Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Virginité consacrée dans le monde

Quelques témoignages

Renée de Tryon-Montalembert, o.v.

N°1976-3 Mai 1976

| P. 161-174 |

Le récent décret qui remet en honneur la consécration des vierges pour des femmes vivant en plein monde, même s’il n’a pas fait grand bruit, n’en connaît pas moins des débuts de réalisation. Certaines, qui ont été parmi les premières à recevoir cette consécration, font part ici de leurs expériences et de leurs aspirations.

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Une des principales innovations du nouveau rituel de la consécration des vierges est son extension possible à des femmes vivant en plein monde.

Que le cloître ne possède pas le monopole de la vie consacrée, personne n’en doute devant la prolifération, depuis la fin du Moyen Age, des innombrables congrégations religieuses et des tiers ordres réguliers ainsi que devant le récent essor des Instituts Séculiers.

Mais, jusqu’à ces toutes dernières années, il apparaissait inconcevable qu’une femme puisse se donner à Dieu autrement que par des vœux privés, si elle ne devenait pas partie prenante d’une des formes de vie consacrée communautaire reconnue par l’Église. Autrement dit, toute consécration publique, et à plus forte raison solennelle, de type individuel, se trouvait rigoureusement exclue.

Or, le tout récent décret de la Congrégation pour le culte divin, à l’occasion de sa remise à jour de l’Ordo consecrationis virginum (31 mai 1970), prévoit expressément qu’on puisse admettre à cette consécration non seulement des moniales, mais aussi « des femmes vivant dans le monde ». « Par là, commente le Père Bugnini, l’Église latine reconnaît la valeur spirituelle d’une consécration – intérieure et extérieure, œuvre de l’Esprit Saint et engagement personnel – conférée sous la garantie et par le ministère de l’évêque de l’Église locale, à des femmes qui, en se donnant tout entières au Christ, s’engagent à se consacrer définitivement au service de Dieu, de l’Église et de leurs frères [1] ».

Depuis la promulgation du décret, quelques années se sont écoulées et la consécration a été conférée en divers pays et notamment en France, à un certain nombre de personnes. Dans un article de La Maison-Dieu [2], Sœur Marguerite-Marie Croiset nous faisait connaître les résultats d’une enquête menée auprès de plusieurs communautés de moniales à l’égard du renouveau de la consécration virginale dans leurs monastères, et elle émettait le vœu qu’une série de témoignages puisse apporter un jour l’écho des consacrées vivant leur don au cœur du monde.

Bien qu’elles soient encore peu nombreuses [3], et que leur consécration « officielle » soit de fraîche date, il ne semble pas prématuré qu’en écho de leurs Sœurs moniales, elles fassent entendre leur voix, non pas encore pour tirer un bilan, mais simplement pour faire partager leurs recherches, leurs expériences, leurs aspirations, et aussi – et surtout – leur joie.

C’est ce que voudraient exprimer ces quelques pages. Elles réunissent des témoignages que nous pouvons regrouper sous quatre thèmes, traduisant les principales préoccupations des intéressées.

I. Signification de la virginité consacrée

Primat de la contemplation

Ce n’est pas là une note pouvant spécifier, à proprement parler, cette vocation et cet état de vie ; mais c’est un point trop important pour le passer sous silence ; et sur cette exigence, tous les témoignages concordent.

Parmi la diversité des appels et des réponses, « ce qui doit être commun, c’est bien une vie de prière ». « Il s’agit donc d’un appel à une vie contemplative, même si elle doit être vécue au milieu du bruit du monde » et dans la recherche d’un difficile équilibre entre présence au monde et détachement intérieur : « être dans le monde et n’être pas du monde » (cf. Jn 17,15.16).

Car ce qui est commun, c’est cet appel à l’absolu d’un don qui se veut sans retour.

