Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Vie religieuse et œcuménisme

Pierre-Yves Emery

N°1981-1 Janvier 1981

| P. 23-31 |

Çà et là, Dieu appelle des frères et des sœurs issus de traditions chrétiennes différentes à vivre l’unité dans une même communauté religieuse. Ils demeurent dans une grande discrétion, accueillant dans l’humble action de grâces un don fragile et précieux. Cette unité, ils la vivent marquée du signe de la croix, parce que leurs confessions n’arrivent pas à s’unir et qu’ils veulent rester loyaux envers les Églises qui leur ont donné la foi. Alors qu’aujourd’hui l’œcuménisme semble chercher sa voie, n’y a-t-il pas là un chemin d’espérance ? Mais n’y a-t-il pas aussi à écouter les questions brûlantes que ces communautés nous posent et, plus encore, à peser avec amour leur souffrance, vécue jour après jour, de ne pouvoir s’unir dans la communion eucharistique ? Par ailleurs, leur union dans la prière et la vie quotidienne, par les liens d’estime et d’amitié qu’elle noue au plus profond de leurs êtres, nous montre la voie qui permettra d’aborder les difficultés doctrinales qui font encore obstacle à l’unité. Les textes qui suivent disent, chacun à leur manière, parfois marquée par une ecclésiologie différente de la nôtre, le vécu de ces communautés, leur souffrance, leur espérance.

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La vie monastique – ou religieuse – aurait-elle une signification et une portée œcuméniques par elle-même, en quelque sorte ? La question se pose soudain à ceux qui éprouvent la communion si directe, si totale qui peut, par-dessus les frontières confessionnelles, lier des moines ou des moniales, des religieux ou des religieuses, comme si les problèmes confessionnels classiques n’avaient pas atteint ce type de vie chrétienne. Les pages suivantes se proposent d’examiner si c’est bien le cas, et, si oui, pourquoi il en est ainsi, et la conséquence que cela doit entraîner.

Une même et unique vocation

Ce qui fait l’unité de la vie monastique – précisons : l’unité des personnes et des communautés qui reconnaissent en cette vie leur sens et leur vocation –, c’est d’abord sa genèse. Quelles que soient les formes qu’elle a prises, quels que soient les accents dont elle s’est chargée à travers les temps et les lieux, sa référence demeure ces premières générations de solitaires, en général groupés, et ces premières communautés de cénobites, que symbolisent les deux noms d’Antoine et de Pachôme. Cette référence donc est datée, approximativement du moins. L’Église primitive, telle que la dépeignent les Actes des Apôtres, va sécréter peu à peu la vie monastique, comme pour équilibrer le risque qu’elle prend en s’ouvrant plus largement au monde, vers la fin du IIIe siècle, quand prennent fin les persécutions de l’Empire. Un peu comme s’il s’avérait nécessaire que certains traits de l’évangile – une certaine rupture avec le monde et ses conformismes, une rigueur, une ascèse, une certaine folie, un accent sur la priorité de Dieu, une volonté de pauvreté – s’inscrivent dans une forme de vie particulière, menée plus ou moins en marge des Églises locales, et dans un rapport de tension dynamique avec elles.

Et cette référence est aussi localisée : l’Orient chrétien, d’où ce type de vie parviendra bientôt en Occident. Cassien demeure le témoin de cette dépendance du monachisme d’Occident par rapport à sa genèse orientale. Et les Apophtegmes des Pères sont toujours la référence spirituelle de toute vie « religieuse ».

Les moines d’Occident ont donc toujours eu conscience de ce qui les unit, par les initiateurs de leur vocation, au monachisme d’Orient : aux noms d’Antoine et de Pachôme s’ajoute en tout cas celui de Basile. Et le schisme survenu lentement entre l’Église d’Orient et celle d’Occident, et symbolisé par la rupture de 1054, n’a pas rompu ce lien originel, même s’il a raréfié les contacts et les échanges entre moines et entre monastères.

La crise du XVI e siècle

Par contre, ne faut-il pas penser que la crise du XVIe siècle en Occident a entraîné une véritable cassure confessionnelle, en ce qui concerne le monachisme ? Le traité de Luther de 1521, De votis monasticis, n’exprime-t-il pas le refus radical de la Réforme à l’égard de ce type de vie traditionnel ? Pourtant ce dernier, dès le début du XIXe siècle, puis avec plus de netteté dans ce siècle, est réapparu dans les Églises protestantes, lesquelles, bon gré mal gré, finissent par s’y reconnaître.

