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Épiscopat et vie religieuse

Louis Renard, s.j.

N°1978-6 Novembre 1978

| P. 562-369 |

La vie religieuse est un charisme situé parmi d’autres dans la communion ecclésiale. Les évêques, dans l’accomplissement de leur ministère, ont donc, envers les religieux, une responsabilité spécifique, dont l’exercice est toujours délicat. Pour répondre aux besoins ressentis aujourd’hui à ce propos, les congrégations romaines pour les évêques et pour les religieux et instituts séculiers ont élaboré ensemble des « notes directives ». Une première partie esquisse une brève synthèse doctrinale, qui situe le ministère des évêques et le charisme de la vie religieuse dans la communion de l’Église Peuple de Dieu et Corps du Christ. La seconde partie formule des orientations et des directives dans les domaines de la formation, des activités et de la coordination. L’auteur présente l’essentiel de ces notes.
Document de la Congrégation pour les Évêques et de la Congrégation pour les Religieux et les Instituts Séculiers Notae directivae pro mutuis relationibus inter Episcopos et Religiosos in Ecclesia. Texte latin dans L’Osservatore Romano, 8 juillet 1978 ; traduction italienne, ibid., 9 juillet 1978 ; traduction française dans La Documentation catholique, n° 1748, 3-17 septembre 1978, p. 774-790.

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Introduction

Vatican II a mis en lumière l’étendue de la responsabilité des évêques dans le cadre du diocèse et à l’égard de l’Église universelle, ainsi que le caractère ecclésial des instituts de vie consacrée et leur mission dans le peuple de Dieu. Ses enseignements, ses directives, les dispositions prises et les recommandations formulées en conséquence par le Saint-Siège ont progressivement passé dans la pratique, comme en témoignent, par exemple, le développement des organismes diocésains, le rôle joué par les Conférences épiscopales, la mise en place d’unions ou assemblées de supérieurs religieux à différents niveaux, la création d’organes de liaison entre celles-ci et l’épiscopat. Les fruits positifs déjà recueillis, comme les difficultés ou problèmes rencontrés, ont amené à faire le point. Il a paru opportun de rassembler en un document synthétique les éléments de doctrine ainsi que les normes, orientations et avis pratiques concernant les rapports entre les évêques et les religieux.

Dès octobre 1975, dix ans après la promulgation des décrets conciliaires sur la charge des évêques et sur le renouveau de la vie religieuse, la Congrégation des évêques et la Congrégation des religieux et instituts séculiers consacrèrent à ce sujet une « congrégation plénière mixte » (session rassemblant les membres des deux dicastères). Cette assemblée avait été préparée par une consultation des Conférences épiscopales, des Conférences nationales de supérieurs et supérieures majeurs, des Unions internationales des supérieurs et supérieures généraux. Elle décida la publication d’un document normatif. Après plusieurs remaniements successifs et compte tenu des avis de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples et de la Congrégation des Églises orientales, le document fut approuvé par Paul VI le 23 avril 1978 et promulgué le 14 mai, fête de la Pentecôte.

Il s’adresse proprement aux Ordinaires locaux, aux instituts religieux et aux sociétés de vie commune ; il n’y est « pas directement question des instituts séculiers, sinon en ce qui concerne les principes généraux de la vie consacrée ».

Il ne déroge à aucune des prescriptions actuellement en vigueur, mais les suppose et, à l’occasion, s’y réfère. Du point de vue strictement juridique, il n’anticipe pas sur le futur Code de Droit canonique ; il est permis cependant de conjecturer que certaines de ses inspirations fondamentales se refléteront dans les dispositions à y inscrire.

On y trouve l’écho de réflexions et de vœux suggérés par l’expérience aux milieux intéressés plutôt que le résultat de déductions de spécialistes en matière ecclésiologique ou juridique.

Il n’édicte pas une réglementation nouvelle visant à redresser des abus. Il rencontre sans doute certains dangers à prévenir, telle ou telle situation à clarifier. Mais son propos est d’encourager et de favoriser positivement l’avance d’un renouveau en cours, non pas seulement en vue de l’« ordre intérieur » dans l’Église, mais dans la perspective de la mission de salut confiée à celle-ci à l’égard de l’humanité.

Considérations doctrinales

Des deux parties du document, la première, doctrinale, reprend, parfois à la lettre, les enseignements du Concile sur le sujet traité. Mais ceux-ci y ont été énoncés dans plusieurs constitutions et décrets différents. Ici, ils sont proposés en une synthèse organique.

