La vie religieuse au service de la promotion humaine
Vincent de Couesnongle, o.p.
N°1979-3 • Mai 1979
| P. 145-163 |
La solidarité des religieux dans la recherche en faveur de la promotion humaine ne relève pas d’un slogan ou d’une mode passagère ; il s’agit d’un appel profond de l’Esprit. C’est pourquoi il importe de préciser leur rôle spécifique en ce domaine. L’auteur s’y attache ici. Il montre d’abord comment la situation actuelle nous interroge dans notre être et dans notre agir. Dans une seconde partie, il évoque et tente de préciser un certain nombre de « nouveaux lieux » et de nouvelles situations apostoliques, et invite à une grande disponibilité à l’Esprit, afin de pouvoir reconnaître ses appels et d’y répondre.
La lecture en ligne de l’article est en accès libre.
Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.
La sensibilité des religieux au problème de la promotion de l’homme se situe dans un contexte plus large, celui de la sensibilité des chrétiens à cet égard [1].
Ces dernières années, documents pontificaux ou épiscopaux, créations d’organisations en faveur des droits de l’homme, pour la justice ou le développement, ont alerté la conscience des croyants. Et les religieux s’interrogent sur leur rôle spécifique dans cet effort pour rendre le monde meilleur. Vus sous l’angle de la promotion humaine, quel témoignage, quelle parole spéciale doivent porter les religieux ?
Confrontant la vie religieuse à la promotion de l’homme, nous ferons comme une « relecture » riche et exigeante de ses composantes essentielles.
Perspectives générales
La mission de l’Église
L’Église a toujours eu conscience de sa mission en faveur de la promotion humaine intégrale, ce qualificatif soulignant, à côté du bien fondamental de l’homme qui ne peut être qu’en Dieu, la réalisation proprement humaine de l’homme [2].
Sous cet aspect, les chrétiens et l’Église se trouvent à l’heure actuelle dans une conjoncture nouvelle. Alors que, face à l’évolution industrielle du monde et à la situation des hommes qui travaillent, l’enseignement de Léon XIII et de ses plus proches successeurs n’a trouvé, il faut le dire, qu’un écho limité, il n’en a pas été de même avec Jean XXIII, le Concile Vatican II et Paul VI. Leur enseignement a en effet rencontré l’ensemble des chrétiens devenus beaucoup plus sensibles aux problèmes de la paix, de la faim, de la justice, du développement du monde.
Si la charité envers le prochain reste la source de tout travail en faveur de l’homme, les chrétiens découvrent les exigences de la justice et d’une action sur les structures sociales. Pendant des siècles, ils ont surtout « guéri », « pansé » les blessures. Actuellement, poussés par l’Évangile à prendre leurs responsabilités, ils saisissent beaucoup mieux que leur rôle dans la construction d’un monde en expansion a aussi une dimension socio-politique [3].
Les mass-média ont joué un rôle de premier plan dans le changement de mentalité. L’ampleur, l’urgence, la « géographie » même des problèmes du développement ont été mieux perçus par les chrétiens. À l’encontre des décennies précédentes, ceux-ci mesurent aujourd’hui l’importance et l’actualité de l’enseignement de l’Église en ces domaines. Cet enseignement intéresse même de plus en plus les non-chrétiens qui sont devenus avides de tout éclairage porté à ces problèmes urgents, quelle qu’en soit l’origine.
Rôle spécifique des religieux
L’histoire de l’Église montre comment des chrétiens, dans leur désir de vivre plus radicalement l’Évangile, ont au cours des siècles senti la nécessité de répondre aux besoins des plus défavorisés. Religieux et religieuses ont créé des œuvres en ce sens. Sans employer les termes promotion humaine ou socio-politique, les réalités correspondaient à cela, et ces actions avaient une incidence effective pour le bien de la cité. Dans l’intervention, très remarquable par son réalisme et sa finesse psychologique, Mère Linscott, présidente de l’Union Internationale des Supérieures Générales (U.I.S.G.), a évoqué ce point à la réunion de la Sacrée Congrégation [4]. L’histoire montre à profusion que dès qu’on a permis aux religieuses de ne plus rester enfermées dans leurs cloîtres, elles ont joué dans les hôpitaux, les écoles, toutes sortes d’œuvres, un rôle de premier plan pour le mieux-être de la société profane ; de ce fait elles avaient une influence « politique » au sens non partisan du terme, mais combien importante.
L’enquête préparatoire de la Congrégation a montré la nouveauté et l’ampleur de l’engagement des religieux en faveur de l’homme ainsi que les problèmes particuliers qui surgissent, entre autres, de la sécularisation ambiante et du fait qu’il ne s’agit plus seulement de « guérir » mais aussi de travailler à « promouvoir » un monde plus juste et meilleur.
C’est dans ce contexte que se pose aujourd’hui avec une acuité nouvelle la question du rôle spécifique des religieux en ce domaine.
Le projet fondamental de la vie religieuse est toujours le même : être des hommes et des femmes du « radicalisme des béatitudes » et de l’absolu de Dieu. Notre identité foncière n’a pas changé. Mais ce que l’Église veut annoncer à notre monde en expansion, ce qu’elle veut y faire, ne peut pas ne pas questionner les religieux, en leur être et en leur agir.
Interrogation dans notre être
Face au monde qui présente un idéal de développement qui fait de l’homme, consciemment ou non, un absolu, nous sommes appelés à approfondir notre propre projet pour qu’il devienne une « parole » d’Église aux hommes. C’est d’une autre conception de l’homme, d’une autre anthropologie qu’il s’agit.
