Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

A quarante ans de Vatican II

Godfried Danneels

N°2006-3 Juillet 2006

| P. 147-165 |

Parcourant les quatre constitutions conciliaires que le Synode de 1985 (dont il était Rapporteur spécial) avait déjà retenues comme les points cardinaux de Vatican II, l’archevêque de Malines-Bruxelles trace le cadre d’une réception de la révélation, de l’ecclésiologie, de la liturgie et de l’anthropologie conciliaires, en développant particulièrement ce qui regarde l’homo liturgicus. En fin de compte, il estime que le plus grand défi de notre temps est celui qui porte sur notre espérance.

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Quarante ans, c’est un temps fort court pour évaluer les conséquences d’un concile. Le dernier livre promulgué pour l’application du concile de Trente – le Rituale – parut seulement en 1614, près d’un demi siècle après la fin de l’assemblée. De plus, l’époque qui a suivi Vatican II fut un temps mouvementé, pendant lequel se sont présentées plus de mutations socio-culturelles que dans n’importe quelle période comparable de l’histoire de l’Église. Gaudium et Spes l’avait très bien pressenti lorsque la Constitution pastorale, de manière quasi prophétique, écrivait :

Aujourd’hui le genre humain se trouve engagé dans un âge nouveau de son histoire, qui voit de profonds et rapides changements s’étendre progressivement au monde entier. Provoqués par l’intelligence et l’activité créatrice de l’homme, ils rejaillissent sur l’homme lui-même, sur ses jugements et sur ses désirs individuels et collectifs, sur sa manière de penser et d’agir, tant à l’égard des choses qu’à l’égard des hommes. Ainsi, on peut déjà parler d’une véritable transformation sociale et culturelle, qui exerce ses effets jusque sur la vie religieuse (GS 4).

La Constitution poursuit, plus loin :

… du même coup, il se produit des changements de jour en jour plus importants dans les communautés locales traditionnelles, comme par exemple les familles patriarcales, les clans et tribus, les villages et les différents groupements sociaux (GS 6).

Il faut ainsi compter avec le processus d’urbanisation, l’expansion générale de la cohabitation industrielle, le changement fondamental dans la pensée et la vie, sans parler de la transformation d’une communauté orientée par les médias. « Le mouvement même de l’histoire s’accélère si rapidement que l’individu a peine à le suivre » (GS 5). Une autre expression du concile a paru moins prophétique, celle qui annonçait :

Ainsi le Christ, à travers les membres de l’Église, répandra de plus en plus sa lumière salutaire sur la société humaine tout entière (LG 36).

La sécularisation qui avance à grand pas et l’indifférence religieuse, la vie etsi Deus non daretur, « comme si Dieu n’existait pas », a vite tempéré cette perspective.

Il est pourtant possible, après plus de quarante ans, de faire un bilan de ce qui a abouti au long de ce quasi demi-siècle, et surtout, de ce qui reste encore à faire. Nous allons nous y essayer par une réflexion sur ces grandes Constitutions de Vatican II qui forment en quelque sorte la colonne vertébrale du travail conciliaire : Dei Verbum, sur la révélation divine, Lumen Gentium, sur l’Église, Sacrosanctum Concilium, sur la liturgie, et enfin Gaudium et Spes, sur l’Église et le monde. Cet ordre ne suit pas la promulgation des textes, mais il nous semble le plus éclairant.

Dei Verbum, un trésor trop peu exploré

La richesse de cette constitution dogmatique, pour laquelle un immense travail théologique fut mis en œuvre, a été trop peu appréciée et explorée, et nous sommes à peine conscients du chemin difficile emprunté par les évêques et les théologiens pour aboutir au texte final. Tout semble si évident, devenu comme une possession tranquille, mais sans beaucoup d’influence sur la pensée et la prière de la communauté ecclésiale. Même si l’estime pour la Bible a grandi partout, on ne peut cependant pas encore dire que l’Église catholique, à la base, chez les croyants, soit devenue une Église biblique. Depuis des années déjà, on demande que la Bible soit prise comme thème d’un synode épiscopal, mais cela ne s’est toujours pas produit.

Dei Verbum a pourtant profondément traité de la richesse de la Bible, en accusant des aspects novateurs. Ainsi, la « révélation » n’est plus entendue comme une somme de vérités, mais comme une histoire où la parole et l’action de Dieu sont tissées l’une dans l’autre. La continuité de l’Ancien et du Nouveau Testaments est fortement soulignée, comme un événement de salut un et ininterrompu. La révélation apparaît comme un dialogue de Dieu avec l’homme qui n’en reste pas au passé, mais se passe encore maintenant et continue à se passer. La « tradition » n’est pas limitée à une « tradition ecclésiale » qui serait détachée de la Parole de Dieu consignée dans l’Écriture. Plus encore, tradition et Écriture ne sont pas deux sources : la Parole vivante de Dieu est la source dont s’écoulent les deux courants. Et Dei Verbum réhabilite le travail exégétique, incontournable pour montrer dans l’Écriture « comme » l’âme de la théologie (DV 24). Le rôle du Magistère de l’Église est d’interpréter cette vie, cette grande tradition, avec son double courant, en vue de l’annonce de la Parole de Dieu pour ce temps.

