Nul ne pourra nier la baisse du nombre de prêtres, tout du moins en Occident. Face à cette crise, d’aucuns cherchent des solutions. En témoignent les discussions en marge du récent synode sur la possible ordination des viri probati.
L’A., canoniste et vicaire général du diocèse de Liège, prend soin de ne pas s’engouffrer trop rapidement dans un débat qui pourrait s’avérer stérile. Notons déjà qu’à la « crise » des vocations qui revient comme un refrain lancinant, il préfère la notion de précarité. « Le canoniste est l’homme des faits », rappelle-t-il. La notion de précarité lui offre une intéressante plasticité, entre précarité relative et absolue. Et permet d’éviter la dramatisation tapie derrière le mot crise.
De plus, chacun sait, et notre A. mieux que personne, que la solution miracle n’existe pas. L’évolution du paysage social et ecclésial est si rapide, que personne ne peut prétendre trouver une solution simple et pérenne à la précarité. Alors, plutôt que de chercher des solutions, A. Borras préfère donner des repères.
Il fonctionnera tout simplement en trois temps : il s’agit d’abord de brosser un constat de la situation, pour pouvoir élaborer des repères théologiques. Ainsi on sera à pied d’œuvre pour analyser les ressources que le Code ouvre aux évêques en temps de précarité. Le fil rouge de la réflexion se trouve résumé dans les deux questions suivantes : « Des prêtres oui, mais pour quelle mission ? », « des prêtres oui, mais pour quelles communautés ? ». Notre représentation du pasteur et de son importance dans la communauté chrétienne est fortement marquée par un certain nombre d’images et de schémas. Ne faut-il pas se défaire radicalement de l’image d’un pastorat hérité du XIXe siècle où le curé est l’homme à tout faire, l’homme-orchestre ? Si tel est le rôle du prêtre, on cherche des palliatifs pastoraux. Les laïcs bouchent comme ils le peuvent des trous laissés par le manque de prêtres, au risque d’instituer une nouvelle cléricature.
L’enjeu est ailleurs, comme l’A. s’emploie à le montrer à travers les repères théologiques qu’il propose. Un autre fil rouge de sa réflexion se traduira dans la question récurrente : « Comment être l’Église en ce lieu (epi to auto) ». L’ecclésiologue ne peut rester insensible aux accents ignatiens de cette question. Car tel est bien le premier repère qui résonne comme un déplacement. Il ne s’agit pas tant de rester focalisé sur le ministre que de comprendre que l’ecclesia est le premier sujet de la mission. C’est la communauté rassemblée, porteuse de l’ensemble de la diversité des charismes qui est convoquée et envoyée. En effet, comme l’a rappelé le chapitre 2 de Lumen Gentium, le peuple de Dieu est le peuple de tous les baptisés et a vocation d’être peuple racheté, race choisie et sacerdoce royal. De ce fait, le deuxième repère tient dans la visibilité de la diversité du corps ecclésial, unifié par l’Esprit Saint.
De cette organicité du corps ecclésial, l’A. tire un troisième repère particulièrement suggestif qu’il nomme : « Altérité constitutive, rapport symbolique, unité foncière ». En effet, pour garantir son organicité, le corps ecclésial a besoin de signifier symboliquement (c’est-à-dire dans l’unité), l’altérité constitutive entre la tête et le corps : « Ce rapport symbolique peut être qualifié de paradigmatique. Il offre un modèle normatif qui structure toute communauté ecclésiale : corps et tête, l’ensemble des fidèles dans leur diversité et leurs pasteurs qui figurent le Christ » (p. 66). Ce rapport symbolique (du grec symballein, rassembler) est le garant de l’unité organique du corps de l’Église. En situation de précarité, il faut se garder d’effacer ce signe symbolique et au contraire lui rendre son caractère constitutif.
C’est à l’intérieur de cette unité organique, fondée sur l’altérité constitutive de la tête et du corps que pourra se déployer la coresponsabilité de tous les baptisés, fondée sur l’égale dignité baptismale de tous (quatrième repère). Et l’A. de citer le paragraphe 32 de Lumen Gentium, sur la « véritable égalité (de tous) quant à la dignité et à l’activité ». Il y a donc ici à opérer un véritable travail de discernement des charismes. Pourtant, force est de constater que le concept de coresponsabilité n’est pas forcément opératoire et qu’il est concrètement porteur de promesses non tenues, puisque la corresponsabilité s’exerce principalement à travers les différents conseils au sein desquels le pasteur reste le dernier décideur. Il faut donc préférer à cette notion celle de synodalité, qui permet de manifester le caractère dynamique de la responsabilité baptismale. En effet, tous auront part active à ce « chemin ensemble », qu’ils soient pasteurs ou laïcs. Ainsi, la synodalité permet d’éveiller la conscience ecclésiale des communautés, ce qui revêt une importance capitale, eu égard au premier repère : c’est l’ecclesia qui est porteuse de la mission.