Le mystère de l’Église

L’exposé part du mystère de l’Église, Corps du Christ vivifié par l’Esprit du Seigneur, et de son unité, irréductible aux schèmes d’organisation des sociétés purement humaines, dans la complémentarité des fonctions et des charismes au service d’une vocation unique à la sainteté et d’une mission unique d’apostolat (chap. I).

Suivant la loi même de l’Incarnation et conformément à la nature « sacramentelle » de l’Église, la communion ecclésiale est à la fois et indissolublement spirituelle et hiérarchique : l’influx de l’Esprit suscite et met en œuvre le ministère des évêques institués représentants du Christ Tête, ministère conjoignant le triple aspect d’enseignement, de sanctification et de direction.

Le rôle de la hiérarchie

En raison de son mandat et du caractère ecclésial de la vie consacrée comme telle, il incombe à la hiérarchie – dans le cadre diocésain ou sur un plan plus étendu, selon les cas – d’authentifier l’inspiration fondatrice des instituts, de reconnaître la valeur évangélique de leur législation propre, d’articuler leur service à l’action d’ensemble de l’Église, de veiller aux conditions qui permettent aux chrétiens membres de ces instituts de se sanctifier selon l’appel qui spécifie chacun de ceux-ci. Ainsi se trouvent fondé l’exercice de l’autorité de l’Ordinaire local, du collège épiscopal ou du Saint-Siège à l’égard de ces groupements, dégagé le principe qui justifie l’exemption et en définit les limites, qualifiée en ses formes diverses l’autorité des supérieurs religieux. Tout en évoquant ces aspects structurels, le document insiste sur la primauté de la vie dans l’Esprit et sur la note spirituelle qui affecte tant la vie que le service des ministres de l’Église (chap. II).

La place de la vie religieuse

C’est en somme les mêmes réalités que le chap. III considère du point de vue des instituts religieux. Toujours d’après Vatican II et en citant aussi l’Exhortation apostolique Evangelica testificatio, il fait état de la nature ecclésiale de l’état religieux et de la valeur particulière de consécration et de témoignage attachée au radicalisme évangélique de l’option qui lui est propre. Et aussi des traits spécifiques dont les différentes familles religieuses sont redevables à l’expérience spirituelle où elles s’originent. La permanence et le développement de cet esprit réclament des religieux, pour le bien de l’Église, qu’ils soumettent à une « vérification continuelle » leur fidélité au Seigneur, leur docilité à son Esprit, leur attention critique aux signes des temps, leur sens de la subordination à la hiérarchie, leur zèle entreprenant, constant et dévoué, l’humilité qui les rende endurants aux contradictions : « Le juste rapport entre charisme authentique, ouverture à la nouveauté et souffrance intérieure présente, comme constante historique, un lien entre le charisme et la croix ». Il y a là un critère de véritable vocation. Et les inspirations individuelles appellent de la part de l’autorité compétente un discernement qui prenne en compte « le projet communautaire de l’institut et les besoins de l’Église ».

Quant à la mission des supérieurs religieux et à leur compétence, on y distingue, par analogie avec la charge épiscopale, ces trois aspects :

  • Enseignement. Maîtres spirituels par rapport au projet évangélique de l’institut, les supérieurs ont à exercer une véritable direction spirituelle de l’ensemble des religieux et des communautés, en pleine conformité avec le magistère authentique et la hiérarchie.
  • Sanctification. Aux supérieurs il incombe de promouvoir la vie de charité selon la voie de l’institut, en ce qui concerne soit la formation des membres, soit leur fidélité personnelle et communautaire à la pratique des conseils évangéliques suivant la Règle. En quoi les supérieurs remplissent une fonction subsidiaire par rapport à la responsabilité du Pape et des évêques.
  • Gouvernement. Celui-ci comprend l’organisation de la vie interne de l’institut – à celle-ci est reconnue dans l’Église une réelle autonomie, qui ne peut pas tourner à l’indépendance – et le soin de guider l’accomplissement de sa mission et d’insérer cette activité dans la pastorale d’ensemble.

Dans les conclusions de ce chapitre est mis en relief le « don total de soi à Dieu » comme engagement fondamental caractérisant la vie consacrée ; on insiste sur le fait que le sens de l’Église et l’attachement sérieux à la vocation propre de l’institut ne peuvent que se renforcer mutuellement. Réciprocité qui marque la grave responsabilité des supérieurs dans la formation et la direction de leurs frères ou sœurs. Leur obligation de promouvoir le renouveau adapté de la vie religieuse est d’ailleurs partagée par tous ceux-ci.

Dans l’unité et la mission du Peuple de Dieu

Envisageant à la fois la tâche des évêques et celle des religieux dans l’unité et la mission du Peuple de Dieu, le chap. IV propose une suite de considérations fondamentales.