La question est de savoir quelle influence pratique et directe Dei Verbum a eue sur la vie de l’Église, et cela, durant quarante ans. La Constitution n’a-t-elle pas rapidement sombré dans l’oubli ? Elle n’est plus que rarement citée. Est-on assez préoccupé d’honorer le fondement biblique des interventions magistérielles, dans les questions sur le mariage et la sexualité, l’infaillibilité de la fonction de Pierre, le culte et les sacrements ? L’ancrage biblique de ces documents est-il suffisamment rendu visible et quelle est la pertinence exégétique de l’argumentation utilisée ? Il faut louer le travail de la Commission biblique pontificale, en particulier son document « L’interprétation de la Bible dans l’Église » (15 avril 1993). Le côté unilatéralement apologétique des travaux de la commission du début du xxe siècle a fait place à un traitement plus impartial de l’approche scientifique de l’Écriture.

Un autre fruit important de Dei Verbum est sans conteste l’impact œcuménique de la remise en valeur de l’Écriture et de son rapport à la tradition. Le numéro 21 de la constitution ne craint pas d’affirmer :

L’Église a toujours vénéré les divines Écritures comme elle le fait pour le Corps même du Seigneur, puisqu’elle ne cesse, surtout dans la sainte liturgie, de prendre le pain de vie de la table qui est celle de la Parole de Dieu aussi bien que du Corps du Christ et de le présenter aux fidèles.

Voilà qui permet de réduire la séparation qui était allée grandissant entre la Parole et les sacrements dans des traditions précises de l’Église.

Pourtant, il reste vrai que Dei Verbum peut encore porter beaucoup de fruit et en porte toujours. La préférence pour une pensée théologique abstraite ou une théologie conceptuelle s’incurve vers une théologie qui s’appuie sur le « réalisme juif ». Un rapprochement a pu s’observer entre une élite qui peut user de l’Écriture et la proximité de l’Écriture du peuple de Dieu qui possède lui aussi le sensus fidei. Une Église biblique est une Église qui écoute, la hiérarchie et le peuple scrutant ensemble la parole de Dieu.

La culture biblique tend à grandir dans le peuple chrétien, surtout par le contact avec l’Écriture dans la liturgie. Il y a une conscience croissante de la révélation elle-même et des lieux où elle se découvre, qu’elle soit écrite ou non-écrite, Écriture et tradition. Une meilleure compréhension a également surgi quant au fait que la Bible n’est pas seulement la parole de Dieu, mais que cette parole est saisie dans une littérature humaine, avec ses propres conformités aux règles et aux limites des auteurs. Dieu parle et se dit en des mots humains.

Mais il reste encore beaucoup à faire : l’Écriture n’est pas encore entrée jusqu’au cœur des chrétiens. Le livre n’est pas encore « mangé », pour reprendre le mot de l’Apocalypse.

Lumen Gentium

Bien qu’elle contienne évidemment beaucoup d’éléments ecclésiologiques et dogmatiques,Lumen Gentium est une constitution dont l’objectif est pastoral. Selon le désir de Jean XXIII, Vatican II ne devait pas être un concile de réforme, comme l’avaient été beaucoup de conciles précédents, mais il s’agissait de servir l’Église de manière pastorale, dans le sens le plus large de ce mot. Tous les éléments dogmatiques visent à ce que l’agir pastoral de l’Église s’appuie sur la vérité. Pour Karl Rahner d’ailleurs, à la question « qu’y a-t-il de neuf dans Vatican II ? », il fallait répondre : en fait, rien, tout a déjà été dit antérieurement, excepté ceci : la mission et l’impact pastoraux de ces vérités dogmatiques. C’est pour cela que, selon Rahner, Gaudium et Spes est, en quelque sorte, la force de frappe deLumen Gentium et la clef d’interprétation de tout Vatican II.

Le contenu deLumen Gentium a bien mieux pénétré tous les niveaux de l’Église que ce ne fut le cas pour Dei Verbum. Ce qui a été fortement perçu, c’est l’ordre des chapitres de la constitution, qui parle d’abord du Peuple de Dieu avant de s’intéresser à la hiérarchie. Ce retour à la notion ancienne de l’Église peuple de Dieu (et pas seulement societas perfecta), a été vraiment bien reçu – au point que, ça et là, on y entende pratiquement un démenti de la notion de hiérarchie et de Magistère !

Le problème de la compréhension deLumen Gentium vient au fond de la compréhension simultanée des paradoxes qui traversent l’être et l’action de l’Église. Or ces paradoxes sont légion et il n’est pas facile de les penser de manière compréhensive.