La contemplation est une valeur spécifique qui me provoque à vivre ma consécration...
... mise à part pour le Seigneur, c’est la contemplation qui m’engage dans la chasteté en vue d’une disponibilité totale au Seigneur au cœur du monde.

Mais attention aux pièges d’une inauthentique contemplation : « On peut avoir une forme de vie contemplative sans vraie contemplation », et aussi être « consacrée sans être vraiment contemplative... »

Toutes sont conscientes de ce danger. Elles sentent donc le besoin d’intensifier leur vie de prière, certaines avec des moyens traditionnels, tandis que d’autres s’ouvrent à des groupes du Renouveau charismatique [4].

On aime aussi à se retrouver éventuellement pour prier ensemble, grâce à

la vraie rencontre fraternelle, celle qui ravive la flamme et rend plus fort..., la prière commune, occasionnelle, aussi profonde que le Seigneur donne de la porter, dans ces petites portions de l’Église locale en communion à l’Église universelle..., avec prise en charge commune des besoins de toute l’Église et offrande de l’Eucharistie... Cela, je l’ai vécu profondément quelquefois.

Les spiritualités sont, par ailleurs, fort diverses : bénédictine, carmélitaine, dominicaine. Mais, la consécration est en général ressentie comme se situant à un niveau de plus profonde radicalité, dans l’aspiration à un retour aux sources de toute vie religieuse, et donc dans un désir, à l’opposé de tout anachronisme et prétention archéologique, de renouer aujourd’hui avec la tradition des premiers siècles [5].

Je considère la consécration virginale comme l’origine historique et fondamentale de toutes les autres, elle peut constituer un pas en avant vers l’unité de la vie consacrée..., en faisant mieux prendre conscience de leurs racines communes.

Un certain « esprit »

On constate aussi la recherche d’un « esprit de virginité » : « Le vœu de chasteté ne s’arrête pas ainsi à une simple chasteté ; mais ce qui compte, c’est surtout l’esprit de virginité... » Toutes sont conscientes que la consécration des vierges appelle et exige une certaine note de délicatesse, de discrétion, d’accueil, de disponibilité, – avec une nuance particulière de fraîcheur et de joie – comme de force aussi.

Dans un siècle où l’érotisme est roi, écrit une consacrée, il me semble que la virginité consacrée dans le monde est un antidote, une bouffée d’air pur.
À notre époque où chansons, films ou romans exaltent l’amour humain, écrit une autre, au point de n’envisager comme épanouissement de la personne humaine que le bonheur conjugal, proclamer la valeur de la virginité paraît un anachronisme. Et cependant ! Bien sûr il était nécessaire de reconnaître la grandeur du mariage chrétien, qui est un signe de l’union du Christ et de l’Église, mais par réaction sans doute avec les siècles passés, on a un peu laissé dans l’ombre cet autre signe d’union du Christ et de l’Église qui est prémices du Royaume, où reprenant le thème biblique des noces, la vierge suit le Christ « partout où il va ».
Non, choisir la virginité consacrée n’est pas renoncer à l’amour... Il s’agit seulement d’un autre appel. Cet autre appel,... n’est-il pas particulièrement opportun de le faire connaître de nos jours où tant de femmes, célibataires forcées, épouses délaissées, veuves, peuvent si facilement, à cause de cette ambiance ne présentant que le couple comme finalité normale de la vie, se sentir dominées par un complexe d’échec capable de conduire à une morne résignation, voire au désespoir ? N’est-il pas bon et tonique pour celles-ci de recevoir le témoignage qu’il existe un autre bonheur affirmé par des femmes qui ont vécu et vivent comme elles la solitude, le retour dans une maison où nul être aimé n’attend, mais qui malgré les heures sombres ont trouvé dans l’union avec le Christ un épanouissement vrai et rayonnant ?