Cette mission procède de l’amour divin qui a envoyé dans le monde le Fils et l’Esprit. Son accomplissement nécessite avant tout l’union à Dieu nourrie par la prière. Il comporte des formes variées d’apostolat et respecte la corrélation, typique de l’Église « une et catholique », entre la dimension universelle et la diversité des Églises particulières. La responsabilité proprement missionnaire de la hiérarchie doit trouver chez les religieux, au titre de leur consécration, une disponibilité particulière.

Bien que « l’Église n’ait pas été instituée pour être une organisation d’activités, mais le Corps vivant du Christ, porteur de témoignage », elle a besoin de « centres de coordination : le Saint-Siège, le diocèse et, à son rang, la Conférence épiscopale ». Sur un plan différent, un rôle analogue est dévolu aux Conseils ou Unions de supérieurs.

Quant à l’exemption, le document en rappelle l’exacte signification pastorale et la délimitation, d’après Vatican II, le Moto proprio Ecclesiae sanctae et l’Exhortation Evangelica testificatio.

Ce chapitre se termine par quelques « notes directives » : importance de la vie d’oraison pour les évêques et les religieux ; faveur spéciale que mérite la création de centres de vie contemplative ; développement d’un zèle apostolique « sans frontières » et adaptation des apôtres aux cultures particulières ; sauvegarde des liens d’unité au sein de l’Église et de chaque institut ; chez les religieux, aujourd’hui, prédilection pour « les petits et les pauvres ».

Directives et nonnes

La seconde partie du document groupe les « directives et normes » sous trois chefs : la formation, l’action, l’organisation. Force nous est de nous contenter d’une énumération sommaire et non exhaustive.

La formation

En matière de formation (chap. V), la première recommandation adressée aux évêques et aux supérieurs religieux concerne le développement d’une mentalité pleinement ecclésiale chez les prêtres, les religieux et les laïcs.

Les communautés religieuses, surtout celles de vie contemplative, sont engagées à faire bénéficier les chrétiens de leur propre expérience de la prière.

Aux supérieurs d’assurer une formation adéquate aux religieux. Les évêques ne peuvent se désintéresser de la manière dont ceux-ci répondent à leur vocation ; ils auront à cœur l’estime de l’idéal religieux et la pastorale des vocations.

Il importe de faire connaître la doctrine du Magistère sur l’épiscopat, la vie religieuse, l’Église particulière et leurs rapports mutuels.

Pour les prêtres et les religieux, le programme de formation doit comporter, dès le début, une étude systématique du mystère du Christ et de l’Église et des points qu’on vient d’énoncer.

Il est indiqué de préparer plus spécialement certains prêtres diocésains à aider religieux et religieuses.

Est soulignée l’importance de l’enseignement que donnent divers centres d’études supérieures pour prêtres et religieux ; ces établissements doivent avoir des statuts définis de commun accord par les évêques et les supérieurs.

Le renouveau de la pastorale requiert l’examen des situations par des commissions d’étude et des centres de recherche.

Les religieux se montreront respectueux de l’autorité magistérielle de la hiérarchie, notamment en matière de publications (cf. les normes de la Congrégation de la foi en date du 19 mars 1975). De la part des évêques, l’apostolat par les moyens de communication sera l’objet d’une sollicitude positive.

Ce serait une erreur très dommageable de concevoir comme hétérogènes – voire d’opposer entre elles – « la vie religieuse et les structures ecclésiales », comme si la première était purement charismatique, les autres d’ordre uniquement institutionnel. Positivement, sera promue la participation des religieux à la vie de l’Église particulière.

L’action

Le chap. VI, relatif au domaine de l’action, distingue deux genres d’exigences, regardant plus directement les unes la mission pastorale, les autres la vie religieuse.

Le document cite les textes où le Concile déclare que les religieux « appartiennent sous un aspect particulier à la famille diocésaine » et que les religieux prêtres « appartiennent d’une certaine façon et réellement au clergé du diocèse ». D’où l’importance des moyens de resserrer sur ce plan les liens de solidarité. La pénurie d’ouvriers apostoliques ne fait qu’ajouter à la nécessité d’une distribution des tâches soigneusement concertée entre l’épiscopat et les supérieurs religieux.

Un paragraphe est réservé aux vocations et à l’esprit qui doit animer la pastorale en la matière. Et un autre au problème de l’adaptation des œuvres apostoliques aux conjonctures nouvelles (l’examen critique des situations ne méconnaîtra pas la valeur permanente de certains types d’institutions – on nomme ici les écoles, les hôpitaux, etc.).