Ainsi, l’Église est un seul Peuple de Dieu et cependant, se trouve hiérarchiquement structurée. Elle connaît ici et là des procédures démocratiques, mais elle n’est pas une démocratie. Elle est institutionnelle et visible, une réalité sociale avec ses règles et ses lois, et elle est aussi, invisiblement, le Corps du Christ et le Temple de son Esprit. L’Église pérégrine sur terre et elle se trouve aussi déjà dans le ciel. Elle vit de la Parole et des sacrements, elle connaît le primat de Pierre et elle affirme qu’elle est aussi collégiale et, pour une part, synodale.

Tous ces domaines sont effectivement encore à réfléchir et à approfondir. Mais il faut aussi qu’on en vive, fondamentalement. Or, il est difficile de mettre ensemble la hiérarchie et le peuple de Dieu, l’inspiration et l’obéissance, l’institution et l’Esprit, le pape et le collège des évêques, la primauté et la collégialité…

Cette problématique pratique concerne l’avenir de l’Église et sa vie à la base, sous divers aspects :

  • Le problème des rapports entre le pouvoir central et la périphérie. Le jeu concerté entre Rome et les églises locales est un problème pastoral : comment vivre cela ?
  • Le rapport entre le primat de Pierre et le collège des évêques. « Jamais Pierre sans les apôtres, jamais les apôtres sans Pierre », dit déjà un célèbre adage de l’Antiquité.
  • Le synode des évêques est un chaînon essentiel dans la manière pratique de vivre cette collégialité. Il est consultatif. Doit-il devenir délibératif pour des sujets précis ? Durant les Synodes, la culture du débat est insuffisante, les interventions se limitant juste à une suite de déclarations – sur ce point, des avancées ont marqué le dernier synode : l’heure de discussion libre, le soir, est un pas dans la bonne direction.
  • La question est de savoir s’il peut y avoir une espèce de sénat autour du pape, constitué de quelques évêques de tous les continents, qui puissent, de manière régulière et ponctuellement, se réunir avec lui comme des conseillers. Ce sénat ou conseil de base n’aurait pas besoin de pouvoir juridique supplémentaire (les évêques étant ce qu’ils sont) : au plan pastoral, les évêques peuvent beaucoup aider le pape, à côté des informations des nonciatures et des contacts de la Curie avec nombre d’entre eux.
  • Une question majeure est de savoir comment l’Église doit se définir par rapport aux autres églises chrétiennes de l’ocuménè et devant les autres religions. Il y a bien quelques paragraphes deLumen Gentium qui éclairent le sujet et il existe des documents séparés. Mais la problématique a fortement évolué au cours de la dernière décennie. A cause de l’universalisation de l’information et de la mobilité, la question de la juste relation avec les autres églises ou communautés chrétiennes et, d’autre part, les autres religions, est devenue cruciale. Et pas seulement pour la pastorale pratique, mais aussi, pour la théologie : comment le Christ est-il l’unique Sauveur et comment penser la signification du salut pour les autres religions ? Cela n’est pas un problème réservé aux théologiens mais c’est une question quotidienne. En ce sens, le principe de « subsidiarité » est encore à interpréter.
  • La question du primat de Pierre est, elle aussi, pressante, non pas dans son fondement biblique, mais dans son exercice pratique. Jean-Paul II a déjà proposé (dans l’encycliqueUt Unum Sint) de réfléchir avec toutes les Églises sur la forme à donner à la fonction de Pierre. La figure centralisée actuelle est-elle la seule possible et la mieux adaptée à notre temps ? La relecture de Vatican II à propos de la juridiction directe du pape sur tous les croyants doit être bien précisée dans l’esprit du concile. Mais comment ?
  • Un autre grand problème ecclésiologique, surtout à l’Ouest, est la distinction entre les ministères ordonnés et les autres services, entre le prêtre et le laïc. La rareté des prêtres et leur faible rémunération d’une part, et la nécessité de l’eucharistie comme « source et sommet de la mission de l’Église », d’autre part, posent un problème gigantesque, pratique d’abord, mais qui conduit aussi, théoriquement, vers un effacement de la distinction entre prêtre et laïc, ou entre sacerdoce ministériel et sacerdoce baptismal. Cette distinction ne procède pas d’une différence de degrés, maisex natura, « de nature » (LG 10). En beaucoup de lieux, la situation conduit inconsciemment à une protestantisation larvée de l’Église catholique.
  • S’ajoute à cela la question d’une éventuelle séparation des deux régimes dans l’Église : l’ordre et la juridiction, longtemps liés ; mais après Vatican II, il n’y aurait plus de juridiction sans ordination. Est-ce toujours le cas ? Et quel est en définitive le statut théologique du travailleur pastoral dans l’Église ? Il n’est pas prêtre ; est-il seulement laïc, exerçant le sacerdoce baptismal ou quelque chose d’autre en plus ? Et lorsqu’on parle de « mandat », quelle est la signification théologique (et juridique) de ce « mandat » ?

