Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Légitimité du Conseil diocésain de la Vie religieuse

Monique Colrat, o.p.

N°2004-4 Octobre 2004

| P. 254-269 |

L’institution des conseils diocésains de vie religieuse (CDVR), largement répandue en France, est liée à une conception renouvelée de la vie religieuse. Dans ces Conseils, les relations organiques de la vie religieuse avec le sacerdoce ministériel et le laïcat sont vécues, à partir d’une consécration spécifique, au cœur de la mission diocésaine : les religieux appartiennent toujours à une Église locale, sans perdre pour autant leur disponibilité universelle.

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Les réflexions et débats concernant la vie religieuse en France font ressortir que l’Église diocésaine y occupe une place de plus en plus importante [1]. Dans ce contexte, il peut être opportun de s’interroger sur la mise en place des Conseils diocésains de la Vie religieuse (CDVR), nés dans le sillage du Concile Vatican II. En effet, le gouvernement pastoral de l’évêque, en raison de sa responsabilité apostolique, s’exerce avec ses coopérateurs, mais avec l’aide des organismes de collaboration et des services apportant leur part à la mission diocésaine. Le droit particulier des diocèses étant en pleine évolution, chaque Église particulière est conduite à repenser les divers moyens de collaboration, notamment à partir des conseils diocésains dont les plus connus sont le Conseil presbytéral et le Conseil pastoral diocésain.

Dans ce mouvement, les CDVR ont tenté de trouver leur chemin. On voudrait ici, en tenant compte de la réflexion et des pratiques développées dans les diocèses de France, établir leur légitimité déjà au plan de la conception de la vie religieuse (I) et ensuite au plan de la mission de l’Église diocésaine (II). Ceci étant établi, il conviendra d’ébaucher leur pertinence au plan du droit canonique et des pratiques instaurées (III). En conclusion, on évoquera quelques fruits attendus par la mission ecclésiale et la vie religieuse dans l’espace diocésain où elle se trouve ainsi nouvellement insérée.

I. Dans l’Église diocésaine : une vie religieuse en évolution

La vie religieuse demeure une question récurrente pour le gouvernement pastoral de l’évêque pasteur de cette Église, à la fois visible et invisible, mystère et société ; mais des questions se posent aussi sur l’insertion dans la vie et la mission d’un diocèse. Si la question doctrinale a fait l’objet d’analyses nombreuses dès le concile Vatican II [2], le domaine de l’insertion diocésaine, bénéficiant des propositions du magistère romain post-conciliaire [3], a trouvé un réel écho dans les travaux de la Conférence des évêques de France [4].

Les conséquences du mouvement d’aggiornamento dans les communautés religieuses ont été davantage perceptibles pour la vie apostolique. Beaucoup de religieuses et de religieux sont passés d’une mission vécue dans une relative autosuffisance communautaire à une mission exercée singulièrement et en relation étroite avec les clercs et les laïcs, au sein d’une pastorale globale aux orientations diocésaines définies. De nouveaux modes d’insertion missionnaire ont vu le jour modifiant le visage des communautés religieuses [5]. Les monastères eux-mêmes, tout en se livrant à une réforme interne, ouvraient leurs portes aux laïcs sans perdre leur « stabilité ».

Un déplacement majeur

Pour saisir ce déplacement, on se souviendra qu’au regard du Code de droit de 1917, le droit des religieux envisageait l’état religieux et ses obligations à partir des vœux et de l’état de perfection (cf. can. 487 et 593). Si le terme « mission » en était absent, l’insertion des religieux est néanmoins repérable à partir des rapports d’ordre institutionnel stricto sensu, tels que l’ouverture d’une maison requérant « la permission de l’Ordinaire », avec « l’autorisation de faire des œuvres pies propres à chacune [des religions], sans préjudice des conditions apposées dans la permission elle-même » (can. 497 § 2). Il en allait de même pour l’exercice du ministère : les religieux étant appelés par leurs supérieurs « à accomplir le saint ministère, soit dans leurs églises, soit dans les oratoires publics, soit au-dehors, surtout dans le diocèse où ils habitent, lorsque leur aide est demandée par l’Ordinaire du lieu ou les curés, pour les besoins des fidèles » (can. 608 § 1). En outre, les évêques et les curés étaient invités à recourir « à l’activité des religieux, de ceux surtout qui résident dans le diocèse, pour le saint ministère et en particulier pour le sacrement de pénitence » (can. 608 § 2).

