Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

L’accueil des vocations à la vie religieuse

Simon Decloux, s.j.

N°1976-3 Mai 1976

| P. 131-141 |

Un Institut religieux est une forme ecclésiale dans laquelle a voulu s’incarner l’Esprit de Dieu. Don de grâce, il ne peut disposer à sa guise de sa propre vie, mais doit renoncer tout autant à disposer de sa propre mort. Dans la force de sa vocation divine, il doit tout faire pour que le mystère du Christ se prolonge en lui. L’auteur examine un aspect de ce « tout faire » : l’accueil des vocations.

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Les vocations religieuses ont fortement diminué au cours des dernières années, surtout dans certaines parties du monde, notamment dans la vieille Europe. Plusieurs Congrégations se trouvent dès lors affrontées à des problèmes nouveaux et souvent gigantesques, en particulier celui du vieillissement des effectifs et de tout ce que ce vieillissement entraîne. Mon propos, dans cet article, est d’aborder de front non pas cette question ou d’autres questions immédiatement connexes, mais la question qui se pose à propos de l’entrée dans la vie religieuse : la question des vocations. Je le ferai en n’abordant d’ailleurs qu’un aspect limité de cette question. Après avoir évoqué quelques réflexions plus générales sur la volonté d’accueillir des novices, ses tentations et sa légitimité, je m’efforcerai de répondre à trois questions pratiques qui me semblent se poser nécessairement à propos de toute vocation : 1) comment discerner une vocation à la vie religieuse ? 2) comment aider à se préciser et à s’épanouir l’appel déjà entendu ? 3) quel moment choisir pour l’entrée au noviciat (ou au postulat...) ?

Réflexion préliminaire : la « volonté d’accueillir des novices »

Il n’est pas rare aujourd’hui, dans le monde des religieux, de rencontrer des plaidoyers en faveur d’une mort généreusement acceptée. Beaucoup d’instituts, en effet, sont nés dans des circonstances déterminées, pour répondre à un besoin précis, parfois localisé, de l’Église. Il ne serait pas normal que, dans un monde en pleine mutation dans lequel les besoins de l’évangélisation ont profondément évolué, dans lequel aussi les perceptions spirituelles et les expériences de la foi, avec les exigences que celle-ci pose à l’homme, ont profondément changé, des raidissements se fassent jour pour maintenir en vie ce qui correspondait à l’esprit et aux requêtes d’époques désormais passées et dépassées. Certes, des efforts ont été faits, notamment selon la demande expresse du dernier Concile, pour « mettre à jour », adapter, transformer les expressions de la vie religieuse dans les différents Instituts. Il reste toutefois que ceux-ci ont été définis au moment de leur naissance et qu’on ne peut exclure qu’une telle définition ne corresponde plus toujours aux nécessités actuelles de l’Église.

C’est l’Esprit, et lui seul, qui doit nous éclairer, aujourd’hui comme hier, sur la volonté de Dieu et sur notre propre survie. Un tel phénomène, notons-le, n’est que partiellement inédit. Toujours, dans l’histoire de l’Église, non seulement des groupes nouveaux ont continuellement surgi, épris d’idéal évangélique, mais aussi d’autres groupes ont disparu, qui avaient apporté aux âges antérieurs un témoignage religieux indéniable. La nouveauté n’existe que dans la dimension plus universelle que prend aujourd’hui un tel phénomène. Désormais, en effet, sont touchés non plus quelques groupes faciles à circonscrire, mais une multitude d’instituts et apparemment même la totalité des groupes de religieuses et de religieux.

La disposition intérieure qui permet à l’individu de renoncer à sa propre vie pour que se manifeste la vie même du Ressuscité, ne doit-elle pas être aujourd’hui non seulement l’attitude personnelle des chrétiens et notamment des religieux, mais aussi l’attitude collective des Congrégations dans lesquelles ces religieux sont entrés ? La vie religieuse ne doit-elle pas manifester, jusque dans son renoncement à vouloir se maintenir en vie, l’esprit même qui la définit dans sa dernière profondeur ? Il serait vain et en partie illusoire de renoncer à conserver sa propre vie, si c’était pour « sublimer » le vouloir-vivre personnel dans un vouloir-vivre « corporatif », en transposant ainsi dans l’attachement à la vie de son Institut les pulsions qui sollicitent l’individu à s’accrocher à sa propre vie.

