L’œuvre du renouveau
Jean Galot, s.j.
N°1966-1 • Janvier 1966
| P. 47-60 |
La lecture en ligne de l’article est en accès libre.
Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.
1. La nature du renouveau
C’est par un paradoxe que le décret conciliaire décrit la nature du « renouveau adapté » de la vie religieuse. Ce renouveau n’implique pas seulement l’adaptation aux conditions nouvelles d’existence, mais avant tout un retour aux sources, à la fois aux sources de la vie chrétienne et à l’inspiration primitive des instituts.
Ce qui est proprement paradoxal, c’est que le renouveau soit identifié à un retour aux sources. On aurait compris plus aisément qu’il faille concilier les exigences du renouveau avec celles de la tradition et associer à un besoin actuel de renouveau un retour vers le passé. On est surpris de lire que le renouveau lui-même consiste à se replonger dans le passé.
En réalité, cette identité du renouveau et du retour aux sources s’explique par la nature même du fait chrétien. Le christianisme est la religion où, d’une certaine manière, tout a été donné dans la source originelle. On exprime cette vérité en disant que la Révélation s’est achevée avec le temps des apôtres. Le Christ s’est livré définitivement et complètement à l’humanité ; il a opéré toute la Rédemption et mérité le salut de tous les hommes. À la Pentecôte, le don de l’Esprit Saint a eu heu en plénitude, et l’Église a été formée avec tout ce qui lui était nécessaire pour parcourir les siècles de l’histoire à venir. Aussi, lorsque la vie chrétienne veut se renouveler, elle doit toujours chercher le jaillissement de nouveauté dans cette source primitive, dans l’événement unique du salut, où l’on trouve le Christ ressuscité et le don de l’Esprit. Le renouveau de la vie religieuse doit puiser son élan à la même source.
La fondation d’un institut religieux ne peut se comparer à la fondation de l’Église. Toutefois on peut y relever une certaine ressemblance avec elle. Dans l’inspiration de l’Esprit Saint qui suscite une nouvelle famille religieuse, est en quelque sorte précontenu tout le développement futur de cette famille. Le charisme n’est pas seulement accordé pour l’époque de la fondation, mais pour un cheminement plus long à travers le temps. Dès lors, il s’indique de revenir à cette inspiration originelle pour redonner une vie plus neuve à l’institut.
En parlant de ce retour à l’inspiration originelle, le décret n’a pas voulu, notons-le, prôner un retour à la ferveur primitive ; le texte a même été modifié pour éviter qu’on le comprenne en ce sens [1]. Pareil retour à la ferveur supposerait que les premiers membres de l’Institut avaient des dispositions d’âme que n’auraient plus les membres actuels. En fait, il ne s’agit pas de retrouver une disposition de ferveur, mais de revenir à la grâce ou au charisme qui a présidé à la fondation : un retour, non vers une attitude humaine, mais vers le don initial de Dieu.
Si l’on veut scruter à fond ce principe d’un renouveau qui est identiquement retour aux sources, on saisit que la nouveauté désirée n’est pas une nouveauté à la manière humaine mais à la manière divine. Dieu est l’être toujours nouveau, en qui jamais rien ne vieillit et qui dépasse infiniment tout écoulement de durée. Par son Incarnation le Fils de Dieu a enfermé dans un moment privilégié du temps une nouveauté capable d’animer et de ranimer sans cesse la suite de l’histoire. C’est à cette inépuisable nouveauté divine que l’Église doit sa perpétuelle jeunesse et ses possibilités d’un renouveau continuel. Ainsi le renouveau résulte essentiellement du contact avec Dieu. C’est ce contact que signifie le retour aux sources.
En outre, le contact avec Dieu garantit que le renouveau sera en même temps adaptation aux circonstances d’aujourd’hui : la nouveauté divine s’incarne parfaitement dans toutes les époques humaines, et réussit à s’exprimer conformément à la mentalité et aux circonstances. Lorsqu’il part de la source suprême qu’est le don de Dieu en son Fils incarné, le renouveau est toujours un « renouveau adapté ».
La conception du renouveau proposée par le décret repose donc sur un solide fondement théologique. Le paradoxe de l’identité d’un renouveau qui soit à la fois adaptation et retour aux sources nous fait soupçonner la merveille du don divin qui enjambe le temps et qui d’une source ancienne fait éclater une nouveauté pleinement actuelle. On donnera par là raison au Concile de n’avoir même pas voulu parler, dans le décret, d’un « double aspect » pour ne pas séparer renouveau et adaptation, et d’avoir continuellement parlé d’un « renouveau adapté » pour y faire reconnaître une réalité ou un mouvement unique.