Pour les consacrés, le Code de 1983, riche de la réflexion conciliaire, insiste tout d’abord sur les liens indissociables entre l’amour de Dieu et celui des hommes, la construction de l’Église et le salut du monde, la perfection de la charité et le signe eschatologique, en référence à la consécration par les conseils évangéliques qui leur est propre (cf. can. 573). Et par la suite, le Code souligne les liens avec l’évêque diocésain : ainsi, son autorisation est requise pour l’établissement d’une communauté dans son diocèse (cf. can. 609 § 1). En outre, dans la troisième partie du livre II, dédiée aux instituts de vie consacrée, quand le chapitre V envisage l’apostolat des instituts religieux, de vie apostolique comme de vie monastique, il pose le principe de l’autorité cumulative de l’évêque et des supérieurs majeurs dans le devoir d’assurer en concertation la mission de l’Église (cf. can. 673-683). D’emblée, la vie consacrée est mise au service de l’Église et de l’Église diocésaine.

De nouvelles relations entre communautés religieuses et Église diocésaine

L’alliance entre Dieu et les hommes fonde, définit et détermine l’organisation du diocèse dont l’évêque est « le principe et le fondement d’unité ». Car le diocèse est « la portion du peuple de Dieu confiée à un évêque pour qu’il en soit, avec la coopération de son presbyterium, le pasteur, de sorte que dans l’adhésion à son pasteur et rassemblée par lui dans l’Esprit Saint par le moyen de l’Évangile et de l’Eucharistie, elle constitue une Église particulière dans laquelle se trouve vraiment présente et agissante, l’Église du Christ, une, sainte, catholique et apostolique » (Christus Dominus 11 et can. 369).

Religieux et religieuses acquièrent leur domicile en un diocèse donné en appartenant à telle communauté religieuse qui y est légitimement établie (can. 608) ; par elle, ils deviennent membres à part entière d’une Église particulière, ils sont de ce corps ecclésial, fait d’hommes et de femmes, qui, par leur baptême, ont été nouvellement constitués du fait de leur régénération en Christ (cf. Lumen gentium, 32b et can. 204). Dans ce peuple messianique dont le chef est le Christ, chacun reçoit, sous la mouvance de l’Esprit Saint, les dons qui lui permettent de répondre à sa vocation propre empruntant des chemins divers pour la réalisation du Royaume. Ainsi, « le nouvel Israël s’avance dans le siècle présent, en quête de la cité future, celle-là permanente (cf. He 13, 14) ; il est appelé, lui aussi : l’Église du Christ (cf. Mt 16, 18), c’est le Christ qui l’a rachetée de son sang (cf. Ac 20, 28), emplie de son Esprit et pourvue des moyens adaptés pour son unité visible et sociale » (Lumen gentium 9c). En chaque Église diocésaine « le ministère épiscopal est réellement le principe directeur du dynamisme pastoral de tout le peuple chrétien » (Mutuae relationes, introduction au ch. VI).

Par « leur consécration particulière », les religieux et les religieuses, réunis en communautés fraternelles, vivent donc « pour le Christ et pour son corps qui est l’Église » dans un diocèse. Là, ils côtoient ministres ordonnés et laïcs (Perfectae caritatis, 1c et 5). Des rapports internes de vie ecclésiale, sous le signe de l’Alliance, s’instaurent selon une communion organique propre, reliant entre eux fidèles laïcs, pasteurs et consacrés [6]. Dans l’Église, peuple de Dieu, ceux qui font profession des conseils évangéliques et vivent en communautés fraternelles, sont appelés à donner leur vie pour la mission, en tant qu’annonce du Règne par l’abandon de la richesse, du mariage et de sa fécondité, de la gestion de leur vie, ici et maintenant (cf. can. 573 § 1).

Toute communauté religieuse étant insérée dans un diocèse, ses membres sont invités à s’intégrer au peuple de Dieu qui le constitue, avec les devoirs et les droits propres à la vie religieuse ; réciproquement, eux-mêmes attendent d’y être reconnus comme tels. Cette implication diocésaine fut un des lieux clés pour les religieux et les religieuses, dans l’après concile Vatican II : ils doivent désormais assumer l’appartenance stricto sensu à leur institut et à la vie religieuse largo sensu, en tant que catégorie de fidèles déterminée, en recherche de relations justes avec les clercs et les laïcs, dans une Église particulière. Ces relations mutuelles permettent de situer l’appartenance des consacrés à l’Église locale, selon les exigences du droit commun. Ici s’inscrit le travail d’adaptation du droit particulier aussi bien du côté de la vie religieuse que du diocèse en vue d’un travail pastoral en communion. Cette situation nouvelle est à la source de l’établissement des « conseils diocésains » propres à la vie religieuse [7].