À la belle affirmation de Paul VI : La cause de la vie religieuse est celle de Jésus-Christ, on pourrait ajouter, sans crainte d’être contredit : Elle est aussi celle de l’homme lui-même [5]. D’où la question : l’Église a-t-elle aujourd’hui une image de l’homme à proposer ? Une image, un projet qui puisse rencontrer les aspirations les plus profondes de l’humanité, laquelle fait chaque jour davantage l’expérience, dans un monde qui prétend la combler, que l’homme n’est pas seulement un être de besoin, mais un être de désir dont les aspirations dépassent toute limite. Le « profil de plénitude » existe dans la pensée de l’Église. Pour en rappeler l’existence, il ne suffit cependant pas d’invoquer la vie chrétienne en général. Il faut percevoir des signes d’une densité et d’une radicalité plus parlantes. C’est ainsi que, selon le P. J.-M. Tillard : « La vie religieuse est un don que l’Esprit Saint fait au peuple de Dieu comme tel pour que lui soit révélée la « strate » (la couche) la plus profonde mais aussi la plus mystérieuse et la moins perceptible de sa réalité de peuple de Dieu [6] ». On comprendra alors comment le religieux peut révéler l’ouverture spirituelle qui existe en creux dans les formes les plus variées d’expérience humaine, même dans ses sursauts et ses déroutes : déchéance de l’alcoolisme, mouvement hippie, drogue, tous les « mai 68 ». On percevra aussi combien le témoignage des religieux est susceptible d’éviter que la promotion humaine, hypostasiant l’homme, tourne court ou se prenne elle-même pour sa propre fin. En parlant de promotion humaine intégrale, nous affirmons le devoir de promouvoir l’homme dans ses dimensions humaines, mais nous affirmons aussi que l’homme est fait pour plus ; et c’est ce plus dont le projet fondamental du religieux doit témoigner.
Le projet fondamental de la vie religieuse se rend visible, toujours en termes de promotion humaine, par les éléments principaux qui le constituent.
L’orientation qui définit ce projet revêt une valeur topique dans le monde actuel. Avec sa technique et les contraintes de l’économie, celui-ci a tendance à réduire l’homme à sa fonction de production et de consommation : « homo consumens », pour reprendre une parole du Père Arrupe [7].
La communauté religieuse n’envisage pas l’homme au plan de l’avoir, ni même de l’efficacité mondaine. Ce qui l’intéresse, ce ne doit pas être l’homme-fonction, l’homme-autre, mais le prochain : un frère ou une sœur appelé à vivre, avec d’autres frères ou d’autres sœurs, d’un appel commun et personnalisé du Seigneur.
Une vie commune nourrie des valeurs évangéliques doit manifester aux hommes qu’ils peuvent vivre ensemble sans s’entr’égorger, que les relations interpersonnelles ne sont pas une chimère et que la communauté humaine est chose possible.
Elle devrait être, au regard des nantis, une critique et une contestation de l’avoir sous toutes ses formes ainsi que du pouvoir que toute richesse favorise. Les rappels aussi généreux que généraux de l’Évangile ne suffisent pas. Les yeux et le cœur de l’homme ont besoin d’Évangile vécu à l’extrême. La pauvreté du religieux devrait jouer ce rôle.
La pratique de cette exigence pose de nombreuses questions : complexité des réalités en cause, différences des situations personnelles, incidences géographiques et sociales selon les pays. Ne disons pas que la nécessité de rendre compte de ses dépenses ou de mettre en commun son argent suffit à faire de nous des témoins perceptibles de la pauvreté évangélique pour notre monde !
Envisagée par rapport à ce qu’est l’avoir à l’heure actuelle, l’âme de notre pauvreté ne serait-elle pas liée à une certaine forme de dépendance ? Selon la très belle expression de G. Bernanos, le pauvre est également celui « qui vit non seulement de l’ouvrage de ses mains, mais aussi de la fraternité des autres pauvres, des mille et une petites ressources de la pauvreté, du prévu et de l’imprévu [8] ». Cette dépendance va très loin et se trouve constante. Du prêtre-ouvrier, dépendant des rythmes de travail, des conditionnements économiques, de la solidarité des camarades, au Supérieur général au service de l’Institut et de ses membres, n’y a-t-il pas une certaine forme commune ? Vivre l’Évangile, vivre pauvrement, c’est pour l’un comme pour l’autre accepter d’être de moins en moins soi-même, de « s’avoir » de moins en moins.
C’est à la mesure de leur véritable pauvreté, que les religieux comprendront les défavorisés, leur seront solidaires et pourront parler en leur nom. Programme enthousiasmant ! La réalité est-elle convaincante ?
Pour construire ce monde meilleur auquel rêvent les humains, combien de trains doivent chaque matin à l’aube conduire leur cargaison d’hommes et de femmes à leurs usines, leurs ateliers, leurs bureaux ! C’est l’« obéissance de la vie » que connaissent tant de gens : entassement des transports publics, contrainte du travail professionnel, horaires épuisants de jour et de nuit, responsabilités écrasantes, etc. Devant tout cela, un religieux peut-il, sans vergogne, mettre en balance la rigueur et les exigences de sa profession d’obéissance ?
Sans doute, la différence des situations doit être pour lui une invitation continuelle à renouveler et intensifier la vérité de son obéissance religieuse. Pourtant ce serait une erreur de ne voir celle-ci que de l’extérieur.
