Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

L’évolution d’un Institut Séculier de 1936 à 1980

Germana Sommaruga

N°1981-4 Juillet 1981

| P. 246-251 |

En des pages très simples, l’auteur nous dit comment naquit, en 1936, chez elle et quelques compagnes, « l’idée » de se mettre, comme laïques consacrées, au service des mourants, des malades, des vieillards, à l’exemple de saint Camille de Lellis. Elle nous décrit les étapes par lesquelles leur recherche les mena, en « cobayes conscients », durant la période qui vit la naissance des Instituts Séculiers et l’approbation des premiers d’entre eux. Sans anticiper sur les temps, elles ont laissé mûrir les questions qui se posaient, jusqu’à ce que la lumière se fasse.

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Une inspiration

C’est de façon imprévue et comme sans préparation que notre heure a sonné en 1936 : le 6 janvier. A ce moment-là nous ignorions tout de l’histoire si mouvementée des tout premiers groupements de laïcs aspirant à mener dans le monde une vie consacrée ; nous n’étions pas au courant d’initiatives de ce genre prises par d’autres.

Pour nous il s’agissait d’une « idée » : en conformité avec la spiritualité de saint Camille de Lellis, rester dans le monde pour rejoindre en qualité de laïques - mais de laïques consacrées - les mourants, les malades, les vieillards les plus éloignés de Dieu et leur offrir l’espérance en Jésus-Christ.

Nous mettions l’accent à la fois sur la consécration, sur les frères les plus lointains, sur le monde. Nous ne saisissions pas encore toute la signification et la valeur de la sécularité, bien que « le monde » demeurât le milieu qui nous était propre. Il était question à nos yeux d’une forme de consécration séculière, non pas de sécularité consacrée.

Nous n’avons rien su à l’époque ni de la rencontre qui eut lieu en 1938 à San Gallo, ni du « mémoire » présenté au Pape Pie XII par le Père Gemelli. En revanche une aide précieuse nous fut assurée par la compréhension totale trouvée chez Mgr Cazzani, évêque de Crémone, et chez le Père Angelo Carazzo, camillien. Nous devînmes ainsi et nous appelâmes « Compagnie de Saint-Camille ».

Quelle forme lui donner ?

Une « Compagnie » qui n’était d’ailleurs pas satisfaite du point où elle en était, mais allait à la recherche. Très vite nous avons noté que notre service des infirmes était une véritable « mission » et, du coup, changé notre dénomination en celle de « Missionnaires des infirmes ». De notre « mission » nous étions contentes ; nous l’étions moins de la forme de notre consécration, dont nous sentions qu’elle était trop proche de celle des religieux, tandis que, en étudiant dans le Code de droit canonique les dispositions relatives aux « religieux » et aux « laïcs », je remarquais à maintes reprises : « Non, c’est impossible dans le monde ! Il faut un changement ! » et que le P. Carazzo nous assurait : « Le moment venu, l’Église inventera du neuf ».

Le Père mourut en 1945. Quelques mois plus tard nous sommes allées nous présenter à Rome. Mais... à qui exactement ? Une personnalité assez haut placée de la Congrégation des Religieux se montra enthousiaste de notre entreprise, mais en disant pour finir qu’il faudrait maintenant trouver un type de costume et de couvent.

Profonde déception pour nous ! La « chose », nous nous en rendions compte, était trop nouvelle, mais devait devenir encore beaucoup plus « nouvelle ». Pour ma part je confiai ma peine au Pape Pie XII. Pour toute réponse le Saint-Père se mit à rire ! Et il nous adressa au Père Larraona, alors sous-secrétaire de la même Congrégation des Religieux, fait plus tard cardinal. Ce fut un moment heureux : enfin quelqu’un avait compris ce que nous voulions ! Le P. Larraona nous demande d’attendre un an : une année à passer en prière ; alors l’Église parlerait.