Que penser d’un tel idéal de sacrifice et d’abnégation proposé non seulement aux individus, mais aussi aux communautés et aux Instituts dont ils font partie ?

Il ne s’agit certes pas de mettre en cause la totale disponibilité à l’Esprit de Dieu, à cet Esprit qui donne la vie et sans lequel cette vie ne pourrait plus être significative de la présence et de l’action divines. Les Congrégations religieuses ne sont pas le fruit de volontés humaines ; ce n’est pas par la volonté de l’homme qu’elles peuvent continuer à répondre à l’élan et à l’appel qui leur ont donné naissance. L’accueil du mystère pascal exige une continuelle disponibilité intérieure à renoncer à vivre par soi-même, afin de recevoir de Dieu la vie qu’il est seul à pouvoir donner. Tel est le centre de la Bonne Nouvelle ; elle vaut pour les groupes et les institutions aussi bien que pour les personnes. Une réelle générosité et une totale humilité sont donc requises de leur part pour accepter de disparaître si Dieu le veut. Mettre cela en cause, ce serait nier la vérité de Jésus-Christ, de sa mort et de sa résurrection.

Je crois cependant qu’il est nécessaire d’ajouter à ce qui vient d’être exposé quelques précisions supplémentaires, afin de rendre compte d’une manière plus complète de la situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui les Congrégations religieuses, et pour les éclairer plus complètement aussi sur le mystère du Christ qui se prolonge en elles.

Et tout d’abord, comme nous venons de le rappeler, tout Institut religieux doit considérer sa propre vie comme une des formes ecclésiales dans lesquelles a voulu s’incarner l’Esprit de Dieu. L’origine de la vie religieuse est charismatique ; en vertu de sa nature charismatique, tout Institut manifeste visiblement un aspect déterminé de la grâce et de l’amour de Dieu au travail dans le monde à travers la médiation de l’Église. Les « fondateurs » des Ordres et des Congrégations n’ont pu dès lors être au point de départ de nouvelles familles religieuses que parce qu’ils se sont soumis à deux conditions : tout d’abord leur engagement a consisté à répondre à l’appel et à la motion intérieure de l’Esprit de Dieu ; ensuite, c’est de la hiérarchie de l’Église qu’ils ont reçu l’approbation de leur groupe charismatique et des Constitutions qui en exprimaient la finalité et les modes de vie et d’action. Ce n’est donc qu’en un sens restreint et analogique qu’ils peuvent porter le nom de fondateurs, puisqu’en fait c’est l’appel de Dieu en eux et la parole autorisée de l’Église qui ont donné et qui continuent à donner vie et consistance à l’Institut dont ils sont désignés comme les fondateurs. A combien plus forte raison, dès lors, ne faut-il pas considérer que les Instituts religieux existants débordent la volonté de ceux qui en font aujourd’hui partie.

Une telle vérité justifie, comme nous venons de le rappeler, l’attitude essentielle d’abandon à Dieu, de remise entre ses mains, de renoncement à vouloir disposer de sa propre vie – comme s’il s’agissait d’une œuvre ou d’une entreprise humaine. Mais elle exige tout autant de renoncer à disposer soi-même de sa propre mort, en avançant avec trop d’assurance sur la voie d’une disparition ou d’une extinction. Car, notons-le, il y va, dans tout groupe religieux, d’une grâce, d’un charisme de l’Esprit, dont ces religieux sont dépositaires ; il y va d’une réalité ecclésiale dont ils sont les garants reconnus. L’abandon entre les mains de Dieu doit donc aussi faire naître en eux une foi solide dans la responsabilité reçue, et le désir de l’exercer par fidélité à Dieu et pour le service de son Église.

