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Les derniers seront les premiers

La parole des pauvres au cœur de la synodalité

François Odinet

Fruit d’une journée d’études intitulée : « Entendre la voix des plus pauvres dans le processus synodal », organisée le 27 janvier 2022 au Centre Sèvres (facultés jésuites de Paris), Les derniers seront les premiers est un ouvrage à plusieurs voix, sous la direction de François Odinet, prêtre du diocèse du Havre et enseignant en théologie.

L’idée de faire converger deux thématiques en apparence éloignées l’une de l’autre (les pauvres et la synodalité) s’avère extrêmement féconde : en confrontant le processus synodal à la réalité ecclésiale – il faudrait même dire : sociale –, le lecteur prend concrètement conscience de l’exclusion des plus pauvres des lieux de parole en Église. Or, le point de départ de la réflexion qui conduit cet ouvrage est la conviction qu’il appartient en propre à la démarche synodale d’écouter la voix des plus pauvres. L’inévidence de cette affirmation suffit à justifier l’édition d’un livre « entièrement fait pour inviter les baptisés à rencontrer les plus pauvres et à écouter leur voix », comme l’annonce François Odinet dans son « Ouverture » (p. 11).

Les presque 200 pages de cet ouvrage à plusieurs se lisent aisément en traversant articles de fond (Éric de Moulins-Beaufort, Étienne Grieu, Christoph Theobald, Laure Blanchon, Giacomo Costa, Frédéric-Marie Le Méhauté), témoignages, et textes du groupe « Place et parole des pauvres ». Juste après la « Relecture » de tout l’ouvrage par Nathalie Becquart (p. 163), une annexe apporte au lecteur qui se sera laissé convaincre des « outils pour entendre la voix des plus pauvres dans un processus synodal » (p. 181).

Les questions que soulève cet ouvrage dépassent le problème précis de la représentation des pauvres au cœur du processus synodal. Ou plutôt, ce problème central, réel, concret, pourrait bien servir de révélateur, ou au moins de miroir, de problématiques plus larges encore qui touchent à ce qu’on pourrait appeler une « ecclésiologie pratique », c’est-à-dire à la manière de former un Corps, le Corps de celui qui s’est livré pour nous. « Lorsque nous sommes nous-mêmes touchés par ce qui affecte un des membres, alors, oui, nous formons un seul corps. Au contraire, lorsque nous ne sentons rien de ce qui arrive à nos frères ou sœurs en détresse, c’est le signe que nous ne sommes pas – ou plus – un seul corps » (É. Grieu, p. 42). Or, poursuit le recteur du Centre Sèvres, les membres souffrants « permettent de vérifier que le corps est bien un corps » (p. 43). Ou encore (Christoph Theobald) : ils sont « des révélateurs de ce qui nous atteint tous » (p. 68).

De fait, il est parfois tentant de repousser les « membres souffrants » aux limites extrêmes du corps, là où, de fait, on ne les entendra pas. Sur ce défi de l’écoute des plus pauvres, Giacomo Costa précise bien : « La question qui nous guide ne doit pas d’abord être : “Qui sont ceux qui ne peuvent pas être entendus ?”, Mais bien : “Qui avons-nous du mal à écouter, aussi fort que ce soit leur cri ?” » (p. 108). La vie qui doit circuler dans le Corps et l’irriguer, prend forme de parole ; c’est donc la communication qui apporte la vie : donner la parole, entendre les cris, écouter... De là découle une certaine vision de l’autorité, nourrie de la dimension synodale : « Le rôle de l’autorité dans l’Église (...), résume Ch. Theobald, c’est de : - maintenir le regard et les oreilles des disciples ouverts à celles et ceux qui, dans la foule, se tiennent au bord du chemin ; - laisser la parole à ceux-ci, les “autoriser” à crier et à parler – autrement dit leur accorder “l’autorité” qui leur revient ; - se laisser enseigner, évangéliser, par eux ; - laisser advenir un “nous” toujours plus vrai et plus universel » (p. 72).

A contrario, « si l’on veut tout contrôler, aucune écoute réelle n’est possible, et encore moins l’ouverture de véritables espaces de reconnaissance et de participation pour ceux qui sont porteurs d’une certaine diversité ou marginalité » (p. 116). D’une certaine façon, écouter est synonyme de « se convertir », se laisser renverser, dirait Étienne Grieu : la Bonne Nouvelle « n’est pas annoncée si nos manières habituelles de nous rapporter les uns aux autres ne sont pas renouvelées en profondeur, voire même retournées, renversées par la force de l’Évangile » (p. 46).

On entend évidemment ici l’écho du Magnificat, trace insistante dans l’Écriture d’une invitation à sortir de nos clivages habituels, y compris et peut-être surtout dans l’Église. Une évidence recueillie au bout de l’ouvrage par Nathalie Becquart : « Nous ne pouvons plus penser que l’Église se divise entre ceux qui enseignent et ceux qui reçoivent » (p. 170) et annoncée dès ses premières pages par Éric de Moulins-Beaufort : la « parole des personnes pauvres ou en précarité devient indispensable » contre « la tentation de mondaniser la hiérarchie ecclésiale » (p. 26-25).

Puisse le processus synodal éclairer et transformer notre capacité d’écoute et d’accueil des « pauvres », en Église et dans chacune de nos communautés de vie, qu’elles soient ou non de vie consacrée. Le livre de François Odinet ouvre à cet égard de nombreuses et fécondes pistes de réflexion en vue de l’action.

Éditions Emmanuel - Facultés jésuites de Paris, Paris, avril 2022

200 pages · 17,00 EUR

Dimensions : 14,5 x 19,5 cm

ISBN : 9782384330065

9782384330065

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