2. La direction du renouveau
Le renouveau doit s’accomplir « sous l’impulsion de l’Esprit Saint et la direction de l’Église ».
La mention de l’impulsion du Saint-Esprit est fort brève, mais elle exprime une vérité de première importance. Il n’est pas sans intérêt d’observer que 435 Pères avaient demandé expressément qu’on fasse cette mention. Ils l’ont fait dans la conscience que le renouveau n’est pas une tâche que par leurs propres forces humaines les instituts religieux pourraient mener à bien. Ce doit être une action qui provient de Dieu, et plus particulièrement de la personne divine qui opère la sanctification de l’humanité et répand les charismes. En rappelant que l’impulsion du Saint-Esprit déclenche et oriente tout le renouveau, le Concile fait une profession de foi et invite tous les lecteurs du décret à s’y joindre.
Déjà l’inspiration du Saint-Esprit avait été mentionnée dans le tableau du développement historique de la vie consacrée ; cette mention nous faisait comprendre que les faits de l’histoire ne doivent pas simplement s’expliquer par des dispositions humaines, si saintes et si élevées soient-elles, mais qu’ils ont leur origine dans l’action supérieure de Dieu. En mentionnant une nouvelle fois l’impulsion du Saint-Esprit, le décret nous laisse entendre que le renouveau s’effectuera comme le premier départ, sous la même direction divine.
Dans cette impulsion nous tenons plus spécialement la garantie que le renouveau s’effectuera dans le sens d’un amour plus large, plus profond et plus universel. L’Esprit Saint étant l’amour divin en personne, la direction qu’il imprime au renouveau ne peut être que celle de l’amour, et d’un amour où l’homme dépasse toujours davantage ses limites humaines.
À cette direction invisible, le Concile associe la direction visible de l’Église. Il entend celle-ci au sens le plus ample, car il a choisi une expression plus universelle que celle qui était proposée par certains : « sous la vigilance des pasteurs ». En disant « sous la direction de l’Église », le décret vise, selon le commentaire de la commission, « toutes les autorités qui, de quelque façon et à quelque titre que ce soit, doivent promouvoir et diriger le renouveau ». Bien entendu, le renouveau se fera sous la vigilance des pasteurs, mais la « direction de l’Église » s’étend bien au-delà : ici s’affirme la conviction que l’orientation de la vie religieuse n’est pas seulement confiée à la hiérarchie. En décrivant le développement historique de la vie consacrée, le décret montre l’initiative des fondateurs, inspirés par l’Esprit Saint, et fait consister le rôle de l’Église dans un accueil bienveillant et dans une approbation. L’œuvre de renouveau doit donc prendre d’abord la direction qui s’affirme au sein de la vie religieuse elle-même.
Dans l’expression voulue au sens le plus général : « sous la direction de l’Église », on reconnaît aisément la perspective conciliaire dans laquelle s’est affirmée la théologie de l’Église : celle d’une Église qui étant peuple de Dieu, se forme avec la coopération de tous ses membres. La traduction littérale de l’expression rend encore mieux cette nuance : « avec l’Église pour guide ». C’est l’Église dans tout son épanouissement spirituel d’aujourd’hui qui doit guider le renouveau ; c’est sa manière actuelle de vivre la vie du Christ qui doit animer les instituts religieux.
Dès lors ceux qui se sont engagés dans la vie consacrée doivent se mettre à l’écoute de l’Église, mieux connaître ses tendances, ses aspirations, ses découvertes ou redécouvertes, et s’imprégner de son esprit. Prendre l’Église pour guide dans le renouveau signifie se mettre en symbiose, en communion vitale avec elle plus que se soumettre à un contrôle juridique.
3. Les principes fondamentaux du renouveau
Le décret énumère cinq principes suivant lesquels doit s’effectuer le renouveau. On ne peut pas dire que ces principes soient rangés par ordre d’importance, car le caractère propre des divers instituts est mentionné avant la vie de l’Église, et le renouveau spirituel n’est cité qu’en dernier lieu.
a) Le Christ de l’Évangile
Le premier principe du renouveau est présenté comme norme ultime de la vie religieuse : c’est la marche à la suite du Christ, telle qu’elle est proposée dans l’Évangile.