« Quand vous aurez tout fait, vous direz : nous sommes des serviteurs inutiles ». La démonstration de l’inutilité non seulement de tout engagement personnel, mais aussi de tout engagement collectif, est subordonnée à cette condition : « quand vous aurez tout fait ». Que peut signifier, que peut impliquer une telle condition : « tout faire » ? Il y aurait certes à le développer très longuement. Car nombreux sont les domaines où doit s’exprimer la fidélité constamment renouvelée des religieux à leur vocation. En me limitant au thème de cet article, je me contenterai d’aborder ici un point déterminé, où s’expriment de manière assez significative la foi dans la grâce reçue ainsi que l’abandon à Dieu. Les vocations ne constituent-elles pas un des domaines où se traduit assez vivement pour les religieuses et les religieux la présence actuelle du mystère pascal : mystère d’abandon en même temps que d’espérance ?

Au moins nous faut-il croire que Dieu peut encore se servir de nous aujourd’hui pour diriger sur la voie d’une consécration de tout leur être ces chrétiens plus jeunes que sont nos frères à qui sa voix se fait entendre. Cet appel est à la fois fait d’infini respect et de totale exigence. S’il invite à une remise de soi-même à l’Église et, par là, à Dieu lui-même et à ses frères, c’est en conduisant le plus souvent à l’un des groupes reconnus dans lesquels se traduit aujourd’hui une telle consécration.

Comment discerner une vocation à la vie religieuse ?

En introduisant à l’« élection » que chacun est appelé à faire sur son état de vie, les Exercices spirituels de saint Ignace prévoient des « temps » différents d’une telle élection : suivant que l’appel de Dieu fait irruption dans une âme de façon quasi immédiate, sans laisser de place à la réflexion ou à la recherche discursive, ou suivant que cet appel se monnaie en invitations intérieures de plus en plus assurées, ou enfin qu’il prenne la voie d’une réflexion progressive et rationnellement organisée.

Celui qui accompagne la prière d’un retraitant au moment où celui-ci essaie de recevoir la lumière de Dieu sur sa vie, doit être habitué à « discerner les esprits », à reconnaître la présence et l’action de Dieu, en la distinguant de tout ce qui écarte de lui.

Le jeune qui se présente à nous en évoquant la possibilité d’une vocation religieuse aura fréquemment parcouru déjà toute une histoire faite de périodes de certitude intérieure et, parfois aussi, de périodes de doute. Quelle que soit la manière dont il se présente, quelle qu’ait été jusqu’ici son histoire, il sera nécessaire de vérifier en lui et avec lui les critères d’une authentique vocation. C’est intentionnellement à ce niveau très général, et donc relativement assez abstrait, que j’ai choisi de me situer ici.

Quels sont, tout compte fait, les critères sur lesquels – en faisant abstraction de l’histoire propre à chacun – nous pouvons nous appuyer pour reconnaître l’appel de Dieu dans une vie ? Ces critères doivent correspondre à un certain nombre de repères rationnels ainsi qu’à des repères affectifs : dans les Exercices spirituels, saint Ignace renvoie toujours à ces deux types de critères.

Pour discerner une vocation religieuse, les critères rationnels ne sont pas par eux-mêmes les plus déterminants ; en quelque sorte ils n’offrent aucune garantie positive à la vie religieuse. Ils permettent plutôt (« négativement ») d’écarter ceux qui ne présenteraient pas les qualités humaines et spirituelles exigées. En d’autres termes, il s’agit, dans l’enquête rationnelle concernant cette question, de relever éventuellement les obstacles physiques, affectifs, intellectuels, moraux ou plus proprement spirituels (incapacité de prier, par exemple, ou manque du sens de Dieu) qui feraient écarter la possibilité d’une réelle vocation.

C’est dans le domaine de l’affectivité, par contre, que se trouveront la force et le dynamisme qui orientent positivement à l’engagement religieux. C’est en effet de Dieu que l’appel doit venir ; et, pour y répondre, le sujet humain doit d’abord en être « affecté », c’est-à-dire le percevoir (au moins comme une question personnelle) et éprouver une résonance à cet appel. Davantage : il s’agira toujours de vérifier si celui qui s’interroge sur la vie religieuse est totalement mobilisé par la force et l’exigence d’un tel appel. Cela se traduira affectivement par des sentiments qui épanouissent la personne et la révèlent plus complètement à elle-même, à savoir par des sentiments de paix et de joie.

Comment aider à se préciser et à s’épanouir l’appel déjà entendu ?

