Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

La législation sur les moniales

Margaret Brennan, i.h.m.

N°1977-6 Novembre 1977

| P. 354-362 |

Une Carmélite polonaise s’interroge sur le sens profond de la vie contemplative. Elle le trouve énoncé dans l’adage du prophète Élie : « Il est vivant, le Dieu devant qui je me tiens », et souhaite que soit entendu l’appel de sainte Thérèse d’Avila « Va vers les profondeurs ». S’adressant à des canonistes, Sœur Brennan esquisse l’histoire de la clôture des moniales, inchangée depuis près de douze siècles et responsable de l’identification pratique entre contemplative et moniale cloîtrée. Elle montre comment ce schème a joué pour bloquer l’aggiornamento demandé par Vatican II.

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Deux documents nous sont parvenus récemment sur ce sujet. Ils émanent de pays bien différents et répondent à des situations diverses. Néanmoins, ils se rejoignent de façon significative pour marquer que le renouveau en profondeur de la vie monastique féminine, souhaité par le Concile, ne se réalisera qu’à une condition : que les moniales elles-mêmes puissent s’exprimer, dire ce qu’est leur vie et chercher les moyens les plus aptes à la traduire aujourd’hui dans la diversité des situations [1].

I

La doctrine exposée dans la première partie de l’Instruction Venite seorsum est une base solide pour les tendances à l’adaptation de la loi de la clôture aux exigences de la vie contemplative. Mais les normes promulguées par ce document manifestent une certaine peine, voire même de la crainte, à abandonner les formes anciennes périmées. Aussi donnent-elles l’impression d’une loi passagère, de courte durée. Car elles ne s’harmonisent pas avec le contenu et l’esprit de la première partie, avec laquelle elles ne forment pas un tout unifié. Les changements sont superficiels, ils ne vont pas à l’essentiel. Or la loi de la clôture appelle une restructuration courageuse, fondamentale, à l’exemple de ce qui a été fait pour la liturgie. En quelque sorte, il faut la rebâtir avec « du vieux et du neuf ». Il faut remonter aux principes fondamentaux, revoir les conceptions anciennes, en abandonner certaines malgré leur ancienneté, car elles n’apportent plus aujourd’hui d’élan vital à un véritable renouveau de la vie contemplative.

De par sa nature et sa fin, celle-ci exige un minimum de structure juridique. Or, il n’y a peut-être pas, dans l’Église, de domaine aussi encombré par un fouillis de défenses et de préceptes que la vie contemplative. La fidélité à ces prescriptions, parfois aux dépens de l’Évangile [2], transformait dans la pratique cette vie en un ritualisme minutieux, un culte qui masquait Dieu, ne servait guère au recueillement ni à la solitude et provoquait un renversement pratique des valeurs dans la mentalité des moniales. Alors que les juristes étaient sans doute les hommes les moins compétents pour parler de la vie contemplative, ce sont eux qui, au cours des siècles, se sont le plus abondamment prononcés sur elle en d’innombrables textes juridiques. Et c’est un fait historique que juristes et canonistes ont toujours eu de la peine à accueillir des formes nouvelles, à reconnaître les signes des temps et à aller au-devant de l’avenir de façon créatrice.

Ni saint François ni sainte Claire n’ont pu marquer de l’empreinte franciscaine la clôture de leurs monastères : le Cardinal Hugolin en fut l’auteur principal. Plus tard, saint François de Sales dut faire taire son génie créateur devant les exigences traditionnelles de la loi. Quant à saint Vincent de Paul, instruit par l’expérience de son saint ami, il recourut à une ruse : ses filles ne s’appelèrent pas « moniales », mais « servantes ». Il faudra attendre longtemps encore avant qu’en 1900 Léon XIII, par la Constitution Conditae a Christo, n’élargisse la conception de la clôture, ne l’enrichisse et n’en sanctionne les formes nouvelles.

La législation antérieure au Concile de Trente, couronnée par la Constitution Periculoso, de Boniface VIII, s’était formée dans le climat du Moyen Âge et de la mentalité d’alors ; elle se basait sur la situation sociale et la place de la femme à cette époque. Mais elle ne passa pas « l’examen de la vie », car elle était par trop un « règlement humain ». Elle représentait un effort considérable, mais peu efficace, pour lutter contre le mal provenant de l’extérieur. Mais son action créatrice sur la vie intérieure des monastères fut minime, car cette loi manquait de sens évangélique, ce qui entraînait automatiquement un manque de « sens de l’homme ».

