Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Homélie pour la fête de la Présentation de Jésus au Temple

Paul Favraux, s.j.

N°2004-1 Janvier 2004

| P. 5-9 |

Donnée le 2 février 2003, cette homélie éclaire à merveille la prochaine fête de la Présentation du Seigneur.

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Nous nous sommes avancés en procession en portant nos cierges allumés, parce que nous fêtons aujourd’hui le jour où Joseph et Marie présentent leur enfant, Jésus, au temple de Jérusalem. Jésus, Lumière du monde, commence, pour ainsi dire, son ministère, et c’est cela que nous célébrons.

Mais il est un autre aspect, dans cet épisode de l’évangile, que vous me permettrez de développer. Je me centrerai sur le personnage de Marie : essayons d’entrer dans son attitude. Vous savez aussi que ce 2 février a été proclamé dans l’Église jour de la vie consacrée, de la vie religieuse : la vie de ces hommes et de ces femmes qui entrent au couvent – comme on disait jadis – de ceux et celles qui entrent au monastère ou dans la vie religieuse apostolique, de tous ceux qui prononcent les trois vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Je parlerai de l’attitude de la Vierge Marie et de son lien avec la vie religieuse.

Marie et Joseph entrent dans le Temple et viennent accomplir les rites prescrits par la loi de Moïse : tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur. Qu’est ce qui peut bien habiter le cœur de Marie en cet instant ? Eh bien, le premier mot qui monte à ses lèvres, c’est celui du merci ; et l’attitude qui s’éveille en son cœur, c’est celle de la disponibilité et de l’offrande. Elle offre son enfant à Dieu et elle s’offre elle-même à la volonté du Père.

Voyez des jeunes parents, au moment où l’enfant naît. C’est une expérience merveilleuse : l’enfant peut avoir été désiré, attendu (aujourd’hui, on dit parfois : « programmé ») ; mais lorsqu’il paraît, c’est encore autre chose : les parents eux-mêmes sont comme surpris par cette merveille d’un petit d’homme qui vient au monde, surpris aussi par ce pouvoir étonnant que Dieu a remis aux hommes, celui de donner la vie… Je me rappelle ce jeune papa qui, ayant assisté à l’accouchement de son épouse, à la vue de l’enfant, n’a pu retenir ses larmes, larmes d’émotion et d’émerveillement. C’est un moment, sans doute, où l’on se sent dépassé, parce qu’on réalise soudain que cet enfant qui naît est un don de Dieu, un don qui nous dépasse, qui dépasse notre pouvoir au moment même où il est remis entre nos mains…

Revenons à Marie. Ce qui habite son cœur et monte à ses lèvres, en cet instant, c’est un immense merci. La venue de cet enfant, elle lui avait été annoncée par des voies étranges, merveilleuses : c’était vraiment un don de Dieu. De cet enfant avaient aussi été prédites d’étranges choses : « Il sera grand, il sera appelé fils du Très-Haut. » Marie réalisait que cet enfant, son enfant…, n’était pas son enfant. Je m’explique : cet enfant n’était pas « sien » exclusivement, mais c’était un enfant que Dieu destinait à une vocation et à une mission mystérieuses. C’est déjà vrai de tout enfant : vous connaissez peut-être ce texte du poète libanais Khalil Gibran, choisi parfois par les fiancés pour leur messe de mariage : « Vos enfants ne sont pas vos enfants, mais le fruit de l’appel de la Vie à elle-même. » Parents, nous ne sommes que les ministres d’une œuvre plus haute, de l’appel que Dieu adresse à ses enfants pour les faire entrer dans son alliance. Combien plus encore Marie, pour cet enfant qu’elle reçoit de façon si mystérieuse ! Alors, ce qui monte à ses lèvres, c’est un immense merci à Dieu, dans sa joie de jeune maman, tout simplement… mais c’est aussi un geste d’offrande. Les mamans étaient invitées à offrir à Dieu leur premier-né, en reconnaissance pour cet enfant qui entrait dans le peuple de l’Alliance. A l’annonciation, Marie avait dit : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole » ; elle s’était remise tout entière aux mains de Dieu ; maintenant encore, cet enfant qu’elle a reçu de Dieu, elle le lui rend pour qu’Il en dispose, non pas selon sa volonté à elle, mais selon son dessein à Lui.

J’évoquais tout à l’heure le désir d’enfant, désir si exalté dans notre culture, et qui peut donner lieu parfois à ce qu’on peut nommer un « forcing procréateur ». Je ne jugerai pas, mais nous risquons parfois d’oublier, en pareil cas, que l’enfant n’est jamais un droit, mais un don que l’on reçoit. Et un danger nouveau nous guette : celui, pour les parents, de se montrer trop protecteurs, et ainsi, sous couvert d’amour, de capter l’enfant – alors qu’on ne met pas au monde des enfants pour soi-même et pas seulement pour eux-mêmes (pour les enfermer sur eux-mêmes)… mais pour les ouvrir au monde et à Dieu. Alors, je vous invite à regarder, à contempler le geste de Marie. Chez elle, aucun esprit de possession. Marie est celle qui reçoit, qui, ayant reçu, immédiatement dit merci, offre et s’offre elle-même.