Évêques et supérieurs s’entraideront dans l’évaluation des expériences nouvellement tentées et leur mise au point. Le bien des fidèles demande que se manifeste entre les uns et les autres une entente franche et confiante, spécialement dans le cas d’abus ou de « faits accomplis », qui ne sauraient être tolérés impunément. Ici il est fait nommément allusion au renouveau de la liturgie.

Puis est reproduit le texte conciliaire (Christus Dominus, 35, 4) sur le mandat des évêques en ce qui regarde l’exercice des ministères et de l’apostolat par les religieux. Cette citation ouvre la section « Exigences de la vie religieuse ». On y insiste sur l’esprit et la pratique du dialogue entre les différentes autorités. On envisage, comme cas particulier, celui des religieux dont l’action s’exerce hors du cadre de leur institut et de ceux qui seraient tentés d’opposer une autorité à l’autre.

Évêques et supérieurs se tiendront au courant des situations respectives de l’Église particulière et de l’institut religieux. La décision éventuelle de supprimer telle œuvre assumée par des religieux sera préparée de commun accord.

Plusieurs alinéas traitent de la place reconnue à la femme dans « le champ pastoral de l’Église » et de la « promotion ecclésiale » des religieuses. Celles-ci sont encouragées à développer des formes nouvelles de service. L’estime qu’elles méritent ira cependant d’abord au témoignage vécu de leur existence.

Suit un ensemble d’indications pour le discernement si délicat à opérer par la hiérarchie touchant les projets de fondation d’instituts nouveaux « qui prolifèrent en certaines régions ».

L’organisation

Les directives formulées jusqu’ici tablaient sur l’existence de relations suivies et confiantes entre les évêques et les dirigeants des instituts de vie consacrée. La coordination des multiples formes d’animation et de services pastoraux à développer, l’importance de cette coordination et la manière de l’assurer adéquatement, c’est proprement l’objet du dernier chapitre (VII), qui envisage successivement le niveau diocésain, celui du pays, de la région ou du rite, puis les plans supra-national et universel.

A propos de la mission de l’évêque en ce qui concerne les religieux et de l’attitude qui doit y correspondre de la part de ceux-ci, il est surtout fait appel aux dispositions du Motu proprio Ecclesiae sanctae. On précise les obligations des religieux, les fonctions du vicaire épiscopal pour les religieux, le statut des œuvres propres aux instituts et des œuvres à eux confiées par l’Ordinaire local, les conditions à respecter en cas de déplacement d’un religieux chargé d’un emploi au service du diocèse, le rôle des associations diocésaines de religieux.

Les recommandations suivantes concernent les Conférences épiscopales, les Unions ou Conseils nationaux ou régionaux de supérieurs majeurs et la communication à établir entre ces deux types d’organismes, notamment par le moyen de commissions mixtes.

Avec l’approbation du Saint-Siège peuvent se constituer des formes de coordination entre épiscopats ou entre supérieurs religieux sur un plan international, pour un continent par exemple. On rappelle enfin les mesures déjà prises par le Saint-Siège en faveur de la participation des religieux aux activités de la Congrégation des religieux et instituts séculiers et de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples.

Conclusion

Avant de conclure par l’exhortation de saint Paul aux Éphésiens (Ép 4,1-3) sur « l’unité de l’Esprit », le document inculque encore les dispositions intérieures qui doivent animer « le dialogue et la collaboration », conditions d’un plus heureux déploiement de la « vitalité dynamique de l’Église-sacrement dans l’accomplissement de son admirable mission de salut ».

C’est bien aussi selon une vue dynamique et dans son devenir qu’est appréhendé le renouveau ecclésial, spirituel, institutionnel et missionnaire, dans toutes ces pages destinées à l’orienter et à l’activer.

Signées des Cardinaux S. Baggio et E. Pironio, préfets respectifs des deux Congrégations compétentes, elles constituent elles-mêmes le fruit exemplaire d’une élaboration longuement concertée. Leur approbation fut l’un des derniers actes importants de Paul VI, voué dans une courageuse espérance à la réalisation des desseins de Vatican II.

Une lecture rapide des 67 paragraphes de ce document peut laisser l’impression de redites. Ce qu’éviterait aisément un simple syllabus de normes juridiques ou de consignes disciplinaires. Ici, c’est par des approches multiples et convergentes que sont proposées une réflexion doctrinale et des directions pratiques cohérentes, fortement centrées sur un thème unique. Les instituts de vie consacrée y trouveront un témoignage de plus de l’intérêt que leur réserve l’Église hiérarchique et l’expression renouvelée de ce qu’elle attend avec confiance de leur grâce propre.

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