C’est à l’intérieur de cette conscience ecclésiale, fondée sur l’altérité constitutive et l’égale dignité baptismale, que l’on pourra déployer la responsabilité ministérielle de quelques-uns : outre les ministres ordonnés, les laïcs bénévoles et rémunérés. Ce cinquième repère théologique est capital. Le manque d’articulation entre la responsabilité missionnaire de tous et la responsabilité ministérielle de quelques-uns a conduit, semble-t-il, à beaucoup de confusions et a provoqué, sur le terrain, nombre de blessures et d’incompréhension. On peut voir là la source de nombreux replis cléricaux tant du côté les laïcs que des ministres ordonnés. Sans la reconnaissance d’une taxis fondamentale, on court le risque, reconnaît A. Borras à la suite du pape François, d’un épuisement, voire d’une aigreur et d’un découragement de tous les ministres.
Et l’A. de reprendre ici la notion d’altérité mise en lumière plus haut. L’ensemble des fonctions et des ministères suscités par l’Esprit dans l’ecclesia sont exercés sous la présidence d’un seul, présence sacramentelle du Christ à son Église, qu’est le ministre ordonné. La collaboration des laïcs au ministère, si elle est fondée sur le baptême et les charismes donnés par l’Esprit, implique l’appel de l’Église qui confère une charge. On ne s’institue pas soi-même, mais on reçoit une mission. De plus, l’exercice du ministère s’inscrit dans la dynamique synodale de l’Église et les différents processus participatifs qui en découlent.
À l’intérieur de ce processus dynamique se situe la place irremplaçable du ministre ordonné, signe du Christ Tête de son Église : il est le garant de la communion ecclésiale missionnaire. En effet, l’Église n’est pas une ONG, mais une communion fondée sur le salut opéré par le Christ. Il est donc essentiel que le Christ soit présent sacramentellement à son Église, sans quoi, elle risque de se transformer en une ASBL de lobbying, chargée de transmettre et de valoriser le message chrétien.
En s’appuyant sur ces repères, l’A., canoniste de renom répétons-le, s’interroge sur les ressources offertes par le Code pour la prise en charge habituelle des paroisses.
Face à la mutation de la territorialité, il est bon de commencer par redéfinir la paroisse comme « l’Église en un lieu, pour tout et pour tous » (p. 101). Et l’A. de rappeler qu’il ne s’agit pas tant de s’inscrire dans un territoire que dans un terroir, fait d’une géographie, d’une histoire, d’une culture. Telle est la condition pour que l’Évangile soit annoncé ici et maintenant. Malheureusement, force est de constater que les paroisses ne sont plus toujours aptes à assurer le service « pour tout » et « pour tous ». Or le remodelage paroissial ne doit pas d’abord s’appuyer sur la bonne exécution des tâches pastorales, mais sur la « pertinence de la mission ecclésiale pour nos contemporains ». Il faut donc repenser le territoire de façon dynamique. Cette « territorialité » de la paroisse est d’ailleurs assurée aujourd’hui principalement par les chrétiens et non par le curé.
Le remodelage paroissial doit donc être repensé à partir de son ecclésialité et non d’une pure fonctionnalité. À l’image du diocèse, les pôles paroissiaux peuvent et doivent refléter l’entièreté du peuple de Dieu présent dans un lieu (epi to auto).
Repenser le maillage paroissial en termes de pôles, au regard de leur ecclésialité, implique évidemment une modification de l’exercice de la charge curiale. Chaque paroisse possède son pasteur « propre ». Et A. Borras d’insister : il ne s’agit pas tant de l’attachement du curé à sa paroisse que d’une charge propre (et non vicaire), possédant sa densité ecclésiale et renvoyant à l’ecclésialité de la paroisse-même.
Certes, le soin des âmes est un devoir du curé. Pourtant, cette mission revient à tout fidèle, « au nom de sa foi » et de son baptême. Ainsi le principe évoqué plus haut garde toute sa pertinence : il existe une vocation missionnaire de tous et un ministère de quelques-uns « au bénéfice de la communauté ecclésiale ». C’est pourquoi, selon l’A., « dans le langage courant comme dans le Code de 1983, l’expression « charge pastorale » (lat. cura pastoralis) tend à supplanter l’expression plus classique de cura animarum (p. 113). Cette sollicitude pastorale de tous étant, toujours selon A. Borras, l’expression de la coresponsabilité baptismale de tous.
