Lettre ouverte de Mère Teresa
Vies Consacrées
N°1979-3 • Mai 1979
| P. 164-166 |
Nous reproduisons ici la plus grande partie du message adressé le 25 mars 1979 par la Mère Teresa de Calcutta à Monsieur Morarji Desai, Premier Ministre de l’Inde, et aux Membres du Parlement indien, à propos de la proposition de loi de 1978 sur la liberté de religion.
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Monsieur Desai, Messieurs les Membres du Parlement,
Après maintes prières et maints sacrifices, je vous écris pour vous demander de vous mettre devant Dieu dans la prière, avant de prendre la décision qui ruinera la joie et la liberté de notre peuple.
Notre peuple – vous le savez mieux que moi – est un peuple qui craint Dieu. De quelque manière que vous l’approchiez, cette présence de Dieu, la crainte de Dieu est en lui. Aujourd’hui, dans tout le pays, chacun se sent menacé parce qu’il est porté atteinte à l’essence même de la liberté de conscience.
La religion n’est pas quelque chose à quoi vous et moi puissions toucher. La religion est le culte de Dieu – et par conséquent une affaire de conscience. C’est moi seule qui dois décider pour moi-même, et vous pour vous-mêmes, le choix que nous faisons. Pour moi, la religion que je pratique et où je rends un culte à Dieu est la religion catholique. Elle est pour moi ma vie même, ma joie et le plus grand don de Dieu dans son amour pour moi. Il n’aurait pu me faire un don plus grand.
J’aime beaucoup mon peuple, plus que moi-même, et donc naturellement je souhaiterais lui procurer la joie de posséder ce trésor, mais il ne m’appartient pas de le donner, et je ne puis non plus contraindre personne à l’accepter. Donc aussi personne, aucune loi, aucun gouvernement n’a le droit de m’empêcher ni de me forcer, pas plus qu’aucun autre, si je choisis d’observer la religion qui me donne paix, joie, amour.
On m’a dit que Gandhiji avait déclaré : « Si les chrétiens menaient leur vie conformément à l’enseignement de Jésus-Christ, il ne resterait pas d’hindous en Inde. » Vous ne pouvez donner ce que vous n’avez pas.
Cette nouvelle proposition soumise au Parlement sous le couvert de la liberté de religion est un mensonge. Il n’y a pas de liberté, si l’on n’est pas libre de choisir conformément à sa conscience. Notre peuple à Arunachal est tellement troublé. Pendant toutes ces années-ci, nos concitoyens ont vécu ensemble en paix. A présent, la religion est employée comme une arme mortelle pour détruire l’amour qu’ils avaient les uns pour les autres, simplement parce que certains sont chrétiens, d’autres hindous, d’autres de religion tribale. N’avez-vous pas peur de Dieu ?
Vous l’appelez ISHWAR, certains l’appellent ALLAH, d’autres simplement DIEU. Mais tous nous devons reconnaître que c’est LUI qui nous a faits pour de plus grandes choses : pour aimer et être aimés. Qui sommes-nous, pour empêcher notre peuple de trouver ce Dieu qui les a faits, qui les aime, à qui ils doivent retourner ?
Vous avez assumé votre devoir sacré au nom de Dieu, en reconnaissant le droit suprême de Dieu sur notre pays et son peuple. C’était si beau. Mais maintenant j’ai peur pour vous. J’ai peur pour notre peuple. L’autorisation de l’avortement a causé tant de haine – car si une mère tue son propre enfant, que reste-t-il pour les autres, sinon de se tuer mutuellement ? Vous ne savez pas ce que l’avortement a fait et fait encore à notre peuple. Il y a tellement d’immoralité, tant de foyers brisés, un si grand trouble psychique dans la conscience de la mère à cause du meurtre de l’enfant innocent avant sa naissance ! Vous ne savez pas combien ce mal se répand partout.
Monsieur Desai, vous êtes si près de rencontrer Dieu face à face. Je me demande quelle réponse vous donnerez pour avoir permis la destruction de la vie de l’enfant innocent encore à naître, et pour avoir détruit la liberté de servir Dieu conformément au choix et à la foi de chacun. A l’heure de la mort, je crois que nous serons jugés d’après les paroles de Jésus, qui a dit : « J’avais faim, vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, vous m’avez donné à boire ; j’étais abandonné et vous m’avez recueilli ; j’étais nu, vous m’avez vêtu ; d’après les paroles de Jésus, qui a dit : « J’avais faim, vous m’avez visité. Vraiment je vous le dis, car chaque fois que vous l’avez fait à ceux-ci, les moindres de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » – Gandhiji a dit également : « Qui sert les pauvres, sert Dieu. »
Je passe des heures et des heures à servir les malades et les mourants, les non-désirés, les non-aimés, les lépreux, les malades mentaux, parce que j’aime Dieu et que je crois en sa parole : « C’est à moi que vous l’avez fait. » Voilà l’unique raison et la joie de ma vie : L’aimer et Le servir sous le déguisement désolant des pauvres, des non-désirés, des affamés, des assoiffés, des sans-habits, des sans-maison, et naturellement, en le faisant, je proclame son amour et sa compassion pour chacun de mes frères et sœurs souffrants.
Monsieur Desai, Messieurs les Membres du Parlement, au nom de Dieu, ne détruisez pas la liberté que notre pays et notre peuple ont toujours eue de servir et d’aimer Dieu conformément à leur conscience et à leur foi. Ne dépréciez pas notre religion hindoue en disant que nos pauvres gens hindous abandonnent leur religion pour « une assiette de riz ». A ma connaissance, je ne l’ai jamais vu faire, bien que des milliers soient morts entre nos mains, merveilleusement en paix avec Dieu.
Je me souviens d’avoir recueilli dans la rue un indigent quasi dévoré par les vers. Il disait avec reconnaissance : « J’ai vécu dans la rue comme un animal, mais je vais mourir comme un ange, aimé et soigné. » Et il mourut d’une belle mort, aimé et soigné, en paix avec Dieu.
Je vous prie et vous supplie de décréter un jour de prière dans le pays entier. Les catholiques de notre pays ont décidé d’observer dans toute l’Inde un jour de jeûne, de prière et de sacrifices, le vendredi 6 avril, pour le maintien de la paix et de l’harmonie entre communautés, et pour obtenir que l’Inde fasse honneur à sa noble tradition de liberté religieuse. Je vous demande de proposer une journée semblable d’intercession dans toutes les communautés de notre pays, pour que nous obtenions la paix, l’unité et l’amour, pour que nous devenions un seul cœur plein d’amour et qu’ainsi nous soyons le rayonnement de l’amour de Dieu, l’espoir du bonheur éternel et la flamme brûlante de l’amour et de la compassion de Dieu dans nos familles, dans notre pays et dans le monde.
Que Dieu vous bénisse.
(s) M. Teresa, M.C.