Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Le diaconat féminin

Jadis et bientôt

Bernard Pottier

Brièveté, clarté, précision. Voilà l’impression que produit la lecture de ces 140 pages sur un sujet qui est en même temps d’ecclésiologie et d’actualité. De fait, c’est un des points forts du Diaconat féminin de B. Pottier, que d’offrir au lecteur intéressé par la question un accès substantiel au dossier de la recherche théologique, historique et biblique, qui a occupé les membres de la commission d’étude mandatée par le Pape François en août 2016, dont l’A. faisait partie. On sait que les conclusions des travaux de la commission – qui, comme prévu, n’ont pas été publiées – ont « déçu » le Pape qui, rapporte l’A., « a ajouté que chacun des théologiens s’exprimait différemment et avait sa propre petite théorie » (p. 21). Il faut dire que le sujet n’est ni simple ni consensuel.

On connaît assez bien l’aspect polémique du dossier : la question du diaconat féminin, et plus largement du rôle des femmes dans l’Église, ne cesse d’apparaître comme un défi à l’horizon de l’ecclésiologie. Qu’on se souvienne, pour ne citer qu’un exemple, de la « candidature » récente d’Anne Soupa à l’archevêché de Lyon... On connaît moins sa difficulté technique. L’ouvrage de B. Pottier permet, à distance – mais sans les ignorer – des questions d’actualité, de prendre la mesure d’un dossier particulièrement complexe.

La commission a rencontré trois sortes de difficultés, que l’A. récapitule en trois questions : 1. qu’entend-on par ordination aux premiers temps de l’Église ? 2. comment éviter l’anachronisme en parlant de théologie sacramentaire ? 3. que signifie l’unité du sacrement de l’Ordre ? (p. 20). On voit bien la difficulté, principalement d’ordre épistémologique : comment faire dialoguer efficacement histoire et théologie ? Comment aborder une question qui est à la fois fondamentalement théologique et prioritairement historique ? Une tension qui s’affiche en pleine couverture de l’ouvrage, dans le sous-titre : « Jadis et bientôt ».

Jadis

Après un passage en revue rapide mais complet de l’état des recherches bibliques sur le sujet (p. 25-38), l’A. s’attaque à l’épais et complexe dossier historique. On lui saura gré de réussir, sans pour autant noyer le lecteur sous des vagues d’érudition, à indiquer les sources nécessaires et à traverser les principaux documents de la Tradition orientale et occidentale. Même néophyte, le lecteur suit ainsi à la trace les mentions de la « diakónissa » dans les textes anciens, découvre les rituels de sa consécration (avec ou sans imposition des mains ?), et, finalement, au terme de diverses préventions et interdictions, assiste à sa disparition – beaucoup plus tard que ce que l’on imagine : au moment de la réforme grégorienne au XIIe siècle qui unifie nombre de pratiques ecclésiales et, notamment, fixe la doctrine du célibat des prêtres, contribuant par là à renforcer la distinction entre laïcs et clercs [1].

Que faire aujourd’hui d’une histoire aussi contrastée, témoin de l’existence effective d’un diaconat féminin, multiforme, jamais vraiment consensuel, et finalement interdit ? L’A. pose la question à la fin de la partie historique de l’ouvrage : « Tout ce détour par l’histoire est-il vraiment nécessaire ? Faut-il justifier toute pratique d’aujourd’hui directement et littéralement, de manière fondamentaliste, parce qu’on a pris telle décision au XIe siècle ou même avant Jésus-Christ ? » (p. 73).

L’histoire importe, on ne dira pas le contraire, mais l’histoire ne suffit pas. D’abord parce qu’elle n’est jamais ni univoque ni objective, ensuite parce que, si l’on veut qu’elle contribue à éclairer les pratiques et les choix d’aujourd’hui, elle appelle toujours un discernement : « Nous devons d’abord comprendre ce qui animait nos ancêtres, non pas pour les juger mais pour voir ce que nous allons faire de leur héritage, et surtout de l’héritage du Christ, pour conserver toute sa richesse, tout en l’adaptant à la richesse de notre temps présent » (p. 74). « Jadis et bientôt »...