La naissance des Instituts Séculiers

La Constitution Apostolique Provida Mater Ecclesia, qui donnait vie aux Instituts Séculiers, nous remplit de joie. Nous étions disposées à accueillir avec gratitude ce document qui faisait naître dans l’Église ces mouvements partis de la base, sous l’action libre de l’Esprit Saint, plus qu’à relever ses points obscurs et le flou de maintes expressions. À nos yeux cela allait de soi : nous-mêmes nous n’avions pas réussi à traduire en termes tout à fait nouveaux, réellement « séculiers », ce que nous sentions chaque jour davantage, ce que nous devenions peu à peu ; pareillement nous ne pouvions reprocher à l’Église le fait de parler, dans ce premier document, de consécration « substantiellement religieuse ». De la part de l’Église c’était déjà un grand pas en avant de reconnaître ce genre de groupements auxquels elle décernait le titre d’instituts Séculiers. Si l’on manquait encore de termes de référence qui ne fussent pas ceux de la vie religieuse classique, eh bien, la chose s’éclaircirait un peu à la fois. Et nous de conclure : maintenant que l’Église avait donné le départ, la lumière viendrait peut-être justement de la base, des personnes qui vivaient cette réalité, et la vivaient intensément, en plein monde.

Approbation de notre Institut : la sécularité consacrée

Notre Institut fut approuvé un an plus tard, après la promulgation du Motu Proprio Primo feliciter. Celui-ci a donné lieu à des réactions parfois sévères : « Primo feliciter est venu corriger Provida Mater ». A nous, au contraire, le Motu Proprio apparut non pas comme une rectification, mais comme une étape nouvelle, étape heureuse, heureuse conquête de l’Église ! Dans le nouveau document nous voyions affirmer la note de sécularité, alors que le précédent, Provida Mater, avait souligné la consécration. Le « monde » bénéficiait d’un éclairage tout nouveau.

Nous nous rendîmes compte que telle était la route que, presque sans nous en apercevoir, nous avions parcourue jour après jour. Le monde : le monde dans lequel nous vivions non pas, en vérité, par le seul fait d’y résider, mais en vertu de notre propre choix ; nous l’avions choisi de manière tout à fait consciente, dans la liberté, par volonté bien nette d’incarnation en son sein, dans l’intention d’un service à lui rendre, nous, insérées dans le monde et pour le monde.

Ainsi le monde devint l’objet premier de notre attention et de notre étude ; c’était bien logique.

L’approbation pontificale qui nous fut impartie en 1953, sans que nous l’ayons sollicitée, fut un véritable don, inattendu, et qui renforça le sentiment de la coresponsabilité qui nous incombait, dans l’Église et avec elle, nous imposant de contribuer à mettre toujours davantage en lumière ce qu’est la vocation du consacré séculier, ce qu’est la sécularité consacrée. Désormais allait nous aider la recherche poursuivie avec d’autres Missionnaires appartenant à d’autres pays : Belgique, France... Et nous serait précieuse l’amitié paternelle du P. Larraona, avec lequel il était si aisé de dialoguer, d’avoir même une discussion animée, de chercher. De notre côté nous lui exposions loyalement nos difficultés, les objections, ainsi que les projets, les initiatives, les essais, qu’ensuite nous soumettions à une évaluation : succès et insuccès... dans la recherche du dessein de Dieu sur notre Institut et, plus généralement, sur les Instituts Séculiers - nous comportant en cobayes conscients ! Je crois pouvoir dire que toujours la recherche nous a toutes intéressées et mobilisées, comme au temps de la première « idée », en 1936. Mais à présent elle était soutenue et stimulée par le P. Larraona lui-même, devenu cardinal de la Sainte Église, mais toujours resté pour nous un père et un ami.

Dans l’intervalle, le champ de notre expérience s’était élargi avec l’extension de l’Institut au Brésil, à Formose, puis au Vietnam, ensuite en Argentine, plus tard à Madagascar. Et notre recherche commençait à s’enrichir de celle que menaient, sur le plan de la pensée et de la vie, des Instituts plus répandus que le nôtre, plus importants, mieux qualifiés que notre petit Institut pour le service des mourants, des malades, des infirmes, des vieillards,...

Croissance de l’Institut

Oui, d’autres encore. C’est qu’avec le développement des moyens de communication nous avions été atteintes par toute une marée de souffrances humaines : toutes sortes de peines qui, au début de notre Institut, ne nous étaient pas présentes mais que nous n’avions jamais exclues. Désormais n’importe quelle forme de douleur devenait effectivement notre affaire ; c’est d’ailleurs ce que nous avions senti dès la toute première heure. Le mot « infirmes » prenait concrètement un sens beaucoup plus large, embrassant quiconque est victime de la souffrance et les douleurs multiformes de la personne humaine tout entière, car, avec le temps, il s’agissait moins de l’âme ou du corps, et davantage de la personne, de cette personne humaine qui, en réalité, était dès le principe l’objet de notre sollicitude.