Au plan du droit, le statut « religieux » est clarifié. Après les difficultés rencontrées dans les textes conciliaires entre une présentation focalisée sur la seule vie religieuse en Lumen gentium VI et la nécessité de proposer et de préciser une rénovation adaptée à l’ensemble des consacrés par les conseils évangéliques en Perfectae caritatis [8], le Code de 1983 la propose comme l’une des deux manières d’exister dans la vie consacrée vécue sous une forme instituée.

Au plan de la théologie de la vie religieuse, il fallait, pour certains, que la réalité de la « corporation religieuse » soit entendue comme dénominateur commun et terrain de base pour penser un CDVR ; d’autres par contre, en posant au départ la variété des charismes des instituts rendaient inconcevable ce patrimoine commun [9]. La réflexion pratique devait donc trouver un équilibre entre particularité du charisme et éléments essentiels à toute vie consacrée. A considérer trop exclusivement un charisme fondateur pour lui-même, on crée l’impossibilité d’entrer dans une démarche et une pensée communes ; au contraire, n’envisager que les aspects communs à la vie religieuse risquerait de fondre les congrégations dans une vision monolithique coupée de ses sources et de rendre tout autant inopportun un CDVR [10].

De ceci on peut conclure que cette institution se trouve liée à une conception originale de la vie religieuse dans la vie consacrée telle qu’elle est proposée dans le Code de droit canonique révisé. Ce dernier a situé le don de la vie consacrée, d’une part, selon une dimension collective en instituts ou en sociétés (instituts de vie consacrée, religieux ou séculiers et les sociétés de vie apostolique), d’autre part, selon une dimension individuelle (dans la vie érémitique ou celle des vierges consacrées). De même, l’exhortation apostolique post-synodale du pape Jean-Paul II, Vita consecrata, insiste sur un fond commun constitutif du grand don de la vie consacrée qu’il présente en sa triple dimension de consécration, de communion, de mission et aussi sur le fait que les charismes propres des instituts sont tous marqués par une orientation trinitaire (Vita consacrata 13, 36) [11].

Relations organiques avec les ministres ordonnés et les laïcs

A la suite de Lumen gentium (43), le Code de droit canonique rappelle que l’état de vie consacré, de sa nature, n’est ni clérical ni laïc (can. 588). Au commencement du livre II, deux précisions éclairent ce propos : l’une concernant les statuts hiérarchiques dans l’Église : « Par institution divine, parmi les fidèles, il y a les ministres sacrés qui en droit sont appelés clercs, et les autres qui prennent le nom de laïcs » (can. 207 § 1), l’autre le statut de vie consacrée :

Il existe des fidèles de l’une et l’autre condition qui, par la profession des conseils évangéliques au moyen de vœux ou d’autres engagements sacrés reconnus par l’Église, sont consacrés à Dieu de manière particulière et leur statut, bien qu’il ne concerne pas la nature hiérarchique de l’Église, appartient cependant à sa vie et à sa sainteté (Lumen gentium 44, can. 574 § 1).

La vie consacrée est maintenant introduite « comme un chapitre de l’ecclésiologie » et ceux qui y sont reçus doivent être considérés « comme appartenant définitivement à l’économie de la sainteté de l’Église », ils sont appelés à jouer un rôle pour le développement de sa mission [12].