Il n’est pas tellement rare qu’un jeune homme ou une jeune fille s’éprouve appelé par Dieu, en conformité avec les critères que nous venons d’évoquer, et que, cependant, un chemin relativement long lui reste à parcourir pour pouvoir, en quelque sorte, s’établir dans la solidité et la force de l’appel entendu. En un certain sens, il en est même toujours ainsi, s’il est vrai que l’homme n’a pas assez de sa vie entière pour s’accorder aux exigences que Dieu lui fait percevoir et pour vivre au rythme de sa volonté. Mais, ce sur quoi nous voudrions ici insister, c’est sur la première croissance nécessaire après la perception de l’appel de Dieu, afin de fournir, au début de la vie religieuse, les garanties suffisantes d’une réponse globale et équilibrée.

Je crains que ne se vérifient souvent, à l’égard de cette seconde question, de réelles lacunes chez les éducateurs que nous sommes. Réalisons-nous assez combien les conditions de vie d’aujourd’hui – bien plus que celles de jadis – rendent difficile une réelle harmonisation à la vie religieuse ?

La découverte par un jeune qu’il est appelé par Dieu peut être, moins que l’aboutissement dernier d’un cheminement personnel, l’entrée dans un chemin encore à parcourir pour s’adapter à l’appel entendu. Il faut que les éducateurs prennent mieux conscience de l’aide qui est exigée de leur part ; ils ont à la fournir avec grande attention en même temps qu’avec une totale délicatesse, en renvoyant finalement à Dieu lui-même et à sa conduite sur chacun.

Quels sont les chapitres où s’indique plus particulièrement une éducation suivie ?

Ils couvrent tout le champ de la préparation de l’homme intérieur, assuré de lui-même, et ouvert à Dieu et à l’Église. Relevons des exigences fondamentales comme celle de l’éducation à la prière : il s’agit de fournir à chacun l’aide appropriée pour qu’il puisse de plus en plus trouver et goûter le contact prolongé avec Dieu. Signalons l’exigence de l’éducation à la vie sacramentelle, entendant par là la vie eucharistique et la pratique du sacrement de la réconciliation : la chose va parfois moins de soi qu’on ne pourrait s’y attendre, et la découverte du pardon effectif du Seigneur notamment peut se révéler décisive pour le progrès personnel. Relevons encore l’exigence de l’éducation à la maîtrise de soi, en incluant sous ce titre tout le registre de la vie morale, telle qu’elle s’exprime dans le rapport de chacun à ses sentiments et à son corps, ainsi que dans son rapport positif et détaché à autrui. Notons enfin l’exigence de l’éducation à l’ouverture de conscience, car ce n’est pas toujours du premier coup que se réalise l’ouverture totale, par laquelle peut s’accomplir l’abandon à Dieu et à sa grâce de conversion.

Il s’agit, en tout cela, de procéder avec patience et abnégation, de « mériter » en quelque sorte la confiance du jeune que l’on s’efforce d’aider sur les voies de Dieu. Des contacts réguliers seront nécessaires. Peu à peu se dégageront, dans la vie de chacun, les lieux où le Seigneur attend de lui une réelle croissance. Ajoutons que la confiance et la docilité manifestées par le jeune, sur le chemin de sa réponse à Dieu, sont des gages décisifs de vérité. Ne s’agit-il pas, en entrant dans la vie religieuse, de s’en remettre à lui en rejetant toute tentation d’auto-suffisance ?

Quel moment choisir pour l’entrée dans la vie religieuse ?

Cette dernière question est sans doute une de celles qui ont suscité et nourri le plus d’études, de réflexions, de décisions... parfois provisoires, au cours des dernières années.

Le nombre relativement élevé de départs parmi les religieux encore jeunes faisait regretter d’avoir accueilli à un âge trop tendre ceux que les vrais problèmes en relation avec leur engagement semblaient ne toucher qu’après la fin de leur noviciat. Ne fallait-il pas retarder de manière générale l’âge de l’accueil dans la vie religieuse, attendre l’entrée véritable dans l’âge adulte au-delà de toutes les crises de l’adolescence et de la fragilité qu’elles supposent, avant de recevoir une jeune fille ou un jeune homme au noviciat ? La confrontation, et parfois l’affrontement, avec les milieux de travail, et plus souvent avec les milieux d’études, n’étaient-ils pas de nature à favoriser une maturation humaine de la personne, plus que ne pourrait la réaliser le milieu, finalement artificiel, d’une « maison de formation » ?