Signifier l’amour de l’Église pour le Christ

Mais c’est avant tout dans sa signification ecclésiale que cet esprit de virginité atteint sa véritable plénitude. Ce point est capital. Si les consacrées, dans leur ensemble, ont souhaité dépasser le stade des simples vœux privés pour accéder à cette dimension « publique » et « solennelle », leur motivation essentielle est d’ordre ecclésial. C’est entre les mains de l’évêque qu’elles expriment leur vœu de chasteté, et c’est de lui qu’elles reçoivent leur consécration.

Il y a certes chez elles le désir d’être « reconnues » et de pouvoir se situer dans l’Église avec un « état » et une identité définis.

Mais, plus profondément, elles désirent que l’Église accueille et ratifie leur offrande.

Parmi les consacrées, beaucoup, la plupart sans doute, ont vécu ce vœu privé au fond du cœur, souvent comme un Avent qui a duré des années ; mais plus ou moins consciemment, elles attendaient autre chose. Elles désiraient que l’Église... remplisse, vis-à-vis d’elles, le rôle de médiation qui est le sien, en recevant au nom du Seigneur l’offrande totale d’elles-mêmes.

Et, plus encore, elles souhaitent devenir, suivant les termes du décret, un « signe de l’amour de l’Église pour le Christ » son époux, qui puisse être immédiatement perceptible au plan de l’Église locale, par la remise en valeur du « charisme » (au sens paulinien) de virginité, à la suite du Christ, et au service du Peuple de Dieu.

Par ma consécration, écrit une oblate, je ne suis plus seulement fille de saint Benoît, mais fille consacrée de l’Église. L’Église m’a unie à sa propre consécration ; par là, toute ma vie devient cultuelle, donc liturgique.

Il est bien évident que toute profession est déjà un acte d’Église, mais la primauté du sens ecclésial de la consécration des vierges est particulièrement mise en valeur par le rite liturgique.

Notre consécration, écrit une autre, vient dans la suite de Vatican II qui... a remis en honneur le rôle de l’évêque pour son Église, tout en affirmant la collégialité pour l’Église universelle. C’est pour chacune de nous, par son évêque, successeur du collège apostolique, que la grâce vient ; et, plus encore, cette grâce spéciale d’insertion dans l’Église que représente désormais la virginité reconnue comme un état dans l’Église, ce qui lui donne une dimension qui dépasse toute considération individuelle...

Et notre part est belle dans la recherche... de manifester le caractère « sponsal » de l’Église.

À la suite du Christ

On peut aussi dégager une nette orientation dans le sens d’un retour aux sources et d’une redécouverte des valeurs monastiques en ce qu’elles peuvent avoir de compatible avec une vie en plein monde (c’est là sans doute qu’il faut chercher – outre l’absence de structures juridiques – l’une des différences majeures d’avec les Instituts Séculiers). La virginité consacrée n’est-elle pas appelée à être, toujours d’après les termes du décret, une « image eschatologique de la vie à venir » ?

Sans doute le terme « monastique [6] » ne doit-il être employé qu’avec discernement, à cause de tout le contexte conventuel dont il s’est peu à peu chargé au cours des âges, et afin de ne pas risquer de faire écran à une réalité qui se doit, pour demeurer fidèle à elle-même, de dépasser toute structure. A cause également de la diversité des appels.

Sans doute aussi, et pour beaucoup, la virginité consacrée a-t-elle pour conséquence une sensibilisation aux besoins du monde.

Pour nous, c’est dans la rue qu’il faut porter « le monastère »... Nous cheminons, semblables aux autres, dans la foule et le métro.
Personnellement, je veux vivre cela d’abord par une orientation missionnaire de la vie contemplative vers la pastorale locale.

Il n’empêche que certaines se sentent appelées à une vie de prière dans une plus grande solitude. On aime aussi se nourrir spirituellement des écrits des Pères de l’Église, des Pères du désert, de ce qui touche à la spiritualité monastique.

