certaines retombées économiques des pays riches qui se font sur le dos du Tiers Monde. C’est avec toute la classe ouvrière organisée, syndicats et groupes populaires, que nous voulons collaborer à la lutte de la libération où les hommes et les femmes pourront vivre dans un monde de justice, de liberté et de dignité. Aimer les travailleurs, c’est se solidariser avec leurs organisations pour y bâtir collectivement une société autre.

Une vie religieuse qui se redécouvre

C’est à travers cette écoute des hommes et des femmes des usines et des quartiers populaires que s’est fait entendre aussi la Parole de Dieu, d’un Dieu incarné dans l’histoire et la vie du peuple. C’est en plongeant dans la vie réelle, à travers les conflits et les nécessaires ruptures toujours à refaire que nous avons mieux compris notre « être dans le monde sans être du monde ».

Nous vivons une expérience spirituelle qui va au-delà du binôme « action-contemplation ». Connaître Dieu, c’est faire justice, c’est rétablir l’homme écrasé et défiguré dans sa dignité de fils de Dieu, c’est avoir la passion du monde qui vient. Le culte rendu à Dieu repose sur la qualité de la justice et de l’accueil des plus pauvres.

C’est à partir du terrain des pauvres que nous approfondissons le sens de nos vœux. La pauvreté sans l’amour efficace des pauvres et la solidarité avec leurs luttes n’est plus un signe qui annonce ce qui vient. Vivre la chasteté sans prendre de risque, sans donner sa vie pour les autres, sonne très faux. C’est par le visage du combat pour la justice que nos vœux deviennent significatifs pour ceux qui luttent.

À chaque fois que nous voyons des gens relever la tête, prendre la parole, passer de l’isolement à la solidarité, entreprendre des luttes, nous reconnaissons Dieu qui fait sortir son peuple aujourd’hui.

C’est dans ce contexte que se situe notre expérience de la prière : vivre la profondeur de l’exploitation et de l’espérance. La Bible contient des prières extraordinaires d’hommes en situation de détresse et d’oppression : Job, les Lamentations de Jérémie, des psaumes, la prière de Jésus au jardin des Oliviers, etc. Nous prions en solidarité avec les opprimés pour témoigner aussi de notre espérance. Nous célébrons Dieu à partir des gestes de salut concret, dans des faits de libération. Un monde nouveau est en enfantement. C’est le sens de notre Magnificat. Le Seigneur renverse les puissants de leur trône, il élève les humbles, il comble de biens les affamés, il renvoie les riches les mains vides.

Nous voulions nous redéfinir, retrouver notre rôle dans la société d’aujourd’hui. Les travailleurs nous ont aidé à retrouver notre rôle prophétique, à nous sortir de nos peurs et de nos inquiétudes, à nous redonner l’enthousiasme dans notre vocation.

Vie religieuse dans une Église populaire

C’est à partir du terrain des pauvres que nous avons redéfini notre projet de vie religieuse. C’est sur ce même terrain que nous vivons en Église avec d’autres travailleurs chrétiens. Cette Église se bâtit à partir de la réalité et du vécu de ses membres, en solidarité avec tous les opprimés qui luttent contre l’injustice, et porteuse de l’espérance d’un monde nouveau. L’Église qui naît de ces communautés d’hommes et de femmes engagés du côté des « pauvres » et de leur libération, cette Église est déjà le signe que le Royaume est bien en train de se construire.

Ce texte est le fruit de la réflexion des signataires [1]. Ils sont en lien avec des dizaines d’autres religieux et religieuses engagés en monde populaire.

Un groupe de religieux et religieuses du Québec

[1Hélène Bournival, p.s.a. ; Claude Hardy, o.f.m. cap. ; Gilles Hébert, o.m.i. ; Marcel Lebel, c.ss.r. ; Marie-Paule Lebrun, p.s.a. ; Raymond Levac, o.m.i. ; Berthe Marcotte, p.s.a. ; Gilles Morissette, s.j. ; Margot Power, r.s.c.j. ; Nicole Rivard, n.d.a. ; Christian Sibillotte, s.a. ; Rachel Vinet, s.b.c. ; Guy Cousin, f.c. ; André Myre, s.j. ; Annette Benoît, p.s.a.

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