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Lavement des pieds. Le tableau de Sieger Köder

Sébastien Dehorter

N°2019-1 Janvier 2019

| P. 77-80 |

Sur un autre ton

Prêtre de l’Emmanuel lui aussi, Sébastien Dehorter, généreux recenseur de notre chronique annuelle d’Écriture sainte, permet que se répande par cette homélie comme un baume sur les cœurs que les péchés dans l’Église aujourd’hui ne cessent de blesser.

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Dans le tableau du Lavement des pieds, peint par le prêtre allemand Sieger Köder, une ligne diagonale, qui part des pieds de Jésus pour rejoindre le coin supérieur droit, sépare l’image en deux parties. De part et d’autre, il y a d’un côté le calice et la patène avec le pain fractionné, le tout posé sur une nappe blanche ; et, de l’autre côté, les pieds de Pierre dans la bassine où se reflète le visage du Christ, le tout posé sur un tapis bleu. Par ailleurs, cette scène est peinte en écho au fameux tableau de Rembrandt, Le retour du fils prodigue. Les pieds nus de Jésus et son attitude, agenouillé, blotti dans le sein de Pierre ; la position de l’Apôtre, penché sur Jésus, la forme de son visage et sa main posée sur l’épaule, autant d’éléments qui évoquent le chef d’œuvre de Rembrandt. Nous voilà donc devant une interprétation originale du mystère qui est le porche d’entrée pour accéder à la passion, la mort et la résurrection de Jésus. L’Eucharistie n’est pas autre chose qu’une rencontre avec la Sainte Face du Christ ; et le sacerdoce, la réponse que Dieu donne à ceux qui, comme Pierre, refusent de se laisser laver les pieds par Jésus.

À Pierre qui refuse, en effet, Jésus répond : « Si je ne te lave pas les pieds, tu n’auras pas de part avec moi ». L’expression « avoir part » fait le lien avec la parabole du fils prodigue, lorsque ce dernier demande au père « la part d’héritage qui [lui] revient ». Tout comme le fils prodigue, nous demandons bien souvent à avoir « notre part », et nous en faisons même la mesure de notre existence. Il s’ensuit ce que nous connaissons trop bien : comparaisons, jugements, jalousies, divisions, ressentiments ; autant de maladies dont Jésus est venu nous guérir. C’est pour cela qu’il a raconté la parabole de la miséricorde, pour montrer qu’il était toujours possible de retrouver le Père, de nous jeter dans ses bras, d’être à nouveau revêtu de notre dignité de fils. Mais à la veille de sa Passion, Jésus se rend compte que nous ne l’avons pas fait. Aussi, le Jeudi Saint, c’est lui-même qui vient vers nous et, dans un étonnant changement des rôles, se jette à nos pieds. Lui, le maître, va se faire notre serviteur, et comme le fils couvert de plaies, il va enfoncer sa tête dans notre sein pour qu’il en jaillisse enfin des sentiments de miséricorde.

Quelle est cette part substantielle qu’il veut nous partager ? En demandant à être lavé, des pieds à la tête, Pierre provoque la réponse de Jésus qui éclaire ce point : « Quand on vient de prendre un bain, on n’a pas besoin de se laver, on est pur tout entier ». Plus tard, il poursuivra l’explication : « Je suis la vigne, vous êtes les sarments, mon Père est le vigneron. Tout sarment qui porte du fruit, mon Père le purifie totalement pour qu’il en porte davantage ». Cette part qui provient d’un être purifié, ce sont donc les fruits de miséricorde que nous sommes appelés à donner au monde. Et, au fond, le sacerdoce des prêtres n’est rien d’autre que cela : un service de la miséricorde, un service du peuple chrétien qui lui permette d’être purifié et de porter ainsi des fruits en abondance. Bien souvent, les prêtres prennent la figure de Pierre dans le tableau, en écho à celle du Père de miséricorde, et c’est à cette icône que nous nous référons pour parler de leur ministère. Mais le Jeudi Saint, il n’en est pas ainsi. À la suite de Jésus, nous venons vers vous comme des esclaves crasseux, des fils souillés, et nous vous lavons les pieds en vous demandant de poser fraternellement vos mains chaleureuses sur nos épaules et de faire taire tout jugement.

Car c’est uniquement à cette condition qu’en regardant toujours plus bas, nous découvrirons la Sainte Face du Christ recouvrant nos pieds et conférant ainsi à chacun une dignité nouvelle. Cette face est déformée et troublée car aimer est toujours une épreuve. C’est en essayant d’aimer que l’on découvre que l’on en est incapable. Telle est sans doute l’indignité des prêtres que nous sommes mais dont pourtant le Christ veut se servir pour bénir et recouvrir son peuple de l’huile d’allégresse. La face du Christ ne se découvre pas tout de suite ; dans le tableau, d’ailleurs, il n’y a sans doute que le spectateur qui la voit, et c’est mieux ainsi. Le sacerdoce, ainsi que l’eucharistie, demeurent une interrogation et une provocation pour le monde mais aussi, bien souvent, pour le prêtre lui-même. Si d’aventure il arrivait aujourd’hui à l’un ou l’autre d’entre nous d’apercevoir le doux visage de Jésus, qu’il n’ait d’autre réaction qu’une profonde action de grâce. La grâce du Jeudi Saint, c’est la gloire de la charité. Que cette gloire nous enveloppe tous et qu’elle nous garde unis les uns aux autres. Amen.

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