Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Une vie livrée à Dieu

Sens de la vie selon les conseils aujourd’hui

Hans Urs von Balthasar

N°1971-1 Janvier 1971

| P. 5-23 |

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I. Il appela à lui ceux qu’il voulut

C’est dès le point de départ que se prennent les options décisives. Lorsque, comme c’est devenu l’habitude après le Concile, nous partons de « l’Église » comme d’un « Peuple de Dieu » établi, organisé, structuré, la question du rôle que joue dans la communauté ecclésiale la vie selon les conseils est déjà tranchée pour une large part. A partir de ce présupposé, il reste certes encore des possibilités variées de préciser ce rôle : par exemple ce sera de mettre à la disposition de tous des lieux de silence, des spécialistes en direction spirituelle, des modèles de vie liturgique pour les communautés, à la rigueur peut-être encore d’assurer une prière suppléant à celle dont nos frères engagés dans le monde ont de moins en moins le temps et peut-être aussi le goût de s’acquitter – bien que, lorsque l’on mentionne cette fonction priante, là où elle est isolée de l’action dans le monde, on se heurte à du scepticisme et à de la résistance. La prière, et spécialement la prière « contemplative » à l’état pur, est-elle, comme contenu de vie, une fonction intra-ecclésiale ou n’est-elle pas plutôt un corps étranger qui s’est introduit par la suite sous des influences extérieures (néoplatonisme, Stoa, courants asiatiques) ? Aujourd’hui que l’on réfléchit aux implications de la théorie et de la praxis, et même au primat chrétien de la praxis sur la théorie, ce « corps étranger » ne survit-il pas à la manière d’un organe-témoin d’une étape historique dépassée ? Cela a-t-il réellement un sens de chercher Dieu « en lui-même », dans son éternité, d’en faire l’objet, à longueur de vie, de nos méditations et de nos adorations, alors que ce Dieu est sorti de son isolement et veut être un « Dieu-avec-nous » : dans l’histoire, où il compatit et travaille avec nous à l’évolution du monde vers un avenir toujours ouvert ? Cette question s’insinue jusqu’au cœur des Ordres contemplatifs, elle y engendre incertitude et trouble ; ceux-ci, finalement, amènent à l’abandon du cloître pour un service séculier de l’Église. La « pure contemplation » – si nous voulons employer ce terme non-biblique – court le risque de perdre son auto-compréhension. Ne restent alors pour l’état des conseils que les fonctions mentionnées ci-dessus, dans lesquelles ils peuvent encore rendre à l’organisation ecclésiale un service d’une certaine utilité.

Tel est le tableau lorsque nous partons du présupposé que l’Église est adéquatement décrite comme un organisme social, comme le « Peuple de Dieu ». Mais la perspective change lorsque nous réfléchissons que l’expression « Peuple de Dieu » nous vient d’abord de l’Ancien Testament et n’exprime donc pas du tout le caractère néotestamentaire distinctif de l’Église ; celui-ci n’apparaît guère dans sa pleine lumière que dans les deux dénominations « Corps du Christ » et « Épouse du Christ », toutes deux étroitement liées au mystère de l’Eucharistie. Par sa participation au vrai Corps du Christ livré pour nous et à son vrai Sang répandu pour nous, l’Église devient un corps – et pas d’abord un corps social organisé, mais un corps réel constitué par l’Eucharistie (1 Co 10,16 sv.). Dès que l’on y réfléchit quelque peu, le mystère de « l’unité-dans-la-chair » entre le Christ-Époux et l’Église-Épouse (Ep 5,21 sv) apparaît n’être pensable qu’en raison de son fondement eucharistique. Sinon il demeurerait une image édifiante ; pour Paul au contraire, c’est l’union conjugale qui est l’image référée à la réalité accomplie : l’union entre le Christ et l’Église. Il n’y a pas de raison de faire de la réalité d’Église contenue dans les désignations « Corps » et « Épouse » le simple présupposé « ontologique » du niveau sociologique (l’Église comme Peuple de Dieu). Parler d’« ontologique » est d’ailleurs peu heureux, vu que, dans ces deux descriptions, il y a autant d’événementiel que de relationnel. De part et d’autre apparaîtra toujours que l’Église n’a pas, en face du Christ, une autonomie telle qu’elle puisse atteindre en elle-même et par elle-même à une auto-compréhension qui lui permette de s’organiser à partir de celle-ci. Certes on ne peut réduire l’Église à l’événement toujours actuel de sa naissance du Christ, et négliger par là son opposition relative au Christ (à la manière dont un corps est opposé à sa tête, et la femme à l’homme dans l’unité de la chair), mais on ne peut pas davantage couper cette opposition, qui n’est toujours que relative, de l’événement du surgissement. Le Christ ne se construit pas d’abord un vis-à-vis pour se communiquer ensuite à lui ; mais dans l’acte même par lequel il se communique, il produit en même temps son vis-à-vis, son « prolongement », « la plénitude de celui qui est rempli, tout en tout » (Ep 1,23).