De telles réflexions ne sont vraisemblablement pas enterrées une fois pour toutes. Aujourd’hui, toutefois, on les abordera souvent avec plus de modestie et avec moins d’assurance. C’est que les décisions, prises souvent de manière courageuse, dans le sens d’un délai à l’entrée n’ont pas donné que des résultats positifs. Les sorties n’ont pas toujours été moins nombreuses parmi ceux qui ont retardé leur entrée au noviciat que parmi ceux qui s’étaient présentés au sortir des études secondaires. Les maturations humaines, attendues du milieu universitaire notamment, n’ont pas toujours été aussi heureusement réussies. Il n’est pas rare, dès lors, qu’aient été rapportées, après un temps d’expérience, des décisions générales concernant l’âge requis pour l’entrée au noviciat.

Qu’y a-t-il à retirer de tout l’effort accompli, de toutes les réflexions, de toutes les expériences ? La réponse que je donnerai est, en un sens, ma réponse personnelle – même si je connais un bon nombre d’hommes qui la partagent. De soi, elle inclut une vision des choses et un choix. Je la propose comme la solution qui me semble répondre le mieux à la question posée dans ce dernier paragraphe.

Pourvu qu’on ait affaire à des jeunes âgés d’au moins 18 ans environ, ayant normalement dès lors traversé la période plus troublée de l’adolescence proprement dite, l’âge ne me semble pas représenter, par lui-même, un critère déterminant pour l’accueil au noviciat.

Les études supérieures et la vie universitaire ne paraissent pas non plus constituer de soi un élément caractéristique de la préparation requise à la vie religieuse [1]. Tel jeune homme ou telle jeune fille sera aidé à acquérir une personnalité plus vigoureuse par le contact avec l’ambiance universitaire. Tel autre, au contraire, ne parvenant pas à intégrer les courants divers auxquels il se trouve confronté, risque d’être davantage démuni et de compromettre l’équilibre de sa croissance personnelle. C’est que le milieu universitaire, par lui-même, n’est pas, dans la majorité des cas, un milieu éducatif cohérent. On veillera donc, pour les jeunes qui s’y engagent, à ne pas les laisser affronter seuls les difficiles problèmes qui souvent s’y posent.

Si ni l’âge ni l’expérience universitaire ne paraissent pouvoir trancher de manière décisive la question du temps d’entrée dans la vie religieuse (en laissant ouverte, cependant, la possibilité d’un engagement professionnel réel), quels critères peuvent être considérés déterminants par rapport à cette question ?

À nouveau, ils seront à la fois d’ordre rationnel et d’ordre affectif.

a) Du point de vue de l’affectivité spirituelle, il semble qu’on doive compter sur deux dispositions complémentaires définissant l’attitude de l’homme devant Dieu et devant ses représentants attitrés dans l’Église : d’une part, une capacité active de réponse et d’engagement non différé ; d’autre part, une disponibilité à se laisser conduire par Dieu et par ceux qui ont autorité pour parler en son nom.

Il faut donc tout d’abord que le futur religieux ait réellement pris une décision sans retour ; il faut qu’il exprime sa volonté de ne pas retarder, en ce qui le concerne, le temps de sa réponse. Il faut, d’autre part, qu’il accepte de ne pas pouvoir trancher par lui-même en dernier ressort, mais qu’il se soumette humblement à l’avis de ceux qui voudront ou non le recevoir immédiatement.

De toute manière, une fois la décision prise par la jeune fille ou le jeune homme, il est à conseiller qu’il se présente officiellement à la Supérieure ou au Supérieur religieux qui a autorité pour l’accueillir. Cette démarche, en effet, donne à la volonté de répondre à l’appel de Dieu une dimension ecclésiale plus explicite, étant un acte de remise de soi aux représentants autorisés de l’Église.

b) Quant aux critères rationnels qui permettront aux Supérieurs de trancher en faveur d’une entrée immédiate, ils seront fixés en référence à la nature même du noviciat. Des exigences d’intériorité spirituelle, d’adaptation à la vie communautaire, de stabilité dans le renoncement ainsi que dans la pratique de la vie morale peuvent être ici évoquées.