Une consacrée qui a particulièrement étudié cette question du point de vue théologique, écrit :

Je maintiens très nettement la radicale différence avec les engagements d’instituts Séculiers, et la parenté profonde avec la lignée monastique, ou plutôt la vocation solitaire au service de l’Église.

Quant à la « décision de virginité », on lui préfère souvent le « vœu » :

J’ai tenu, pour ma part, à m’engager par « vœu », le terme de « décision » me paraissant trop subjectif.

Enfin, le contenu de l’engagement lui-même, s’il ne comporte pas d’autres adjonctions explicites (pauvreté, obéissance,...), n’en est pas moins ressenti avec un caractère globalisant, lui conférant des dimensions qui embrassent toute la vie : c’est l’exigence de « suivre le Christ partout où il va ».

Peut-on concevoir sans mensonge une sequela Christi qui ne mettrait pas les biens matériels au rang de simples moyens d’assurer une existence modeste et surtout de pouvoir partager avec les frères ? Le vœu de pauvreté, même s’il ne peut et ne doit pas prendre la même modalité que dans une congrégation est indu dans la sequela Christi vouée par amour. Comment celle qui veut mettre ses pas dans ceux de l’Époux pourrait-elle lire l’Évangile sans chercher à suivre Jésus dans le plein accomplissement de sa mission reçue du Père, mission qui le conduira par obéissance à la mort de la croix ? (cf. Ph 2,8). Les vœux traditionnels gardent leur valeur pour qui est appelé à les prononcer, mais ils ne sont pas limitatifs. Ils indiquent plutôt des lignes d’orientation qui normalement doivent aboutir aux Béatitudes mieux comprises et mieux aimées.

II. Quel style de vie ?

Il peut y avoir des réalisations professionnelles différentes : infirmières, secrétaires, enseignantes ; on relève une psychothérapeute, la responsable d’une crèche municipale, la surveillante générale d’un grand hôpital ; une autre encore s’occupe d’un foyer d’handicapés. Mais ces professions ne sont que les lieux où sera vécu cet engagement ecclésial ; elles ne constituent pas l’essence même de la vie consacrée.

On souhaite beaucoup de liberté, de souplesse, d’indépendance, non pour céder au caprice, mais en raison des nécessités des différents milieux et de la spécificité des appels de chacune, en fait extrêmement divers.

Mais, pour toutes, la consécration ne peut se concevoir en dehors d’un service d’Église. Pour les unes, ce sera une présence d’Église au sein même de leur profession ou dans une équipe syndicale ; pour d’autres, un service d’Église par des études de théologie, ou l’accueil de retraitants dans un « foyer de prière », ou encore dans un mouvement d’Action catholique, dans des rencontres œcuméniques ; tandis que, d’autre part, comme nous l’avons déjà constaté, il existe des vocations centrées spécifiquement sur la vie de prière, comme ce pourrait l’être aussi pour une grande malade.

Certaines consacrées se sentent appelées à un véritable « ministère » (voire un « ministère institué »), en notant bien que la consécration se situe à un tout autre niveau (celui de l’« être ») qu’à celui des ministères.

Mais, en ce qui concerne le style de vie lui-même, un certain clivage apparaît entre les deux tendances prédominantes : les unes mettent l’accent sur une participation à l’activité du monde, tandis que les autres, même si elles partagent profondément l’existence de ceux qui les entourent, insistent davantage sur la spécificité de leur « état ».

Les premières, qui se rapprocheraient sur ce point de celles qui appartiennent à un Institut Séculier, ne tiennent pas à mettre l’entourage au courant de leur consécration.

Rien ne doit différencier la consacrée des autres célibataires, du moins extérieurement... Pour ma part, l’incognito me permet une disponibilité, une écoute beaucoup plus étendue. Je ne crois pas que bien des personnes viendraient me trouver, me confieraient ce qu’elles me confient si elles savaient ma consécration.