Sacrosanctum Concilium

Nous pouvons difficilement nous imaginer quelle énorme révolution s’est accomplie dans la praxis de la liturgie durant les quarante dernières années. Cette intervention dans le cœur du vécu du christianisme – le culte – a provoqué une accélération inouïe en beaucoup de domaines et a même donné lieu au schisme de Monseigneur Lefebvre.Sacrosanctum Concilium fut un tournant décisif du concile qui, en contraste avec Dei Verbum a bien pénétré partout. Le renouveau liturgique a apporté un changement important dans le rapport entre Église et civilisation, Église et monde, Église et culture. La culture liturgique d’avant Vatican II était marquée par la distance entre le prêtre et le peuple : la disposition matérielle de l’espace et surtout l’emploi du latin marquaient très clairement la distance. Cela reflétait une stricte obéissance verticale, qui se changea brusquement en grande créativité, laquelle ne fut pas toujours « éclairée ». Le prêtre passa de simple « acteur » au rôle de « créateur ». La « participation active » est le mot-clef de Vatican II concernant la liturgie. Il y a une accentuation des « rôles » distincts, alors que, bien souvent cette « participation active » n’avait pas été conçue comme un faire-avec : faire silence et écouter ne semblent pas être actif. Mais risquons un bilan de l’agir liturgique

La situation

La participation active est un cadeau incomparable du concile à l’Église. Mais de même que chaque rayon du soleil provoque aussi de l’ombre, peut naître une espèce d’appropriation de la liturgie par la communauté locale ou par le célébrant. Il est bon de défaire la liturgie de son caractère intouchable, mais pour autant, elle n’en devient pas la propriété d’une communauté locale ou d’un prêtre individuel. Il ne s’agit pas ici d’abus nombreux, qui sont de tous les temps et passent souvent vite. Mais un changement dans la compréhension profonde de ce qu’est la liturgie est en cause, quand on opère l’élimination du sacré, la banalisation de la langue, la transformation du culte en événement social. Or, le sujet de la liturgie est le Christ, pas la communauté locale célébrante. Il ne faut pas pour autant mettre en place des diktats, mais un processus éducatif, dans lequel les croyants apprennent à entrer dans un mystère qui les dépasse : une action de Dieu pour eux avant que ce ne soit une action de l’homme pour Dieu.

La liturgie est l’épiphanie des mystères du Christ : c’est lui qui préside le culte. On peut ainsi parler du fait que la liturgie préexiste. La communauté célébrante ne participe pas à une « anti-célébration », mais elle entre dans la liturgie comme dans un espace préexistant, divin et spirituel. L’eucharistie n’est pas alors un « repas sacré » que nous célébrons, mais l’actualisation d’un repas prédonné : la dernière Cène du Christ avec les Douze. Nous ne sommes pas des créateurs, nous sommes les gardiens et les serviteurs des mystères qui nous sont donnés, venant d’ailleurs et d’avant nous.

Il existe quelque chose comme un « homo liturgicus ». Son comportement fondamental – individuel et collectif – est une attitude de réceptivité, d’écoute, de renoncement à soi-même et de capacité à relativiser son « moi ». C’est le comportement de l’obéissance croyante. Ce n’est pas une entrée dans le dressage du rubricisme, mais dans un monde qui nous dépasse et nous rend heureux.

l’homo liturgicus ne manipule rien, et ses gestes ne sont pas en premier lieu l’expression de lui-même, de ses pensées individuelles, de ses aspirations ou de ses émotions. Il a un comportement d’écoute, d’acceptation, d’ouverture, d’étonnement et d’admiration, d’adoration et de louange – de schauen (« contemplation ») selon le célèbre mot de Guardini. A l’opposé de l’homo faber, il est toute disponibilité, prière et offrande.

Il est particulièrement difficile, en un temps de transformations et de déconstructions d’inspiration technique, de cultiver cette attitude liturgique authentique. La dimension contemplative de l’homme n’est plus évidente en notre temps : elle doit être apprise. La « participation active » est très précisément une attitude contemplative.

Le concile a eu ceci de bon qu’il a rendu la liturgie plus compréhensible, en particulier par l’usage de la langue vernaculaire et la simplification des rubriques. Comprendre ce que l’on fait est une exigence fondamentale de la célébration. L’incompréhensibilité de la liturgie, avant le Concile, n’était pas seulement une conséquence de la langue des célébrations. On s’en rendit compte après l’introduction de la langue vulgaire : la liturgie est entièrement construite sur la Bible, et celle-ci ne nous est pas familière, surtout pas l’Ancien Testament. De plus, l’Écriture est entièrement née dans une culture rurale et méditerranéenne, alors que la culture actuelle est devenue surtout urbaine.