  • La prière constitue en quelque sorte la respiration de la vie religieuse ; c’est en elle que s’expriment la polarisation affective de la personne et la détermination concrète de son don à Dieu ainsi que sa découverte de la présence agissante de Jésus-Christ. Ne sera donc reçu au noviciat que celui qui a démontré déjà une certaine aptitude à la prière et à la contemplation, ainsi qu’une capacité de réfléchir sur la réalité de sa vie et de sa prière.
  • Entrer en religion, c’est aussi s’accorder désormais à un rythme de vie dont on n’est plus soi-même l’origine ni le garant. Ne sera reçu au noviciat que celui qui a démontré une capacité de vivre à un autre rythme que le sien ; sans quoi, non seulement la prière sera irrégulière et difficile, mais la vie commune ne pourra être aisément pratiquée, pas plus que l’abandon exigé d’une obéissance adulte.
  • L’homme, dans son rapport à Dieu, passe nécessairement par ce que saint Ignace appelle des motions diverses des esprits, des alternances de consolations et de désolations. Pour ne pas rester le jouet des sentiments qu’il éprouve, il lui faut discerner où est la conduite de Dieu et comment elle se manifeste à lui. Ne sera accepté au noviciat que celui qui a commencé à entrer dans un tel discernement, et qui a acquis une solidité suffisante pour ne pas être ébranlé par les doutes qui peuvent l’assaillir, ou par les épreuves rencontrées.
  • Une même stabilité doit, plus largement, être vérifiée dans la pratique de la vie morale et spirituelle. Un point est, à ce sujet, assez significatif : l’attitude prise à l’égard de la faute et du péché. Ne sera pas encore reçu au noviciat celui qui n’a qu’une expérience scrupuleuse ou purement psychique de la faute et de la culpabilité. Est requise, au contraire, pour la croissance spirituelle, une expérience du péché qui s’exprime en contrition et en ferme repentir, grâce à une perception et à une compréhension de la tendresse et de la miséricorde de Dieu.

J’ai exprimé les exigences requises, à défaut desquelles il serait imprudent d’accueillir un jeune au noviciat. Mais il faut traduire d’abord en termes positifs la réponse à la question posée. Si les critères qui viennent d’être évoqués sont vérifiés chez un jeune homme ou chez une jeune fille de 18 ans, je ne crois pas qu’il puisse y avoir de motif valable de retarder son entrée au noviciat. Je pense, au contraire, qu’en ce cas, l’entrée peut être permise et décidée tuta conscientia, et qu’on n’a en fait aucune assurance qu’un délai supplémentaire constituerait un nouvel apport positif dans le processus de croissance humaine et spirituelle de cette jeune fille ou de ce jeune homme.

La maturation personnelle, la croissance affective et psychique n’ont-elles pas, au contraire, plus de garantie de s’opérer harmonieusement à l’intérieur même de la vie religieuse, chez celui qui y est appelé par Dieu et qui a déjà pris la décision fermement mûrie de répondre à cet appel ?

Borgo S. Spirito 5
I-00193 ROMA, Italie

Pistes de réflexion

Sommes-nous persuadés d’avoir tous une responsabilité dans l’avenir de la vie religieuse ?

Qu’est-ce que cela implique pour chacun de nous et pour notre communauté ?

Quel est notre effort, personnel et communautaire, pour percevoir les valeurs évangéliques vécues par les jeunes aujourd’hui ?

Comment accueillir et aider les jeunes à percevoir plus distinctement l’appel du Seigneur et à y répondre ?

[1Lorsqu’un temps de travail et d’engagement professionnel réel est possible, il semble, de l’avis de plusieurs, que cela constitue un élément de maturation humaine et spirituelle, à condition, évidemment, que le jeune soit « accompagné » pendant ce temps, c’est-à-dire formé à l’esprit de foi, aidé à unifier sa vie en s’habituant à la relire à la lumière de l’Évangile, initié à la docilité et à la disponibilité spirituelles par l’écoute de Dieu dans les événements et les rencontres avec autrui.

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