Par contre une consacrée (et son point de vue est partagé par la plupart) ne cache pas qu’elle est choquée par ces paroles, relevées dans l’article de La Maison-Dieu cité plus haut : « Cet engagement... le plus souvent ignoré de l’entourage... » et elle rétorque ainsi :

Doit-il vraiment (cet engagement) rester sous le boisseau, alors que la consécration est obligatoirement publique ? Chacune agira suivant les circonstances, certes, mais avec courage.

Il convient de noter, pour être complet, que ces deux attitudes ne sont pas exclusives l’une de l’autre. Certaines, et elles sont nombreuses, parviennent à allier l’engagement profond dans le monde qui les entoure avec la reconnaissance publique de leur consécration. C’est le cas de la personne que nous venons de citer. Une autre écrit dans le même sens :

Dans mon cas, cet engagement n’a pas été ignoré de l’entourage, et cela dès le départ. Tout le monde a été invité. Ce n’est pas en secret, mais en public que cela s’est fait. Mes collègues de travail l’ont su, mes collègues d’apostolat, mes amis, mes parents étaient là. C’est donc officiellement que j’ai été consacrée au Seigneur... Il est important aussi de signaler que, plusieurs mois avant, j’ai parlé à la communauté de cette consécration (Il s’agit d’une communauté réunie à partir de la catéchèse des handicapés). J’ai cheminé par étapes avec ses membres. Petit à petit, cette communauté a accepté cette consécration. Elle a été garante, témoin de mon engagement.

La réflexion suivante nous laisse deviner que la question n’est pas toujours simple, pour celles-là même qui sont engagées dans la vie consacrée :

Je pense que deux lignes vont sans doute (et au moins) se dessiner pour l’interprétation de la consécration : une dans le sens d’une consécration de « non-moniales », vivant leur engagement dans l’incognito, un peu comme des vœux privés, etc. Je crois que c’est une bonne chose qu’il y en ait dans cette ligne. Mais je ne crois pas que ce soit vraiment la ligne originale (et originelle) de cette consécration. Il me semble qu’il appartient en propre à cette consécration de transformer justement en « moniales » celles qui seraient éventuellement « laïques », et non l’inverse. Par ailleurs, cet engagement est destiné à être connu de l’entourage et significatif, de façon solennelle, précisément des « noces » de Dieu et de l’humanité, du Christ et de l’Église ; donc il doit viser à un témoignage visible et signifiant, être connu comme tel.

III. Solitude et communion

Nous avons déjà eu l’occasion de préciser que toutes les consacrées ont bien conscience du caractère spécifique de ce lien qui les unit à leur évêque et à l’Église locale. Ceci est de première importance, non seulement pour la redécouverte du « sens de l’évêque et de l’Église locale », mais aussi pour une redécouverte de la dimension personnelle du don de soi à Dieu, non moins indispensable pour équilibrer l’actuelle (et féconde) mise en valeur de ses dimensions communautaires.

L’accent se trouve mis avec force sur cette dimension personnelle de la consécration. La consacrée se situe en dehors de toute structure communautaire et se voit reliée à son Église locale de façon, pour ainsi dire, immédiate et comme à l’intérieur d’un espace de solitude. Elle doit donc se montrer capable de prendre sa vie en mains par elle-même, capable de savoir non seulement porter le poids de la solitude, mais aussi d’apprendre à y découvrir la présence de son Seigneur et d’y trouver sa plus haute joie.

Mais cette dimension de solitude s’assortit également d’une dimension de communion. Il nous faut préciser les différentes sortes de liens pouvant exister d’abord avec l’évêque et l’Église locale ; d’autre part avec les communautés de vie et les communautés religieuses ; enfin entre les consacrées elles-mêmes.

En ce qui concerne, tout d’abord, l’évêque et l’Église locale, la plupart souhaitent se sentir plus « proches »... et aimeraient pouvoir faire leur ce témoignage :

L’évêque étant partie prenante de ma consécration, lui-même l’a reçue, a participé à sa préparation... J’ajouterai la facilité qui nous est donnée de rencontrer l’Évêque par la bienveillance qu’il accorde quand nous sollicitons le désir d’aller le voir pour partager ce qui nous tient à cœur.