Précisément ici et dans ce contexte doit être rappelé que l’Église ne procède pas « en bloc » de sa source, mais qu’elle est édifiée sur les Apôtres et les prophètes (Ep 2,20 ; 3,5), organes qu’elle ne se donne nullement à elle-même, mais qui sont bien plutôt le « fondement » à partir duquel toute structuration peut ensuite découler. Aussi peu le jaillissement événementiel et toujours actuel de l’Église à partir du Christ est rendu surérogatoire par son existence « ontique » en elle-même, aussi peu le fait d’être bâtie sur les « colonnes » (Ga 3,9) qui la supportent est-il rendu surérogatoire ; bien au contraire, il se renouvelle sans cesse explicitement (cf. Ap 3,12). La vocation des Douze, qui remonte à l’initiative strictement personnelle de Jésus (Mc 3,13), n’est qu’un début normatif. Déjà le concept d’Apôtre est plus large que celui des « Douze » : il y a, comme le montre le cas de Paul, de nouvelles vocations, de nouvelles désignations par l’Esprit Saint (2 Tm 1,6 sv.) ; en sont aussi l’objet ceux qu’à côté des Apôtres Ep 2,20 appelle Prophètes, ceux qu’Ep 4,12 appelle Évangélistes, Pasteurs, Docteurs – qui tous sont destinés à l’édification des membres de la communauté et aux services requis par celle-ci. A cet endroit de notre raisonnement apparaît clairement que le Christ glorifié n’a nullement abandonné son activité vocationnelle dans l’Église et au profit de celle-ci. A coup sûr, de même que la relation précise entre l’Église et le Christ ne peut être saisie d’un coup d’œil à partir de l’Église (jusqu’à quel point est-elle lui, jusqu’à quel point de lui, jusqu’à quel point en face de lui ?), de même la relation exacte des « appelés » au reste de l’Église ne pourra pas être exactement balancée : jusqu’à quel point sont-ils une partie de l’Église, jusqu’à quel point sont-ils, dans la situation qui les oppose à la communauté, un présupposé à l’existence de celle-ci ? En toute hypothèse, on ne peut penser l’un sans l’autre. Pas plus qu’on ne peut considérer la fonction ecclésiastique, même à la période subapostolique, comme une investiture donnée par une Église « possédant » les pouvoirs apostoliques, pas plus l’événement toujours actuel de l’appel par le Christ pour l’Église ne se laisse-t-il réduire à un pur processus intra-ecclésial, dont l’Église comme « Peuple de Dieu » aurait tout simplement la maîtrise. De même que la hiérarchie est instituée en elle comme un signe durable (souvent gênant et non-souhaité) qu’elle ne s’appartient pas, mais qu’elle appartient à son Seigneur, de même sont « instituées » en elle par le Seigneur ses vocations spontanées, libres, sur lesquelles elle n’a pas barre, qui l’aident toujours à nouveau à l’exacte compréhension d’elle-même, c’est-à-dire de son rapport au Seigneur et de sa mission : lui amener les frères qui sont dans et hors de l’Église.

Et assurément, dans cette opposition relative entre appel immédiat du Seigneur pour son Église et structuration des charismes à l’intérieur de l’Église (et de nouveau pour elle), il ne faut, une fois de plus, pas voir une opposition tranchée : entre ces deux événements, il y a transition fluente. Cependant il ne faut pas perdre de vue que les charismes eux-mêmes ne sont jamais « structurés » à partir de l’Église, mais donnés à un chacun par Dieu (Rm 12,3), opérés par le Saint-Esprit selon son bon plaisir (1 Co 12,11), et que, par là, tous les membres de l’Église participent dans une certaine mesure à la « fondamentalité » de ceux qui sont spécialement qualifiés d’Apôtres et de Prophètes. Malgré cette analogie interne, on ne peut introduire ici dans la structure de l’Église aucune identité égalitaire. C’est ce que montre et garantit la totale désappropriation des « Douze », puis de Paul et de ceux qui, par « saint appel » sont entrés dans son mode d’existence « désappropriée » (2 Tm 1,8 ; cf. Rm 1,1 ; Ga, 1,15). Sans que la fonction hiérarchique et la « vocation par laquelle on est choisi » puissent être mises sur le même pied, toutes deux montrent cependant – comme activités spontanées du Christ qui les insère dans l’Église – une parenté et une complémentarité réciproques, en tant que, par toutes deux, « l’élément démocratique » de l’Église reste référé à un élément personnel fondamental, préalablement donné, comme à sa condition de possibilité, – jusque dans la structure de la Jérusalem céleste (Ap 21,10 sv.).

II. Fondement christologique

Ce que nous avons dit jusqu’ici reste largement formel ; ce devait néanmoins être préalablement établi pour ménager à la vie selon les conseils une place en théologie, place qui la garantisse contre une absorption dans une sociologie ecclésiale fermée sur elle-même. Si, à tout instant, l’Église existe comme provenant du Christ et recevant de lui la responsabilité d’être ce qu’elle est, rien n’empêche que cet élément le plus formel qui la constitue lui soit sans cesse remis devant les yeux par la hiérarchie et les « vocations » spéciales. Forcée de se contempler dans ce miroir particulier, elle y aperçoit sans cesse son propre être et son événement dans son ensemble.