Pour celui qui sait regarder plus avant – ne serait-ce qu’avec ses yeux d’homme – l’obéissance du religieux est une réalité profondément humaine. C’est un choix libre, et non une contrainte. Ce n’est pas un esclavage parce que cette obéissance est rencontre de personne à personne dans la poursuite commune de la « suite du Christ ». Le religieux n’a pas en face de lui une autorité qui le réduirait à sa fonction ou une collectivité sans visage qui ne verrait en lui qu’un rouage dans l’immense machine. Si le supérieur doit décider, il doit aussi – et même d’abord – « solliciter l’avis de ses religieux, stimuler leur responsabilité et favoriser la collaboration de tous pour le bien de la communauté et le salut des hommes [9]. » Enfin, dépassant tout projet purement individuel, l’obéissance religieuse installe ceux qui la professent dans une communauté dont l’ultime raison d’être est le service du Peuple de Dieu. Comment nier que cet élargissement de vision ne soit pas aussi valeur humaine ?
Sans doute y a-t-il bien plus que cela dans l’obéissance religieuse. Sa source et sa lumière, c’est le Christ Jésus « obéissant jusqu’à la mort et la mort de la croix », « sacrement de toute obéissance » pourrait-on dire, dans la mesure où sa mort et sa résurrection témoignent de la remise aimante et confiante de toute sa vie à la volonté du Père, dans la mesure aussi où elles sont sources de grâce pour ceux qui veulent vivre l’Évangile.
Folie aux yeux des hommes, l’obéissance religieuse est sagesse et sagesse humaine pour ceux qui savent découvrir toutes les valeurs proprement humaines qu’elle recèle. Dans toute entreprise de promotion de l’homme, elle a un rôle irremplaçable à jouer : apprendre aux hommes à humaniser l’assujettissement continuel qui pèse sur eux au moment même où ils prétendent se libérer ; montrer que la source de cette humanisation se trouve dans l’Évangile.
Quant à la chasteté, on peut la considérer ici comme la réalité qui nous rend plus disponibles, permettant d’« avoir souci des affaires de Dieu » (1 Co 7, 32) et de se donner au prochain avec l’amour même du Christ. Le célibat consacré qualifie donc des hommes et des femmes pour le service absolu des autres et selon leurs urgences. Mais cette réorganisation des énergies humaines par la grâce des béatitudes doit être sous-tendue par la contemplation, cette contemplation qui, selon Perfectae caritatis [10], n’est pas le propre des seuls contemplatifs mais est une dimension de toute vie religieuse. Contemplation qui donne à toute vie humaine un rayonnement, une sérénité auxquels les hommes sont sensibles et qui témoignent d’autres valeurs humaines. Qu’on songe à une Mère Teresa de Calcutta.
Au terme de ces remarques sur notre être religieux dans la perspective de la promotion humaine, on voit comment, par son projet fondamental, sa communauté de vie, ses vœux, tout ce qui l’inspire, la vie religieuse – par elle-même – fait déjà entendre un message au monde en mal de progrès. Ce message sera entendu à condition que les religieux vivent pleinement les engagements qu’ils ont professés. Paradoxalement, l’aspiration du monde actuel à une promotion toujours plus poussée de l’homme en ses valeurs propres doit donc nous pousser à un engagement religieux plus profond, et en même temps plus visible parce que davantage incarné dans la réalité contemporaine. A cette condition seulement notre être religieux sera déjà par lui-même parole d’Église, contestatrice du monde d’aujourd’hui.
Interrogation dans notre agir
Relisons le n° 52 de l’Exhortation de Paul VI, Evangelica testificatio : « Une question brûlante nous hante aujourd’hui : comment faire passer le message évangélique dans la civilisation de masses ? Comment agir aux niveaux où s’élabore une nouvelle culture, où s’instaure un nouveau type d’homme qui croit n’avoir pas besoin de rédemption ?... Chers religieux et religieuses, selon les modes que requiert l’appel de Dieu à vos familles spirituelles, il faut que vos yeux s’ouvrent tout grands sur les besoins des hommes, leurs problèmes, leurs recherches, témoignant parmi eux, dans la prière et dans l’action, de la force de la bonne nouvelle d’amour, de justice et de paix [11] ». Le Pape insiste alors sur la nécessaire transformation des mœurs, des mentalités et des cœurs, et souligne comment cette tâche est celle des religieux à un titre particulier. C’est dire que le monde présent interpelle également notre agir de religieux.
Trois pistes devraient ici retenir notre attention.
La signification théorique et pratique de cette requête suppose en effet une réflexion christologique et ecclésiastique. On sait comment à la suite de Vatican II et de son ouverture au monde, les biblistes et les théologiens relisent l’Évangile en des perspectives nouvelles. Ils y découvrent certains aspects du visage du Christ qui jusqu’ici étaient restés dans l’ombre (par exemple « l’homme pour les autres »). La tentation peut être de privilégier indûment certains de ces nouveaux traits et d’évacuer la relation fondamentale de Jésus à son Père. Cette relecture de l’Évangile n’est pas sans conséquence pour une vie religieuse qui doit, dans son apostolat comme dans sa vie, se référer davantage au monde [12]. De même du point de vue ecclésiologique. Pour la vie religieuse comme pour tant d’autres problèmes, on n’a pas encore dégagé tout ce que Lumen gentium apporte de lumière aux problèmes très précis qui nous arrêtent : à l’intérieur du peuple de Dieu, à l’intérieur du mystère et de la mission de l’Église, qu’est-ce qui caractérise théologiquement les religieux prêtres dans leur agir en faveur de la promotion humaine intégrale ? Qu’est-ce qui les distingue des laïcs, des religieux non-prêtres, voire même des Instituts séculiers ?