Cette marche à la suite du Christ est à la fois imitation du Maître et adhésion la plus intime à lui. Si elle « doit être tenue par tous les instituts comme leur règle suprême », il faut qu’elle devienne davantage le point de référence de la règle des instituts eux-mêmes [2]. Trop souvent la relation entre les règles religieuses et cette règle vivante qu’est le Christ de l’Évangile n’a pas été suffisamment étudiée ni mise en valeur. L’inspiration du fondateur a été recueillie comme telle, sans qu’on se préoccupe assez de manifester en elle une traduction de l’idéal évangélique. En mettant en avant leur fondateur, les instituts ont parfois donné l’impression de laisser dans l’ombre le fondateur par excellence, le Christ : on ne peut nier, nous semble-t-il, qu’ils ont parfois agi comme si leur fondateur particulier, avec la règle ou les constitutions qu’il a laissées à son institut, formait vraiment la norme suprême. La pensée de ce fondateur était regardée comme décisive, sans qu’on prenne soin de la fonder ultérieurement sur l’Évangile.
Désormais, le rapport avec l’idéal évangélique devra apparaître avec plus de clarté. Les documents, règles, directoires, constitutions où s’expriment la nature et le régime des instituts, devront présenter leur justification par l’Évangile et par l’exemple du Christ. Reconnaissons que cela demandera un grand travail d’approfondissement doctrinal et même d’investigation exégétique : les religieux devront s’efforcer de mieux explorer l’Évangile et de mieux connaître la personne du Sauveur afin de pouvoir y conformer plus lucidement leur mode de vie.
b) La nature propre de chaque institut
Le décret cite en deuxième lieu, comme critère du renouveau, la nature propre de l’institut. Mais il affirme d’abord, pour éviter toute conception particulariste, que c’est le bien de l’Église qui justifie la nature particulière de chaque institut : « Le bien même de l’Église demande que les instituts aient leur caractère et leur fonction propres. »
Pour que l’inspiration originelle de l’institut puisse servir de base à un renouveau, il faut qu’elle soit aperçue avec plus de clarté, car l’évolution ultérieure, avec ses interprétations et ses modifications, a pu obscurcir le sens de la fondation primitive et empêcher d’en saisir pleinement le véritable esprit. « On mettra en lumière et on maintiendra fidèlement l’esprit des fondateurs et leurs intentions spécifiques, de même que les saines traditions, l’ensemble constituant le patrimoine de chaque institut. »
L’énoncé de ce critère montre que l’Église actuelle, comme l’Église d’autrefois, désire conserver la variété des instituts, la diversité des formes de vie consacrée, comme manifestation de l’abondance des charismes de l’Esprit Saint, et comme contribution à la mission de l’Église. L’uniformisation serait un appauvrissement, ainsi qu’une infidélité au dessein de Dieu.
Ce que le Concile demande, c’est un contrôle de l’authenticité du charisme, par un retour à l’esprit du fondateur. Ce retour n’implique d’ailleurs pas qu’on garde intact tout ce qui vient du passé. Le décret parle du maintien des « saines traditions » ; il ne précise pas davantage, mais il suppose qu’on examine le bienfondé de ces traditions, pour apprécier si elles sont « saines ».
L’expression « patrimoine de chaque institut » ne devrait pas être comprise comme une sorte de droit de propriété ni de domaine immuable, car l’immutabilité n’est garantie à aucun institut et le sentiment de propriété s’accorderait mal avec la conscience d’être entièrement au service de l’Église. Le décret a voulu plutôt évoquer un bien de famille : le patrimoine c’est ce que possèdent ensemble les membres d’une même famille religieuse, depuis la fondation de l’institut. C’est une possession aimée d’une certaine affection, mais qui ne se réalise que par amour du Christ et par désir de mieux établir son royaume. Il s’agit donc d’un patrimoine possédé pour l’Église et mis à sa disposition.
c) La participation à la vie de l’Église
Le décret ne demande pas seulement aux instituts de coopérer au bien de l’Église par leur nature et leur activité particulières, mais encore de participer à la vie universelle de l’Église, et cela dans tous les domaines. Un institut ne pourrait donc jamais s’ériger en « petit monde à part », même avec l’intention de servir l’Église ; tous sont invités à assumer en eux la vie ecclésiale, à s’ouvrir pleinement aux préoccupations les plus essentielles de la communauté chrétienne.