Mais comment pareille existence – notre thème, désormais, ne sera plus que la « vocation », et non la hiérarchie – est-elle après tout théologiquement possible ? Certainement sur la base d’une mise à la disposition du Christ et d’une implication de soi dans l’acte de son don à l’Église, acte qui la fonde. Quel est donc cet acte et comment peut-il être participé d’une façon qualitativement distincte ?

L’acte existentiel du Fils consiste à se laisser envoyer par le Père dans la condition humaine, à se laisser devenir homme dans le sein de Marie, puis à se conduire ensuite dans toutes les situations de cette condition humaine comme l’envoyé du Père, qui dispose de lui et le guide dans sa mission par et dans l’Esprit Saint. L’acte fondamental de l’existence du Christ est de faire non sa volonté, mais celle de son Père : à partir de cet acte fondamental se spécifient toutes ses missions, ses actions et ses omissions, son accueil des hommes qui l’entourent, tout jusqu’à sa passion et sa mort. On peut appeler cet acte fondamental, présupposé à toutes ses activités et passivités individuelles, son abandon à la volonté du Père et aux modalités concrètes qui lui en sont notifiées dans l’Esprit Saint. Seul cet acte fondamental nous donne la clef du paradoxe christologique, que Jésus puisse se présenter à nous avec, à la fois, l’autorité suprême et la plus grande humilité. Là où il s’exalte d’une manière apparemment inexplicable (« Qui prétends-tu être ? » Jn 8,53), il est pure transparence (« Ma doctrine n’est pas la mienne » Jn 7,16) ; là où toute son existence se bande et s’engage pour laisser la Parole de Dieu devenir « chair » en lui, elle ne pointe pas vers elle-même, mais elle est « vraie » précisément parce qu’elle ne « cherche pas sa propre gloire » (Jo 7,18). Notons déjà ici en passant que le verset intermédiaire 7,17 ouvre la possibilité pour d’autres de devenir participants de ce type d’existence et de s’éprouver donc de l’intérieur à sa vérité. Mais il y a d’abord une autre conclusion à tirer : la possibilité pour le Fils d’accomplir tout acte existentiel de l’homme comme une fonction de sa disponibilité (active !) envers le Père lui permet de dépasser les limites qui sinon s’imposent à l’homme. Là où l’homme façonne lui-même ses décisions et ses travaux à partir de sa propre spontanéité, chez Jésus, cette spontanéité, toute présente qu’elle soit, est néanmoins subsumée et déterminée par le don plus profond qu’il fait de lui-même au Père. Et là où l’action spontanée de l’homme atteint sa limite et doit laisser venir sur lui le non-voulu – oppositions, souffrance, mort, expérience de la vanité de toute action, etc. –, à ce même point, la perception de ces limites, parce qu’elle est reprise dans la disponibilité inchangée à la volonté du Père, est dotée d’une « fécondité » identique et même accrue. Nous pouvons introduire ici le terme biblique de « fécondité », parce qu’il signifie plus que les expressions valables dans la sphère active, donnant forme au monde, que sont : « intention », « but », « accomplissement », « rendement », « succès ». Ce qui est exprimé par ces mots peut se mesurer : combien de malades guéris, combien de pains rassemblés pour les frères, combien de vieillards solitaires soutenus et consolés ; précisément pour ce motif, c’est limité et appréciable d’un coup d’œil.

Par contre une disponibilité illimitée à la volonté du Père, comme celle du Fils, est fondamentalement inestimable et non-mesurable ; elle peut donc, pour le même motif, être employée de façon illimitée par le Père. C’est le matériau le plus précieux qui puisse lui être offert – étant donné que ce n’est pas de la résignation, mais un amour actif et brûlant – et, avec ce matériau, Dieu peut donner forme à tout ce qu’il veut. L’on doit même tout simplement dire que, sans ce matériau, il ne pourrait pas réaliser tout ce qu’il veut. Par exemple, il ne pourrait pas « se réconcilier le monde » en « faisant péché pour nous » (2 Co 5,19 sv.) cette parfaite disponibilité d’amour du Fils « qui ignorait tout péché » (ibid.), attendu que, pour ce mystérieux transfert, il avait exactement besoin de cette disponibilité illimitée, qui se laisse modeler à tout ce que veut le Père. Autrement, ce qui en sortirait, ce ne serait toujours que des résultats finis, humains, même s’ils sont bons et agréables à Dieu, mais jamais le royaume de Dieu. Les projets humains limités peuvent fournir une contribution à la venue de ce royaume à la condition qu’ils proviennent non du principe que sont les projets personnels finis, mais bien du principe qu’est la disponibilité parfaite au Père dans l’Esprit Saint. Pour le Christ, toute son existence est féconde parce que, au-delà de tous ses projets propres, il se laisse « planifier » par le Père ; il s’est laissé abuser et mésuser pour le salut du monde si fondamentalement qu’il n’aurait, en aucune façon, pu s’utiliser [1] lui-même de la sorte.