Confier une mission – à un laïc comme à un clerc – implique d’opérer un discernement. Dans le cas des baptisés, la collation de la mission – voire de l’office ecclésiastique – repose sur un trépied : idonéité, légitimité et lettre de mission.
La notion d’idonéité est capitale en ce qu’elle demande de mettre la bonne personne au bon endroit et non pas d’abord de boucher des trous ou de remplir des cases. La légitimité est d’autant plus importante que le laïc n’est pas revêtu du caractère propre à l’ordination. Certaines personnes auront ainsi du mal à accueillir et à faire reconnaitre leur légitimité de laïc. Celle-ci peut-être de quatre ordres : une légitimité de compétence, basée sur des savoirs ou une formation ; une autre d’expérience ; une autre encore, d’ordre plus institutionnel ; enfin, une légitimité plus « personnelle », liée au charisme ou à l’autorité personnelle de tel ou tel. Mais au-delà de la légitimité personnelle, il y a la mission. On ne s’arroge pas une mission, on la reçoit de l’Église par le ministère du pasteur. D’où l’importance de la « lettre de mission » qui doit déterminer les compétences, les champs d’action et la durée de la mission.
Si les missions du pasteur et du laïc sont clarifiées, il convient alors de développer le champ de leur collaboration, principalement dans le domaine paroissial. Cette collaboration est explicitement prévue par le can. 519 du Code de 1983. Dans les faits, il est capital que celle-ci puisse développer la conscience ecclésiale des laïcs collaborateurs. Ici se joue l’incarnation de la communion ecclésiale en acte à travers la collaboration. En effet, il ne s’agit pas tant de développer un travail d’équipe efficace (cible) que de faire corps, ce corps qu’est l’Église. Ce travail d’équipe se traduira tant par un type collégial de direction (les EAP, équipes d’animation pastorale, par exemple) que dans la mise sur pied d’équipes de proximité (équipes-relais), puisque cette proximité est une caractéristique de la présence ecclésiale epi to auto. Dans ces situations de précarité relative, émerge une nouvelle figure, celle de coordinateur paroissial. Si la cette coordination est une des missions du curé, elle ne lui est pas exclusivement réservée, surtout s’il n’en a pas la compétence concrète. Mais à travers et au-delà de l’organisation, on touche l’aspect essentiel du service de la communion, qui est une part essentielle de la mission du pasteur. On voit là un lieu crucial d’exercice collégial de la charge pastorale.
Pourtant, il existe encore une institution importante, celle du Conseil pastoral. Comme son nom l’indique, cette instance joue un rôle de conseil qui a tendance à s’effacer devant la mission de l’EAP. A. Borras remarque à juste titre que cela peut être dommageable. En effet, ce rôle de conseil appartient à la dynamique synodale de l’Église, à la mission de tout baptisé et non à la charge pastorale de quelques-uns. Il peut donc être un instrument fécond de communion et d’engagement et éviter une cléricalisation de l’EAP.
Toutes ces considérations ne fonctionnent qu’en cas de « précarité relative ». Qu’en est-il, s’interroge encore le canoniste-pasteur, en cas de « précarité absolue » ? Tel est l’objet de la dernière partie de l’ouvrage.
Au-delà des possibles moyens dont disposent les paroisses et les diocèses pour pallier le manque de ministres ordonnés, l’A. nous renvoie à la question fondamentale que nous pourrions traduire de la sorte : dans la période de mutation que connaît l’Église actuelle, n’est-ce pas en revenant à ce que chaque membre de la communauté doit être que nous allons trouver les solutions à la crise ? En ce sens, le troisième repère théologique est fondamental à savoir celui qui touche l’altérité constitutive, le rapport symbolique et l’unité foncière de l’Église. Nos manières d’être, de vivre et d’agir en Église demandent à être revisitées à partir de la notion de « signe » : comment chaque membre pourra-t-il être signe expressif de la présence et de l’effectivité de chaque composante de la communauté croyante ? Comprenant mieux ce que chacun doit être et signifier à l’intérieur de l’ensemble du corps, on pourra vivre et agir de manière signifiante, évangélique et évangélisatrice.
Médiaspaul, Paris, avril 2017
206 pages · 17,00 EUR
Dimensions : 13 x 21 cm
ISBN : 9782712214418