Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

L’écoute de la parole de Dieu, source d’engagement et de croissance de la vie spirituelle

Simon Decloux, s.j.

N°2009-4 Octobre 2009

| P. 267-274 |

S’adressant récemment à une rencontre de formateurs des Séminaires de France, l’auteur rappelle, avec la simplicité qu’on lui connaît, le lien essentiel entre la croissance spirituelle et l’intelligence de l’Écriture, ou plutôt, de la Parole de Dieu. Tout engagement chrétien pourrait en tirer profit.

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La vie physique en nous se développe en quelque sorte par elle-même, suivant ses étapes successives. En est-il ainsi de la vie de l’Esprit ? Celui-ci fixe-t-il dans notre devenir, sans que nous ayons pour cela à intervenir, les étapes par lesquelles nous avons à passer sous son impulsion ? Non, car la vie en Esprit, la vie spirituelle, dépend, certes, de l’Esprit de Dieu ; mais celui-ci accomplit sa tâche en passant par notre liberté. D’où la question qui se pose à nous : comment notre liberté peut-elle collaborer avec l’Esprit de Dieu, de telle sorte que celui-ci accomplisse pleinement en nous son œuvre ? Il y va bien sûr de toute l’histoire du dialogue entre l’Esprit de Dieu et notre liberté. Je voudrais évoquer brièvement dans ces pages comment le contact soutenu avec l’Écriture, avec la Parole de Dieu, constitue une source décisive d’engendrement et de croissance de la vie en nous de l’Esprit de Dieu.

Le point de départ de cette réflexion est très simple ; il consiste dans l’accueil de la déclaration de Jésus sur l’action de l’Esprit : « le Paraclet, l’Esprit Saint vous enseignera tout, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26). Une telle affirmation nous invite à fixer notre attention sur le lien essentiel affirmé par Jésus entre sa parole et l’action de l’Esprit. L’Esprit ne pénètre réellement en nous qu’en nous rendant dociles à la Parole de Jésus et en laissant s’épanouir en nous sa signification et l’appel qu’elle contient. Grandir spirituellement signifiera dès lors être toujours plus profondément pénétré par la Parole de Dieu, laisser cette Parole nous enseigner, nous guider, nous stimuler, nous provoquer…

Il y a, en effet, un lien essentiel, énoncé par Jésus lui-même, entre la croissance spirituelle et l’intelligence, toujours plus approfondie et plus intérieure, de l’Écriture, de la Parole de Dieu. Cette Parole, nous le savons, n’est autre que l’ensemble des Paroles prononcées par Jésus ; elle est, plus globalement, Jésus lui-même, Verbe de Dieu, dont non seulement les enseignements, mais aussi les actions et la vie tout entière, sont effectivement Parole ou Verbe de Dieu. Elle est aussi, dans l’histoire de la révélation, tout l’itinéraire suivi par la Parole pour donner naissance, parmi nous, à Jésus, le Verbe de Dieu.

C’est en me basant sur l’affirmation décisive de Jésus que je voudrais maintenant, conformément au titre donné à cet article, essayer d’expliciter quelque peu comment l’évangile, et la Parole de Dieu dans son ensemble – Ancien Testament et Nouveau Testament – nous offrent la source généreuse irriguant notre propre vie, qui cherche à se conformer aux inspirations de l’Esprit, de même – évidemment – que la source généreuse à laquelle nous pouvons puiser pour soutenir et aider ceux qui se confient à nous pour trouver leur chemin.

Où se fait le plus habituellement la rencontre vivante de la Parole, si bien que celle-ci devienne effectivement la source la plus féconde de notre recherche de Dieu ? Beaucoup de chrétiens, me semble-t-il, ont découvert aujourd’hui combien la lecture fidèle de la Bible (les formes diverses que prend ce que nous appelons souvent la « lectio divina ») peut pénétrer leur vie en profondeur, et combien, en pénétrant leur esprit, l’Écriture peut devenir en vérité une exigence de conversion et de croissance conformes à l’Esprit du Seigneur.