« Tous les instituts doivent prendre part à la vie de l’Église et, tenant compte de leur caractère propre, faire leurs et favoriser de leur mieux ses initiatives et ses intentions ; notamment dans le domaine biblique, liturgique, dogmatique, pastoral, œcuménique, missionnaire et social. »
On pourrait traduire cette règle par la formule : « Rien de ce qui se passe et se vit dans l’Église ne peut être étranger aux instituts. » Il faut principalement veiller à épouser la mentalité de l’Église, à ne rien tolérer qui contredise cette mentalité.
Voyons brièvement les divers domaines cités par le décret.
La ferveur du retour à la Bible doit se retrouver en chaque institut. Une meilleure formation biblique doit être prévue pour les jeunes, et à tous les membres doit être offerte la possibilité d’approfondir leurs connaissances bibliques. La prière d’inspiration biblique doit être particulièrement favorisée. Nous avons déjà relevé la nécessité de revoir à la lumière de l’Évangile la règle religieuse.
Dans la magnifique efflorescence liturgique qui caractérise l’époque actuelle de l’Église, beaucoup de religieux ont été des promoteurs. Ce mouvement liturgique offre aux familles religieuses l’occasion de renouveler leur vie spirituelle, de donner un regain de vitalité à leur prière.
Les instituts religieux ont également joué un grand rôle dans le développement des études dogmatiques, depuis le moyen âge jusqu’à nos jours. Mais certains instituts, surtout féminins, n’avaient pas, dans le passé, prévu de formation doctrinale approfondie pour leurs membres. Plus que tout autre, celui qui consacre sa vie au Seigneur doit éclairer au maximum sa foi par des études théologiques.
Dans le domaine pastoral, l’accent a été mis ces derniers temps sur les programmes d’ensemble. On doit avouer que les instituts religieux ont souvent mené leur tâche apostolique en ordre trop dispersé. Ils s’efforceront de s’intégrer de plus en plus dans la pastorale d’ensemble, de participer, dans toute la mesure du possible, aux initiatives, à l’essai de nouvelles méthodes, à l’effort commun que prévoit ou recommande cette pastorale. Ils travailleront dans un esprit de coopération avec la hiérarchie et les autres instituts.
Le mouvement œcuménique engage les religieux à professer cet esprit d’ouverture, de sympathie et de compréhension, selon l’attitude actuelle de toute l’Église envers les frères séparés. Les instituts se feront les instruments de ce rapprochement ou du moins contribueront à répandre une mentalité d’accueil et de charité, à l’égard des protestants et des orthodoxes.
Il serait inutile de souligner la place occupée par les religieux dans l’expansion missionnaire de l’Église. Mais il importe de rappeler que le zèle missionnaire doit animer tous les instituts ; autant que possible ils doivent se livrer à une activité missionnaire, et les intentions missionnaires doivent être présentes dans leur prière et leur offrande au Seigneur.
Pour ce qui est du domaine social, la doctrine professée par l’Église doit trouver surtout un écho dans la mentalité des religieux. Il importe d’effacer tout ce qui ressemblerait à des préjugés aristocratiques ou à une distinction de classes sociales. Le décret demande plus loin que les différences de degré à l’intérieur des communautés soient supprimées (15) Notons que la pauvreté évangélique, sincèrement et sérieusement vécue, est la meilleure préparation d’âme à une mentalité sociale chrétienne (13).
Le décret ne limite pas à ces divers domaines l’effort des instituts ; dans tous les autres domaines, quels qu’ils soient, les religieux sont invités à un engagement ecclésial.
d) La connaissance du monde
Ce critère rend un son nouveau. Traditionnellement on avait tellement insisté sur la séparation du monde que bien des instituts n’avaient pas manifesté un souci suffisant d’adaptation. Pour que cette adaptation ait lieu, le décret demande une meilleure connaissance des conditions actuelles d’existence.