De plus, les exhortations apostoliques données par Jean-Paul II à la suite des synodes des évêques qui se sont tenus à Rome entre 1987 et 1994 ont permis d’approfondir chacun des trois états de vie qui, dans l’Église, s’appellent mutuellement dans une tension réciproque [13]. La légitimation d’un CDVR tient dans la considération de la vie consacrée en elle-même, comme dans son rapport et son apport aux autres états de vie. Déjà Lumen gentium (31) avait montré leur interrelation ; Jean-Paul II, lui, a insisté sur trois vocations considérées « comme paradigmatiques du moment que toutes les vocations particulières, d’une manière ou d’une autre, les rappellent ou s’y rattachent, prises séparément ou conjointement, selon la richesse du don de Dieu » chacune correspondant à un état de vie (Vita consecrata 31). Il s’est longuement arrêté sur les rapports mutuels qu’il revient aux baptisés d’établir entre eux et autour desquels s’articulent les signes de la vie ecclésiale :

Les ministres ordonnés montrent le Christ, tête de son corps. Ils sont au service de tous pour le diriger, même si, parfois, certains sont engagés dans les choses du siècle, « ils sont consacrés par l’ordination pour poursuivre le ministère apostolique ». Les fidèles laïcs rappellent l’urgence de travailler à la transformation du monde, leur mission ayant pour fondement la consécration du Baptême et de la Confirmation, ils recherchent le règne de Dieu à travers la gérance des choses temporelles qu’ils ordonnent selon Dieu et par le sacrement de mariage, ils offrent au corps de l’Église les membres dont il a besoin.

Les consacrés rendent témoignage de l’adhésion totale à Dieu qui délie des attaches humaines, et de la dimension eschatologique de l’Église par l’offrande de leur personne à cause du Christ et de son royaume déjà présent, en choisissant la forme de vie du Christ selon les conseils évangéliques de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, quand ils reçoivent « cette consécration nouvelle et spéciale ». Le monde ne peut se transfigurer et être offert à Dieu en dehors de l’esprit des béatitudes (Cf. Lumen gentium 31 ; Vita consecrata 32-33).

Aucun de ces trois états ne peut tenir à lui seul dans l’Église : chacune des catégories de fidèles se doit d’apporter sa singularité, dans la communion ecclésiale et l’harmonie des diverses fonctions ; une circularité s’établit entre ces (diverses) manières de vivre la vocation baptismale, permettant de mieux comprendre l’Église [14]. « La communion dans l’Église n’est pas uniformité mais don de l’Esprit, elle passe par la variété des charismes et des états de vie » (Vita consecrata 4). C’est dans la communion organique à la fois hiérarchique et spirituelle, que l’on se doit d’envisager les rapports entre les différentes fonctions relatives aux états de vie constitutifs de l’Église : telle est la recherche à laquelle est convié tout conseil de la vie religieuse dans une l’Église diocésaine.

II. Lien existentiel entre vie religieuse et mission diocésaine

Au cours de l’enquête, on a pu se rendre compte que la majorité des conseils ont marqué leur intérêt pour la mission ecclésiale : sujets abordés dans leurs réunions, préoccupations, objectifs déclinés dans leurs statuts, attestent de la force de la consécration religieuse dans la réflexion, les engagements, les actes et les paroles. Quelques-uns vont même jusqu’à y réduire la vie consacrée au risque de prêter une attention moindre à la mission des instituts [15].

Un témoignage lié à la consécration

L’insistance sur le témoignage missionnaire revient constamment, rappelant que la vie religieuse doit éviter de se situer uniquement du côté de la tâche à accomplir, qu’il s’agisse de la charge de ceux qui participent au ministère ordonné ou des responsabilités partagées avec les laïcs, ou encore des engagements propres aux instituts. La source du témoignage est ailleurs, dans cette consécration spéciale réclamant de « témoigner publiquement dans l’Église de l’accomplissement de la volonté du Père » (cf. can. 577-578). Le témoignage primordial consiste à traduire dans la vie consacrée l’image du Christ chaste, pauvre et obéissant. Il est remarquable que le Code définit pour la première fois les conseils évangéliques avec les obligations inhérentes à chacun d’eux (cf. can. 599-601), ainsi que le témoignage de la vie commune (can. 602), pour les membres des instituts religieux et des sociétés de vie apostolique concernés – ce qui comporte la nécessité, elle-même nourrie par la vie d’union à Dieu – de « chercher ensemble la volonté de Dieu [16] ».

Cette approche invite à creuser l’originalité des Conseils de la vie religieuse parmi les autres conseils de l’évêque. On pourrait aborder ainsi une réelle spécificité :

Les tonalités d’un CDVR

La volonté d’insertion dans la vie de l’Église de tous les religieux : à travers leur charisme personnel, lui-même relié au projet de l’institut et « accordé « aux nécessités de l’Église au jugement de l’autorité légitime » (Mutuae relationes 12). Cette volonté rejoint une vérification faite par l’autorité compétente de l’esprit du fondateur et de son œuvre avant de reconnaître un institut comme institut religieux (Mutuae relationes 12).