Il n’aurait certes pas pu, comme les Juifs le soupçonnaient (Jn 8,22), se laisser enlever la vie en faveur de ses frères : personne n’aurait d’ailleurs pu commencer de la sorte quelque chose de fructueux. Pas plus n’aurait-il pu oser se plonger dans le sentiment que le Père l’avait abandonné : par là il aurait mis des limites à l’amour pour son Père ou révélé des limites préalablement cachées en lui, et de nouveau personne n’en aurait été aidé. Les « actions » décisives de sa mission ne peuvent que lui être imposées par le Père, et elles ne peuvent vraiment l’être qu’à lui, qui manifeste pour le Père une disponibilité aimante illimitée, permettant au Père d’entreprendre avec lui plus que lui, le Fils, ne pourrait entreprendre par ses propres forces. Tel est l’unique a priori qui conditionne la possibilité de toutes les initiatives du Père pour la réconciliation du monde. Ainsi, pour prendre un exemple, le fait de prodiguer l’existence de Jésus au monde entier comme Eucharistie – chair immolée, sang répandu – n’est possible qu’en tant qu’il est un acte du Père qui « livre » le Fils comme « pain de vie », puisque le Fils est venu du Ciel « pour faire non pas (sa) volonté, mais la volonté de celui qui l’a envoyé » (Jn 6,35 sv.). La disponibilité aimante du Fils à se laisser livrer n’est pas moins infinie que celle du Père de sauver le monde en livrant son Fils : par cette disposition de même extension dans la réciprocité entre celui qui envoie et celui qui est envoyé, dans l’unité de l’Esprit qui en assure l’accomplissement, le dessein de Dieu peut aboutir. Ce geste un du Dieu un et trine est don de soi total et insurpassable au monde : aucune action chrétienne particulière s’insérant dans le monde des autres hommes ne mérite le qualificatif « chrétien » et aucune n’est féconde au sens du Christ si elle n’est pas « bâtie sur ce fondement qu’est le Christ » (1 Co 3,11).

III. La vie selon les conseils

Mais comment un homme fini, qui ne peut, à partir de lui-même, poser aucun acte infini envers Dieu, peut-il entrer dans la « forme du Christ » pour participer à la fécondité de son œuvre ? La réponse se donne par étapes : fondamentalement, c’est par la foi, qui renonce à sa propre mesure de la vérité et à son jugement propre, et laisse être vrai ce qui est vrai pour Dieu ; par le baptême, dans lequel il livre son existence dans l’événement de la mort et de la résurrection de Jésus et la fait, par l’action de Dieu, devenir une fonction de cet événement (Rm 6,3 sv.) ; par la participation à l’Eucharistie, dans laquelle il se remet corps et âme au Seigneur, comme un membre à ce Corps fécond qui lui est donné en partage (1 Co 6,13-20 ; 10,16 sv. ; 11,26 ; 12,12 sv.). Si toutefois nous dépassons cette réponse générale, nous en trouvons une seconde : la « vie selon les conseils », par laquelle l’acte de désappropriation de soi dans la foi et d’assimilation de soi à Dieu atteint une perfection insurpassable de la part de l’homme. Pour cela, il est en tout premier lieu essentiel que personne n’est capable ni autorisé à poser cet acte de sa propre initiative, mais en vertu d’une disposition, d’un appel et d’une grâce dont il est l’objet ; sans quoi, cet acte se contredirait dès sa toute première position. On ne peut assurément pas disposer soi-même de sa totale mise en état de disponibilité, mais seulement s’y laisser disposer, ce qui se fait bien entendu consciemment, dans l’amour et l’acquiescement. Telle est la vue qui est à la base de toute la conception des Exercices spirituels de saint Ignace. Elle est démontrée par l’existence de Marie, avec qui s’inaugure la vie de la Nouvelle Alliance. Marie a été choisie par décret divin comme Mère du Fils qui s’incarne ; cette grâce qui lui a été accordée la rend capable de dire à Dieu un oui sans limites, qui est sa foi pleinement actualisée (Lc 1,45 ; 11,28). Cette foi n’est pas seulement résignation passive, mais offrande de soi avec la disponibilité active de la « servante » à l’action du Saint-Esprit pour une chose qu’elle n’aurait jamais pu réaliser d’elle-même.

