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Courrier des lecteurs : La fidélité

Vies Consacrées

N°1974-3 Mai 1974

| P. 182-184 |

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I

Vous invitez vos lecteurs à réagir aux articles du numéro sur « La fidélité ». Je le fais avec joie : je crois en effet qu’une distinction fondamentale s’impose entre celles qui ont quitté l’état religieux en soi et celles qui ont quitté telle institution, par suite d’un ensemble de circonstances qu’elles n’ont même pas choisies. Rupture ou mutation : telle est l’alternative essentielle.

Du second groupe, jamais je ne mettrais en doute la fidélité foncière, bien au contraire. Je crois même qu’on peut y vivre en plénitude ce « oui redit chaque jour à partir de situations différentes », cet abandon au « Dieu vivant qui vient régulièrement contredire, mais aussi transposer le développement de leur mentalité ».

Tous ces termes sont à souligner, tant ils s’appliquent avec justesse à notre cas, à nous qui sommes « parties ». Parties, comme Abraham, dans la foi ; parties, les yeux dans les yeux du Seigneur qui nous demandait de renoncer à tout et jusqu’à la manière dont nous pensions aller à Lui. Car « Dieu s’engage à son tour à provoquer, promouvoir et purifier le choix de l’homme, en le conduisant, dans son amour fidèle, à la découverte de son moi authentique ».

Peut-on alors parler d’échec ? Oui et non. Échec de la formule que j’avais choisie : oui. Échec du projet de vie, du plan que j’avais rêvé : oui. (Et la nostalgie de ce qui aurait pu être reste une blessure jamais tout à fait cicatrisée). Échec de l’institution ou du groupe « qui, s’il ne vit plus ce pour quoi je l’avais rejoint, ne remplit plus son contrat » : d’accord. Mais échec de ma vie ? Non ! Parce que « c’est là que gît tout le signe de l’Alliance, en ce que Dieu, dans sa fidélité jamais défaillante, nous poursuit continuellement de son amour ».

C’est que l’essentiel de la profession religieuse n’était pas « avant tout de s’intégrer à une forme de vie, opter pour un style d’existence » (en cela, je ne suis pas d’accord avec le P. Matura), mais bien de s’engager envers une Personne, celle du Christ, « dans le célibat et le service inconditionné », de se livrer à « la fidélité de Dieu, la solidité inébranlable de son amour et de son dessein sur l’homme, qui portent et garantissent la fragile fidélité de celui-ci ».

C’est ce qui me fait dire qu’il n’y a pas rupture mais mutation. Et c’est dans cet esprit que je n’hésite pas, quant à moi, à porter l’anneau, à arborer l’insigne, à me faire appeler « Sœur » tant dans l’immeuble que nous habitons que dans la paroisse voisine où je travaille au service d’entraide. Que d’autres n’en éprouvent pas le besoin, je le conçois fort bien. Mais là où il y a moyen de le faire, pourquoi pas ? Et qui s’y opposerait ?

Une fraternité existe, qui regroupe dans l’amitié celles qui ont vécu la même expérience de « départ ». Fraternité non encore structurée où, tout en vivant dispersées quant au domicile et au travail, on s’épaule, on s’entraide, on se retrouve régulièrement pour remédier à la solitude dans laquelle la plupart d’entre nous se débattent.

Il est assez pénible de constater combien certaines sont complexées, voire angoissées à l’idée qu’on pourrait deviner leur passé. Beaucoup cherchent l’incognito ou se réfugient dans la clandestinité, au lieu de s’affirmer ouvertement pour ce qu’elles sont : « religieuses » ? canoniquement non ; mais bien « consacrées à part entière ». Je crois qu’aujourd’hui il nous faut revendiquer pour elles le droit de se ranger dans cette catégorie et œuvrer pour que le respect et la compréhension entourent celles qui ont opté pour une manière renouvelée de vivre leur fidélité : « C’est parce qu’un être a suivi le meilleur et le plus profond de lui-même qu’il peut être dit fidèle à son engagement ».