Le souci du témoignage prophétique : en vie consacrée, ce témoignage est qualifié de « ministère prophétique » (Vita consecrata 24) pour manifester en paroles et actes l’appel de tous à la sainteté. Cet accent touche à la dimension missionnaire de l’Église, puisque l’action apostolique, confiée aux religieux, s’entend dans la communion ecclésiale, incitant les religieux à devenir « des personnes expertes en communion », selon une « spiritualité de la communion », si la communion est pour la mission, la communion devient missionnaire (cf. Vita consecrata 46). Il en va d’un témoignage qui transcende et féconde la vie du consacré y compris son action missionnaire.

Dans cette insistance sur un témoignage fondé dans la consécration religieuse, on découvre certaines variantes. Quelques conseils ont montré des réticences à entrer dans une réflexion participative sur la mission diocésaine en n’abordant que les questions concernant la vie religieuse ; d’autres par contre se sont attachés surtout aux questions pastorales pour y porter le point de vue et la pensée de la vie religieuse après une mise au travail des communautés en forme de concertation permettant un partage substantiel de leurs apports [17].

Si la responsabilité du témoignage lié à la consécration et à la vie commune incombe aux responsables d’instituts, il en va autrement de la collaboration organisée des instituts entre eux et avec le diocèse, d’une part, et de la coordination diocésaine de l’action pastorale menée en commun sous la direction de l’évêque diocésain dans la suite de Christus Dominus (35, 5) d’autre part. Alors si l’évêque lui en donne l’opportunité, le CDVR peut devenir un des instruments de collaboration, de concertation et de coordination pastorale. Pour sa mise en place, des éléments juridiques sont repérables et facilitent sa reconnaissance.

III. CDVR et collaboration concertée dans le diocèse au plan du droit

Le droit commun, le can. 680, en demandant aux instituts une collaboration organisée et une coordination des activités apostoliques, pose les prémices d’un conseil diocésain particulier pour les membres des instituts de vie consacrée. Ceci prend d’autant plus de relief que Mutuae relationes avait déjà donné des orientations en ce sens qui elles-mêmes avaient été reprises par les évêques de France.

Entre les divers instituts et aussi entre ceux-ci et le clergé séculier, que soit encouragée une collaboration organisée ainsi que sous la direction de l’évêque diocésain, une coordination de toutes les œuvres et activités apostoliques, restant saufs le caractère, le but de chaque institut et les lois de fondation.

La pastorale globale du diocèse s’entend au delà du clergé et s’ouvre à tous les acteurs pastoraux (cf. Ecclesiae sanctae 1, 28-29). Ici, l’action apostolique de la vie religieuse trouve sa place et son engagement. De plus, l’évêque diocésain placé au sommet de la coordination demandée, en est le premier instigateur et le régulateur final.

Le Code de 1983 ne parle pas explicitement d’un CDVR mais en pose les éléments essentiels

D’abord, du côté des personnes, il reconnaît aux laïcs « habiles sunt », la « capacité à aider les pasteurs de l’Église comme experts ou conseillers, même dans les conseils selon le droit » (can. 228 § 2). En dehors du ministère ordonné, existe la reconnaissance d’un devoir pour certains laïcs de participer à des conseils et à y exercer leur compétence [18]. Ensuite, du côté institutionnel, l’exigence est posée d’une coordination structurée à promouvoir à partir des divers organismes de coopération et dans le respect des compétences, au service de l’unité.

Ce qui rejoint la demande de Mutuae relationes dans ses critères « pour une juste organisation de l’activité pastorale [19] », tout comme dans « Engagements et responsabilités dans le champ d’action », dont on retiendra l’insistance mise sur les moyens « qui contribuent à accroître la confiance mutuelle, la solidarité apostolique et la concorde fraternelle », et servent à « alimenter le désir de coopération » de tous ceux qui, à propos de la recherche de la charité (cf. can. 573), œuvrent à la même mission apostolique [20].

Et la nécessité des organismes de participation, très utiles au plan diocésain, qualifiés « d’association de religieux et de religieuses », reliés par des liens organiques au conseil presbytéral et au conseil pastoral diocésain [21].