La disponibilité de Marie est si indivisible et globale qu’il est inutile et sans signification d’y distinguer les aspects de virginité, de pauvreté et d’obéissance. Dans cet acte fondamental, ils sont unis jusqu’à compénétration réciproque ; à proprement parler, on ne les distingue comme isolés que lorsqu’un aspect est détaché du reste et fait l’objet d’une restriction. Par exemple : « tout, sauf mon corps », pour ce motif que Marie est déjà promise à l’homme nommé Joseph. Mais elle ne met aucune restriction. Comme il est impensable que la vivante existence de Jésus, corps et âme, ait pu être destinée, entre les mains du Père, à devenir le pain de ce monde, si, par un lien matrimonial terrestre, elle avait été vouée à une autre disponibilité, ainsi est-il au moins « convenable » au plus haut degré que Dieu se serve de la fécondité humaine pleine, qui n’est limitée par aucun lien, pour faire que son Fils devienne homme : la fécondité d’une foi qui se met tout entière, corps et âme, à la disposition de l’appel et de la Parole de Dieu.

On voit sans plus que la manière dont Marie se tient disponible pour Dieu ne signifie pas une prépondérance de la « contemplation » sur l’« action » (si l’on veut après tout introduire ici ce couple de concepts grecs, non garantis par la Bible), ni non plus une prépondérance de « l’orientation vers Dieu » sur « l’orientation vers le monde » ; son attitude montre avec suffisamment de clarté, à partir de sa piété vétéro-testamentaire, que le Dieu d’Israël est un « Dieu avec nous » et « pour nous », qui n’exige la collaboration instrumentale de l’homme que pour cette raison qu’il veut, par lui, accomplir une œuvre salutaire pour les hommes. Le sachant et faisant une confiance sans réserve au plan salvifique de Dieu, Marie se livre sans restriction entre les mains de Dieu, pour n’opposer aucun obstacle à sa sainteté (pour « être sainte de corps et d’esprit » 1 Co 7,34), et permettre ainsi à l’œuvre de Dieu pour le monde de se réaliser à travers elle. Elle a clairement conscience d’être impliquée dans cette œuvre, son Magnificat le montre : « Car le Tout-Puissant a fait pour moi de grandes choses ; saint est son nom et sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » (Lc 1,49-50).

Le double couple de catégories signalé ci-dessus ne convient pas non plus pour l’acte qui fonde la vie selon les conseils. La concentration d’une existence croyante sur le noyau d’une disponibilité totale existentiellement ratifiée envers Dieu n’est pas contemplative (rien n’y est « contemplé » ni « médité »), mais elle est une inconditionnelle mise à la disposition de Dieu de ce qui m’est propre. Mais elle n’est pas non plus « active » au sens humain de ce terme : elle n’est pas entreprise par les forces propres de l’homme, elle manifeste seulement une disponibilité foncière illimitée. Tout aussi peu est-il possible d’appeler cette concentration « fuite du monde », pour cette raison que l’homme s’offre par elle à toute œuvre du Dieu sauveur : « Me voici, envoie-moi » (Is 6,8) ; « Vois, je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté » (Ps 40,8 = He 10,1). Mais cet acte n’est pas non plus simplement « orienté vers le monde », puisque cette orientation n’existe que par la volonté de Dieu qui décide. Par l’emploi de ces catégories, combien n’a-t-on pas battu de gerbes de paille vide, sans y découvrir le moindre grain véritable !

Toute la problématique de la vie selon les conseils, telle qu’on l’agite aujourd’hui sans répit, est toujours vraiment secondaire par rapport à ce qui vient d’être dit. Si ceci peut se faire valoir comme le principe reconnu et préalable, alors tous les projets de réforme peuvent être utiles et salutaires. Mais si l’ordre de valeur des réformes est méconnu, ce sont des forces de destruction qui s’introduisent jusque dans le noyau le plus précieux de l’Église, c’est sa fécondité la plus intime dans l’œuvre de grâce de Dieu qui est atteinte. À la place d’un pouvoir plus qu’humain (quelle femme pourrait, par ses propres forces, engendrer un Fils de Dieu ?), on introduit un pouvoir purement humain, fini, problématique et caduc. À la place d’une attitude qui, dans le don de soi à Dieu, se laisse disposer par lui pour le monde, on introduit une consécration au monde selon une mesure et une opinion propres, qui certes se propose de répondre par là aux vues de Dieu sur le monde, mais ne s’insère pas dans l’entreprise divine à sa source : elle se met à l’œuvre à une place choisie par soi, et donc à un point de départ propre. L’authentique puissance illimitée de fécondité de l’Église est abandonnée et échangée contre des actions individuelles asthmatiques, qui, trop souvent, demeurent sans résultat par suite de l’étroite influence de ceux qui sont engagés politiquement et économiquement – et combien sont en même temps compétents ? Pour tout chrétien, qu’il soit laïc, prêtre ou vive dans l’état des conseils, la solidarité avec le monde est une tâche qui va de soi. En cela, même les « ordres purement contemplatifs » ne représentent pas une exception ; bien plutôt, par l’absence d’œuvre apostolique particulière, ils font apparaître à l’état pur la structure mariale fondamentale de la disponibilité chrétienne, indiquée ci-dessus. A supposer qu’ici les siècles précédents n’aient pas pensé les choses de façon assez biblique et soient demeurés à l’intérieur d’une opposition philosophico-religieuse entre Dieu (l’Absolu) et le monde (le relatif), nous pourrons aujourd’hui compléter ce qui manque, de telle sorte que le premier point de départ n’en soit pas simplement dépassé. « Abandon à l’Absolu », « abandon absolu » (c’est-à-dire abandon d’une volonté propre qui met des conditions à Dieu), cela reste aussi chrétiennement le présupposé d’une fécondité dans le monde, non par la puissance de l’homme, mais par la force de la grâce du Dieu absolu, qui, dans sa volonté dernière en faveur du monde, utilise l’homme qui se met à sa disposition. Le Carmel réformé avait exactement compris qu’une telle offre au Dieu vivant entraîne d’une part l’imitation du Christ sur la croix et dans son abandon, mais garantit d’autre part, au plus profond d’elle-même, une fécondité apostolique dans l’Église et dans le monde, il est vrai, sans que celui qui se donne de la sorte arrive à percevoir ici-bas le fruit de son abandon.