Bruxelles
Sr Anne-Marie

II

Il y a une dizaine d’années, je fis un assez long séjour dans une maison de repos. J’y avais un ami laïc, vertueux, pieux mais sans bigoterie. Il avait pris l’habitude de communier à peu près tous les jours. Un jour, il cessa de le faire, assista de plus en plus rarement à la messe dominicale, puis l’abandonna tout à fait. Le motif : il avait été témoin de la sortie de deux, trois religieuses. L’une d’entre elles quitta par suite d’une querelle avec sa Supérieure. Ce motif lui avait paru tellement mesquin que mon ami en fut profondément choqué, d’autant plus que cette religieuse avait immédiatement obtenu la dispense de ses vœux. Si l’on pouvait rompre une promesse faite à Dieu par suite d’une simple dispute avec sa Supérieure, c’est, en avait-il conclu, que tout cela n’est pas bien sérieux. Et sa foi en avait été ébranlée.

Au cours de multiples et longs entretiens avec de nombreux laïcs, je n’ai rencontré personne qui fit une différence fondamentale entre vœu et mariage en ce qui concerne la fidélité. Cela finissait toujours comme ceci : s’il est normal pour l’Église de dispenser des vœux de religion ou du célibat des prêtres, alors à plus forte raison doit-elle permettre le divorce et le remariage des divorcés. Tellement il est vrai que, dans l’esprit des chrétiens moyens, ces deux problèmes sont étroitement liés. Pour eux, tout se ramène à une question de fidélité (sans distinction de vœu ou de sacrement) et à une question de faiblesse humaine.

Un petit fait m’a profondément marqué à ce sujet. Lors de la toute dernière visite que je fis à ma mère, deux mois avant sa mort, elle en vint à parler des nombreux prêtres et religieux défaillants et à me demander pourquoi l’Église avait deux poids et deux mesures, selon qu’il était question de religieux ou de gens mariés. Comme j’essayais candidement de lui expliquer la différence entre un sacrement et un vœu, elle eut ce mot terrible : « Si je t’ai bien compris, on ne peut être infidèle à une femme, mais on peut être infidèle à Dieu ».

Depuis des années, cela m’a frappé de voir comment, au moins pour les chrétiens profondément croyants, les vœux de religion sont avant tout des engagements pris par rapport à Dieu et non envers un Institut. Quand je regarde les religieux sortis de chez nous ces dernières années, ces défections ont, dans la majorité des cas, été rendues possibles, voire inévitables parce que, à un moment donné, pour ces religieux les vœux étaient devenus un lien qui ne les unissait plus qu’à un Institut, non à Dieu. On n’est plus eunuque à cause de Dieu, le vœu cesse d’être un acte de religion. Parallèlement, on pourrait dire que, quand des chrétiens mariés ne se sentent plus ou ne se considèrent plus unis devant Dieu, rien ne peut plus les empêcher de divorcer à la première sérieuse divergence de vues.

Je crois que l’Église doit en revenir à une certaine sévérité concernant l’octroi des dispenses, si l’on veut que les vœux soient de nouveau pris au sérieux. La facilité avec laquelle on délie des vœux est déconcertante pour les fidèles et il y a un trop grand contraste entre cette facilité et les lenteurs exténuantes avec lesquelles on reconnaît la nullité d’un mariage, même quand le cas est très clair, au dire des autorités elles-mêmes.

Je me demande s’il ne vaudrait pas mieux des promesses au moins durant quelques années. On pourrait ensuite, si on le désire, faire des vœux, qui seraient alors pratiquement irrévocables.

Mont-Saint-Guibert
Fr. Jean G. d’Hallewin

Les lettres ci-dessus soulèvent de graves problèmes, auxquels le numéro sur « La fidélité » (1973, n° 6) n’avait guère pu que faire allusion. Pour arriver à y répondre de notre mieux, nous souhaitons vivement l’aide que nous apporteront les réactions de nos lecteurs.

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