Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Les Lettres de sainte Catherine de Sienne

Nouvelle traduction française (au Cerf)

Chantal van der Plancke

N°2016-2 Avril 2016

| P. 69-74 |

Chronique - À propos de... Chronique

À l’occasion de la sortie des Lettres de Catherine de Sienne aux religieux et aux prêtres, une des meilleures spécialistes du fulgurant docteur de l’Église nous propose sa vision de tout le panorama des sept volumes à présent édités dans la nouvelle traduction française. C’est une joie d’ouvrir la première de nos chroniques intermédiaires – entre celle qui s’attache annuellement à la vie consacrée et celle qui porte sur l’Écriture sainte – par cette superbe présentation.

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Catherine de Sienne Lettres. Cerf, Coll. Sagesses chrétiennes, 7 tomes, 2008-2016

● « Ma nature, c’est le feu », disait Catherine de Sienne (1347-1380). Docteur de l’Église, elle ne savait ni lire ni écrire couramment mais, dans ses missions locales et lors de ses voyages, elle dictait à ses compagnes et compagnons qui lui servaient de secrétaires, des lettres dont la profondeur traverse les siècles. Il est intéressant de voir que beaucoup de ses missives sont en fait des réponses à des questions spirituelles et pastorales posées par ses interlocuteurs, des plus modestes aux plus en vue. Comme dans ses missions itinérantes, Catherine répond à des appels. Ses lettres sont adressées à une grande variété de personnes, issues de tous les milieux sociaux, ecclésiastiques et politiques, et appartenant à des partis rivaux, ce qui témoigne d’une audace apostolique et d’un impressionnant réseau de relations.

Les près de 400 lettres, progressivement retrouvées, sont d’une grande profondeur théologique et spirituelle. Elles transmettent la passion évangélique de Catherine Benincasa, dotée d’une vive liberté de parole au service de la réforme de l’Église et de la paix civile, et tout d’abord au service d’une intense vie chrétienne, tant pour les laïcs que pour les religieux. Le temps est court, il nous est offert comme une opportunité, à ne pas manquer, d’entrer en intimité avec Dieu, en passant par le service du prochain. Dieu, qui nous a créés comme « des arbres d’amour » parce qu’« il nous a aimés avant que nous fussions », se laisse aimer au fond de nous-mêmes, dans notre « cellule intérieure » pour autant que nous y habitions… C’est son intimité avec cette Présence qui rend la jeune mystique si présente au monde : « Pour la paix, écrit-elle, si je pouvais, je donnerais mille fois ma vie ».

La dernière traduction française des Lettres de Catherine remonte à 1858 [1]. Réalisée par Étienne Cartier, elle est toujours d’usage [2]. Toute une génération est donc habituée à utiliser cette version, fort maniable en ses deux petits volumes cartonnés, pourvue de l’introduction d’un fin connaisseur, d’une table des matières incluant des sommaires, et d’un précieux index thématique permettant de voyager allègrement dans l’ensemble de la correspondance.

Plus d’un siècle et demi après, une nouvelle traduction française a été confiée par les éditions du Cerf à Marilène Raiola. Dans la collection « Sagesses chrétiennes », elle y rejoint, de manière très attendue, les autres écrits de Catherine de Sienne nouvellement traduits : son Dialogue et ses Oraisons.

Distribuée en sept tomes, dont le dernier paraîtra prochainement, cette traduction est réalisée sur l’édition italienne [3] d’Umberto Meattini. Comme Cartier, Meattini présentait les lettres selon l’ordre hiérarchique des destinataires, sans beaucoup tenir compte de l’ordre chronologique, d’ailleurs souvent peu repérable : Lettres aux papes ; aux cardinaux, aux évêques et aux prélats ; aux rois et aux reines ; aux condottieri ; aux seigneurs de la cité ; aux dames de l’aristocratie ; aux artistes ; aux juristes et aux médecins ; à sa famille ; à ses disciples ; aux mantellate ; aux moniales ; aux frères et aux ermites, etc. Cette classification, dont l’origine remonte au procès de Venise (1411-1416, en vue de la canonisation), permet d’ouvrir l’éventail des destinataires. Toutefois, dans cette nouvelle série éditoriale, la séparation en sept tomes accentue l’effet d’isolement de chacune de ces catégories, les unes par rapport aux autres, alors que dans la réalité, il s’agit d’un enchevêtrement de toutes ces relations, entre pouvoirs civils et ecclésiastiques, entre laïcs et religieux. Ce morcellement fait l’effet d’un tableau bigarré dont les couleurs ont été fragmentées pour l’analyse. Il a ses limites, du fait de l’abstraction, et son intérêt analytique en ce qui concerne les questionnements des uns et des autres : c’eut été un rêve de voir chaque tome enrichi d’un index thématique, que les techniques modernes permettent de réaliser facilement. La diversité des destinataires aurait sans doute mis en lumière des déplacements d’accent thématique d’un volume à l’autre.