Mais il est important que soient reconnues pleinement les exigences d’autonomie et de responsabilité personnelle que comporte une telle vocation :

Alors que dans la vie religieuse, les supérieures cherchent de plus en plus à assurer cette vocation (la vocation personnelle de chacune), il serait paradoxal que des orientations nous soient imposées du dehors.

Une autre répond :

Il serait paradoxal qu’après un dialogue filial avec l’évêque, celui-ci ne puisse proposer ce qui lui semble le meilleur pour l’Église, et que la consacrée s’oriente d’une façon indépendante, la disponibilité filiale à l’Église étant le critère même de l’amour virginal pour le Christ Jésus.

Pour le lien avec les communautés de vie, un exemple particulièrement intéressant est fourni par une consacrée qui fait partie de plusieurs groupes, à des titres différents :

Appartenance à un mouvement d’A.C. spécialisé, l’A.C.M.S.S., qui implique des liens spirituels approfondis, car c’est un approfondissement de la vie spirituelle dans l’exercice d’une mission apostolique (je travaille quarante heures au Service administratif, à la réception dans une clinique et mes contacts sont nombreux). Dans ce groupe, je révise mes engagements, notamment le dernier assumé : mon engagement syndical. Cet engagement rejoint ma profession et je la revois au niveau de la foi, cette prise en charge d’une collectivité, avec mes collègues de travail, pour faire avancer ensemble le Royaume de Dieu et sa justice dans un meilleur accueil et respect des personnes. Appartenance aussi à un groupe de recherche évangélique qui se réunit périodiquement dans le but d’approfondir, de partager la réflexion et de prier sur un texte, avec l’aide d’un professeur d’Écriture Sainte au Séminaire. Écoute aussi et liens, mais pas réguliers, avec le Renouveau charismatique.

Le lien avec des communautés religieuses

Nous avons parlé déjà des oblatures et tiers ordres. La question qui se pose, pour certaines, est de voir dans quelle mesure un pas de plus pourrait être franchi, avec un rattachement plus profond à telle ou telle famille spirituelle.

Il m’est très important, note une consacrée, d’être en situation d’appartenance effective à un Ordre religieux et à une famille spirituelle, laquelle, je dois dire, me soutient beaucoup. L’évêque qui m’a consacrée a souligné pour moi, comme pour une autre, l’importance de cette relation.

Les liens des consacrées entre elles

Certes, aucune structure n’est à envisager ni aucun lien juridique. Rien qui ressemble à une communauté religieuse ou un Institut Séculier. Mais elles sont, pour la plupart, heureuses de se connaître et de se rencontrer.

Certaines (en assez grand nombre) souhaitent partager leurs expériences et prier ensemble de temps en temps, mais toujours de façon spontanée et sans aucun caractère d’obligation.

Nous ne formons pas une communauté, mais une communion, aimait à préciser l’une des toutes premières, récemment retournée à Dieu. Il faut nettement éviter toute confusion avec l’Institut Séculier qui implique plus ou moins une spiritualité commune, une règle commune et la dépendance d’une supérieure. Cela, non ; je crois que notre vocation est autre, c’est-à-dire directement d’Église, entre les mains de l’évêque, avec une organisation autonome pour chacune. Reste qu’il faudrait, si on ne veut pas être des isolées, concevoir certains liens d’union fraternelle, d’affection et d’appui, et aussi un certain partage fraternel pour mieux vivre la consécration. Que des rencontres ne soient pas obligatoires, oui ; qu’elles ne soient pas désirables, c’est autre chose... J’ai noté la progression de la « communion » entre nous à chacune de ces Eucharisties. Certains prêtres se rencontrent pour échapper à une solitude qui n’est pas dans la ligne humaine et ecclésiale ; pourquoi pas nous ?
Il reste que la fréquence ne doit pas être telle qu’elle empêche, faute de temps, de se mêler à d’autres groupes plus larges, que ce soit paroissiaux, œcuméniques, culturels, etc. Ce partage avec d’autres que nous est dans notre vocation. C’est un des charismes qui nous différencie des religieuses : notre communauté, c’est toute l’Église à travers l’Église diocésaine ; ce qui n’empêche pas de se retrouver entre consacrées, pour aller plus profond.
Il me semble que la vérité est entre l’isolement qui peut être un appel à respecter, non à imposer, et une communauté qui se suffirait à elle-même. La voie est à rechercher entre les deux.