En réalité, le traité de Luther a une portée indéniable, mais beaucoup plus limitée qu’il ne le croyait lui-même et qu’on peut le penser au premier abord. Dans cet écrit, qu’il est permis de trouver pour le moins hâtif, violent et peu mesuré puisqu’il mélange souvent l’essentiel et l’accidentel, le Réformateur énonce un certain nombre de critiques qui atteignent de plein fouet non pas la vocation monastique comme telle, ni même le fait de s’y vouer par une promesse publique, mais la justification qu’on en donnait alors. Luther a d’ailleurs conscience que la naissance et les renaissances du monachisme ne tombent pas toutes sous ses critiques. Il s’en prend plutôt à ce que cette forme de vie est devenue à la fin du Moyen Âge, et il vise surtout ses lourdeurs institutionnelles. Toujours est-il qu’il est massif : il ne fait pas de quartiers. Et, de fait, on ne saurait ramener sa critique à celle des abus du temps. C’est bien la théologie monastique antique et traditionnelle qui se trouve ainsi mise en question. Mais, croyons-nous, c’est seulement la théologie, et non la réalité spirituelle – ce que Luther ne semble pas avoir su distinguer.

Comme l’a montré R. Esnault [1], le jugement de Luther ne s’opère pas tellement à partir de sa théologie du salut, mais d’abord à partir de sa doctrine de l’Église : c’est à titre de structure ecclésiale que le monachisme est condamné, c’est-à-dire en tant qu’« état de perfection » décrit comme un second baptême et institué par un vœu. Diverse, certes, mais unique est la grâce du baptême ; divers mais unique est l’appel à la perfection, adressé à tout chrétien à partir de l’unique sainteté du Christ et de sa Parole. Si le monachisme apparaît et se présente comme la véritable vie chrétienne, rejetant ainsi la vie chrétienne laïque dans une sorte de seconde zone, et même faisant d’elle « le monde », alors il est à rejeter absolument. Telle est la critique de Luther dans ce qu’elle a d’essentiel. Or qui, aujourd’hui, pourrait ne pas la faire sienne ? Et comment ne pas reconnaître que, dès les origines, les justifications de la vie monastique ont prêté le flanc à cette critique ? – parce que, de fait, ce type de vie s’est manifesté comme une réaction contre un danger de mondanisation dans l’Église.

À la lumière de Vatican II

Les deux chapitres que Vatican II a consacrés à l’appel à la perfection [2], sans d’ailleurs le chercher expressément, prennent en compte cette critique de Luther. La conscience de « post-chrétienté » qui s’est répandue dans les Églises d’Occident ne pouvait plus accepter la manière dont on justifiait classiquement la vie religieuse. Sans sous-estimer sa vocation à un certain maximalisme, on ne peut plus la présenter comme l’idéal chrétien. Il faut passer ici d’une pensée qui juxtapose et oppose, à une pensée qui manifeste la complémentarité des vocations dans l’Église, et mieux encore : leur réciprocité [3]. Du coup il devient plus difficile, plus délicat, de préciser en quoi consiste la spécificité de la vie religieuse, et son sens pour les autres chrétiens, sans paraître dévaloriser tant soit peu la vie séculière et le mariage.

Comme l’a suggéré K. Rahner [4], le propre de la vie religieuse, à la différence de la vie du laïc marié et engagé dans le monde, c’est de n’avoir pas de sens en dehors de la grâce et de la foi : en cela réside la radicalité de son signe. Par ailleurs les trois vœux, en concernant trois domaines essentiels de la vie humaine, et en exprimant un renoncement à des réalités qui sont bonnes au départ, et qui ont à être sanctifiées – l’échange sexuel, la possession de biens et une certaine autonomie de la volonté – semblent bien concrétiser ensemble une attitude de pauvreté volontaire, qui s’offre à Dieu comme un espace que lui seul doit habiter. Ce triple renoncement n’a pas à se présenter comme la seule ou la meilleure façon pour l’homme de se situer dans la création ; mais, par sa radicalité, et par une certaine anticipation eschatologique qui le sous-tend, il a quelque chose à dire à ceux dont l’état de vie consiste à user du monde en vue du Royaume, c’est-à-dire à en user « comme n’en usant pas », en raison de la figure passagère de cette création (1 Co 7,31).