Autre piste de réflexion. Étant donné ce qu’est la vie religieuse en tous ses éléments, n’y a-t-il pas dans le monde d’aujourd’hui certains engagements apostoliques qui s’accordent davantage avec elle ? Être maîtresse d’école, jardinière d’enfants, infirmière, etc., convenait parfaitement hier à une religieuse ; être maître d’école, professeur, animateur de jeunes à un religieux, cela vient de la situation du monde d’alors, des possibilités de l’Église et du caractère des religieux et religieuses de ce temps. Sans aller jusqu’à déclarer périmé ce qui a toujours valeur, ne faudrait-il pas s’interroger sur l’incidence de nouvelles « convenances » en partant des besoins et possibilités de l’Église présente, du monde tel qu’il se fait et des religieux tels qu’ils sont en cette fin de siècle ? On pourrait reprendre ici ce qu’on a écrit plus haut sur « notre être » de religieux face au monde d’aujourd’hui et se demander où et comment les valeurs évangéliques que nous vivons et qui suscitent ce qu’on peut appeler une anthropologie différente de l’anthropologie « mondaine » d’aujourd’hui – respect de l’homme, relations interpersonnelles, l’« être » supérieur à l’« avoir » et au « pouvoir », etc. – peuvent être vécues et témoignées d’une manière plus sensible pour les hommes de notre temps. Ces nouvelles sensibilités et ces nouveaux besoins devraient nous faire découvrir de nouveaux lieux apostoliques. Pensons aux drogués, aux ex-prisonniers, aux handicapés, aux « exclus » de toute sorte. Sans parler de tant d’autres lieux et espaces. Problèmes de choix en réponse aux appels adressés par l’Évangile et l’Église aux religieux d’aujourd’hui en faveur d’un monde meilleur.
Dans ce choix et ces engagements – troisième piste – on doit tenir compte de plusieurs critères : le charisme de l’Institut, les possibilités naturelles de chacun, les besoins de l’Église locale et ceux de l’Église universelle.
Cet effort de renouvellement et d’actualisation, principalement dans la dynamique des intuitions du fondateur, comme le souhaite le IIe Concile du Vatican, n’est pas « entreprise archéologique ». Ce retour aux sources nous rend présents à notre temps. Les charismes d’autrefois, dans la mesure où ils furent d’authentiques charismes, retrouvent toute leur vigueur pour répondre aux besoins nouveaux d’une époque, à la condition que corresponde chez les communautés et les individus une réelle disponibilité à l’Esprit [13].
Engagements des religieux pour la promotion humaine
Mais beaucoup plus que les considérations abstraites, ce sont les problèmes pratiques qui doivent retenir l’attention, provoquer notre réflexion et conduire à des engagements effectifs.
Œuvres et activités apostoliques traditionnelles
Une nouvelle mentalité, consciente des liens entre évangélisation et promotion humaine, doit favoriser un examen de nos activités et stimuler l’invention. Comme le dit Paul VI dans Evangelii nuntiandi : « Il est impossible d’accepter que l’œuvre d’évangélisation puisse ou doive négliger les questions extrêmement graves agitées aujourd’hui, concernant la justice, la libération, le développement et la paix dans le monde. Si cela arrivait ce serait ignorer la doctrine de l’Évangile, sur l’amour envers le prochain qui souffre ou est dans le besoin [14] ».
Ce rappel a d’abord valeur pour les œuvres et activités dites traditionnelles. Car l’évangélisation qu’elles visent d’une manière ou d’une autre doit, plus que dans le passé, inclure les exigences de développement des hommes auxquels on s’adresse.
En premier lieu, une revitalisation et une réactualisation de ces œuvres (hôpitaux, centres sociaux, écoles, etc.) s’imposent à cette lumière. Un enseignement correspondant aux situations et exigences actuelles doit être dispensé. Que dit-on en ce domaine aux élèves de nos écoles ? Pour les œuvres sanitaires, on doit insister sur le contact réel des religieux ou religieuses avec les malades, aux dépens peut-être de travaux administratifs ou qui demandent compétence. Quel malade n’a été frappé du fait qu’il avait beaucoup plus de relations avec les « servantes de salle » qu’avec les religieuses chargées de l’administration... ou de la piqûre quotidienne ?
Continuer ne suffit pas. Il faut inventer, créer de nouvelles formes de présence, prendre des initiatives, et cela au nom du « sens de la personne » inhérent à l’expérience religieuse elle-même, dans une imitation créatrice des fondateurs d’instituts. C’est parce qu’ils connaissaient le monde dans lequel ils vivaient et savaient où se trouvaient les pauvres, les petits, les marginaux, qu’ils ont découvert des chemins nouveaux. Alors qu’on parle tant de créativité, serions-nous aveugles et apathiques aujourd’hui quand il s’agit de créer des œuvres nouvelles du type qu’on dit traditionnel ?
Pour les vrais inventeurs « rien n’est jamais dit et ils viennent toujours trop tôt au regard des continuateurs et des peureux ».
Interventions publiques en faveur des grandes valeurs de l’homme
Jean XXIII et Paul VI ont souvent insisté sur les valeurs fondamentales que sont la justice, la paix, la liberté et la vérité. Les interventions publiques en leur faveur se multiplient. Manifestations de rue, radio, presse, télévision ont pris la place du crieur public de jadis. Les régimes autoritaires donnent un autre sens à ces interventions et posent des problèmes délicats à l’Église en général et en particulier aux religieux, qui sont de plus en plus souvent aux premières lignes.