IV. La célébration liturgique

Toutes insistent sur l’importance du rôle de l’évêque dans le rite de célébration. Certaines, comme nous l’avons déjà signalé plus haut, souhaitent une cérémonie très intime.

Beaucoup voient dans le caractère « public » et « solennel » du rite l’une des dimensions importantes de la consécration, au plan de la signification ecclésiale. La plupart approuvent une célébration simple mais festive, où il leur soit possible de faire partager leur joie avec famille, amis, milieu de vie.

Le caractère solennel, rapporte une consacrée, a été souligné par le fait que la consécration a été donnée par l’évêque lui-même, dans la cathédrale, en concélébration avec une dizaine de prêtres et la participation des communautés locales, religieuses et laïques.
En fait, ajoute une autre, la célébration dans laquelle a eu lieu ma consécration a été préparée par le groupe même qui prépare les célébrations de ma communauté de handicapés. Ce groupe se réunit tous les mois pour une célébration mensuelle. Il y a eu cheminement.
Le groupe a cherché, en lien avec l’évêque, et deux fois en sa présence, les modalités de cette célébration, pour que non seulement l’intéressée reçoive sa consécration, mais pour que la communauté en soit le témoin actif. L’évêque a laissé toute possibilité d’adaptation, de créativité, pourvu que l’essentiel, l’esprit même de la consécration soit sauvegardé. Était présent aussi le prêtre spécialement chargé par l’évêque dans le diocèse de me suivre et de suivre ceux et celles qui sont en recherche. Il était à même de donner toute précision sur le rituel et son esprit.
J’ajoute que ma consécration a été préparée et reçue en même temps que dix-sept enfants (dont des handicapés, leurs frères et Sœurs, et leurs amis) s’approchaient pour la première fois de l’Eucharistie. Mon engagement était ainsi davantage lié à la vie de la communauté.
Détail concret : dans la recherche du comité de préparation, une suggestion a été faite, acceptée de grand cœur par l’évêque, d’un signe permanent de cette consécration. Ce fut, non pas l’anneau classique (signe traditionnel de l’engagement et que je porte d’ailleurs) qui a été retenu par la communauté, mais une chaîne aux larges maillons. Chaîne fabriquée par un membre de la communauté, et que l’évêque a bénie et m’a passée au cou ; ces maillons indiquant les liens étroits entre les membres de la communauté qui doivent faire une immense chaîne et vivre ensemble du Seigneur. Cette chaîne, je la porte en permanence. Elle est pour moi le signe de ma consécration et, pour ceux qui y ont participé, c’est également le signe qui la leur rappelle.

Conclusion

Au terme de cette enquête, on peut relever seulement une certaine crainte de l’attiédissement que peut provoquer une vie séculière mal comprise et mal vécue. « Il ne faut pas que le Seigneur y perde ! » aimait répéter celle qui nous a déjà quittées et qui se sentait comme piquée d’une sorte d’émulation spirituelle à l’égard des autres consacrées, moniales ou religieuses.