La « collecte » classique romaine, concise et formulée juridiquement, est presque incompréhensible. Tout le charme de sa métrique et sa « corte parlea » typique tombent avec la traduction. Certains textes comme le Dies Irae, le Salve Regina et les antiennes perdent une grande partie de leur force d’expression lorsqu’ils sont dépouillés de la mélodie grégorienne qui leur était parfaitement assortie.

Souvent on opte pour une solution à court terme : on abrège ou on laisse tomber. Ou bien on remplace des termes liturgiques par d’autres plus actuels. Mais il y a des termes qui appartiennent à la « langue maternelle » du chrétien et ne peuvent être traduits, comme « résurrection », « eucharistie », « miséricorde », « péché ». Ils sont intraduisibles, comme « sabbat » et « pesah » pour les Juifs. On dit que certaines images bibliques ne seraient plus compréhensibles dans notre culture : plus de bergers ni de troupeaux pour l’homme des villes d’aujourd’hui. De telles assertions doivent être mises sérieusement en doute : toute poésie utilise des mots et des images qui n’existent pas dans la vie quotidienne. On n’a pas besoin d’avoir jamais vu un ange pour savoir ce qu’il est.

L’élimination ou l’abréviation ne sont pas la bonne réponse. Un lent et patient processus éducatif de formation biblique et liturgique est bien meilleur. Chaque culture exige effort et processus d’apprentissage. La liturgie aussi. Et il n’est pas nécessaire qu’on comprenne tout, tout de suite. La liturgie a besoin de temps pour être communiquée : elle ne livre pas tout de suite son sens.

Qu’est-ce que comprendre ? S’il est vrai que la liturgie est l’épiphanie des secrets de Dieu et des mystères du Christ, le noyau de la liturgie est toujours, quelque part, incompréhensible. Comprendre liturgiquement n’est pas comprendre tout de suite, mais entrer dans un processus. Ce n’est pas non plus une compréhension purement cognitive : c’est comprendre avec le cœur. Toutes les réalités humaines profondes ne sont pas à saisir dans des concepts : amour, mort, souffrance, joie, solidarité, connaissance. On ne les comprend jamais d’un coup et totalement. On les « pénètre » lentement, comme le suggère le mot hébreu « connaître ».

Ces réalités sont exprimées symboliquement par d’autres : elles font appel à la bonne volonté, la patience et l’empathie. Elles exigent la répétition et viennent à nous dans un rituel régulièrement repris. Tout ne doit pas, dans une liturgie, être expliqué, analysé, commenté. La seule approche valable est de permettre à la liturgie de dire ce qu’elle dit.

Que faire ?

Il va de soi qu’entrer dans cette architecture préexistante de la liturgie ne signifie pas que toute flexibilité ou créativité serait exclue. Le problème est de savoir où et comment être créatif. Des éléments précis sont clairement fondés par le Christ : ils sont la « substance » du sacrement. Ceux-là sont intouchables – pour l’autorité ecclésiastique aussi – sans quoi, la liturgie ne serait plus l’action du Christ. Il y a d’autres éléments historiques qui ne peuvent pas non plus être modifiés, comme le texte biblique en lecture continue ou la prière du psaume dans chaque liturgie de la parole. Cette séquence exprime en effet la priorité absolue de la parole de Dieu sur la réponse de l’homme.

Pour apprécier les possibilités et les limites des interventions, une bonne formation liturgique est nécessaire : une connaissance, historique et traditionnelle, des sources. La liturgie exige information et initiation, un esprit profondément spirituel et une intuition pastorale. Or, il y a, en beaucoup d’endroits, un grand manque de formation liturgique et d’écolage. La liturgie est la mise en forme de ce qui a précédé, et cela exige de la compétence.

Il peut sembler étonnant d’entendre dire que les célébrations doivent avoir une durée précise et sont souvent trop courtes. C’est que la liturgie a besoin de temps : elle est inscrite non dans le temps de l’horloge – le temps physique – mais dans le temps de l’âme. Si la liturgie n’appartient pas au registre de l’information, elle ne peut pas non plus être vécue sous un mode abrégé. Sa temporalité lui vient du kairos, du temps de la visite de Dieu. La liturgie orientale l’a bien compris : elle prend son temps. Elle se soucie peu de satisfaire à une obligation juridique de praxis religieuse, mais elle demande, dans son hymne aux Chérubins qu’on laisse derrière soi « tout souci du monde ».

Pour cette intériorisation de la liturgie, le silence est essentiel. Le manque de silence change la liturgie en une suite ininterrompue de mots qui ne peuvent jamais pénétrer en profondeur. Cela aussi rend la liturgie incompréhensible.