La législation post-tridentine sur la clôture donna aux monastères leur air de sévérité, de discipline, d’ordre rigoureux. Jusqu’en 1926, les canonistes la perfectionnèrent avec toute l’habileté de leur science juridique. L’édifice était fignolé jusque dans les moindres détails. Mais l’on ne s’aperçut pas que, sous beaucoup d’aspects, cette loi n’accomplissait pas le rôle qui lui était assigné : il lui manquait l’humilité du « moyen », elle souffrait déjà du vertige de la « fin », ce qu’elle devenait, sinon en théorie, au moins en pratique ; d’habitude, c’est bien pire, parce que plus vital. Manquant du sens contemplatif, la loi post-tridentine de la clôture plongeait la vie contemplative dans le légalisme.

Ce que nous attendons aujourd’hui, c’est une loi qui corrige ces manques de sens évangélique et contemplatif et y ajoute, comme enrichissement propre, le sens liturgique et ecclésiologique : tel est notre espoir. La première partie de Venite seorsum appelle ces valeurs et nous souhaitons qu’elle devienne un ferme rempart contre toute hypertrophie du juridisme dans la vie contemplative.

À une époque où « le genre humain vit un âge nouveau de son histoire, caractérisé par des changements profonds et rapides qui s’étendent peu à peu à l’ensemble du globe » (Gaudium et spes, 4), une question aussi vitale appelle une solution neuve. Des temps viennent où la plus essentielle et effective sauvegarde de la vie contemplative sera sa seule authenticité.

La clôture au Carmel

L’histoire du Carmel, c’est l’histoire de « nouvelles naissances » : incarnation de l’esprit des futurs ermites du Mont Carmel dans le prophète Élie ; concession de la Règle, c’est-à-dire organisation et implantation juridique des ermites du Mont Carmel dans l’Église ; notre Mère Sainte Thérèse, l’heure du « baptême de l’Esprit et du feu », temps de croissance surnaturelle. A chaque naissance, le visage du Carmel rayonne de plus en plus de la gloire du commerce avec Dieu dans la solitude. Aujourd’hui aussi, sonne pour le Carmel l’heure d’une « nouvelle naissance », selon la parole du Seigneur : « Il vous faut renaître ». Mais, si la loi de notre séparation du monde ne prend pas en considération les signes du temps, elle s’avérera inefficace : elle ne fera pas entrer le Carmel dans le véritable renouveau, elle ne deviendra pas l’occasion d’une « nouvelle naissance » de l’Esprit.

Le principe fondamental de toute loi dans l’Église est : « que le salut des âmes soit la norme suprême » ; de même, le principe carmélite de la clôture devrait s’exprimer dans le mot d’ordre d’Élie : « Il est vivant, le Dieu devant lequel je me tiens ». Dans cette devise, résonnent la grandeur et la simplicité, l’ouverture à Dieu et à ses intérêts ; aucune place pour le légalisme ni le formalisme.

La loi de la clôture devrait éveiller en nos âmes une véritable faim d’une solitude réelle et pleine de Dieu, elle devrait nous stimuler, nous forcer à la rechercher partout et toujours. S’il y a une vie que la lettre peut tuer, c’est avant tout la vie contemplative. Multiplier de sèches prescriptions, c’est installer l’anémie et la mort dans la vie contemplative. Or cette vie, c’est notre place et notre mission dans l’Église, scellée par la vie et la doctrine de nos saints. Ou bien la vie contemplative et le Carmel, ou pas de vie contemplative et alors pas de Carmel !

Concernant la loi de la clôture pour les Carmélites, on peut faire les suggestions suivantes :

  • Ses principes doivent libérer en nous le dynamisme de notre tendance à l’union à Dieu dans la foi et l’amour.
  • La loi de la clôture devrait découler de l’Évangile, que le Concile a appelé « la loi de toutes les lois » ; elle devrait donner en tout le primat aux valeurs évangéliques et ne jamais entrer en conflit avec l’Évangile.
  • Conformément à la Constitution Sacrosanctum Concilium, les prescriptions de la clôture devraient reconnaître aux moniales le droit de participer à la sainte liturgie « de façon pleine, active et collective » (n. 21), eu égard aux conditions locales.
  • La loi de la clôture ne peut pas devenir, par son caractère statique, le fondement d’un légalisme et d’un formalisme extrêmes dans la vie quotidienne.
  • Dans l’esprit de Vatican II, cette loi devrait aller davantage dans le sens de la confiance, de l’estime pour la personne humaine ; elle devrait éviter de multiplier les instances et protéger contre la bureaucratie.
  • Cette loi devrait prendre en considération les changements qui interviennent dans les conditions sociales, économiques et politiques ainsi que dans la mentalité de nos contemporains : tout ceci entraîne, pour ce qui regarde l’existence matérielle de nos monastères, l’obligation de se suffire à soi-même et de se servir soi-même.

