Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Le service de l’autorité et l’obéissance

Présentation de l’Instruction

Pier Giordano Cabra, s.f.n.

N°2008-3 Juillet 2008

| P. 163-171 |

Dans la suite de l’instruction Repartir du Christ,une nouvelle instruction de la Congrégation pour les Instituts de vie religieuse et les Sociétés de vie apostolique vient de voir le jour. Nous sommes heureux de la voir présenter à nos lecteurs par la plume d’un des meilleurs interprètes du récent magistère romain.

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De Rome nous arrive un nouveau document, intitulé « Le service de l’autorité et l’obéissance », qui commence par les paroles : Faciem tuam, Domine, requiram (« C’est ta face, Seigneur, que je cherche », Ps 26,8). L’Instruction, datée du jour de la Pentecôte 2008, et publiée par la Congrégation pour les Instituts de Vie Consacrée et les Sociétés de Vie Apostolique, est le fruit de l’Assemblée plénière de 2005 qui avait pour thème « Exercice de l’autorité et obéissance dans la vie consacrée ».

C’est là un sujet plutôt délicat, non seulement parce que, de nos jours, on ne semble pas se passionner beaucoup pour l’obéissance et que l’autorité n’est certainement pas regardée sans méfiance ; mais aussi, parce que la diversité des projets charismatiques des différents Instituts prévoient des modes d’exercice de l’autorité fort divers, sans parler de l’évolution numérique ou de la composition ethnique ainsi que de l’augmentation de la moyenne d’âge des communautés.

C’est aussi un thème qui doit tenir compte du changement culturel en cours sur des questions variées telles que la prise de conscience de la valeur des personnes et de la spiritualité de communion ; mais il n’autorise pas à fermer les yeux sur les obstacles que représentent la recherche exagérée du bien-être personnel et ces visions trop subjectives qui rendent difficiles les parcours communautaires de la mission.

C’est encore un thème qui se prête aux malentendus : d’une part accentuer l’importance de l’autorité et de l’obéissance peut favoriser l’autoritarisme et la soumission ; d’autre part, souligner la dignité de la personne humaine ainsi que le respect de ses talents et charismes peut favoriser l’individualisme et diminuer l’importance de la dimension communautaire et missionnaire de la vie consacrée.

C’est enfin un thème qui concerne la vitalité même de la vie religieuse : elle dépend directement, selon de nombreux observateurs, du bon état du vœu d’obéissance et de l’exercice de l’autorité.

Structure du document

Le traitement de la matière suit le plan tripartite de l’exhortation apostolique Vita Consecrata, laquelle présentait la vie consacrée dans ses trois éléments constitutifs : la consécration, la vie fraternelle en communauté et la mission. Le service de l’autorité et de l’obéissance est analysé à partir de ces trois domaines, dans le but d’« aider l’autorité dans son triple service : aux personnes appelées à vivre leur consécration (Première Partie) ; à construire des communautés fraternelles (Deuxième Partie) ; à participer à la mission commune (Troisième Partie) (selon le n° 3, in fine [1]).

Chacune des trois Parties débute par un exposé substantiel de théologie biblique et se conclut par une sorte d’« instruction pratique » sur la manière dont l’autorité peut développer son service face aux situations concrètes d’aujourd’hui. Si le traitement théologique privilégie l’obéissance en général, l’exposé pratique souligne l’autorité et ses devoirs.

Dans l’introduction du document, on analyse les changements de ces dernières années qui exigent une réflexion particulièrement engagée sur ce thème. La conclusion est composée de deux prières importantes : une au Bon pasteur, à l’usage de ceux qui sont en position d’autorité et l’autre, à la Vierge Marie, destinée à ceux qui sont soumis à l’obéissance.

Une même position théologique est à la base de toute l’instruction ? : dans la vie consacrée, tous vivent l’obéissance à Dieu dans le Christ obéissant au Père, même si les rôles et les services peuvent normalement alterner.

On peut donc parler d’une présentation équilibrée, aussi bien doctrinale que pratique, de l’exercice de l’autorité. Le tout est exprimé d’une manière claire et brève, chose qui, à elle seule, est déjà d’un grand prix.