Un des principaux handicaps de la liturgie depuis le concile est son caractère presque exclusivement verbal, au détriment du rite. La valeur d’une célébration est souvent mesurée à la qualité de l’homélie. Après la liturgie de la Parole, le rite semble en grande partie terminé. Il y a un manque clair d’équilibre entre parole et rite. La liturgie est ainsi en quelque sorte intellectuellement approchée et jugée. Il y a peu de place pour la représentation, l’émotion, l’affinité et la beauté. Pourtant la liturgie est d’abord et avant tout un « faire » et ensuite seulement un « parler ». Le rite est premier, la parole l’accompagne. Or, souvent, l’oreille est privilégiée au détriment de l’œil et des autres sens.

Une autre conséquence de cette « verbosité » est le risque que la liturgie soit employée à des fins qui ne sont pas les siennes. La liturgie appartient au registre du « jeu gratuit ». Un jeu n’est pas toujours gratuit et il peut être handicapé par exemple par des intérêts financiers. Ainsi, la liturgie ne devrait pas servir à transmettre des informations, à évoquer toutes sortes d’activités – en soi bonnes, ou même à donner la catéchèse. Une célébration n’est pas une leçon, ni un meeting, ni une session. Elle est simplement célébration. La liturgie a son but en elle-même.

Les mots « rite » et « rituel » appellent chez nos contemporains de désagréables associations : « c’est toujours la même chose », d’où monotonie et énervement. Mais cela est-il bien justifié ? Il existe certes un attachement excessif aux rituels, qu’on nomme le ritualisme. Mais c’est là une pathologie qui ne fait pas droit à la valeur du rite.

Le rituel est irremplaçable. C’est d’ailleurs une donnée anthropologique incontournable. Tous les grands moments de la vie que l’homme affronte sont partout ritualisés. Le rituel est toujours répétitif et stéréotypé. Cela est nécessaire pour que nous recevions le temps d’y pénétrer, de l’intérioriser et de le comprendre, avec toute notre personne : raison, volonté, sensibilité. Le rituel est aussi créateur de communauté et un remède pratique contre l’individualisme. Il rassemble et lie une communauté et lui donne visage à l’extérieur et à l’intérieur. La désaffection envers le rite a certainement à voir avec notre individualisme moderne et avec la rupture de beaucoup de relations et de liens sociaux.

Un grand problème du temps postconciliaire est celui de l’inculturation, qui a donné lieu, en 1994, à un bon document de la congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements [1]. Il s’agit d’une obligation à ne pas voiler. Si Dieu s’est fait homme, cela signifie que la célébration de ses mystères est confiée à tous les hommes, dans leurs diversités culturelles, historiques et ethniques. Il faut remarquer cependant que les limites à poser en ce domaine ne sont pas dues à une éventuelle hégémonie de la culture européenne sur les autres, mais qu’il faut retourner à quelque chose de bien plus profond. La liturgie chrétienne n’est pas la structuration d’une religiosité humaine générale. La liturgie met en forme des réalités historiques : les mystères du Christ. L’eucharistie remonte à la dernière Cène du Christ. Et il ne s’agissait pas là d’un repas religieux entre autres ; le repas de pâque des Juifs, investi par le don de soi du Christ, nouvel agneau pascal, implique qu’on peut difficilement remplacer des éléments historiquement liés (le pain, le vin, la prière d’action de grâce) par des symboles humains généraux. Et toutes les fêtes juives puis chrétiennes ont certes été, à l’origine, des fêtes de la nature, mais elles ont été complètement transformées en s’historicisant. La pentecôte fut bien, originellement, une fête de la récolte, mais elle a été foncièrement historicisée par le don de la loi au Sinaï et l’effusion de l’Esprit à la Pentecôte.

L’inculturation n’est pas seulement une affaire majeure pour l’Afrique, où la culture est encore jeune et flexible – de la lave liquide – et où la christianisation se déroule librement et facilement. Jean-Paul II écrivait déjà dans sa lettre Redemptoris Missio qu’en Asie, l’inculturation de la foi chrétienne est beaucoup plus difficile : la culture est beaucoup plus ancienne – de la lave durcie – où la foi chrétienne et la liturgie doivent vaincre plus de résistances. Sans même parler d’un autre domaine de l’inculturation, le monde occidental, où la sécularisation, l’athéisme pratique et théorique, rendent les choses à nouveau plus difficiles.

Gaudium et Spes

Cette dernière constitution, comme toutes les autres d’ailleurs, est connue par ses deux premiers mots : Gaudium et Spes. Les deux mots qui suivent : luctus et angor, sont tout aussi importants. Si le concile avait lieu maintenant – quarante ans plus tard – les pères conciliaires inverseraient peut-être l’ordre, et commenceraient par luctus et angor. Déjà tout de suite après le concile, il y avait des voix, du côté protestant, pour s’étonner de cet optimisme conciliaire. Quelle mouche avait donc piqué l’Église catholique, qu’elle soit devenue si optimiste (presque comme une jeune fille qui va danser pour la première fois) à l’égard du monde ? « Alice au pays des merveilles ». Cet optimisme était-il donc inconvenant ? Non, il nous a permis d’entreprendre beaucoup. Mais cela n’empêche pas qu’en considérant les quarante dernières années, on puisse prendre garde également au luctus et angor.