IV. Distinction des états de vie

Toutes les questions sur la distinction des formes de vie dans l’état des conseils et sur la manière concrète dont les conseils parviennent à s’exprimer dans un accomplissement vital – quelque difficiles et enchevêtrées qu’elles puissent être – sont tout à fait secondaires par rapport à ce qui vient d’être dit. Ce qui est premier, c’est le don total de sa vie, assurément après mûres réflexion et expérimentation. Mais des « vœux pour un temps limité » incluent une restriction qui contredit l’acte fondamental décrit et est donc inadmissible. Celui qui dit qu’il ne pourrait garantir aujourd’hui son engagement pour les années à venir, remplace la reddition de soi à Dieu par une décision active, limitée, à réaliser par le sujet au moyen de ses propres forces. On devrait alors, pour les mêmes raisons, parler d’un « baptême temporaire », d’une « foi temporaire », et à la décision eschatologique de Dieu sur lui, l’homme ne donnerait qu’une réponse totalement inadéquate, qui n’en serait à la vérité pas une. Toutes les objections de la psychologie ont ici à céder devant cette claire exigence de la théologie. Le langage des péricopes de vocation de l’Évangile ne laisse place à aucun malentendu.

L’acte fondamental qui constitue la vie selon les conseils nous est apparu comme christologiquement déterminé ; précisément pour ce motif, il dépasse et englobe comme tel la tension entre « orientation vers Dieu » et « orientation vers le monde », entre contemplation et action, entre faire et pâtir. Assurément l’acte du Fils, dans son aspect foncier, est tourné vers le Père, mais vers un Père dont le Fils sait qu’il est décidé à la réconciliation du Fils, et, en conséquence, à l’envoi de ce Fils. Comment il enverra le Fils, comment il disposera des divers moments de sa vie d’envoyé, cela n’est pas encore donné dans le regard plein d’attente que le Fils jette sur son Père. Cette volonté du Père se dévoilera de telle sorte que certaines articulations majeures en seront claires, une fois pour toutes, pour son Fils, tandis que les modalités concrètes d’exécution ne seront promulguées qu’à chaque « heure » et en chaque situation. D’une part, la disponibilité foncière du Fils à faire la volonté du Père doit toujours à nouveau s’incarner dans la situation empirique limitée, pour se révéler comme une disponibilité transcendante illimitée ; d’autre part, l’exécution individuelle ne peut à aucun moment se détacher de la disponibilité illimitée et prétendre pour elle-même à une signification close : elle n’a de sens que comme preuve de l’actualité toujours persistante de la disponibilité illimitée permanente.

Si nous traduisons ceci dans la vie chrétienne selon les conseils, on voit alors selon quelle norme on doit apprécier la forme concrète que prend chacun des conseils. Dans toutes les formes diverses de la vie selon les conseils – des couvents contemplatifs cloîtrés, en passant par les Ordres actifs et les Congrégations, jusqu’aux Instituts séculiers – cette norme restera toujours la même : « être prêt » à une disponibilité totale et inconditionnée.

En ce qui concerne la virginité, l’unité de cette norme dans toutes les situations ne peut pas poser de problème, surtout lorsque le regard se porte sur l’indivise disposition corporelle du Christ à la prodigalité eucharistique et sur la disposition corporelle tout aussi indivise de Marie à concevoir par l’œuvre du Saint-Esprit.

En matière de pauvreté, la règle correcte – qui peut être établie de façon très différente dans des groupes différents – sera toujours trouvée par réflexion sur la norme christologique : me contenter de ce qui m’est attribué sans m’appartenir et que je dois utiliser dans le sens de la volonté de Dieu. Et ce sens se ramènera toujours à un témoignage digne de foi que Dieu lui-même a voulu devenir pauvre pour nous enrichir (2 Co 8,9) : le Père pauvre, puisqu’il s’est dépouillé de sa seule richesse, le Fils, pour nous l’offrir ; le Fils pauvre, puisqu’il n’avait, pour y reposer la tête, que la volonté du Père qui le dépouillait ; l’Esprit pauvre, puisqu’il est l’amour dépouillé du Père et du Fils, et que son œuvre consiste à introduire, de l’intérieur (Rm 8,5 sv., 26), les cœurs dans l’œuvre divine du dépouillement de soi. La vérité de la pauvreté chrétienne dépend en conséquence de la disposition (toujours nouvelle) au dépouillement, qui est d’abord un « se laisser dépouiller », et de la vérité perceptible pour le monde et croyable par lui du témoignage vécu de cette conviction.