« Les instituts doivent promouvoir chez leurs membres une connaissance convenable des conditions de vie des hommes de leur temps, ainsi que des besoins de l’Église, de sorte que, discernant avec sagesse, à la lumière de la foi, les traits particuliers du monde d’aujourd’hui et brûlant de zèle apostolique, ils soient à même de porter aux hommes un secours plus efficace. »
Remarquons que l’exhortation ne vaut pas seulement pour les instituts adonnés à une activité apostolique. Elle s’adresse aux instituts en général, par conséquent même aux instituts purement contemplatifs. Certes, la connaissance du monde est recommandée dans un but apostolique : porter aux hommes un secours plus efficace. Mais ce but n’est pas uniquement celui d’une activité directement apostolique. Les instituts contemplatifs doivent promouvoir une prière apostolique, et rien ne vaut la connaissance des besoins spirituels des hommes d’aujourd’hui pour stimuler cette prière. En outre le témoignage que les membres d’instituts contemplatifs sont appelés à rendre doit se faire à bon escient, à la lumière de la mentalité contemporaine. Ainsi, un effort d’information est imposé à tous les religieux en vue de l’efficacité apostolique de leur vie soit par l’activité soit par la prière et le témoignage.
Il va sans dire que cette information doit se faire judicieusement, et qu’elle ne pourrait autoriser toutes les connaissances ni toutes les expériences : son objectif est de permettre un « sage discernement, à la lumière de la foi, des traits particuliers du monde d’aujourd’hui », en vue d’un apostolat plus fécond. Il s’agit donc d’une connaissance qui se guide par un esprit de foi et qui prend pour mesure de son développement le service apostolique. En faisant allusion aux interventions de certains Pères du Concile, notamment du Cardinal Döpfner, qui avaient demandé qu’on parle de la connaissance des hommes de notre époque, la commission déclare : « cette connaissance du monde n’est cependant pas seulement naturelle ; elle doit être aussi éclairée par la foi et être ordonnée à l’œuvre du salut du monde. »
e) Le renouveau spirituel
Si le renouveau spirituel ne vient qu’en dernier lieu parmi les principes du renouveau, ce n’est pas qu’il revête moins d’importance ; en effet le décret nous avertit que sans lui l’adaptation ne peut produire de fruit.
« Puisque la vie religieuse a pour but premier que ses adeptes suivent le Christ et s’unissent à Dieu par la profession des conseils évangéliques, il faut peser sérieusement cette considération : les meilleures adaptations aux exigences de notre temps ne produisent leur effet qu’animées par une rénovation spirituelle. A celle-ci on doit toujours attribuer le rôle principal, même dans le développement des activités extérieures. »
On pourrait craindre en effet que le souci d’adaptation devienne l’unique préoccupation des religieux. Aussi 385 Pères avaient-ils demandé qu’on affirme la nécessité primordiale d’un renouveau spirituel, et le Concile a fait droit à cette demande.
La nature du renouveau spirituel n’est pas précisée. Mais la raison qu’on en donne est suffisamment éclairante sur ce point : il s’agit d’atteindre le but premier de la vie religieuse, suivre le Christ et s’unir à Dieu. C’est dans le contact avec le Christ et avec Dieu que réside donc la rénovation essentielle, et on ne doit jamais perdre cette vérité de vue, surtout lorsqu’on est engagé à fond dans une activité extérieure.
4. Critères pratiques de l’adaptation
Après avoir déterminé les principes fondamentaux du renouveau, le décret énonce brièvement les critères pratiques de l’adaptation.
« Le régime de vie, de prière et d’activité doit être convenablement adapté aux conditions physiques et psychiques actuelles des religieux, et aussi, dans la mesure où le requiert le caractère de chaque institut, aux besoins de l’apostolat, aux exigences de la culture, aux circonstances sociales et économiques ; cela en tout lieu, mais particulièrement dans les pays de mission. »
Le premier critère est la condition physique et psychique des religieux eux-mêmes. Le régime de vie s’est souvent établi de manière empirique ou suivant quelques normes traditionnelles, sans qu’on étudie jamais sa convenance à la santé, ainsi qu’à l’équilibre moral. Ne pourrait-on pas, par exemple, soumettre le régime à un examen médical, vérifier s’il n’impose pas une trop grande tension nerveuse ? Il importe également de contrôler si le régime de prière ne comporte pas des accumulations épuisantes, et si le régime d’activité n’entraîne pas, comme c’est fréquemment le cas, une notable surcharge.