Les côtés d’ombre

 Il est évident que Gaudium et Spes consacre de longs paragraphes à l’athéisme. Mais l’athéisme qu’on avait alors sous les yeux a bien changé. C’était alors surtout l’athéisme scientifique et l’humanisme athée. De part et d’autre, Dieu et les hommes sont concurrents : il n’y a pas place pour les deux. Or maintenant, on pense beaucoup moins détruire la foi, on la déclare superflue. C’est une espèce d’athéisme pratique, beaucoup plus difficile à combattre, parce qu’il n’a pas de visage propre : il est partout et il concerne tous les domaines ; on le respire avec l’air ambiant.

 De plus en plus notre vie ensemble est marquée par le narcissisme : l’homme se regarde lui-même, il considère ses propres besoins de consommation, ses propres plans, son propre prestige. Le « moi » est hypertrophié et ne se soucie plus de l’autre. Ce narcissisme n’était pas très présent dans Gaudium et Spes. Dans les années soixante, on vivait encore des grands idéaux sociaux et collectifs. La population estudiantine de 1968 n’était pas individualiste. Est-ce encore le cas ?

 En 1960, on parlait souvent de la disparition de la religion. Pensons à « la mort de Dieu », un thème qui était cher à des auteurs américains comme Harvey Cox. On vivait en un temps a-religieux. Notre temps n’est pas du tout le même. Mais cette nouvelle religiosité ne cherche pas son ancrage dans les grandes églises. Elle va vers les sectes.

 Un autre élément de l’évolution culturelle est la disparition de la discipline morale. En parlant ainsi, on ne pense pas d’abord à la criminalité pratique, qui n’est pas mince, mais à l’estompement de la discipline théorique morale. Ce n’est plus seulement qu’on pèche, mais que l’on nie que ce soit péché. Plus importante que la perversité pratique dans le comportement moral est la perversité de la pensée, comme Veritatis Splendor le souligne. Cela aussi était peu présent en 1960.

 Un autre changement est l’émergence de mouvements de droite en politique et les jaillissements fondamentalistes dans les religions.

 Il y a aussi, finalement, la réduction du religieux à la sphère privée. La religion perd peu à peu sa place sur la scène publique. On peut la vivre dans sa vie privée, mais plus dans la politique, la culture, l’enseignement.

Toutes ces mutations étaient forcément peu présentes dans l’esprit des pères du concile et donc aussi peu manifestes dans Gaudium et Spes.

Les côtés lumineux

D’un autre côté, la joie et l’espérance – Gaudium et Spes – sont aussi présentes dans ce temps post-conciliaire. Beaucoup de choses ont changé en bien.

 Ainsi, l’humanité devient petit à petit convaincue que le bonheur dépasse le pur empirique et qu’il va au-delà des perceptions sensibles. Il y a un vrai réveil du spirituel, de l’intériorité et du religieux. Le réveil religieux, surtout, est indéniable. Mais il s’agit plutôt d’une espèce de religiosité « sauvage », qui ne cherche pas l’institutionnalisation ou l’ecclésialité, qui serait même assez antiecclésiale. Elle se trouve ailleurs, dans le domaine de la sensibilité, et s’oriente surtout vers la guérison. La religion devient une thérapie de premier ordre.

 Un second signe positif se voit à l’échelle planétaire. La grand majorité de l’humanité est convaincue que la fraternité, la solidarité, l’honnêteté et la paix sont nécessaires pour que l’humanité puisse survivre, quoi qu’il en soit du nationalisme et de la violence ethnique, et même si cela n’est pas effectif au plan pratique.

 Naît aussi une grande sensibilité envers l’intégrité de la création. Ce thème écologique n’est pratiquement pas présent dans Gaudium et Spes. Mais une telle écologie reste encore très soucieuse du moi. La création doit être respectée dans notre propre intérêt. C’est une question de survie pour l’humanité. On n’en est pas encore à une reconnaissance et une louange du Dieu Créateur.

 La conscience ecclésiale du Peuple de Dieu ainsi que du rôle du laïc dans la vie de l’Église ont aussi fortement grandi. On repère un plus grand sens de la responsabilité commune de l’être ecclésial que dans les années soixante. Bien que cela puisse conduire ici et là à un obscurcissement de la structure hiérarchique, en soi, c’est un signe positif.

 Un autre signal vient de l’appréciation du sacrement de mariage comme source de sanctification. A fortement grandi la conscience des conjoints qu’ils sont appelés à la sainteté et qu’ils en puisent la grâce dans le sacrement. En même temps est apparue une appréciation positive de la sexualité et du triple bien du mariage : unité, fécondité et fidélité.