C’est en matière d’obéissance que le regard sur cette norme est le plus difficile. Le Fils regarde continuellement et toujours à nouveau vers le Père pour découvrir la lumière de sa volonté ; de nombreux rayons semblent se réunir, pour rendre cette lumière dans sa simplicité : une connaissance globale par le Fils des dispositions du Père, une expérience vitale fondée sur le passé et éclairante pour l’avenir, les indications de la loi donnée par le Père, les prières des justes, les prédictions des prophètes, mais aussi la situation qui l’environne, les hommes qui lui sont amenés par le Père (Jn 6,44), et dont cependant il doit souvent écarter les instances, étant donné que le plan d’ensemble a priorité sur les exigences de la situation immédiate, même lorsque celle-ci promettrait des succès partiels. Cette multiplicité de rayons est ramenée à l’unité par le Saint-Esprit « qui demeure sur lui » (Jn 1,32), poursuivant le rôle « économique » qu’il a entrepris à l’Incarnation, étant donné que l’Esprit a « activement » réalisé l’initiative du Père dans le sein de la Vierge, tandis que le Fils se laissait « passivement » incarner dans notre humanité (« incarnatus est » et pas « incarnavit se »). Sur celui qui est l’objet de la promesse « repose l’esprit de Jahvé » (Is 11,1), qui, dans l’Ancien Testament, est toujours un Esprit qui vient d’en-haut, qui guide et inspire, en opposition nette avec « l’esprit propre » des faux prophètes (Ez 13,3). De ce que Jésus « suive » cet Esprit, soit « mené » par lui (Lc 4,1, etc.), il est évident entre autres que, bien que cet Esprit lui soit confié en plénitude (Jn 3, 34), il n’en dispose pas tant qu’il n’a pas achevé son œuvre d’obéissance (Jn 7,39), mais seulement après son Ascension, dans laquelle lui est explicitement donnée la puissance de disposer de l’Esprit (Ac 2,33 ; cf. Rm 1,4).

Dans la vie selon les conseils, la disposition du croyant à dépendre entièrement, avec le Fils, de la volonté du Père se concrétisera en conséquence également en obéissance à l’Esprit qui guide et attire, qui médiatise à tout instant l’immédiateté au Père dans l’incarnation, et par là en même temps rassemble les motifs dispersés de prendre une décision. Mais, au fidèle individuel, l’Esprit Saint qui attire et dont la « loi » (Rm 3, 2) doit être accomplie avec obéissance pour que l’on soit enfant de Dieu, n’est jamais donné que dans le sein de l’Église qui l’englobe, jamais sinon « avec tous les saints » (Ep 3,18) : ce n’est pas comme individu qu’il est assuré de l’immédiateté médiatisée par l’Esprit avec la volonté du Père, et cet englobement par l’Église se concrétise pour lui dans la Règle, à la fois pneumatique et ecclésiastique (« approuvée ») et dans le Supérieur de la communauté, qui incarne pour l’obéissant son insertion dans la communauté ecclésiale. Cette manière de participer à l’immédiateté du Saint-Esprit est la garantie indispensable pour que l’individu, qui reste toujours un pécheur (c’est-à-dire qui est porté à substituer sa volonté à celle de Dieu), ne confonde pas son esprit propre avec l’Esprit de Dieu, et qu’il ne le mette pas non plus simplement, comme s’il disposait de l’Esprit, sur le même pied que l’authentique esprit de l’Église, qu’il estime peut-être mieux connaître que ses représentants officiels. Même la contestation nécessaire, le cas échéant, contre certaines formes et certaines manifestations de l’Église, ne peut jamais passer outre à l’esprit commun de l’Église, mais doit résulter d’un effort d’entente, qui finit toujours par être une obéissance (même si c’est en pleine tension) à l’esprit de cette Église, qui est toujours aussi organisée de façon hiérarchique. Tout ceci devait être dit ou du moins brièvement touché, si l’on veut que soit perçue l’amplitude de jeu des modalités de l’obéissance dans la vie selon les conseils.