Plus de cinquante ans après Vatican II, la répétition de la déclinaison pyramidale (XVe s.) des destinataires laisse perplexe. Elle ne manque pas de perpétuer une image autoritaire de Catherine, comme si c’était par le Pape, et non par son entourage immédiat, familial et amical, que cet « apôtre » avait commencé à distiller ses exhortations et son enseignement spirituel par correspondance. Que le lecteur contemporain « ordinaire » – qui a dû attendre longtemps avant de voir paraître un tome de lettres à des destinataires de « son rang » – se réjouisse donc de trouver enfin le volume par lequel il entrera dans ce tissu de relations très directes, signées d’une profonde intimité avec le Christ et d’un souffle contagieux.

Voici donc : t. I . Lettres aux papes, aux cardinaux et aux évêques (2008) ; t. II. Aux rois, aux reines et aux responsables politiques (2009) ; t. III. et IV. Aux laïcs 1 et 2 (2010 et 2012) ; t. V. À la famille, aux disciples et aux « mantellate » (2012) ; t. VI. Aux moniales et aux moines (2015) ; t. VII. Aux religieux et aux prêtres (2016). On remarquera que ce nouvel effort de classification reste délicat, notamment en ce qui concerne les religieux (à distinguer des moines et moniales du t. VI « appartenant à divers ordres religieux – Bénédictins, Franciscains, Augustins, Dominicains » !). Quant aux laïcs, en réalité, ils figurent dans quatre tomes différents.

Mais l’intérêt de cette proposition en sept volumes réside dans les présentations de Meattini comme portes d’entrée, d’abord de tout le corpus de lettres et ensuite de chaque recueil : autant de petits tableaux de société, de microcosmes, où enfin les destinataires prennent chair dans leur biotope, leur environnement familier, leur contexte socio-politique tendu (ou leur thébaïde) ainsi que leur réseau de relations. Dans le premier tome, l’introduction du Fr. Éric T. de Clermont-Tonnerre, o.p., situe la personnalité de Catherine dans son contexte et offre quelques clés de lecture.

Quant à la traduction, celle du XIXe siècle méritait un dépoussiérage et une actualisation. Le répertoire de Cartier comptait 373 lettres, celui de Meattini en présente 381. Le vocabulaire de Cartier date ici et là. Le style coulant inclut parfois des approximations, voire quelques contre-sens, par rapport au texte italien (à en juger d’après celui de Meattini). Toutefois il reste soigné et chaleureux. Le langage parlé de Catherine étant complexe, tantôt lyrique et ciselé, tantôt haché ou prolixe, le remarquable travail de Marilène Raiola apporte de la fraîcheur, plus de rigueur (mais la précision linguistique brise quelquefois l’élan chaleureux). Dommage que les tables des matières soient si sèches : une insignifiante enfilade de numéros pour le tome VI. À tout prendre, le lecteur passionné ne se suffira pas d’une seule traduction, et s’il le peut, il retournera aussi à la source toscane.

« Ma nature, c’est le feu ». La correspondance incandescente de Catherine est un joyau méconnu, et il faudra plus d’une voix pour la faire redécouvrir. Il se murmure que cela s’amplifiera... Cette nouvelle traduction est en effet, d’ores et déjà, un événement éditorial qui fera date. Merci au Fr. Éric T. de Clermont-Tonnerre d’avoir entrepris et dirigé cette importante collection qui remet, à point nommé, la lampe sur le lampadaire. Prenez et lisez. Lisez et goûtez...

[1Paris, Librairie Poussielgue, 18581, 3 vol. ; 18862.

[2Paris, éd. Téqui, reproductions offset, en 2 vol. de 1977, 2006.

[3Milan, éd. Paoline, 19661, 3 vol. ; 19935, 1 vol.

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