On se trouve devant deux mentalités qui sont aussi deux familles d’esprit. Il y a les évêques, prêtres, religieux et laïcs pour qui il semble toujours préférable de « composer » avec ceux qui sont cause d’injustice. Et il y a ceux qui pensent qu’il faut s’opposer, protester, manifester...
À quelles conditions un religieux – prêtre ou non-prêtre – ou une religieuse, peuvent-ils participer à ces interventions, en être les instigateurs ? Sans doute, un chrétien n’est jamais trop solidaire des défavorisés. Toutefois, même s’il agit à titre purement personnel, il engage d’une manière ou d’une autre sa communauté, son Institut, l’Église même. De ce fait, a-t-il le droit de prendre telles ou telles initiatives sans en parler avec les membres de sa communauté, sans s’en ouvrir à ses supérieurs ? Sauf cas très rares : non. Mais ne sera-t-il pas tenté de juger que ses interventions portent toujours sur des cas exceptionnels ? De toute façon, il n’est pas souvent aisé de trouver le chemin entre des interventions intempestives et une discrétion excessive, car, sous prétexte de vouloir sauvegarder l’unité à tout prix à l’intérieur de l’Église, on risque de tomber dans une neutralité qui contredise la vérité et les exigences de l’Évangile.
En tout état de cause, des questions doivent être posées : la cause que je défends, mon témoignage et celui de la communauté, la crédibilité de l’Église s’en trouveront-ils grandis si j’interviens ? Vais-je affermir ou au contraire troubler les chrétiens – et les non-chrétiens – dont je m’occupe ? Est-ce que je situe le problème dans une perspective assez large, sans sectarisme ? Enfin n’ai-je pas à faire autre chose, de moins glorieux et moins spectaculaire peut-être, mais de plus effectif et en plus grande fidélité à la mission de l’Église, raison d’être de tout mon comportement ? Autant de questions – et bien d’autres – qu’il faut avoir à l’esprit.
Présence des religieux dans le monde du travail
Ce phénomène prend de l’ampleur – l’enquête de la S.C.R.I.S. le manifeste – et particulièrement chez les religieuses. Et là où il y a des prêtres-ouvriers, c’est davantage chez les religieux que chez les séculiers.
Les raisons de ces engagements sont connues : présence au monde du travail, proximité des pauvres, etc. On connaît aussi les conditions requises pour ce genre de présence : témoignage d’Évangile, fidélité aux exigences de la vie religieuse, et, en ce qui regarde les prêtres-ouvriers, conformité aux directives les concernant.
N’oublions pas ici de distinguer l’insertion dans le monde du travail au travers d’une profession au sens général du terme, et l’insertion dans tel ou tel milieu fortement « marxisé », avec les difficultés particulières que cela comporte.
L’appartenance à un syndicat, souvent liée au travail professionnel, pose des problèmes différents selon les cas. Vouloir donner des « directives valant partout » est chimérique, tant les situations sont différentes. C’est donc aux Conférences nationales des évêques et des religieux qu’il appartient de déterminer plus immédiatement les conditions d’appartenance. Dans les travaux préliminaires de la Congrégation on trouve une étude très intéressante à ce sujet pour le cas de la France.
S’il s’agit d’un syndicat à caractère nettement politique, lui appartenir peut revenir à une pure adhésion à un parti politique. Dans ce cas, il faut appliquer les critères appropriés à l’engagement purement politique.
Engagement politique
Dans son document sur Le sacerdoce ministériel, le Synode de 1971 donne des indications toujours actuelles pour ce point particulier [15].
On pourrait faire état ici d’une conférence de Jean Monnet, le premier inspirateur et organisateur du Marché Commun Européen. Dans ses Mémoires [16], il fait état des raisons pour lesquelles il a préféré, après la dernière guerre mondiale, continuer à être un « expert-conseiller » de chefs d’entreprise, économistes et hommes politiques, plutôt que de devenir lui-même un homme politique engagé dans un parti. Les raisons qu’il donne recoupent étonnamment celles du document synodal.
N’est-ce pas en étant « expert-conseiller en Évangile » que le religieux, comme le prêtre, peut avoir une influence plus profonde et plus décisive qu’en s’engageant dans un parti qui limite ses perspectives, lui enlève une certaine liberté de réflexion, le sépare des autres et l’empêche d’être un facteur d’échanges et de rassemblement ?
C’est dire que, sauf cas exceptionnel de suppléance et avec les autorisations requises, le religieux s’abstiendra de s’engager dans un parti politique.
Comme tous les citoyens, les religieux gardent naturellement le droit d’avoir leurs propres options politiques. Ils ne doivent cependant pas les présenter de telle sorte que les chrétiens pensent que c’est l’unique choix légitime. Ils pourraient devenir motif de scission entre les fidèles.
S’ils n’ont pas à opter pour la militance politique, les religieux doivent se rappeler qu’ils peuvent – et même doivent au moins dans certains cas – travailler, mais autrement, à la promotion des valeurs politiques : éveil des chrétiens, enseignement, témoignage, etc.
Relations entre évêques et religieux
Comme tout apostolat, l’engagement des religieux pour la promotion et la justice ne va pas sans référence aux évêques.