De cette esquisse du problème, on retiendra en tout cas que ce dernier n’a plus rien de confessionnel aujourd’hui. La critique de Luther ne faisait qu’annoncer et préparer la prise de conscience théologique actuelle sur le sujet. Mais il n’a pas donné de réponse positive, et sa critique n’atteignait pas (en dépit de sa prétention à le faire) la vocation monastique elle-même. Aujourd’hui, la tâche pour les religieux de se situer dans l’Église et parmi les hommes à leur juste place, et d’exprimer celle-ci dans une théologie adéquate, leur est commune, par-delà les fissures confessionnelles.

Une vocation plus spirituelle qu’institutionnelle

Il est facile de vérifier cette expérience : moins les activités des chrétiens sont spécifiquement religieuses ou nettement ecclésiales, et moins aussi elles sont marquées par les difficultés confessionnelles. Ainsi la recherche intellectuelle, et même théologique, ou les engagements sociaux et politiques peuvent rassembler, sans problème particulier, des chrétiens entre lesquels subsistent des obstacles de foi et d’institution.

Comment imaginer alors que la vie monastique (ou religieuse), si axée sur ce qui est le plus au cœur de la vie ecclésiale, puisse rassembler occasionnellement sans difficulté, et au contraire si pleinement, des frères ou des sœurs de confessions différentes ? C’est pourtant un fait, mille occasions l’ont montré et continuent de le montrer.

Ne serait-ce pas qu’on ne cesse de majorer les problèmes confessionnels et leur étendue ? Ce fut le cas anciennement, lorsque les Églises justifiaient leur existence par leur opposition même. Ce l’est souvent aujourd’hui, par peur de minimiser les problèmes. Or, actuellement, les tensions majeures se font sentir à l’intérieur de chaque Église, du fait de la confrontation de celle-ci avec le monde sécularisé et ses multiples incertitudes. Entre les Églises, compte tenu de tout ce qu’elles ont gardé de commun depuis toujours, compte tenu aussi du même inconfort qu’elles éprouvent au sein du monde actuel, limités sont les problèmes qui, réellement, demeurent irrésolus au point d’empêcher la pleine guérison des schismes. Ils tournent autour de la théologie du ministère et de son rapport à l’eucharistie, et autour de ce ministère particulier qu’on nomme le magistère. Problèmes limités, vraiment, mais évidemment très sensibles, puisqu’ils touchent précisément à ce qui doit symboliser et réaliser l’unité concrète et visible. Problèmes essentiellement institutionnels – cet adjectif ayant ici un sens théologique, et n’étant donc ni péjoratif ni minimisant.

Or la vocation monastique, même là où elle connaît une insertion très nette, et de type institutionnel, dans l’Église, et même si elle revêt nécessairement et toujours des formes institutionnelles propres [5], est d’abord spirituelle et charismatique. Dès l’origine elle s’est située dans une certaine distance, dans une différence voulue, par rapport aux Églises locales. Et il est symptomatique que si, dans l’Église locale, le pasteur (ou l’évêque) est nécessairement et par définition, celui qui préside l’eucharistie, dans la communauté monastique, au contraire, le ministère de l’autorité n’est pas, de soi, lié à la présidence de l’eucharistie. Il ne va même pas de soi que cette communauté célèbre l’eucharistie : il est souvent arrivé, il arrive encore que ses membres se rendent à la liturgie de la paroisse voisine. Le propre de la prière monastique, c’est l’office, lequel ne relève pas du ministère des sacrements.

C’est dire du même coup que la vie « religieuse », liée à un charisme personnel, et relevant d’une autorité et d’une règle de vie que se donne la communauté elle-même, n’est pas touchée, dans ce qu’elle a de spécifique, par les problèmes qui divisent encore les confessions chrétiennes. Elle y échappe parce qu’elle est d’un autre ordre. Rien n’empêche donc des chrétiens d’origines confessionnelles différentes de se reconnaître un charisme identique et de mener ensemble la vie commune. Il semble d’ailleurs qu’ici ou là la chose cesse d’être simplement hypothétique et devienne réalité. L’étrange, peut-être, c’est qu’il ait fallu tant de temps pour y arriver !