Dès l’Ancien Testament

C’est dès l’Ancien Testament que la Parole de Dieu nous est offerte comme le lieu privilégié de la rencontre vécue avec Dieu. En cela, la révélation judéo-chrétienne manifeste son caractère original par rapport à d’autres religions avec lesquelles elle était en contact. N’a-t-on pas à faire, dans les religions reconnues des peuples qui entourent le lieu d’origine du judaïsme et du christianisme, à des religions de nature idolâtrique, qui n’adressent à l’homme aucun message, aucune révélation, puisque les dieux qu’adorent ces peuples sont, par essence, muets et incapables de parler ? Le psaume 115 (113B) décrit sur ce point la situation du peuple juif, tellement différente – de ce point de vue – des peuples avoisinants :

2 Que les païens ne disent : « ou est leur dieu ? »
3 Notre Dieu, il est dans les cieux,
tout ce qui lui plaît, il le fait.
4 Leurs idoles, or et argent,
une œuvre de main d’ homme !
5 Elles ont une bouche et ne parlent pas,
elles ont des yeux et ne voient pas,
6 elles ont des oreilles et n’entendent pas,
elles ont un nez et ne sentent pas.
7 Leurs mains, mais elles ne touchent point,
leurs pieds, mais ils ne marchent point,
de leur gosier, pas un murmure !
8 Comme elles, seront ceux qui les firent,
quiconque met en elles sa foi.
9 Maison d’Israël, mets ta foi en Yahvé,
lui, leur secours et bouclier !
10 Maison d’Aaron, mets ta foi en Yahvé,
lui, leur secours et bouclier !
11 Ceux qui craignent Yahvé, ayez foi en Yahvé,
lui, leur secours et bouclier !
12 Yahvé se souvient de nous, il bénira,
il bénira la maison d’ Israël,
il bénira la maison d’ Aaron,
13 il bénira ceux qui craignent Yahvé,
les petits avec les grands (Traduction BJ).

Dans la tradition biblique, Dieu est un Dieu qui parle à son peuple ; qui le conduit, qui le reprend et qui l’éduque. Le Dieu d’Israël est ainsi un Dieu tout différent des dieux païens ; ceux-ci sont construits par les hommes, et dès lors soumis aux passions humaines. Le Dieu d’Israël, au contraire, est Celui qui a créé le monde, et l’homme au milieu du monde, pour qu’il gouverne le monde selon les desseins divins, selon la volonté de Dieu. Dieu, qui a créé le monde et l’a confié à l’homme, demande donc à celui-ci de gouverner le monde selon la loi de Dieu. À travers ses prophètes, Dieu ne cesse pas dès lors, tout au long de l’histoire, d’intervenir dans cette histoire pour la guider et l’orienter. Car, par ses prophètes, Dieu interpelle constamment le peuple avec lequel Il a voulu faire alliance pour qu’il soit son témoin face à toutes les nations. Les prophètes, comme nous le lisons dans la Bible, ont ainsi conscience que Dieu leur parle et que, de cette parole reçue de Dieu, ils deviennent responsables, car ils ont à la transmettre, quoi que cela leur coûte.

C’est donc par sa Parole que Dieu, ayant déjà éclairé les patriarches en leur communiquant sa volonté, les conduisant non seulement à travers les événements mais aussi par l’annonce de sa volonté, a voulu de manière toujours plus explicite inspirer les prophètes, pour qu’ils indiquent aux membres de son peuple les voies d’une fidélité toujours plus attentive à ses appels. Les prophètes sont habités par cette certitude : Dieu leur parle et les inspire ; et ainsi, Il les rend responsables du peuple qu’Il a choisi. Aux inspirations de Yahvé, il ne leur est donc pas permis de résister, même s’il leur faut parfois se faire violence pour être fidèles à la mission reçue. Rappelons-nous sur ce point le beau texte du prophète Jérémie :