Le document sur les « rapports entre évêques et religieux », rédigé conjointement par les deux Congrégations intéressées et approuvé par le Pape Paul VI, vaut pleinement en ce domaine. Paru durant l’été 1978 [17], ce texte n’a sans doute pas encore trouvé l’audience qu’il mérite. Sa perspective spirituelle et ecclésiale, l’importance qu’il reconnaît au dialogue et à la communion dans l’Église, l’attention portée aux charismes propres des Instituts religieux, ce qu’il dit – de très positif – sur la place réservée aux femmes et aux religieuses dans l’Église, tous ces points sont autant d’éléments intéressant notre sujet.
En ce qui concerne plus directement la promotion humaine et les problèmes de justice, on se rappellera opportunément aussi ce qu’a écrit le Pape Paul VI dans Octagesima adveniens : « À ces communautés chrétiennes de discerner, avec l’aide de l’Esprit Saint, en communion avec les évêques, en dialogue avec les autres frères chrétiens et tous les hommes de bonne volonté, les options et les engagements qu’il convient de prendre pour opérer les transformations sociales, politiques et économiques qui s’avèrent nécessaires avec urgence en bien des cas [18] ». À la réunion de la Congrégation, on a insisté sur cette « communion avec les évêques responsables », soulignant que c’est l’évêque qui préside la communauté ecclésiale et que c’est de lui, en dernier ressort, que dépend la décision.
Mais réaffirmer ce principe fondamental chaque fois qu’il s’agit de ministère pastoral dans l’Église, ce n’est pas préjuger de la manière dont les choses peuvent se passer. Quelqu’un a fait remarquer à ce sujet que, étant sauf ce principe, les choses peuvent se passer un peu comme dans une famille. La décision vient-elle du père ou de la mère ? N’est-elle pas le fruit d’une concertation où chacun met en avant son point de vue et qui aboutit à une décision commune ? Ajoutons qu’en ce domaine, l’évêque ne dicte pas « à tous coups » ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Il peut y avoir chez les religieux une certaine « présomption », parce qu’on sait sa pensée et ses désirs. A la limite, n’arrive-t-il pas que parfois l’évêque n’est pas mécontent d’une intervention qu’il n’aurait pu permettre explicitement, mais qui aura des conséquences positives pour l’Église ?
C’est dire, et dans la pratique on y insiste déjà davantage, l’importance de relations confiantes et permanentes entre évêques et supérieurs religieux. On sait comment le décret conciliaire sur la charge pastorale des évêques, Christus Dominas [19], rappelle la coordination nécessaire de toutes les œuvres et activités apostoliques par les pasteurs, et la nécessaire mise en commun de leurs projets par les évêques et supérieurs de religieux pour l’apostolat exercé par ces derniers.
Responsabilités des supérieurs religieux
Il est difficile à une instance ecclésiale universelle de rejoindre des situations concrètes et de proposer des orientations opératoires. Cela peut s’avérer problématique à un plan mondial et risqué, compte tenu des situations locales. Le Synode de 1971, dans son document sur la justice, eut l’intention de procéder ainsi, puis finalement arriva à une solution médiane, recommandant aux Conférences épiscopales de faire, chez elles, le reste du chemin [20].
À la session du l’U.S.G. mentionnée plus haut, plusieurs interventions et échanges évoquèrent, à cet égard, le rôle des gouvernements centraux des Instituts religieux [21]. Avec les variations et les adaptations propres à chaque Institut, il s’agira surtout, de la part du gouvernement central, d’un travail d’animation et d’inspiration, ainsi que d’un effort de communication des idées et des expériences nouvelles.
£A des degrés divers, tout supérieur doit sensibiliser ses religieux aux questions qui se posent dans la contrée ou le quartier où ils travaillent, insister pour qu’ils s’imprègnent des grandes orientations de l’Église et aussi de l’Institut [22] à ce sujet. Cette sensibilisation est d’autant plus nécessaire qu’il existe encore nombre de religieux (la « masse amorphe », dit-on) qui – par crainte du nouveau ou tout simplement par peur panique de faire de la politique, disent-ils – prétendent rester neutres.
L’instauration de coordinateurs de « Justice et Paix », au centre de l’Institut comme dans les grandes aires géographiques où ils travaillent, est hautement souhaitable. Chargés de promouvoir et d’informer, ils devraient travailler avec les supérieurs à la redécouverte et à la réactualisation du charisme de l’Institut.
Dans le domaine de la formation initiale et permanente, il faut relever l’intérêt de la méthode suivie par Jean XXIII dans son Encyclique Pacem in terris : méthode inductive et comparative que les documents ultérieurs de l’Église utiliseront aussi pour traiter de ces matières. Le Cardinal Roy a bien mis en relief, dans la lettre qu’il a envoyée au Saint-Père à l’occasion de l’anniversaire de ce document, la fécondité d’un tel processus [23].
Bien que l’« analyse chrétienne » (en fonction du péché et de la grâce, de la création et de la rédemption, etc.) n’ait pas à se substituer à d’autres types d’analyse, elle y ajoute une nouvelle dimension et, d’une certaine façon, les dépasse en profondeur et en étendue [24]. La perception des « signes des temps » requiert une interprétation conséquente. Dans ce but, les sciences sociales doivent être prises en compte pour cette interprétation mais aussi – et surtout – la foi qui, loin d’intervenir comme une « simple » motivation générale de cette recherche, doit l’imprégner en tout elle-même.