Parmi les autres critères, il y a d’abord les besoins de l’apostolat. Du fait que la vie religieuse a une destination apostolique essentielle, elle doit s’organiser en conséquence. Or il est arrivé que le régime de vie, dans des instituts voués à l’apostolat, soit trop calqué sur le régime monastique et qu’il constitue une entrave à l’accomplissement de l’activité apostolique. Le régime doit donc être concrètement repensé en fonction de la mission apostolique assumée par l’institut. Il convient notamment d’éviter tout égoïsme collectif, qui sacrifierait à des commodités de vie commune le dévouement au service du prochain.
Les exigences de la culture prennent plus d’importance aujourd’hui, et on ne s’étonne pas qu’elles soient indiquées comme critère d’adaptation. La formation des religieux sera mieux assurée à l’avenir ; la connaissance du monde environnant leur est expressément recommandée, en vue d’un apostolat plus fécond. Le régime de vie devra donc permettre le développement culturel, l’accès aisé à certaines sources d’information, certaines fréquentations de cours, de cercles ou de conférences, etc.
Quant aux circonstances sociales et économiques, il est normal qu’elles aient une influence sur le régime de la vie religieuse ; un traditionalisme mal éclairé a parfois gêné l’adaptation en ce domaine, ou l’a retardée de telle sorte que des instituts paraissent vivre au rythme d’une autre génération ou d’un autre siècle.
Si l’adaptation est surtout nécessaire en pays de mission, c’est que les religieux qui s’y livrent à l’apostolat y avaient souvent introduit les coutumes et le genre de vie de leurs pays d’origine. Aussi un effort plus considérable doit-il être fait pour insérer pleinement la vie religieuse dans le milieu où elle est implantée.
Après l’énoncé de la règle générale d’une adaptation suivant ces divers critères pratiques, le décret prescrit un examen, suivant les mêmes critères, du régime de gouvernement. En ajoutant cette proposition, la commission a accédé au désir de 435 Pères qui avaient réclamé l’examen de la structure des communautés. La demande visait surtout les religieuses et tendait à instaurer une coopération active et adulte de tous les membres au bien des instituts. Le décret énonce la proposition de façon universelle, si bien que tous les instituts, quels qu’ils soient, sont invités à réviser leur système de gouvernement en tenant compte de la mentalité actuelle. Cette tâche s’impose d’autant plus clairement que l’Église tout entière, par les travaux du Concile, a remis au point le régime de son gouvernement, en affirmant le principe de la collégialité. Engagés à prendre part à la vie de l’Église et à son esprit, les instituts doivent donc remettre au point, suivant la même orientation, leurs structures communautaires.
Enfin, pour que l’adaptation s’inscrive dans le droit et les règles de chaque institut, le décret prescrit la révision des constitutions, directoires, coutumiers, livres de prières ou de cérémonies ou recueils du même genre, avec la suppression de tout ce qui est désuet. Bien souvent ces ouvrages ou recueils ont accumulé au cours des années ou des siècles les apports successifs d’époques révolues, mais même dans le cas où ils auraient été révisés et amendés dans les dernières années, ils doivent faire l’objet d’une nouvelle révision, d’après les principes et critères énoncés par le décret. Aucun institut ne peut se soustraire à l’application du renouveau voulu par le Concile, en prétendant qu’il avait déjà réalisé l’adaptation avant le décret. Tous doivent au moins examiner sérieusement, selon la nouvelle charte de la vie religieuse, leurs règles et constitutions.
5. Sujets responsables du renouveau et de l’adaptation
Lorsqu’il indique ceux qui doivent mener à bien le renouveau et l’adaptation, le décret pose le principe « démocratique » d’une coopération de tous les religieux : « Une rénovation efficace et une juste adaptation ne peuvent s’obtenir qu’avec le concours de tous les membres de l’institut. » Il est significatif que cette collaboration universelle soit énoncée avant la mention de la charge spécifique qui incombe aux supérieurs. En effet, avant d’être la tâche des supérieurs, renouveau et adaptation sont l’affaire de tous les membres : c’est eux qui portent la première responsabilité de la qualité et de la fécondité de leur institut, et qui doivent veiller à son heureux développement.
Qu’on note également que l’adaptation aussi bien que le renouveau doit être l’œuvre de tous. Près de 500 Pères avaient émis le vœu qu’on distingue entre le renouveau, qui doit s’effectuer avec la coopération des membres, et l’adaptation, qui aurait été réservée à l’autorité compétente. Le décret n’a pas adopté cette distinction, et il affirme au contraire que la coopération de tous est requise pour l’œuvre d’adaptation.