La question traitée par l’ouvrage est celle du diaconat féminin. Toutefois, l’intérêt de la recherche ici présentée est de ne pas se limiter au qualificatif (« féminin »), mais d’élargir la réflexion au diaconat en général, dont l’histoire témoigne d’évolutions et d’adaptations susceptibles, par analogie et par l’exemple, d’aider à penser la question du diaconat féminin. C’est ainsi que, à mon sens, les chapitres 2 et 3 de la IIIe partie, sur le diaconat permanent masculin [2], constituent le cœur de l’ouvrage, en tous les cas ses pages les plus décisives.

Le point-clé : la réflexion sur le diaconat

Le rétablissement du diaconat permanent après le concile Vatican II a ouvert une porte vers la possibilité, voire la nécessité, d’une théologie plus autonome d’un ministère que le second millénaire a largement compris et vécu comme une simple étape – signifiante, mais transitoire – vers l’ordination sacerdotale. Bien informé sur le sujet [3], l’A. défend l’idée que « si l’on étudie l’Écriture et l’histoire aussi bien que la théologie sacramentaire, cette continuité linéaire ne semble pas s’imposer » [4]. Or, de facto, l’existence de « diacres permanents » rompt cette logique de continuité en lui ajoutant une forme de complémentarité : prêtres et diacres assistant différemment l’évêque dans sa charge pastorale. C’est la vision « en fourche » ou triangulaire [5] des ministères ordonnés, dont l’A. montre qu’elle est non seulement antérieure historiquement au schéma linéaire, mais encore plus fidèle théologiquement à la vision conciliaire d’une ecclésiologie de communion [6].

L’histoire ne s’arrête pas là. En 2009, par le motu proprio Omnium in mentem, Benoît XVI apporte un appui inattendu à la « vision triangulaire », en distinguant d’une part ceux qui sont constitués dans l’Ordre de l’épiscopat ou du presbytérat : ceux-là agissent « en la personne de Christ chef » ; d’autre part les diacres, qui « en revanche deviennent habilités à servir le Peuple de Dieu dans la diaconie de la liturgie, de la Parole et de la charité » (p. 107). Pour qui veut bien lire, cette discrète mais capitale distinction signe la fin du monopole de la vision linéaire des degrés de l’Ordre et ouvre la possibilité de concevoir une « diaconie de la liturgie, de la Parole et de la charité » comme un ministère autonome (sur le plan logique) par rapport au ministère sacerdotal.

Ce point a évidemment un impact décisif pour la réflexion que l’on mène au sujet du diaconat féminin. En effet, les opposants à l’idée de « femmes diacres » s’appuient le plus souvent, même inconsciemment, sur cette conception linéaire des degrés de l’Ordre : mettre le pied sur la première marche, c’est, potentiellement, se trouver en situation de pouvoir ou de vouloir gravir les suivantes... Impossible donc d’admettre des femmes au diaconat, sans ouvrir dangereusement la porte à la question de leur ordination presbytérale ! Il faut donc bien sérier les questions : 1. on parle du diaconat ; 2. le diaconat n’est pas essentiellement ou nécessairement une étape vers le presbytérat : la preuve en est l’existence des diacres permanents. À condition qu’on ne les considère pas comme un « sous-produit » de la hiérarchie ecclésiastique, à côté de ceux qui s’inscrivent dans le « cursus honorum » (hérité de l’Empire romain) qui fait des diacres de futurs prêtres et, potentiellement, de futurs évêques. Ici se joue non seulement une théologie des ministères, mais, bien plus fondamentalement, une ecclésiologie.

Bientôt ?