Un des aspects non négligeables de la formation permanente regarde les supérieurs locaux qui doivent, en particulier, former leur communauté à mener un dialogue critique sur toutes ces questions. La mission de l’Église pour la promotion de l’homme pose souvent aux religieux un problème de choix apostolique. Question d’autant plus difficile à résoudre que ce nouveau type d’apostolat s’ajoute à tous ceux qu’à cause de la pénurie des vocations ils ont de plus en plus de difficulté à assurer. Il s’agit d’un problème d’échelle des urgences apostoliques dans le monde et dans l’Église. S’il n’est pas seulement celui des religieux, mais de tout le peuple de Dieu avec ses évêques, il n’en reste pas moins vrai que les religieux sont appelés à une plus grande disponibilité et, dans certains cas, à une conversion assez radicale dans leurs méthodes et leurs choix apostoliques.
Conclusion générale
Chaque période de l’histoire du monde et de l’Église est une occasion pour les hommes de prendre conscience de leurs responsabilités devant les graves problèmes qu’ils rencontrent.
À l’heure actuelle, la relative tranquillité de certains pays et le niveau de vie de leurs habitants ne doivent pas dissimuler la gravité des questions qui se posent à l’humanité dans le domaine de la justice et du développement. Comment l’Église pourrait-elle rester silencieuse face à des pays ou des secteurs de la société où les droits de l’homme sont méconnus, l’injustice érigée en système, et la promotion intégrale de l’homme réservée à une élite ? Comment les Ordres et Instituts religieux, qui ont été suscités par l’Esprit Saint comme instances prophétiques pour rappeler avec une efficacité renouvelée l’universalité de l’Évangile, pourraient-ils se désolidariser totalement d’une recherche en faveur de la promotion humaine ?
Il ne s’agit pas d’un slogan ou d’une mode passagère, mais d’un appel profond de l’Esprit. La réponse à cette requête du Dieu de Jésus-Christ qui a fait alliance avec l’humanité qualifie notre vie religieuse dans son être comme dans son agir. Si les religieux se veulent solidaires du Christ dans son mystère de glorification, ils doivent l’être dans son mystère d’incarnation et de passion rédemptrice. L’Évangile de Matthieu (25,31-46) nous engage tous à vivre notre espérance et à l’incarner davantage dans la tragique réalité de ceux qui souffrent et de ceux qui aspirent à devenir pleinement hommes.
Santa Sabina
Piazza P. d’Illiria 1
I 00153 ROMA, Italie
[1] Les réflexions qui suivent reprennent, pour l’essentiel, des interventions personnelles faites soit à la S. Congrégation pour les Religieux et les Instituts Séculiers (S.C.R.I.S.), les 25-28 avril 1978, soit à la rencontre semestrielle des Supérieurs Généraux (U.S.G.), les 24-27 mai 1978 à Grottaferrata.Le thème de l’étude de la Congrégation était le « rôle spécifique des Instituts religieux dans la perspective de la mission de l’Église pour la promotion humaine intégrale de l’homme, avec référence particulière à l’engagement socio-politique ». Cette réunion fut préparée, avec grand soin, par une enquête dans le monde entier et des rapports d’experts. Une partie de ses travaux sera sans doute publiée dans un fascicule de la S.C.R.I.S.Les interventions faites à la session de l’U.S.G., ainsi que les comptes rendus du travail en groupes sont transcrits dans une publication ronéotypée : L’engagement des religieux pour la promotion humaine, Villa Cavalletti, 24-27 mai 1978, Roma, U.S.G., 1978, 104 p. Voir aussi la déclaration donnée à la presse au terme de cette rencontre (Vie consacrée, 1979, p. 12-13).
[2] Cf. Paul VI, Lettre encyclique Populorum progressio (26 mars 1967), n. 16.
[3] Dans les documents du Siège Apostolique, cette expression apparaît pour la première fois, semble-t-il, dans la lettre du Cardinal Roy à Paul VI, le 7 avril 1973 : « Réflexions de S. Ém. le cardinal Roy à l’occasion du Xe anniversaire de l’Encyclique Pacem in terris du Pape Jean XXIII », La Documentation catholique, 6 mai 1973, p. 411. Elle est récente et forgée sur le modèle de « socio-économique » (cf. Gaudium et spes, n. 63-72) ou du terme français « socio-culturel », rendu en latin, dans Octogesima adveniens, au moyen d’une périphrase (cf. Paul VI, Lettre apostolique Octogesima adveniens, n. 4 : AAS 63, 1971, p. 404).
[4] L’analyse de Sœur Mary Linscott, alors Supérieure Générale des Sœurs de Notre-Dame de Namur, comportait de nombreux aspects suggestifs pour notre réflexion. C’est ainsi que, implicite à la vocation de beaucoup de religieuses, soit dans les charismes de fondation eux-mêmes, soit dans leur réactivation actuelle, cette dimension socio-politique s’explicite davantage aujourd’hui. Certains chapitres généraux ont encouragé une responsabilité positive dans ce domaine. On perçoit mieux aussi les rapports entre la consécration religieuse et l’universalité à laquelle l’Évangile nous appelle, nous conduisant à refuser toute forme de discrimination. Il apparaît que l’engagement socio-politique des sœurs apporte « quelque chose » à l’Église et en attend « quelque chose » aussi.
[5] Cf ; Cl. Geffré, « L’avenir de la vie religieuse à l’heure de la sécularisation », Concilium, n° 49 (1969), p. 75, et plus loin, à la p. 76, cette phrase révélatrice : « Il y a, dans la perfection de la vie évangélique réalisée dans telle ou telle forme de vie religieuse, une visibilité et même une sacramentalisation de l’homo christianus dont le monde à la recherche d’un supplément d’âme a besoin – à condition bien sûr que ce témoignage de la vie religieuse réponde à la situation historique de l’Église, c’est-à-dire n’apparaisse pas comme une survivance du passé ».