L’élaboration de nouvelles lois pour la clôture des carmélites déchaussées est une lourde tâche, vu la responsabilité qu’elle entraîne d’aller vers l’avenir dans un esprit créateur, compte tenu de la difficulté psychologique que ressentent des cloîtrées à modifier leurs manières de faire. Aussi exige-t-elle d’être repensée et décidée selon des critères plus sérieux que le seul nombre des voix recueillies par l’enquête en faveur de telle ou telle solution.

L’héritage de notre Mère sainte Thérèse

Que dirait notre Mère à ses filles après Vatican II ? Quel « précepte nouveau » jaillirait de son cœur maternel pour ses filles des « temps nouveaux » ? Je pense que notre Mère nous répéterait le mot du Seigneur à Pierre : « Duc in altum - va vers les profondeurs ». Telle est la synthèse de la volonté du Concile, inscrite dans tous ses documents ; tel est le critère de l’œuvre de renouveau dont il nous fait un devoir. Dans ce mot aussi peut se résumer notre tâche, qui est de retrouver le saint et immortel héritage de l’esprit thérésien de façon telle qu’il « serve à adapter l’Ordre aux conditions de notre époque ».

Le petit nombre de pages que notre Mère sainte Thérèse a consacrées aux grilles, voiles, rideaux et autres coutumes liées à la clôture, comparé aux nombreux livres dans lesquels elle nous a livré son esprit et décrit le but et les moyens de notre vocation, coupe court à toute discussion à ce sujet.

Si nous réfléchissons sur la spiritualité de notre Mère sainte Thérèse, nous concluons tout naturellement que l’esprit de Vatican II était déjà « son élément » : elle le portait dans son âme, dans son cœur, dans sa mentalité. Cet esprit, c’était son génie, lié par les conditions sociales de son temps et les conceptions juridiques traditionnelles. Il s’exprimait souvent dans le gémissement : « Je ne suis qu’une femme ! » Elle se taisait et s’inspirait de l’exemple du Christ, qui « s’anéantit lui-même, se faisant obéissant jusqu’à la mort », et elle acceptait non seulement les us et coutumes de son époque, mais aussi ses manières de raisonner, surtout lorsqu’il s’agissait de la loi ecclésiastique. Elle ne pouvait pas faire autrement et ne le voulait pas, car elle était une sainte.

Abandonner aujourd’hui ce qui est plus le fruit des temps révolus que l’austérité ne sera pas une trahison, mais l’authentique conservation de notre héritage.

À l’heure historique de la proclamation de la vocation universelle des fidèles à la sainteté, à l’heure de la redécouverte de la place des religieux dans l’Église, à l’heure aussi de la grande rébellion de l’homme contre Dieu, des formes plus bizarres que sévères ne suffisent pas. Une autre austérité est nécessaire, celle que nous trouvons dans la croix de Jésus, dans sa mort et sa résurrection. C’est ce que nous enseigne notre Mère sainte Thérèse, ce à quoi elle nous stimule de toute la force de son esprit. Si elle revenait aujourd’hui parmi nous qui méditons sur l’aggiornamento, que tant de tendances veulent rendre superficiel, je pense qu’elle s’agenouillerait devant toutes et chacune d’entre nous et nous supplierait, les larmes aux yeux : « Duc in altum - va vers les profondeurs ! ». Cette profondeur, c’est avant tout Dieu lui-même. En fin de compte, c’est Dieu qui est « notre désert et notre clôture ». La seule fidélité aux lois canoniques ne peut faire de personne une carmélite véritable, fille de la grande Thérèse, Docteur des profondeurs, des richesses, de la sagesse et de la science de Dieu.

Une Carmélite polonaise

II

Sœur Margaret Brennan, i.h.m., alors présidente de l’Union des Supérieures majeures des États-Unis, a traité le même sujet d’un point de vue juridique dans sa conférence aux membres de la Canon Law Society of America, le 9 octobre 1975, à San Diego ; nous traduisons (en la résumant parfois) la partie de cette allocution qui concerne directement la vie contemplative.