7 Tu m’as séduit, Yahvé, et je me suis laissé séduire ;
tu m’as maîtrisé, tu as été le plus fort.
Je suis prétexte continuel à la moquerie,
la fable de tout le monde.
8 Chaque fois que j’ai à parler, je dois crier
et proclamer : « violence et dévastation ! »
La parole de Yahvé a été pour moi
source d’opprobre et de moquerie tout le jour.
9 Je me disais : Je ne penserai plus à lui,
je ne parlerai plus en son Nom ;
mais c’était en mon cœur comme un feu dévorant,
enfermé dans mes os.
Je m’épuisais à le contenir,
mais je n’ai pas pu.
10 J’entendais les calomnies de beaucoup :
« Terreur de tous côtés !
dénoncez ! dénonçons-le ! »
Tous ceux qui étaient en paix avec moi
guettaient ma chute :
« Peut-être se laissera-t-il séduire ?
Nous serons plus forts que lui
et tirerons vengeance de lui ! »
11 Mais Yahvé est avec moi comme un héros puissant ;
mes adversaires vont trébucher, vaincus :
les voilà tout confus de leur échec ;
honte éternelle, inoubliable (Jr 20, 4-11, BJ).

Le sens de leur vie, ce que Dieu attend d’eux, les prophètes le découvrent ainsi avant tout dans l’écoute fidèle, dans l’écoute constante de la Parole de Dieu. Or, de par son baptême, le chrétien appartient à un peuple de prophètes. Ne doit-il pas, de quelque manière, dans le monde où il est plongé, accomplir une mission prophétique : annoncer et rappeler, à temps et à contretemps, ce qu’est la vérité de l’homme et de ses sociétés ?

Aujourd’hui et demain comme hier, ceux qui ont reçu l’onction prophétique ont la responsabilité d’annoncer la Parole ; ils ont à écouter avec avidité, en accomplissant la mission qui leur est confiée, la Parole que Dieu leur adresse. Aujourd’hui comme hier, ceux à qui Dieu confie la mission prophétique doivent transmettre la Parole et d’abord, pour cela même, la laisser résonner au fond de leur cœur, la laisser déployer, en eux d’abord, sa richesse et ses exigences, même si sa proclamation ne peut manquer, aujourd’hui encore, dans la ligne des prophètes de jadis, de les exposer parfois à la moquerie, au mépris et à la critique.

Parole de Dieu et paroles d’homme

Il est cependant, dans la Parole de Dieu que nous a transmise l’Écriture, un livre particulièrement étonnant dans la perspective que nous sommes en train de tracer, à savoir le livre des Psaumes. Comment donc considérer comme Parole de Dieu des textes où, manifestement, celui qui parle en première personne, en s’adressant à Dieu comme à son interlocuteur, n’est – au moins fréquemment – personne d’autre que l’homme ? Or, le livre des psaumes fait partie, avec tous les autres livres de l’Ancien Testament, de ce que nous appelons justement la Parole de Dieu. C’est donc qu’il nous faut considérer que la prière des psaumes est mise sur nos lèvres, comme elle a été mise d’abord sur les lèvres du psalmiste, telle un prière que Dieu même nous inspire et dans laquelle nous reconnaissons sa présence et son action, comme la source première des paroles mêmes que nous lui adressons. C’est Dieu, en d’autres termes, qui nous inspire, personnellement et en Église, la prière qu’à travers les psaumes nous lui exprimons. Les sentiments que nous lui confions, les invocations et les implorations qui jaillissent de nos lèvres devant Lui, Il les a en quelque sorte déjà accueillis en leur attribuant le sceau d’authenticité et de vérité propre à la Parole de révélation et d’interpellation, que dans d’autres livres de l’Écriture Lui-même nous adresse. Pour peu que nous y pensions, nous réalisons combien de psaumes, en particulier, expriment avec profondeur et avec bonheur les sentiments, les interpellations, les demandes qui peuvent être radicalement les nôtres à l’égard de Dieu.