[6] Cité dans Cl. Geffré, art. cité, p. 77.
[7] Cf. P. Arrupe, « Le religieux témoin de l’austérité dans le monde d’aujourd’hui », conférence donnée à la IIIe rencontre interaméricaine des religieux (20-27 novembre 1977), reproduite dans Vie consacrée, 1978, 69-80 ; sur l’expression « le consommateur », voir p. 74. On trouvera aussi d’autres textes du même auteur dans la brochure Promouvoir la justice, Supplément à Vie Chrétienne n° 200, Paris, 1977.Dans une perspective œcuménique, signalons, de John Taylor, évêque anglican de Winchester, le livre Enough is Enough (traduction française : Évangile et croissance. Trop, c’est trop, Coll. Essais, Paris, Cerf, 1975) ainsi que, de J. Moltmann, L’homme. Essai d’anthropologie chrétienne, Paris, Cerf/Mame, 1974, surtout : « 2. L’humanisme dans la société industrielle », p. 33-57.
[8] Cité dans A. Béguin, Bernanos par lui-même, Coll. Écrivains de toujours, Paris, Seuil, 1954, p. 188.
[9] Livre des Constitutions et Ordinations des Frères de l’Ordre des Prêcheurs (L.C.O.), 1968, n° 300, § 2.
[10] Cf. Perfectae caritatin, n. 5, in fine : « C’est pourquoi il faut que les membres de tout Institut, ne cherchant avant tout que Dieu seul, unissent la contemplation par laquelle ils adhèrent à lui de cœur et d’esprit et l’amour apostolique qui s’efforce de s’associer à l’œuvre de la rédemption et d’étendre le royaume de Dieu ».
[11] Paul VI, Le renouveau de la vie religieuse (Evangelica testificatio), Paris, Centurion, 1971, p. 56-57.
[12] On doit admettre que les différentes christologies de ces dernières années ont eu et ont encore un impact sur notre pratique de la vie religieuse. Prenons un seul exemple. L’expression sequela Christi, remise en honneur par le Concile, n’a-t-elle pas été comprise dans une perspective trop individuelle, alors que les recherches actuelles les plus sérieuses sur la dimension non seulement religieuse, mais socio-politique, de la mort du Christ nous inviteraient à une perception renouvelée des implications de l’expression « suivre le Christ » ?
[13] Sur ce point particulier, dans un numéro tout entier consacré aux Groupements de vie évangélique, voir les deux très belles pages du P. M.-D. Chenu, « Des dons de Dieu pour son peuple : les charismes », Fêtes et Saisons, n° 329, novembre 1978, p. 18-19.
[14] Paul VI, Annoncer l’Évangile aux hommes de notre temps (Evangelii nuntiandi), Paris, Centurion, 1976, n° 31 p. 37.
[15] Cf. IIe partie, I, § 2 : « Activités profanes et politiques », Le sacerdoce ministériel. La justice dans le monde (Synode des évêques de 1971), Paris, Centurion, 1971, p. 37-38.
[16] Paris, Fayard, 1976, p. 272-274.
[17] Cf. « Directives pour les rapports entre les évêques et les religieux dans l’Église », La Documentation catholique, 3-17 septembre 1978, p. 774-790.
[18] Paul VI, Lettre Octogesima adveniens, n. 4 (A.A.S. 63, 1971, p. 403).
[19] Cf. le n. 35 : « Principes de l’apostolat des religieux dans les diocèses ».
[20] Cf. P. Liégé, « Présentation », dans Le sacerdoce ministériel. La justice dans le monde, cité à la note 15, p. 11.
[21] Cf. P. Ivern, « Rôle et responsabilité d’un gouvernement créatif et fécond », dans L’engagement des religieux pour la promotion humaine (cité à la note 1), p. 63-66 ; S. Tutas, « Rôle et responsabilité d’un gouvernement central », ibid., p. 67-69 ; Échanges, ibid., p. 70-72.
[22] À titre d’information sur les orientations des Instituts, citons trois exemples.Un paragraphe des Constitutions d’une Congrégation américaine s’exprime ainsi : « Les sœurs, au nom même de leur consécration religieuse, considéreront non seulement comme un droit, mais comme un devoir, de participer en citoyennes conscientes et libres à la défense des plus pauvres, en particulier des noirs et des étrangers ». Transcrit dans l’article de H. Legrand, « La vie religieuse aujourd’hui. Cinq propositions pour cerner ses chances d’avenir », Vocation, Paris, janvier 1975, p. 7. En écho à l’évocation du charisme de la Compagnie que Paul VI rappelait dans son allocution aux membres de la XXXIIe Congrégation générale des Jésuites (3 décembre 1974 ; La Documentation catholique, 5 janvier 1975, p. 12-13), cette même Congrégation promulgua parmi ses travaux un décret au titre caractéristique : « Notre mission aujourd’hui. Le service de la foi et la promotion de la justice ». Dans les Actes du Chapitre général des Frères Prêcheurs à Quezon City (Philippines), en décembre 1977, il est dit au n° 19, « Mission des Prêcheurs et justice dans le monde » : « Fidèles au charisme que l’Église nous reconnaît, nous devons être attentifs à prêcher l’Évangile selon toutes ses dimensions, en particulier selon les implications dans le domaine de la justice au sein de la communauté humaine (cf. L.C.O., n° 132, § I) » (Acta Cap. Gen. O.P., 1977, n° 19, § 4).
[23] Cf. la référence donnée à la note 3.
[24] Cf. P. Ivern, art. cité (note 21), p. 64.