Dix ans ont passé depuis que Vatican II a ouvert la voie au renouveau de la vie consacrée. En ce qui concerne les moniales toutefois, les efforts restent prisonniers d’un tel enchevêtrement de législation et de légalisme que la simple tentative d’exprimer la signification de leur expérience apparaît presque aussi redoutable que la loi de la clôture qui définit encore leur vie, et pour nombre de personnes, continue à la caractériser.

Une brève esquisse de la législation relative à la rénovation dans les Ordres contemplatifs féminins sera éclairante. Historiquement, l’appel au renouveau de la vie contemplative féminine lancé par Sponsa Christi, en 1950, et à l’adaptation de la clôture papale demandée par Perfectae caritatis, en 1966, marque le premier changement de direction dans une législation qui s’étend sur presque quatorze siècles. Le Droit de 1917 avait simplement codifié ce qui s’était cristallisé entre le IXe et le XIIe siècle et s’était fixé sous une forme rigoureuse et universelle à la fin du XIIe. Ces canons ne subirent pratiquement aucune modification entre l’époque de Boniface VIII (1294) et la promulgation de Sponsa Christi (1950). Il n’y eut qu’un bref interlude, à la suite du Concile de Trente : des évêques furent autorisés à permettre l’entrée et la sortie pour des raisons sérieuses, mais, peu après, ce droit fut rigoureusement limité et bientôt aboli.

Devant une tradition d’une telle antiquité, dans les textes et la pratique, il n’est guère étonnant que la vocation des moniales se confonde, en théorie et en pratique, avec son expression historique cloîtrée : ceci se vérifie non seulement chez les gens du monde, mais aussi chez beaucoup de celles qui vivent à l’intérieur des monastères.

En novembre 1950, Pie XII promulgua la Constitution apostolique Sponsa Christi, premier pas décisif vers une ouverture de nature à donner une vigueur renouvelée à la vie contemplative et à sa signification dans l’Église. Les moniales de traditions similaires étaient invitées à se fédérer, les sœurs étaient exhortées à trouver un travail valable et adapté à leur vocation, à choisir les vœux solennels et à réexaminer sérieusement leurs programmes de formation en fonction de leurs talents. L’élan engendré par Sponsa Christi et le processus de croissance inauguré par ce document sont devenus une force que l’on ne peut négliger.

Durant le Concile, le décret Perfectae caritatis, promulgué en octobre 1966, appela à une modification de la clôture papale des moniales, conformément aux besoins des temps et des lieux, avec élimination des coutumes périmées. Malgré ces appels officiels, le poids et la force de l’image intouchable et immuable de la moniale, fixée depuis des siècles, l’emporta néanmoins encore dans la pratique ecclésiale. On en eut presque immédiatement un exemple dans le Motu Proprio Ecclesiae sanctae, du 15 août 1966, destiné à mettre en œuvre les décrets de Vatican II, notamment en ce qui concerne la clôture des moniales. Les difficultés à se restructurer qu’éprouvent aujourd’hui les contemplatives remontent à la juxtaposition de ces deux documents majeurs, fait généralement perdu de vue hors de la vie contemplative. Car Perfectae caritatis invitait à modifier la clôture papale en éliminant les coutumes désuètes. Or, quelques mois plus tard, Ecclesiae sanctae réintroduisait, comme élément essentiel de la clôture, une « séparation matérielle ». Pris en lui-même, ce terme admet certes une interprétation large. Quel tels ne furent ni le sens du mot, ni la direction dans laquelle il serait permis de le comprendre devint évident par les nombreuses communications, mises en gardes et prohibitions qui suivirent : elles culminèrent dans la publication de Venite seorsum (15 août 1969), dont les normes montrent clairement que la « séparation matérielle » doit continuer à être comprise dans un sens à peine différent de celui du Code de 1917. Finalement, les règles de conduite prescrites en 1970 par la Congrégation des Religieux pour l’application de Venite seorsum insistèrent sur la dispense des vœux à demander préalablement par les religieuses ou les monastères désireux d’expérimenter d’autres formes de clôture que celle qui était prévue par ce document [3].