– Mais la célébration eucharistique, dans une telle communauté ? dira-t-on. Certes c’est là un problème – et peut-être le seul... – parce que l’eucharistie ne relève pas d’un charisme personnel, et qu’elle doit se situer dans la catholicité et l’unité visibles de l’Église. Mais la question se retourne inévitablement : ne paraîtrait-il pas problématique d’un point de vue spirituel et théologique, que seule l’eucharistie sépare encore des hommes ou des femmes que rassembleraient tous les autres éléments de leur vie chrétienne ? Les raisons de cette séparation ne finiraient-elles pas par apparaître extérieures, étrangères au vécu spirituel concret, et donc artificielles ? C’est d’ailleurs la même question qui se pose à propos des foyers mixtes, et plus généralement chaque fois que des chrétiens de diverses confessions font un pas décisif les uns vers les autres. Dès ce moment, en effet, leurs appartenances confessionnelles respectives leur apparaissent moins divergentes (par rapport au passé) que convergentes (eu égard à l’avenir auquel Dieu appelle). Et du coup l’absence d’une communion eucharistique entre eux leur semble encore plus difficile à justifier théologiquement que cette communion elle-même, eu égard aux séparations confessionnelles qui subsistent. Ils sont en cela le tourment de leurs confessions respectives, parce qu’ils semblent relativiser ces dernières. En réalité, ce qu’ils relativisent, sans d’ailleurs le chercher, c’est le particularisme, l’exclusivisme, qui marquent les confessions et les maintiennent entre elles dans une simple juxtaposition – un statu quo qui n’est plus véritablement le schisme, mais pas encore vraiment une convergence dynamique.

Une vocation intrinsèquement œcuménique

Une communauté monastique fou religieuse), d’une manière plus précise qu’une Église locale, et plus large qu’une famille, est appelée à se préoccuper des aspects concrets de la vie commune. Compter en tout les uns avec les autres, vivre l’obéissance comme un chemin de communion, équilibrer les dons et les particularités personnels avec le souci d’une unanimité, essayer de faire converger les différences, qui sont certes une richesse, mais qui, de soi, tendent à l’opposition et à la dispersion. Cela ne va pas sans renoncement à ses droits, sans confiance réciproque, sans pardon, et surtout sans égards les uns pour les autres. Cela ne va pas non plus sans un réalisme, qui se méfie des positions de principe, des argumentations intellectuelles – et même théologiques – parce que, si souvent, elles servent de couverture à des attitudes psychologiques, à des blocages inconscients. Il y a un absolu de la vérité, mais son expression reste relative. Affirmée sans douceur, sans amour, et par ailleurs sans intelligence des situations concrètes, la vérité cesse déjà d’être vraie. Exprimée sans humilité et sans discrétion, l’exhortation devient coupable, elle blesse sans guérir. C’est bien souvent non pas sur d’illustres et grandes questions qu’il s’agit de mourir à soi-même, mais dans des domaines de la vie assez mesquins.

Encore faut-il qu’en relativisant sa propre importance, et en accordant aux autres leur espace de liberté et leur droit à la différence, on ne tombe pas dans l’indifférence, un relativisme démobilisateur, une tolérance désenchantée. Exigence et compréhension, ferveur et largeur de vues doivent s’accorder, se garder mutuellement.

L’unité fraternelle et la prière

Il apparaît de toute manière que l’unité fraternelle réclame des soins, des sacrifices. Sans être un but en soi, elle n’est pas de l’ordre des moyens : elle coïncide avec l’amour, qui demeure le témoignage premier et essentiel attendu de la communauté ; et elle est la condition absolue de la louange que cette communauté veut rendre à Dieu. L’unité devra souvent primer sur des initiatives, aussi légitimes et même aussi évangéliques soient-elles, qui la soumettraient à une trop grande tension. Elle doit être protégée des discussions sans fin, des controverses, des moqueries qui empoisonnent la vie commune. Elle réclame infiniment de patience, de souplesse, elle demande du temps et des forces, et elle doit se traduire dans des actes, des gestes, des signes, une attitude, sans quoi elle ne serait qu’abstraite.

Et que dire des rapports entre l’unité de la communauté et sa prière [6] ? Assurément, celle-ci n’est pas, et ne doit pas être de l’ordre des moyens : on ne prie pas dans le but de réaliser l’unité des personnes entre elles. Mais cette unité n’en est que mieux le fruit de la prière commune, dans la mesure même où celle-ci se veut plus gratuite. Car c’est la communion de chacun avec le Christ qui crée la communion fraternelle. Aussi la communauté n’est-elle jamais mieux elle-même que dans l’office : elle n’existe pas pour elle-même, ni centrée sur elle-même, mais comme une convergence de tous sur le Christ, et par lui vers le Père.