Ce type de coordination est très proche des objectifs présentés par les CDVR. Il s’appuie sur l’assimilation des principes qui sous-tendent les exigences du droit canonique croisés avec le droit particulier du diocèse. L’expérience montre qu’il conduit aussi à une réponse ordonnée de la vie religieuse dans son témoignage comme dans son action apostolique exercée au nom et par mandat de l’Église (can. 675 § 3). Il s’inscrit dans l’ecclésialité de la vie consacrée avec des conséquences juridiques touchant à sa mission. Plusieurs commentateurs ont noté que ces canons concernant l’apostolat des religieux, auraient pu trouver leur place dans la partie du Code traitant de la mission de l’évêque diocésain. En effet, il en va des relations organiques à développer entre les acteurs pastoraux, particulièrement la vie religieuse et le clergé [22].

Les insistances du Code de 1983 font ressortir ces relations mutuelles entre les évêques et les religieux toujours à développer. Elles concernent en tout premier lieu les supérieurs majeurs, mais s’étendent par capillarité à l’ensemble des religieux et des religieuses, acteurs de la mission du moins dans l’Église latine. En droit des Églises orientales, d’ailleurs, il n’y a pas de correspondance à ce canon 680 et on ne trouve pas de trace non plus au sujet des canons traitant de l’apostolat qui puisse faire penser à un possible CDVR [23].

L’institution présentée ici devrait être en capacité d’apporter au gouvernement pastoral de l’évêque la caractéristique de la vie religieuse en ses diverses composantes, tant au plan de la contemplation qu’à celui de l’action, dans les questions pastorales à étudier et encore dans la préparation du projet pastoral ou dans sa mise en œuvre.

L’expérience de collaboration éprouvée lors du synode des évêques de 1994, « expérience de dialogue vécue dans un climat de confiance et d’ouverture réciproques entre les évêques et les religieux », fait reprendre au pape le désir exprimé dans la proposition 54 des pères synodaux : « Que cette expérience spirituelle de communion et de collaboration s’étende à toute l’Église » (Cf. Vita consecrata 49). Un CDVR ne devrait-il pas participer à sa mesure de cette communion féconde et ordonnée ? Pour que cela advienne il est nécessaire qu’il soit compris comme un vrai conseil diocésain œuvrant parmi les autres organismes de concertation. Si l’ensemble de ces données entrent en harmonie, alors on peut attendre certains fruits ecclésiaux bien particuliers de la vie consacrée reconnue et organisée dans les diocèses dont la dernière exhortation apostolique Vita consecrata a parlé avec force.

Conclusion : le CDVR comme pratique du Sentire cum ecclesia

La coordination des œuvres d’apostolat au titre des can. 394 et 680 comporte une visée globale de la pastorale d’ensemble, demandée dans le directoire des évêques Ecclesiae imago. Celui-ci donne les orientations diocésaines, dans le respect des compétences en vue d’une coopération au service de l’unité. La vie saisie au travers des comptes rendus des CDVR en France démontre clairement que des liens organiques sont possibles entre les conseils et de leur pratique ; il est facile de déduire qu’on est là devant le moyen ecclésial le plus normal pour aboutir à cette « coordination opportune suggérée par Mutuae relationes (cf. ch IV), collaboration qui ouvre à un travail en communion ou encore à la communion missionnaire [24].

Cette expérience est relayée, parfois soutenue et encouragée, par celle des conseils pastoraux diocésains qui sont les plus souvent cités dans le travail et les relations des CDVR, mais il faut compter avec les conseils presbytéraux et encore avec les synodes diocésains, ces derniers ayant parfois été conduits à demander la création d’un tel type de conseil pour leur diocèse [25].

On se trouve devant un conseil relié institutionnellement aux autres organismes de participation. Il s’entend à partir du droit commun et reçoit du droit particulier du diocèse sa configuration propre. De manière modeste mais bien réelle il entre dans la perspective sans cesse reprise du concile Vatican II aux décrets d’application du Code de droit canonique et explicitée par la volonté du législateur demandant que l’évêque ne gouverne pas seul [26].

Les deux conseils prévus par le Code, le conseil presbytéral et le conseil diocésain de pastorale, demandent une représentation de la vie religieuse parmi leurs membres (Christus Dominus 27, 2 ; Presbyterorum ordinis 7, Mutuae relationes 55, 56).