Consécration et recherche de la volonté de Dieu

La Première Partie, reprenant la théologie trinitaire de Vita Consecrata (résumée dans la formule Confessio Trinitatis) montre comment l’autorité et l’obéissance sont entendues à la lumière du mystère de la Trinité ; elles se manifestent par la recherche de la volonté du Père, dans l’écoute et l’imitation du Fils Seigneur et Serviteur, grâce à la lumière et dans la force de l’Esprit Saint.

« C’est pourquoi, tandis que dans la communauté tous sont appelés à chercher ce qui plaît à Dieu et à lui obéir, quelques-uns sont appelés à exercer, généralement de manière temporaire, la tâche particulière d’être signe d’unité et guide dans la recherche unanime et l’accomplissement personnel et communautaire de la volonté de Dieu. C’est là le service de l’autorité » (1).

L’intention du document est « de réaffirmer qu’obéissance et autorité, quand bien même elles sont pratiquées de multiples façons, ont toujours une relation particulière avec le Seigneur Jésus, Serviteur obéissant » (3). L’Esprit Saint qui dirige l’Église et les Instituts, en les mettant sur des voies nouvelles pour répondre à de nouvelles demandes, exige l’écoute de ce que « l’Esprit dit à l’Église » (cf. Ap 2,7), l’attention aux signes des temps et le discernement. Le même Esprit diffuse dans les cœurs l’amour de Dieu qui intériorise et rend aimable la réponse obéissante.

La constante référence biblique du document a son importance : l’obéissance est la conséquence de l’écoute de la Parole, un « tendre l’oreille » (ob audire) à la volonté du Père très bon, une mise en marche sur la voie tracée par le Fils, au long des routes de notre temps que seul l’Esprit connaît, Lui la nuée qui conduit le peuple au but, à travers les déserts de cette vie.

De cette manière, la personne assoiffée d’absolu (“C’est ta face, Seigneur, que je cherche”), à la recherche d’un chemin sûr (“Fais-moi connaître tes chemins, Seigneur, enseigne-moi tes sentiers”) se met à l’écoute du Père qui dévoile sa volonté (“Écoute Israël”), contemple le Fils – Parole faite chair, « obéissant jusqu’à la mort » – et se met en chemin dans un projet charismatique authentifié par l’Église, où elle trouve des « médiations » faisant autorité, qui la portent vers Dieu, assumant « les armes puissantes et glorieuses de l’obéissance » [2] (9).

L’obéissance est donc présentée comme une réponse d’amour filial à la volonté du Père, comme union à l’obéissance du Fils, comme exercice conscient de sa propre liberté, progressivement libérée et poussée en avant par l’Esprit. Le chemin vers le Père est un exode, un itinéraire de libération qui part de la « terre de la dissemblance » pour introduire dans la terre de l’identité de l’homme renouvelé par le pouvoir de l’Esprit, lequel le rend christiforme. On comprend que le titre de cette Première Partie soit orné de cette référence au Benedictus : « Afin que libérés nous puissions le servir en sainteté et en justice (cf Lc 1,74-75).

L’autorité au service de la personne consacrée

En ce qui concerne l’autorité, l’Instruction rappelle ce que Benoît XVI a dit lors de l’homélie d’inauguration de son ministère pétrinien : « Mon véritable programme de gouvernement est de ne pas faire ma volonté, ne pas poursuivre mes idées, mais, avec toute l’Église, de me mettre à l’écoute de la Parole et de la volonté du Seigneur, et de me laisser guider par lui, de manière que ce soit lui-même qui guide l’Église en cette heure de notre histoire » (12). Et tout de suite après, elle écrit : « La vénération pour la volonté de Dieu maintient l’autorité dans un état d’humble recherche, pour faire en sorte que son action soit le plus possible conforme à cette sainte volonté. Saint Augustin rappelle que celui qui obéit accomplit toujours la volonté de Dieu, non pas parce que l’ordre de l’autorité est nécessairement conforme à la volonté divine, mais parce que c’est la volonté de Dieu que l’on obéisse à qui préside ». Comme on voit, le développement est ferme, mais nuancé, loin d’une sorte de surexposition de l’autorité.

Dans la partie plus spécifiquement concrète de cette Première Partie, intitulée Quelques priorités dans le service de l’autorité, la source d’inspiration est sans conteste l’Instruction sur La vie fraternelle en communauté du 2 février 1994 [3]. Les divers points d’application sont un ample commentaire du numéro 50 de ce texte, où l’on parle des devoirs de l’autorité, quand elle est exercée dans un contexte de communion fraternelle.