La première commission a « déçu » ? Qu’à cela ne tienne, il y a de quoi continuer à réfléchir [7] et surtout à agir. Sans dessiner les contours précis de ce à quoi pourrait ou devrait aboutir la « Réflexion sur l’actualité d’un diaconat féminin » (quatrième partie, p. 95-112) – ce qu’on pourrait regretter –, l’A. fait entendre, en conclusion, une autre voix par-dessus la sienne, celle du futur cardinal Y. Congar qui, en 1972, dans une « tribune libre » de la revue Vie Consacrée, confessait : « Personnellement, j’accepte la perspective de l’ordination diaconale pour les femmes » [8]. Une affirmation qui a sans doute paru très audacieuse en son temps – elle l’est toujours ! –, que le théologien dominicain justifiait par un impératif : « L’Église doit devenir plus complètement et plus évidemment masculine et féminine » ; et appuyait sur une certitude : « Le remède réside dans une juste théologie de la communauté et des ministères ». C’est l’un des enseignements finaux de ce précieux petit livre : ni l’histoire ni l’anthropologie ne peuvent avoir le dernier mot sur la question du diaconat féminin : il faut « une approche proprement théologique déterminée par le mystère de Dieu, créateur et sauveur de l’homme et de la femme » (p. 114).

Alors, veut-on des femmes diacres pour l’Église de demain ? Sans doute la question doit-elle être élargie, reformulée : quelle Église voulons-nous ? Comment nous mettons-nous en condition de recevoir de l’Esprit Saint cette Église qu’il veut pour notre temps ? L’histoire, l’anthropologie et même la théologie ne dispenseront jamais d’un authentique engagement pastoral fondé sur un modèle fraternel, communionnel. Peut-être est-ce là ce que B. Pottier veut dire quand il prône une « synergie dialectique » entre les femmes et les hommes, de préférence à la « complémentarité », qui sépare et distingue plus qu’elle ne réunit ? Cela pourrait être simple, au fond : « La plupart du temps, de nos jours, les hommes et les femmes ne font pas tellement de choses différentes ; ils les font surtout différemment. Et c’est cela qui est vraiment intéressant » (p. 108).

[1« Il semble donc qu’en Occident, ce soit vers le milieu du XIIe siècle, probablement à partir de ce décret de Gratien, que l’usage d’ordonner des diaconesses fut interdit et disparut » (p. 68).

[2« Réflexion à partir du diaconat permanent masculin et de ses caractéristiques propres » (p. 75-80) et « Réflexion à partir du diaconat permanent masculin et de sa disparition » (p. 80-84).

[3Cf. B. Pottier, « La sacramentalité du diaconat », NRT 119/1, janv.-mars 1997, p. 20-36 ; et : A. Borras, B. Pottier, La grâce du diaconat. Questions autour du diaconat catholique latin, Bruxelles, Éd. de l’Institut d’Études Théologiques, 1998.

[4B. Pottier, « La sacramentalité du diaconat », art. cit., p. 20.

[5Voir les schémas p. 78.

[6On se reportera avec profit à l’article de la NRT, plus précis sur ce point : « Évêque, prêtres et diacres sont d’abord, à l’intérieur de l’Église, des vis-à-vis sacramentels, et ce, de deux manières. Ensemble, face à la communauté, ils représentent le Christ en ses multiples aspects – ils agissent alors in persona Christi, pourrait-on dire. Mais aussi, l’un face à l’autre, ils se signifient mutuellement qu’aucun n’est le tout – que chacun reste acteur devant Dieu in persona ecclesiae – et qu’ensemble, dans la synergie de l’Esprit, ils exercent la mission du Christ » (art. cit., p. 33).

[7On sait que le pape François a nommé, le 8 avril 2020, une nouvelle commission chargée de poursuivre la réflexion sur le diaconat féminin.

[8Y. Congar, « Simples réflexions », Vie Consacrée 44, 1972-5, p. 308-314.

Collection La Part-Dieu

Éditions jésuites - Lessius, Bruxelles, avril 2021

139 pages · 13,00 EUR

Dimensions : 11,5 x 19 cm

ISBN : 9782872994014

9782872994014

Sur le même thème : « Vie de l’Église »