Le premier comprendra des religieux prêtres ayant domicile dans le diocèse et dans la « mesure où ils participent au ministère (cura animarum) ou aux œuvres d’apostolat » (Ecclesiae sanctae 1.15 § 2), ou à « un office pour le bien du diocèse » (can. 498 2 °).

Le second est composé « de fidèles, tant clercs ou membres d’instituts de vie consacrée, que de laïcs surtout » (Ecclesiae sanctae 1.16, can. 512).

Il faudrait y ajouter, au sommet du diocèse, le synode diocésain, dont les rapports avec le CDVR ont été établis selon des dispositions diversifiées et, à la base, la participation des membres d’instituts à des conseils pastoraux paroissiaux (can. 460 et 536).

Dans la mesure où le CDVR entretient des rapports institutionnels avec les divers organismes de participation du diocèse, on devrait le reconnaître comme un conseil diocésain représentatif de la vie religieuse et à compétence consultative. Il intervient ainsi d’une manière particulière dans la synodalité de l’Église diocésaine pour la part qui lui revient et dans la catégorie de fidèles qu’il représente. Ainsi compris et accepté, il prend place dans l’organigramme des institutions diocésaines, comme un des conseils catégoriels de l’évêque, significatif de sa manière de gouverner [27].

Cette institution postconciliaire, encore à la recherche d’elle-même, manifeste l’intérêt pour une vie religieuse et son action apostolique dans l’Église diocésaine tout en soulignant la reconnaissance d’une vie religieuse comprise et acceptée dans sa diversité. Les relations organiques crées par le moyen du CDVR relient la vie religieuse aux principaux lieux de collaborations pastorales et par là même au pasteur du diocèse et au peuple de Dieu dans lequel ses membres déploient leur existence et leur mission apostolique. La collaboration initiée à partir de ces conseils particuliers à la vie religieuse permet aussi aux membres des instituts de dire leur appartenance à une Église locale dont ils partagent la vie et la mission en un lieu précis, sans perdre pour autant leur disponibilité pour la mission universelle.

[1Remarque de la Secrétaire de la CSM France à une rencontre de canonistes en 2003.

[2A titre d’exemple, Collectif Vatican II. Textes et Commentaires des décrets conciliaires : La Constitution dogmatique sur l’Église, t. 3, Paris, Cerf, 1966.

[3Paul VI, Exhortation apostolique, Evangelii nuntiandi, 8 décembre 1975, Paris, Centurion, 1976, Congrégation pour les évêques et congrégation pour les religieux et instituts séculiers, 14 mai 1978, Mutuae relationes.

[4En particulier dans les années 1983 – 1985 : Avancer sur la route de la mission en France, Les intendants des mystères de Dieu, Les véritables disciples. On peut y adjoindre la réflexion des sessions regroupant des vicaires épiscopaux pour la vie religieuse, Dans nos Églises particulières, religieux et religieuses : pour une vie religieuse, qui soit « signe » dans une Église diocésaine en mission.

[5Claude Dagens, Doyen de la Faculté de théologie de Toulouse, « Église particulière et communautés religieuses », in Dans nos Églises particulières religieux et religieuses, Session nationale des vicaires épiscopaux, Paris, 1986, p. 69-81.

[6Cf. Mutuae relationes, 5 : Développement de la communion organique dans le peuple de Dieu.

[7Les membres des CDVR, dans leur majorité et jusqu’en 1999, sont essentiellement des consacrés dans un institut religieux ou une société de vie apostolique. Ici, l’expression « vie religieuse » englobe à la fois les instituts religieux et les sociétés de vie apostolique, la pratique ayant montré que, depuis le commencement, les supérieurs majeurs ont traité en commun de leurs affaires dans une seule « Conférence ».

[8On se souvient de la définition des instituts séculier sur le mode négatif ; la rénovation adaptée leur était aussi proposée : « … bien qu’ils ne soient pas des instituts religieux… » (Perfectae caritatis 11).

[9Cf. Jean Beyer, S.J. « Originalità dei carismi di vita consacrata », Velasio De Paolis, S.J. « Ecclesialità della vita consacrata » ; Gianfranco Ghirlanda, S.J. « Alcuni punti in vista del sinodo dei Vescovi sulla vita consacrata », in Gianfranco Ghirlanda, Punti fondamentali sulla vita consacrata, Roma, Editrice Pontificia Università Gregoriana, 1994, p. 63-98 ; p. 99-136 ; p. 147-172. Jean Beyer insiste sur l’originalité des charismes, Velasio De Paolis privilégie la dimension ecclésiale de la vie consacrée et Gianfranco Ghirlanda s’interroge sur la responsabilité de l’Église envers la variété des charismes, au moment de la préparation du synode romain sur la vie consacrée.