Cette offrande, on peut la voir dans toute sa vie ; par exemple, dans cet autre épisode rapporté par saint Luc, celui de la Visitation. Marie va rendre visite à sa cousine Élisabeth. Celle-ci l’accueille d’étrange façon : « Bénie es-tu entre toutes les femmes… Et d’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur [c’est-à-dire du Messie] vienne à moi ? » En recevant ce compliment, Marie, au lieu de se l’approprier et de le garder pour elle-même, le rend immédiatement à Dieu : elle lit dans ce qui lui arrive tout simplement le geste d’amour de Dieu envers tout son peuple : « Il renverse les puissants de leur trône, Il élève les humbles ; Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides ; Il se souvient de la promesse faite à nos Pères, en faveur d’Abraham et de sa race à jamais »… Lorsqu’elle reçoit la lumière, Marie, au lieu de la capter pour elle-même, la renvoie, la réfléchit en la multipliant…

Le lien avec la vie religieuse est transparent. Quand un homme, quand une femme, décident d’entrer dans la vie religieuse, d’entrer au couvent, dans un monastère, dans un ordre religieux, quelle est leur attitude ? Eh bien, c’est l’attitude de celui qui s’offre et s’en remet totalement à Dieu, qui se met totalement et directement à la disposition de Dieu. Toutes ses puissances de possession, il les offre à Dieu : vœu de pauvreté. Tout son pouvoir d’initiative, de création et d’action, il le remet à Dieu : vœu d’obéissance. Toute sa puissance de fécondité, de susciter la vie, il la confie à Dieu pour qu’il la fasse fructifier : vœu de chasteté. Et cela sans attendre, dans la candeur de sa jeunesse !

Permettez-moi un petit détour. Devant la crise des vocations sacerdotales et religieuses, quelqu’un me confiait : « Mais enfin, l’Église ne devrait-elle pas assouplir quelque peu sa discipline et sa manière de faire ?… Par exemple, ne pourrait-on pas réserver l’engagement dans la vie religieuse, ne disons pas au troisième âge, mais du moins à l’âge mûr ? Supposons quelqu’un qui se trouverait veuf. A ce moment-là, ne serait-ce pas beau d’entrer dans la vie religieuse ? » Certes ! Et c’était sans doute le cas d’Anne, cette femme dont nous parle l’évangile d’aujourd’hui, veuve après sept ans de mariage, et qui dès lors avait consacré à Dieu le reste de sa vie. Oh oui, ce serait beau et c’est possible ! Lorsqu’on se trouve veuf, il est vrai qu’au lieu de pleurer un passé perdu, il est permis à certains de se découvrir une vocation nouvelle et une plus grande disponibilité pour la prière et le service des hommes. Mais si la vie religieuse n’était réservée qu’à cet âge mûr, ou comme une seconde chance après une épreuve, quelle perte et quel appauvrissement pour l’Église ! Disons-le en positif : quelle joie et quelle beauté dans le geste d’un jeune qui, dans la naïveté (peut-être) et dans l’élan de sa jeunesse, répond à l’appel du Seigneur par un oui total.

Récemment, de passage dans un séminaire diocésain, on me présente un jeune homme – dix-neuf ou vingt ans (peut-être) – « c’est un jeune séminariste qui vient d’entrer : Mon Dieu, que c’est fou ! Est-ce qu’il ne ferait pas mieux de connaître d’abord la vie, et puis, ma foi, plus tard, il se décidera peut-être en connaissance de cause ! » Ah, ces raisonnements humains, « humains, trop humains » (je paraphrase Nietzsche), ce bel « humanisme », mais où ne retentit plus la force et la simplicité de l’Évangile ! Je pense à cette parole du Psaume : « Dans la simplicité de mon cœur, c’est dans la joie que je t’ai tout offert. » C’est cela la vie religieuse : s’offrir à Dieu en lui donnant carte blanche, pour qu’il donne fécondité à notre vie ; s’offrir à Dieu et à sa volonté, pour qu’il réalise son œuvre à travers l’offrande de notre personne. Et pour qui s’offre ainsi, fût-ce dans sa prime jeunesse, Dieu ne se laisse jamais vaincre en générosité. Certes, avant de faire le pas, c’est souvent la lutte intérieure : la vie religieuse n’est pas un état de vie que l’on choisirait par comparaison : « Tiens, ce serait bien. » N’entre dans la vie religieuse que celui qui a ressenti un appel intérieur, et un appel auquel on résiste parfois longtemps avant de répondre par un oui. Mais celui qui précisément a fait le pas découvre alors tout ce que Dieu donne et la puissance de vie qu’il promet.

Marie, aujourd’hui offre l’enfant et s’offre elle-même pour que Dieu dispose d’elle « au gré de sa grâce ». Et la réponse de Dieu ne se fait pas attendre. Sitôt qu’elle entre dans le Temple, voici que survient Siméon… c’est très beau, ce que Siméon dit de l’enfant, mais en même temps, il le prend dans ses bras : pour Marie, ce n’est déjà plus son enfant : la voici désappropriée. Siméon les bénit, Marie et Joseph ; il annonce à Marie l’œuvre de vie qu’accomplira Jésus… mais en même temps la souffrance qui l’attend : le glaive de douleur qui lui transpercera le cœur… Marie rend grâces pour l’enfant que Dieu lui a donné… et s’offre entièrement pour l’œuvre de Dieu.

Aujourd’hui, nous prions pour que Dieu conserve à l’Église la grâce de la vie religieuse, de ce oui total prononcé, si possible, dans l’élan de la jeunesse. Et que le Seigneur fasse grâce à chacun d’entre nous, quel que soit l’état de vie où il se trouve – mariage ou vie religieuse – de pouvoir renouveler son offrande. Nous la déposerons dans le cœur de Marie.

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