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À l’ombre de ses ailes

Le livre de Ruth

Jean-Pierre Sonnet

Le petit livre de Ruth (4 chapitres, 85 versets) – le seul, dans la Bible, qui soit placé sous l’autorité d’un personnage féminin – passe souvent inaperçu. Le commentaire de Jean-Pierre Sonnet est donc bienvenu qui en manifeste non seulement la beauté, mais encore la portée au sein du corpus biblique et de l’histoire d’Israël.

On peut en effet aborder ce qui se présente comme une « nouvelle » de deux manières. En mettant en scène une relecture narrative de certaines lois (lévirat, glanage...) et en plaçant sous une lumière favorable l’accueil des étrangers, le livre de Ruth se donne à lire comme « le manifeste narratif d’une économie de solidarité » (p. 30), s’inscrivant contre l’exclusivisme ethnique prôné par Esdras et Néhémie. C’est un aspect du livre, en quoi il s’apparente aux textes sapientiaux (conformément à la place que lui donne la Bible hébraïque : parmi les écrits de sagesse). La Septante fait un autre choix en situant la nouvelle parmi les livres historiques, entre le livre des Juges et le livre de Samuel, élargissant ainsi le destin des protagonistes d’un récit provincial aux dimensions de « l’histoire nationale » : « Le livre de Ruth révèle le chaînon manquant entre deux époques, celle des juges et celle de la royauté. La hesed du couple dont on a suivi la formation se révèle être le creuset de l’histoire nationale » (p. 18).

C’est un commentaire complet que propose l’A., présentant de manière synoptique le texte hébreu, une traduction inédite du livre, une explication des difficultés textuelles en bas de page, et, enfin, une interprétation suivie du récit, faisant appel à toutes les ressources de la narratologie. Un projet que l’exégète résume ainsi : « L’ouvrage que voici aura la forme d’une lecture ralentie du livre de Ruth, attentive à l’art narratif qu’il met en jeu, et ceci afin de mieux saisir la théologie et l’anthropologie qui s’y déclarent. À l’approche strictement narrative, ce commentaire ajoutera des éléments historiques et rédactionnels » (p. 10).

En plus du commentaire suivi, une introduction substantielle éveille le lecteur aux enjeux de l’interprétation d’un texte qui pourrait bien se révéler un « brûlot », et le livre s’achève sur une ample « conclusion théologique » (p. 171) où l’on découvre comment le « Dieu caché du livre » – « à l’ombre des ailes » de qui Ruth est venue se réfugier (Rt 2,12) – est finalement bien présent, et comment la figure de Ruth trouve des échos dans le Nouveau Testament, en particulier dans le premier évangile (p. 184) : dans la généalogie, au tout début de l’évangile (Mt 1,1-17), dans l’ouverture aux nations, impulsée par le Ressuscité avant son Ascension (Mt 28,19), et, à mi-chemin, dans la figure du disciple qui veut aller partout où Jésus ira (Mt 8,19). À ce petit enchaînement de références matthéennes, on pourrait peut-être ajouter un verset qui, bien qu’il ne soit pas pas propre au premier évangile, fait toutefois écho au titre retenu par l’A. : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous n’avez pas voulu ! » (Mt 23,37). La rencontre entre Booz et Ruth n’en trouve ici qu’une profondeur de sens supplémentaire.

Un ouvrage sérieux sans être « savant » qui trouvera sa place dans les rayonnages des exégètes confirmés comme des simples amateurs.

Collection Lessius

Éditions jésuites, Bruxelles, septembre 2021

216 pages · 19,00 EUR

Dimensions : 14,5 x 21,5 cm

ISBN : 9782872993864

9782872993864

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