Il est inutile de souligner l’importance de cette déclaration de principe, et de constater la nouvelle mentalité qu’elle implique, si conforme à la mentalité manifestée par le Concile. Renouveau et adaptation doivent résulter non pas simplement de mesures édictées par l’autorité, mais de la collaboration universelle de tous ceux qui y sont intéressés et qui doivent les vivre.
Cependant, le décret n’enlève pas aux supérieurs le rôle qui leur est propre : « Fixer les normes et légiférer dans ce but, ou autoriser les expériences à la fois prudentes et valables, relève uniquement de l’autorité compétente, surtout des Chapitres généraux, avec l’approbation, dans la mesure où elle serait nécessaire, du Saint-Siège ou des Ordinaires locaux, aux termes du droit. »
Le pouvoir législatif demeure donc réservé à l’autorité compétente. Observons que le décret entend par là « surtout les Chapitres généraux », de sorte qu’ici encore est demandée, selon un principe de collégialité, la représentation de tout l’institut.
Sur la proposition d’un Père, la faculté d’autoriser des expériences avant l’établissement des lois a été mentionnée avec la faculté de légiférer. L’indication est intéressante : il est souvent utile, en certains domaines, d’« essayer » la loi que l’on voudrait porter, de la mettre à l’épreuve par des expériences préalables. Ces expériences doivent être « suffisantes » pour juger de la valeur d’un projet de réglementation, mais rester dans les limites de la prudence, sous le contrôle de l’autorité.
Comment s’exerce la coopération de tous, si le pouvoir de législation est réservé à l’autorité ? « Les supérieurs devront, nous dit le décret, dans les questions qui intéressent tout l’institut, consulter les membres de manière appropriée et entendre leur avis. »
Le terme « consulter » doit être compris selon toute sa valeur. Il a été employé pour répondre au désir de 417 Pères, qui voulaient préciser que la coopération de tous comportait une consultation [3] (. La coopération ne consiste donc pas seulement dans la désignation de délégués au Chapitre général, et il ne suffit même pas qu’on donne à tous les membres la possibilité d’envoyer des vœux ou postulats. Il faut en plus que sur les questions qui intéressent tout l’institut on demande expressément l’avis des membres. Tous doivent être consultés. Le mode de consultation doit être cherché selon la voie la plus appropriée, en tenant compte des conditions pratiques que présentent la dispersion ou le nombre plus ou moins grand des membres.
Pour les monastères de moniales, ajoute le décret, « on pourra également recueillir les vœux et les avis des assemblées des Fédérations ou d’autres réunions légitimement convoquées. » Il y a là un moyen d’éviter que le renouveau et l’adaptation, simplement décidés par un chapitre de monastère, s’effectuent dans une ligne trop particulariste, et sans souci de coordination avec les autres monastères.
Enfin, le décret met en garde contre un empressement à multiplier les lois pour assurer le renouveau : « tous se souviendront que l’espoir d’une rénovation doit être mis dans une observance plus consciencieuse de la règle et des constitutions plutôt que dans la multiplication des lois. »
Une mise en garde de ce genre avait été faite par le Pape dans son allocution du 23 mai 1964 à des Chapitres généraux ; Paul VI avait même ajouté : « Il arrive souvent que plus les lois sont nombreuses, moins on y prête attention. » Il recommandait donc aux chapitres un « usage modéré et prudent de leur droit d’établir des lois » [4]
Ici, l’avertissement est adressé à tous, puisque tous doivent coopérer au renouveau. Il pourrait arriver que des religieux fondent trop d’espérance sur la création d’une nouvelle législation. Ce qui importe, c’est moins de multiplier les lois que de les faire entrer effectivement dans sa vie et dans sa conduite. Le renouveau doit être avant tout, comme l’avait dit précédemment le décret, un renouveau spirituel.
Collège Saint-Albert
Louvain
[1] Un texte proposé par 386 Pères portait : « reditum institutorum et sodalium ad primaevum originum fervorem » (Modus 37).
[2] Il y a sept siècles et demi, saint François d’Assise déclarait, au début de sa Règle, que le genre de vie des Frères est d’observer le Saint Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Tel fut le principe du renouveau qu’il suscita, au XIIIe siècle, dans la vie religieuse.
[3] Modus 73.
[4] A. A. S., 47 (1964), 569 ; cf. R. C. R., 1964, 151.