Ainsi, dans l’Institut en expansion - et muni de l’approbation définitive de l’Église - nous avons commencé de mettre l’accent non plus sur ces « infirmes » toujours bénéficiaires de notre humble service, mais sur ce don immense de l’espérance que notre Institut s’était d’emblée senti appelé à offrir : offrir l’espérance à tous ceux qui souffrent - et en fait qui pourrait se dire exempt de souffrance ?

Tout ne fut pas toujours facile. Telle ou telle personne éprouvait l’impression d’un changement très profond de l’Institut. Mais en réalité nous avions depuis toujours accueilli parmi nous des représentantes de n’importe quelle profession, car nous étions conscientes que partout il y a de la souffrance et que partout nous pouvons porter un don de réconfort et d’espérance, précisément en remplissant chacune de notre mieux notre tâche professionnelle particulière. Nous avons préféré attendre : toujours la lumière s’était faite lentement, par une évolution accomplie quasiment à notre insu. Il importait de ne pas anticiper sur les temps.

Quel type de consécration ?

Mais aurions-nous anticipé sur les temps en fixant notre attention sur la question de nos engagements davantage et plus tôt que sur notre « mission » ? A l’époque déjà lointaine de 1947, Provida Mater avait parlé de vœux. La Lex peculiaris, traitant en son article III, § 2, de la consécration de la vie pour les membres (entendus au sens strict) des Instituts Séculiers, avait mentionné spécialement la chasteté, l’obéissance et la pauvreté, mais de plus déterminé le « type » des engagements : pour l’obéissance et la pauvreté elle parlait de vœu ou de promesse, pour le célibat et la chasteté parfaite elle employait d’autres termes : vœu, serment, consécration obligeant en conscience. Or, quant à nous, pour exprimer nos engagements, nous nous sentions poussées non point à user du mot « vœux », mais à remonter aux premiers temps du christianisme et au statut des vierges consacrées : le terme « consécration » - que la Lex peculiaris offrait pour la chasteté parfaite et le célibat, - nous aurions voulu l’adopter pour traduire de façon globale notre rapport à Dieu : une consécration engageant à garder le célibat en vue du Royaume, à vivre obéissantes et pauvres, dans l’accomplissement de notre « mission » à l’égard de nos frères en n’importe quelle situation de souffrance. Du reste Vatican II (Lumen Gentium, 44) a employé l’expression « des vœux ou d’autres liens sacrés ».

Cette fois encore les choses ne se passèrent pas facilement. Mais, dans la Section des Instituts Séculiers (dès lors annexée à la Congrégation des Religieux), l’Église soumit notre requête à un examen approfondi. Sa réponse fut affirmative. Et elle accueillit de plus la demande filiale que nous formulions de donner à notre chasteté, à notre obéissance, à notre pauvreté - aux conseils évangéliques classiques auxquels nous nous étions engagées - des contenus nouveaux, propres à mettre en relief l’initiative et la responsabilité personnelles, selon une conception où la consécration apparaît comme une démarche d’adultes, capables de répondre d’elles-mêmes à la première personne - cela sans rien récuser de ce qui était réclamé en substance par la Lex peculiaris. Entre temps, d’ailleurs, un concile avait eu lieu et Paul VI avait prononcé ses admirables discours sur les Instituts Séculiers.

Voici ce que nous sommes

C’est alors qu’il fut possible de reprendre la question du nom de notre Institut, qui de « Compagnie de Saint-Camille » s’était mué en « Missionnaires des infirmes ». À présent notre dernière Assemblée Générale, après une discussion prolongée et approfondie, a sollicité et obtenu du Saint-Siège la faculté d’insérer dans sa dénomination officielle le nom de ce Christ-Espérance que chacune d’entre nous, quelles que soient sa profession et son insertion dans le monde, doit et veut proposer à tous ceux qui souffrent.

Telle a été notre recherche, tel fut notre cheminement, tourmenté et tout à la fois serein. Nous sommes donc aujourd’hui l’Institut Séculier des « Missionnaires des infirmes Christ-Espérance ».

Via Paolo Rotta 10
I-20162 MILANO, Italie

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