Suit l’énumération de quelques priorités, qui introduisent dans la problématique du quotidien, tracée de manière pertinente : l’autorité est d’abord une autorité spirituelle, appelée à garantir à la communauté le temps et la qualité de la prière, à promouvoir la dignité de la personne consacrée, à insuffler courage et espérance dans les difficultés, à maintenir vivant le charisme de la famille religieuse, à rendre présent le « sentire cum Ecclesia », à accompagner le cheminement de la formation permanente. Ainsi, par exemple,

« l’autorité est appelée à promouvoir la dignité de la personne, prêtant attention à chaque membre de la communauté et à son cheminement de croissance, faisant don à chacun de sa propre estime et de sa propre considération positive, nourrissant envers tous une affection sincère, gardant avec discrétion les confidences reçues. Il est opportun de rappeler qu’avant d’invoquer l’obéissance (nécessaire), on doit pratiquer la charité (indispensable). Il est bon, en outre, de faire un usage approprié du mot communion, qui ne peut pas et ne doit pas être entendu comme une sorte de délégation de l’autorité à la communauté (avec l’invitation implicite que chacun « fasse ce qu’il veut »), ni non plus comme l’imposition plus ou moins voilée de son propre point de vue (que chacun “fasse ce que, moi, je veux”) (13).

Dans la vie fraternelle

La vie fraternelle est le second élément constitutif de la vie religieuse et de sa mission. Si dans un passé lointain on pouvait, au nom de l’obéissance, laisser dans l’ombre l’édification de la communauté fraternelle, plus récemment, c’est au nom de la communion fraternelle qu’on a couru le risque de mettre entre parenthèse l’obéissance et l’autorité.

L’Instruction cherche à apporter l’équilibre entre autorité et fraternité en affirmant :

S’il est vrai qu’il n’existe pas de communautés véritables sans amour fraternel, il est également vrai qu’une vision correcte de l’obéissance et de l’autorité peut offrir une aide valable pour vivre dans le quotidien le commandement de l’amour, spécialement quand il s’agit d’affronter des problèmes relatifs au rapport entre personne et communauté (16).

L’autorité est présentée ici au service de la communauté, comme le Christ a servi, afin de construire une communauté de frères, « dans laquelle on cherche Dieu et où on l’aime pardessus toute chose », grâce à la convergence « in unum » des dons que l’Esprit a répandu sur chaque frère. « Vous n’avez qu’un seul maître et vous êtes tous frères » (Mt 23,8), dit la citation qui illustre cette Deuxième Partie : un seul est Père qui veut que ses fils vivent comme des frères, mettant en commun les dons que l’Esprit distribue à chacun, pour la construction de la communauté fraternelle.

La partie concrète met alors l’autorité au service de cette réalité : « l’autorité promeut la croissance de la vie fraternelle à travers le service de l’écoute et du dialogue, la création d’un climat favorable au partage et à la coresponsabilité, la participation de tous à ce qui est commun, le service équilibré aux personnes et à la communauté, le discernement, la promotion de l’obéissance fraternelle » (19).

Ces points sont examinés avec attention quant à l’objectif et à la mentalité ambiante. Ainsi,

La vraie fraternité se fonde sur la reconnaissance de la dignité de son frère ou de sa sœur (…) Mais ceci exige d’être intérieurement libre. Il n’est certainement pas libre celui qui est convaincu que ses idées et ses solutions sont toujours les meilleures ; celui qui considère pouvoir décider seul sans aucune médiation pour connaître la volonté divine ; celui qui se considère toujours dans le vrai et qui est convaincu que ce sont les autres qui doivent changer ; celui qui pense uniquement à ses affaires et qui ne porte aucune attention aux besoins des autres ; celui qui pense qu’obéir est une valeur dépassée, qui ne peut pas être proposée dans un monde plus évolué (20).

Ces indications pratiques sont nombreuses, offertes comme réponses qui ne vont pas de soi à des questions souvent difficiles, inédites et demandant discernement.

En mission

« Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20,21). La mission présuppose l’envoi et l’envoi implique l’obéissance de l’envoyé à celui qui l’envoie. « Toute la vie de Jésus est mission du Père. Lui-même est la mission du Père » (23). L’obéissance à sa volonté n’est pas une attitude qui s’ajoute à sa personnalité, elle l’exprime pleinement.