Simultanément, d’autres facteurs venaient entraver le processus de rénovation tel qu’il avait été entamé, à titre expérimental, par de nombreux monastères. Perfectae caritatis avait précisé que les désirs des moniales devaient être respectés. Or Venite seorsum a été préparé avant l’achèvement de la consultation mondiale des moniales et avant qu’il n’ait été possible d’entreprendre sérieusement les essais et les recherches doctrinales qu’appelaient des problèmes de cette importance. Et la révision des constitutions fut centralisée à l’échelon international et confiée à la direction du « Premier Ordre » (masculin). La Congrégation des Religieux restreignit strictement les autorisations de déplacement pour l’assistance aux réunions qui constituaient une forme toute naturelle d’expression pour ce renouveau. L’organisation, de la part des moniales, de fédérations sur la base d’une observance commune ou d’un désir de coopération ne fut pas autorisée à se poursuivre ou à se développer. L’Association des Religieuses Contemplatives n’a jamais été ni reconnue, ni approuvée, alors que de semblables unions entre religieuses apostoliques étaient mises en place.

Cette carence d’expérimentation, de développement et de changement au niveau des structures dans les communautés contemplatives a entraîné une carence correspondante, celle de l’intelligence de la vie contemplative par la communauté chrétienne dans son ensemble : plusieurs ont rejeté la valeur et la signification de pareille vocation, jugée surannée et incapable de garder le contact avec une Église appelée à s’insérer de plus en plus profondément dans le monde. De plus, bien que le nouveau projet de droit canonique souligne le droit des moniales à se gouverner elles-mêmes selon leurs propres statuts, même si elles partagent une tradition commune avec un Ordre masculin, comme c’est le cas pour le Carmel, la question pratique demeure : cet important principe sera-t-il autorisé à se traduire en pratique ?

Il est fort probable que certains des présupposés historiques ici engagés ne seront pleinement tirés au clair que lorsque les moniales auront eu suffisamment d’occasions de définir elles-mêmes, en pratique, ce qu’est une moniale et quelles sont les modifications requises pour la clôture papale et les formes dans lesquelles elle s’exprime. De toute façon, sur la base du principe d’égalité et de la nécessité d’écarter les mesures discriminatoires entre instituts masculins et instituts féminins, il sera d’une importance vitale que les moniales soient autorisées et encouragées à procéder en toute liberté à l’étude de leurs sources, à expérimenter et sélectionner les manières les meilleures de traduire aujourd’hui le charisme qui leur est propre.

[1C’est pour cela, croyons-nous, qu’il est indispensable que la liberté soit laissée aussi bien aux monastères qui souhaitent garder la discipline actuelle qu’à ceux qui, face à des situations nouvelles, désirent légitimement se livrer, à l’intérieur de leur vocation, aux essais permis par Vatican II et auxquels l’Esprit les pousse. « Il y a beaucoup de demeures dans la maison du Père » ; pourquoi n’y aurait-il pas plusieurs manières authentiques de vivre la consécration monastique, fût-ce à l’intérieur de la même spiritualité (carmélite, franciscaine ou autre) ?

[2Voici un exemple parmi cent autres, pris dans la vie quotidienne. Faute de pouvoir se procurer en ville un objet dont elle a besoin (un grand pot, par exemple), une personne vient le demander pour quelques jours : « Peut-être les sœurs auront-elles la gentillesse... ». Il est clair qu’il faut le prêter, c’est le précepte du Seigneur. Mais les canonistes qui ont rédigé les articles du Code ont-ils l’idée du nombre de personnes qui seront dérangées pour expédier ce pot vide ? Comptons-les. La sœur tourière reçoit la demande, mais elle-même ne dispose de rien ; elle sonne au tour, fait venir la portière. « Il faudrait un pot... ». Affaire insolite. La portière va trouver la Prieure : « Bien, prêtez-le ». Elle va chez la cuisinière et revient avec le pot. Mais celui-ci est trop grand pour passer par le tour, il faut ouvrir la grande porte. Nouveau coup de cloche pour faire venir les deux responsables. Celles-ci mettent leurs voiles, prennent chacune la petite clef qu’elles portent à la ceinture dès le matin, ouvrent la boîte qui contient les clefs de la grande porte : le pot peut enfin sortir et être remis à la brave personne, qui attend depuis combien de temps ! Encore peut-elle s’estimer heureuse qu’on ait trouvé tout de suite ces braves sœurs, qui ont autre chose à faire que de rester dans leur cellule, les mains croisées, dans l’attente d’un coup de sonnette. Quelle relation peut avoir une telle cérémonie avec les lois du silence, de la solitude et même de la pauvreté (le temps aussi est une valeur à ne pas gaspiller) ? Et comment cela sert-il à sauvegarder la vie contemplative ?

[3Le dit document ajoutait, paradoxalement : « Nous avons confiance que, par ce moyen, c’est-à-dire la dispense des vœux, ce qui pourrait être inspiré en notre temps par l’Esprit de Dieu ne sera ni supprimé ni perdu ».

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