C’est un accord difficile et toujours menacé, toujours en recherche, que suppose l’office : l’accord des sensibilités, des voix, des expressions, comme aussi des cœurs, de ce qu’il y a de plus personnel en chacun. Et c’est cet accord – au moins ce désir d’accord – qui fera la substance de l’office. C’est dire en même temps à quel point la prière commune exige l’unité et combien elle l’exprime et la réalise dans sa forme la plus essentielle.

La caractéristique d’une prière monastique, c’est d’être régulière : elle façonne au long des jours la communion, et, loin de s’y surajouter, elle en devient le temps fort, la forme majeure.

Un témoignage œcuménique au sein des Églises

L’Église est communion et la tâche de l’œcuménisme est de retrouver la pleine expression de cette communion. N’est-il pas évident que la communauté monastique (ou religieuse), par la communion très étroite, concrète, essentielle, qu’elle doit réaliser, est pour ses membres le creuset par excellence de leur sens œcuménique ? C’est là qu’ils en font le constant apprentissage, qu’ils en mesurent l’enjeu, la valeur et l’exigence. C’est là qu’ils découvrent en particulier que la prière occasionnelle pour l’« unité des chrétiens » n’a de sens que si elle vise à devenir une dimension normale et habituelle de toute prière d’Église.

Dès lors leur existence même peut être considérée comme un témoignage œcuménique au sein des Églises, en ce sens que l’œcuménisme désigne simplement la quête de la communion à un certain niveau de la vie ecclésiale, et que la quête de communion est une dimension normale et centrale de tout ce qui peut constituer la vie des chrétiens.

Car, c’est un fait : l’œcuménisme risque surtout de demeurer un effort en plus et en marge de ce qui fait la vie de chaque Église. Il n’est donc pas indifférent de noter que toute quête sérieuse, profonde et fidèle d’une communion fraternelle insère du même coup dans le mystère de la communion universelle et de son remembrement. Pour les moines, les religieux, l’œcuménisme n’a rien de marginal. Il ne leur est peut-être pas tellement demandé de l’exprimer autrement que par une certaine manière d’être d’Église : une manière en même temps spirituelle et universelle. Ils sont bien placés pour savoir et pour rappeler que le spirituel a le pas sur l’institutionnel, et que ce dernier, à moins d’être relatif au spirituel, et à son service, comme une forme pour le recueillir, perd son sens et devient un obstacle.

En outre, les religieux sont bien placés aussi pour savoir et pour rappeler que l’espérance eschatologique (dont toute unité, toute communion est toujours un aspect) implique une attitude en même temps réaliste et prospective. Par exemple, il faut quelquefois se contenter, temporairement, d’un moindre mal, à défaut d’une solution idéale. Il faut reconnaître aussi que les formes institutionnelles expriment parfois plus de communion qu’on n’est capable d’en vivre dans le moment. Ou, au contraire, il arrive qu’il faille se rendre à l’évidence : la communion réelle enjambe dans certains cas ce que ses formes institutionnelles sont encore difficilement capables d’exprimer et de justifier. Mais un certain réalisme de la vie doit supporter des situations que seul un avenir entrevu, attendu et activement préparé, pourra légitimer. Du niveau le plus local au niveau le plus universel, la communion est toujours de l’ordre d’une promesse : elle est déjà donnée et encore attendue, et ne coïncide donc jamais tout à fait avec les médiations de communication dans lesquelles on tente de la saisir et dans lesquelles on a la volonté de l’exprimer. Mais cela, il n’est que l’expérience très concrète de la vie commune pour le faire découvrir et accepter.

F 71250 TAIZÉ-Communauté, France

[1Luther et le monachisme d’aujourd’hui, Genève 1964 ; voir aussi la présentation que nous en avons faite dans Verbum Caro, 78 (1966), 82 ss.

[2Lumen Gentium, Ch. V et VI.

[3Cf. notre article sur ce thème, « La réciprocité des vocations », Recherche œcuménique, Prière et action, Tournai, Éd. C.D.C., 1970, 181 ss.

[4« Théologie de la vie monastique », in Les religieux aujourd’hui et demain, Paris, 1964, 82 s.

[5On nous avait demandé un jour de le montrer pour la Communauté de Taizé : cf. notre article dans Collectanea cisterciensia, 1966, 153 ss.

[6Nous avons développé ce thème dans « Vie liturgique et vie de communauté », La Maison-Dieu, 95 (1968), 118 ss.

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