Dans l’une des situations limites, celle de la (relativement) « pure contemplation », cette obéissance peut être vraiment de renoncer à donner soi-même forme à sa vie pour se soumettre entièrement à la direction d’un guide spirituellement doué, d’un « père spirituel » (l’Abbé, au sens étymologique d’abba = père) ; en ce cas, la disposition stable transcendante envers Dieu devient continuellement visible d’une manière pleinement apparente. Mais là où les missions que le chrétien doit remplir dans le monde deviennent plus concrètes, l’intégration devient elle aussi plus complexe entre les exigences du travail assumé, la volonté du Supérieur (qui rend concret l’esprit global de la communauté et de sa règle, et finalement de l’Église) et la volonté de Dieu qui ramène tout à l’unité dans l’Esprit Saint. De quelque manière que se présentent ces éléments à intégrer, les remarques suivantes valent en tout cas pour toutes les formes de vie :

  1. Le choix, la conservation, le changement d’une profession civile ne peut, dans la vie selon les conseils, qu’être fonction et expression de la disponibilité originelle (christologique) ouverte à toute volonté divine, et ne peut donc résulter d’une reprise personnelle ni être fait indépendamment des instances religieuses. Assurément celles-ci doivent ici tenir compte de la possibilité de consignes immédiates de l’Esprit à une personne particulière (dans sa répartition des charismes « comme il lui plaît » 1 Co 12,11). Dans l’obéissance commune du Supérieur et de l’inférieur à l’Esprit, la volonté de Dieu peut être découverte de telle sorte que le membre ne perde pas son caractère de membre du tout qui l’englobe ni sa représentation au sein de celui-ci.
  2. Ce qui devient alors clair pour tous (même les Instituts séculiers) lorsque la disposition christologique fondamentale n’est pas obnubilée par l’urgence des tâches individuelles dans le monde, c’est ceci : la tâche particulière reçoit sa fécondité chrétienne particulière – exactement dans la vie selon les conseils – par le fait qu’elle reste, en bloc comme en détail et dans chaque cas particulier, une expression de la disponibilité totale à Dieu. Jamais une tâche ne devient propriété personnelle du chrétien. À tout instant, il peut être rappelé à Dieu par la mort, et non moins peut-il à tout instant être orienté en un autre sens par Dieu. Ceci ne veut pas dire que la volonté de tel supérieur particulier serait immédiatement identique avec la volonté de Dieu, mais cependant que l’intérêt et le bien de l’Église et aussi de la communauté, et de même la vue d’un Supérieur sur le bien spirituel d’un membre peuvent peser d’un poids décisif dans la balance lors d’une nouvelle décision. Si la disponibilité générale originelle est un acte d’amour croyant et si l’intégration ecclésiale se produit à l’intérieur de ce même amour chrétien désintéressé, alors est aussi présente la garantie que l’imitation du Christ dans son obéissance au Père par l’Esprit Saint pourra aboutir sans trouble ni distorsion.
  3. Les étapes de l’intégration de l’obéissance concrètement vécue dans l’obéissance globale qu’est la disponibilité peuvent prendre de nombreuses formes, sans que l’on puisse les ranger selon une échelle de valeurs. L’obéissance dans le Carmel ou dans la Compagnie de Jésus n’est pas objectivement « plus parfaite » que celle d’un Institut séculier, pourvu que l’obéissance y soit théologiquement comprise de façon correcte et non pas édulcorée. Que les règles prévoient que les détails du travail quotidien seront fixés par le supérieur, que le supérieur ait le pouvoir de déplacer, sans beaucoup de façons, d’un poste responsable à un autre, ou qu’une responsabilité prise dans l’obéissance ait un tel poids que le supérieur (au moins comme individu) se soit lié lui-même plus profondément dans pareille décision et ait donc à éprouver plus profondément son obéissance concrète au Saint-Esprit et à la faire entrer en ligne de compte, toute cette médiation reste toujours une actualisation de l’œuvre du Saint-Esprit comme « règle » que le Père qui envoie impose de suivre au Fils qu’il envoie et, dans le Fils, à tous ceux qui, dans la vie selon les conseils, veulent adopter la forma Christi comme seule forme d’existence.

Puisqu’il s’agit toujours de la règle de l’Esprit qui, à Pâques et à la Pentecôte, a été insufflé à l’Église, nous nous trouvons donc loin de la loi vétéro-testamentaire : en suivant les conseils du Christ, nous sommes plutôt non plus des serviteurs, mais des fils ; par notre entrée dans la disponibilité tout à fait libre envers le Père, nous sommes à proprement parler libérés pour la liberté du Christ et des enfants de Dieu. Au plein milieu de notre orientation vers le monde, dans la prise en charge de pesantes responsabilités dans ce monde, nous restons en fin de compte libres dans la libre disposition de Dieu, nous ne sommes tombés aux mains et sous la coupe d’aucune puissance du monde, nous pouvons exactement nous donner à notre tâche comme en une double responsabilité féconde : dans l’immédiat, en ce que nous souhaitons accomplir cette tâche dans l’amour chrétien pour Dieu et pour le prochain ; en profondeur, en ce que nous nous laissons – habituellement et à chaque fois de nouveau actuellement – envoyer dans notre abandon dernier avec le Christ : comme, quand, où et aussi longtemps que Dieu voudra.

Arnold Böcklinstrasse 42
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[1Le texte allemand comporte un jeu de mots, presque intraduisible, entre « verbrauchen », « misbrauchen » et « gebrauchen » (Note du traducteur).

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