[10Telle est la position du père Henri Baudry, auteur d’articles sur l’identité ecclésiale des instituts religieux dans la revue Vie consacrée et délégué épiscopal à la vie consacrée du diocèse de Luçon, qui ne peut entendre la question d’un conseil de la vie religieuse devant des charismes différents. Archives personnelles.

[11En raison du patrimoine commun des instituts de vie consacrée, le pape a parlé en même temps des sociétés de vie apostolique tout en respectant leur finalité apostolique (Vita consecrata 11).

[12Jean-Paul II, « La vie consacrée dans l’Église », Audience du 28 septembre 1994, in La Documentation catholique, p. 928-929.

[13Cf. Jean-Paul II, Christifideles laïci, 30 décembre 1988 ; Pastores dabo vobis, 2 mars 1992 ; Vita consecrata, op. cit.

[14Cf. Eugenio Corecco, « Le sacrement du mariage pivot de la constitution de l’Église », p. 168-193 in Théologie et droit canon, écrits pour une nouvelle théorie générale du droit canon, Fribourg, Éditions universitaires, 1990. Dans la conclusion, l’auteur signifie que ni les conseils évangéliques comme Ecclesia perfectionis, ni l’ordo sacerdotalis comme Ecclesia hierarchica, ni le mariage comme Ecclesia domestica ne sont à eux seuls l’Église du Christ (p. 188 à 193).

[15L’histoire du CDVR de Besançon a montré l’investissement possible d’un tel conseil dans la mise en place du projet pastoral ; celui-ci une fois terminé, le conseil est revenu à l’étude de la vie religieuse et de son témoignage dans le diocèse.

[16Cf. CIVCSVA, La vie fraternelle en communauté, op. cit.

[17On peut citer les conseils des diocèses du Puy ou de Bayonne qui traitent uniquement des informations qui les concernent comme religieux, et les trois manières de traiter le rapport entre vie religieuse et vie ecclésiale des conseils d’Annecy, Saint-Claude et Chambéry.

[18Cf. Jean Passicos, « Prêtres et laïcs dans les conseils diocésains depuis le concile Vatican II », L’Année canonique, 38, 1996, p. 151-159.

[19Cf. Mutuae relationes (23), ces directives sont la conclusion du ch. IV « Evêques et religieux attentifs à l’unique mission du peuple de Dieu ».

[20Cf. particulièrement 28b, 36d, 37, 38.

[21Cf. Mutuae relationes, 55, 56, 59.

[22Ces obligations développées aux canons 678-683 auraient pu être placées parmi celles de l’évêque diocésain. Cf. Jean Beyer, Le droit de la vie consacrée : instituts et sociétés, op. cit., p. 159. C’est d’ailleurs ainsi qu’ils ont été présentés par le cinquième consulteur au moment de la révision du projet du Code. Cf. Pontificia Commissio, Communicationes, 13, 1981, p. 202-206.

[23Cf. P. Basile Basile, Le nouveau droit des moines et des religieux, références, p. 236-241.

[24L’étude des relations établies entre les CDVR et les principaux conseils diocésains – conseil presbytéral, conseil diocésain de pastorale, conseil épiscopal – montre les différents liens organiques qui sont appelés à s’établir. On note dans les diocèses où ces liens existent un développement élevé de concertation diocésaine.

[25Ce fut le cas du synode diocésain de Bourges, par exemple.

[26Cf. une présentation des différents conseils du diocèse d’Orléans comme signes et instruments de la synodalité diocésaine « Une Église au souffle de l’Esprit : l’évêque n’est pas seul », in Vie diocésaine, 1997, p. 176-177.

[27Dans un commentaire de Mutuae relationes : « Les comités diocésains de religieux ou de religieuses sont des institutions de l’Église diocésaine, car ils constituent un conseil auprès de l’évêque. […] Il ne s’agit plus ici d’institutions mixtes mais d’institutions proprement diocésaines auxquelles les religieux participent, au titre de membres de la famille diocésaine. » Cf. R. Soullard, « Modifications du droit des religieux », L’Année canonique, 23, 1979, p. 208.

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