Le Père envoie le consacré, à la suite du Fils dans une mission spécifique qualifiée par un charisme particulier de l’Esprit, confié à un projet charismatique qui est un Institut. L’autorité, au sein de ce projet charismatique, approuvé par l’Église, devient une médiation qualifiée au service de la mission spécifique, en rendant l’obéissance clairement apostolique. D’une dimension ad intra on passe ici à une dimension ad extra de l’autorité et de l’obéissance.

Grâce à l’obéissance, on a la certitude de servir le Seigneur, d’être « serviteurs et servantes du Seigneur » dans l’action et dans la souffrance. Une telle certitude est source d’engagement inconditionnel, de fidélité tenace, de sérénité intérieure, de service désintéressé, de dévouement des meilleures énergies (24).

Ici, le document affronte directement les nouvelles situations qui influencent l’exercice de l’autorité et de l’obéissance, particulièrement dans la société sécularisée et multiethnique, aux prises avec la gestion des œuvres où collaborent des laïcs en responsabilité, et où il est nécessaire de conjuguer le cœur miséricordieux et le sens de la justice.

Deux numéros, particulièrement soignés, sont consacrés aux « obéissances difficiles » (26) et « à l’objection de conscience » (27), où la compréhension pour les difficultés de la personne n’entraîne pas une canonisation du subjectivisme, mais renvoie nécessairement à l’attachement du Fils, qui « apprit l’obéissance de ce qu’il souffrit (He 5,8) ». Derrière ces lignes, on perçoit les souffrances de nombreuses communautés, aux prises avec une mission en continuel changement, et parfois en difficulté, à cause de l’insuffisance des réponses autant que du manque de forces.

Cette partie se conclut sur un encouragement envers l’autorité pour qu’elle ne se laisse pas abattre dans l’exercice de son devoir, et envers celui qui obéit pour que son salut soit dans la suite du Christ obéissant « jusqu’à la mort ».

Observations pour conclure

Nous pouvons conclure cette rapide présentation en la résumant par quelques observations. La première concerne les sources du document : par-dessus tout, on ne peut pas manquer de mentionner la substantielle présence de Vita consecrata et, nous l’avons dit, de l’Instruction sur La vie fraternelle à mener en commun. Mais aussi, est présente la grande tradition de la vie consacrée à propos de l’obéissance et de l’autorité. On pourrait se hasarder à délimiter quelques préférences : la Première Partie semble plus redevable de la tradition bénédictine du « quaerere Deum » ; la Deuxième, de la tradition augustinienne de la « vie fraternelle » ; la Troisième, de l’école « apostolique » ignatienne.

En second lieu, le document, en privilégiant les instituts de vie apostolique, met en relief le fait que la vie consacrée est en mission de par ses trois éléments constitutifs : il entend aider l’autorité à rendre plus vrai et plus lisible le témoignage apostolique de la consécration, de la communion fraternelle, de la mission spécifique.

Troisièmement, face à ces nombreuses tâches confiées à l’autorité, on finit par se demander où trouver des supérieurs et des supérieures avec de tels dons et de telles capacités. Le document pourrait être lu alors comme un compendium de la figure de l’autorité « à construire » encore, une aide pour la formation, première ou continue, de qui doit exercer l’autorité.

Quatrièmement, il s’agit ici d’un rappel constant fait à l’autorité afin qu’elle soit un service et non un moyen pour émerger ou pour s’affirmer. L’obéissance sera facilitée lorsque l’autorité devancera, par son exemple, la recherche de la volonté de Dieu, dans l’humilité et dans l’esprit de service de la personne, de la communauté, de la mission.

Enfin, le document Faciem tuam est à la fois doctrinal et pratique, théologique et pastoral, mais il demande une réception cordiale, un environnement où la prière « que ta volonté soit faite » soit prononcée avec des lèvres humbles et sincères, d’un cœur filial qui confie au Père sa propre vie, dans une constante invocation à cet Esprit qui rend aimables et praticables les voies du Seigneur.

[1Nous citerons désormais les numéros de l’instruction par de simples chiffres.

[2Citation de la Règle de saint Benoît.

[3Voir pour sa présentation N. Hausman, « La vie fraternelle en communauté. Sur le récent document Congregavit nos in unum Christi amor », in VC 67 (1995), 81-91 (NDLR).

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