Les mots de Jésus

Mais aujourd’hui la Parole de Dieu s’est faite chair, et voici qu’elle habite désormais dans toute sa plénitude parmi nous et en nous. Le regard porté sur Jésus et sur ses actions, l’attention donnée à ses paroles, sont désormais les lieux par excellence du travail de l’Esprit et de son action dans le cœur de l’homme, les lieux par excellence – dès lors – de toute croissance spirituelle. Au moins si la Parole de Dieu incarnée est accueillie avec une profonde attention et avec le désir – constamment renouvelé – de la laisser donner forme à notre vie et à toutes nos actions.

La Parole de Dieu, telle qu’elle s’inscrit dans toute la vie de Jésus, est à la fois, pour ceux qui l’écoutent, une source de lumière qui ne cesse de les éclairer, pour peu qu’ils s’ouvrent à cette lumière, ainsi qu’une force qui s’inscrit dans leur vie pour la rendre féconde, en fidélité à l’élan reçu. Ce double fruit, d’éclairage et de stimulation, voilà ce que nous pouvons attendre de Celui qui est lumière et vie.

La rencontre et l’écoute de Jésus : voilà bien qui nous procure sa force qui agit en nous. La parole salvatrice et transformatrice de Jésus est agissante en tant de ses rencontres et de ses miracles. Les quelques mots prononcés par Lui – et des mots qu’Il peut nous répéter aujourd’hui – accomplissent parfois le retour immédiat à la santé et à la vie : « Lève-toi, prends ton grabat et marche » ; « Esprit mauvais, sors de cet enfant » ; « Silence, tais-toi » ; « Sois guéri de ta cécité ». Ces paroles exprimées, si brèves et souvent prononcées comme en secret, semblent indiquer que toute leur puissance de salut repose sur la volonté exprimée par Jésus.

En d’autres occasions, c’est le pardon des péchés qui est affirmé par la parole de Jésus, transformant – conformément aux peu de mots prononcés – la relation de la personne pardonnée à Dieu lui-même : « Tes péchés te sont remis ». C’est aussi par quelques mots que Jésus transmet ses pouvoirs à ceux qu’Il envoie : « Il gravit la montagne et Il appelle à Lui ceux qu’Il voulait. Ils vinrent à Lui et Il en institua douze pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher, avec pouvoir de chasser les démons ».

En recourant ainsi à peu de mots, Jésus commence à partager ses pouvoirs avec ceux qu’Il choisit, annonçant en quelque sorte ce qu’Il continuera à accomplir au long des siècles. Finalement, en peu de mots, Jésus fonde les sacrements de son Église et la réalité de celle-ci : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang, faites cela en mémoire de moi » ; « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit ».

Mais si elle est une force qui agit, la Parole de Jésus est aussi une lumière qui éclaire et instruit. C’est par sa parole que Jésus révèle à ses disciples à la fois la vérité sur Dieu et la vérité sur l’homme, sur la vie humaine et sur l’espérance de Dieu à l’égard des croyants. Ils sont nombreux les enseignements du Seigneur Jésus. Contentons-nous de penser par exemple aux cinq grands discours de Jésus dans l’évangile de saint Matthieu : le discours sur la montagne, le discours de mission, le discours en paraboles, le discours de communauté et le discours eschatologique.

Pensons également à tant d’affirmations et à tant de débats dans l’évangile de saint Jean. Jésus, nous y est-il dit, « dit les Paroles de Dieu » (Jn 3, 34), c’est-à-dire « ce que le Père lui a enseigné » (Jn 8, 32) ; car « ses paroles sont esprit et vie » (Jn 6, 63) et Il parle « comme le Père lui a d’abord parlé » (Jn 12, 50). Sans oublier le long discours de Jésus à la cène, de même que le chapitre 6 sur le « pain de vie ».

En fait toutes les paroles et toutes les actions de Jésus ouvrent au mystère de Dieu et à tout ce qu’il réserve à l’homme. À celui-ci de prendre position en face de cette Parole qui le met en contact avec Dieu même. À lui aussi d’accueillir ainsi la présence et l’action en lui de l’Esprit.

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