Les défis pour l’Église

 Le plus grand défi pour l’Église se trouve dans la famille. Il y a un nivellement croissant de la conscience en ce qui concerne l’avortement, la contraception, l’indissolubilité du mariage. Le lien conjugal, profondément fondé anthropologiquement, est remplacé par un contrat révocable, temporaire au besoin. La cohabitation aussi, y compris celle des homosexuels, est devenue une réalité acceptable dans l’opinion publique. Également inquiétant est le fait que la législation a abandonné son rôle pédagogique, ce qui entraîne la légalisation de toutes les opinions sur le mariage ; on passe à côté de la compréhension anthropologique de la monogamie et de la conception hétérosexuelle du mariage, tandis que grandit l’obscurcissement des concepts mêmes de mariage, d’adoption, etc.

 Un autre souci touche la jeunesse. La transmission de la foi (et des valeurs) d’une génération à l’autre semble entièrement défaillir. Les plus jeunes souffrent du chômage, de l’absence de sens et d’idéal et surtout, de points de référence. Ils vivent comme dans un désert : sans père, sans mère, sans tradition et sans jugement de valeur. Il y a chez les parents du désespoir, du découragement ou une abdication cynique. D’autre part, surtout dans les dernières années, une rupture s’observe : un certain nombre de jeunes demandant de l’ordre, une échelle des valeurs solide, des points d’attache et également, une vérité objective. Les Journées mondiales de la Jeunesse en sont une preuve et elles étonnent tous les observateurs et analystes du monde des jeunes.

 La femme d’aujourd’hui représente aussi un très sérieux défi pour l’Église et ses dirigeants. Le problème de la non-ordination empêche beaucoup de femmes de prendre vraiment part à la vie de l’Église et d’y porter des responsabilités, même si un nombre considérable d’entre elles font cela depuis des siècles. Mais dans le monde des femmes règne à présent un mécontentement à l’égard de l’Église. Cela concerne des clichés désuets, l’absence des femmes à des postes élevés et aux grandes responsabilités dans l’Église. Il s’agit aussi du shaking of foundations (l’« ébranlement des fondements ») anthropologique pour définir l’homme et la femme, en eux-mêmes et dans leurs relations réciproques. L’Église elle-même se sent incertaine. L’important et très beau document de Jean-Paul II Mulieris Dignitatem est étiqueté par beaucoup de femmes comme une méditation opposée à d’autres documents prudentiels. Peut-être aussi le problème n’a-t-il pas de solution sur le terrain purement rationnel.

 Depuis la fin de la guerre froide, il n’y a jamais eu autant de conflits locaux qu’aujourd’hui. Le problème de la guerre et de la violence n’a pas diminué depuis que les grandes puissances se sont accordées pour un désarmement. Une violence amère, nationaliste, ethnique et tribale grandit partout. Gaudium et Spes a de belles pages sur la paix. Mais il y a encore beaucoup à faire, au niveau du travail de réflexion et de l’action. L’éducation à la paix et l’apprentissage de techniques de gestion des conflits, le don du pardon et une morale de réconciliation sont des tâches toujours ouvertes, quarante ans après le concile.

Tertio Millenium Ineunte a comme motif central la réconciliation et traite de la lutte contre toutes les sortes de fondamentalismes, et de la tentation interne des religions à se radicaliser et à se politiser. La religion peut facilement être instrumentalisée au service de la puissance et de la prétention idéologique.

 Existe aussi un fossé entre évangile et culture. Paul VI en avait déjà le souci. La foi a été à la base de beaucoup d’œuvres d’art et de culture, depuis des siècles. Aujourd’hui, il semble y avoir une cassure. L’art ne peut plus être chrétien : ce serait une sujétion. Les artistes religieux sont rares, même s’il y a, ces derniers temps, comme un revirement : au cinéma, en musique et dans d’autres domaines artistiques, le religieux – pas nécessairement chrétien – revient. Mais d’où vient alors ce fossé entre évangile et culture ?

*

La question capitale est celle-ci : l’Église et la foi sont-elles aptes, en notre temps, à nourrir l’espérance ? C’est le plus grand défi du monde à la religion et à l’Église. Avons-nous raison d’espérer, alors que s’obscurcit la vision sur la poursuite de l’existence après la mort, sur la résurrection et sur la vie éternelle ? Notre temps ne peut pas situer ce problème de la mort et s’en trouve silencieusement désespéré. Car il se pourrait bien qu’aujourd’hui, ce ne soit pas l’amour, mais l’espérance qui semble « la plus grande des trois ». Qui perd la foi éprouve de l’arythmie cardiaque, mais la foi peut être retrouvée. Qui perd l’amour fait un infarctus : c’est grave, mais réparable. Qui perd l’espérance est en arrêt cardiaque : c’est fatal. Telle fut la tentation de tous les grands saints, y compris, à la fin de sa vie, Thérèse de Lisieux.

[1Instruction Varietates legitimæ, 25 janvier 1994.

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