Une crainte aussi des risques de déviation que connaît toute naissance, comme toute re-naissance, de semblables réalisations. Ainsi on redoute parfois que l’on aille

enfermer ce qui pourrait être, dans l’Église, un surgeon nouveau, dans une sorte de carcan, en neutralisant ce qui pourrait être neuf et vivifiant et en cherchant (déjà) à canaliser selon des normes ou en amorçant des structures, au lieu de laisser l’Esprit s’exprimer librement.

Par ailleurs, à l’unanimité, on désire davantage d’information et de documentation ; et surtout on souhaite une place mieux reconnue et plus clairement définie au sein de l’Église locale.

Mais, en conclusion, le décret paraît avoir reçu un accueil très favorable et répondre à un besoin certain.

Il semble qu’on commence à redécouvrir une voie qui, dans l’Église, avait été quelque peu oubliée et dont la remise en honneur correspond aux exigences particulières de notre époque, aussi bien en ce qui regarde la perte du sens de la virginité et de la fidélité que la ré-invention d’une spiritualité et d’une mystique qui, en permettant à la consacrée d’assumer la condition de « la femme seule », peuvent l’aider à développer toutes les virtualités et toutes les richesses incluses dans une apparente frustration.

Surtout, la consécration des vierges, bien loin d’être une compensation à un état de la mentalité contemporaine, constitue en elle-même la redécouverte d’un aspect éminemment positif de la vie féminine à la suite du Christ.

Cette vie que le Seigneur m’a comme « redonnée », écrit une consacrée après une grave opération, c’est pour la consécration qu’il me semble l’avoir reçue ; la mienne sans doute, mais plus encore, celle des autres, la remise en honneur de la virginité dont tant de jeunes ont « honte », hélas, et une sorte de renouveau des structures pour qui se donne à Dieu.

Ainsi, se dégage l’espérance de se trouver « au début de quelque chose de nouveau », pouvant être riche de promesses pour l’Église.

55, rue des Pyrénées
F-75020 PARIS, France

[1Présentation du décret dans La Documentation catholique 67 (1970), 872-875.

[2« Virginité et vie chrétienne au regard du rituel de la consécration des vierges », La Maison-Dieu, n° 110 (1972), 88-115.

[3Nous avons connaissance d’au moins une quarantaine de consacrées dans le monde, mais il en existe certainement beaucoup d’autres.

[4Il n’existe pas – et il ne doit en aucun cas exister – de lien organique entre la consécration des vierges et le Renouveau charismatique. Comme le dit excellemment Monseigneur Huyghe : « Le renouveau de la vie consacrée ne passe pas nécessairement par le renouveau charismatique, et vice versa ». Mais il existe de fait un tel lien entre la virginité et l’Esprit Saint qu’il n’est pas étonnant de voir effectivement de nombreuses consacrées attirées par le Renouveau, où elles pourront puiser lumière et force pour réaliser la plénitude de leur « état ».

[5« Si donc tout chrétien est tenu de se référer lui aussi en toute sa vie à l’Évangile, l’engagement à la virginité en vue du Royaume, particulièrement souligné et solennisé dans le Rituel de consécration, apparaît comme un aspect peut-être plus explicite et en quelque sorte privilégié parce que plus significatif, mais non unique, de la vie selon le Christ ressuscité. C’est cette vie que l’on aspire à mener dès maintenant autant qu’il se peut. Ce dès maintenant et le radicalisme des conséquences ultimes qu’il implique est précisément ce qui semble spécifier religieux et consacrés, sans les mettre au-dessus de la condition chrétienne commune » (Dominique Pichard, « Renouveau de la consécration des vierges », La Vie Spirituelle, n° 603 (1974), p. 584).

[6« Monastique » n’est pas seulement synonyme de « solitaire » : il s’agit de toute cette spiritualité biblique et patristique héritée des chrétiens des premiers siècles, dont la foi vigoureuse était proche encore du martyre et pour lesquels nos distinctions ultérieures entre préceptes et conseils auraient été dénuées de toute signification.

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