Un périodique unique en langue française qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée.

Vie consacrée et évangélisation dans l’Église Famille de Dieu

En République Démocratique du Congo (RDC)

Léon Ngoy Kalumba, s.j.

N°2007-1 Janvier 2007

| P. 41-53 |

La toute première exhortation adressée récemment par la Conférence des Évêques du Congo (RDC) aux membres de la vie consacrée est remarquable à plusieurs titres, comme le montre le secrétaire de la Commission épiscopale pour les religieux : d’abord en ce qu’elle retrace le rôle des consacrés, y compris autochtones, dans l’évangélisation de ce pays-continent, ensuite, parce qu’elle montre leurs options fondamentales, les situant ainsi dans l’évolution du christianisme en RDC. Un document exceptionnel, que ces pages invitent à lire intégralement.

La lecture en ligne de l’article est en accès libre.

Pour pouvoir télécharger les fichiers pdf et ePub, merci de vous inscrire gratuitement en tant qu’utilisateur de notre site ou de vous connecter à votre profil.

Le 2 février 2005, jour symbolique pour la Vie consacrée, la conférence nationale épiscopale de la République Démocratique du Congo (CENCO) rendit public son Exhortation adressée aux Consacrés vivant dans ce pays : Frères et sœurs consacrés, réveillez-vous ! Avancez au large ! (Cf. Ap 3, 2 ; Lc 5, 4) [1]. L’Église en RDC, tout comme ailleurs dans les anciens pays de mission, est consciente d’avoir beaucoup reçu des consacrés. La plupart des missionnaires qui ont apporté le message évangélique à la nation congolaise étaient membres d’Instituts religieux, d’Instituts séculiers ou de Sociétés de vie apostolique. Plus d’une œuvre sociale de l’Église Famille de Dieu au Congo furent fondée par les consacrés. Au lendemain de l’Indépendance (1960), plusieurs diocèses congolais étaient encore sous la responsabilité directe des consacrés. Notre survol de l’histoire de l’évangélisation de ce pays au centre de l’Afrique a deux objectifs : comprendre le rôle de la vie consacrée dans l’Église du Congo et situer l’Exhortation des évêques congolais dans l’évolution du christianisme en RDC.

Les consacrés dans les phases de l’évangélisation de la RDC

Le contact du Congo avec le christianisme s’est réalisé en deux phases principales. La première évangélisation eut lieu de 1482 à 1835 dans la partie occidentale du pays qui faisait partie du Royaume Kongo ; celui-ci s’étendait jusqu’aux actuels territoires de l’Angola, de Cabinda, du Congo-Brazza. Les promoteurs de cette première évangélisation furent principalement les missionnaires capucins et jésuites italiens, espagnols et portugais. On peut signaler quelques faits remarquables de cette première évangélisation : le baptême du prince Mvemba a Nzinga qui succédera à son père, le roi Nzinga Nkumu, en 1506 en prenant le nom d’Affonso Ier ; l’ordination épiscopale de Don Henrique, fils d’Affonso Ier, premier évêque noir d’Afrique ; il reçut l’invitation du Saint-Siège à se rendre au Concile de Trente mais mourut avant la tenue du Concile ; l’érection par le pape Clément VIII du diocèse de San Salvador de Kongo ; le roi du Kongo nomme un ambassadeur permanent près le Saint-Siège (le premier ambassadeur est enterré à Rome dans la basilique Sainte-Marie-Majeure) ; l’édition du premier catéchisme bilingue portugais-kikongo écrit par les pères jésuites ; la création par la Propaganda fide de la Préfecture apostolique du Kongo [2]. Parmi les raisons à la base de l’interruption de cette évangélisation, on peut signaler le manque de relève des missionnaires et la rigueur des conditions climatiques.

La deuxième évangélisation va de 1880 à nos jours. Elle s’est progressivement étendue sur tout le territoire de l’actuelle RDC grâce notamment à l’arrivée successive de nombreux Ordres et Congrégations : Pères du Saint-Esprit (1880), Pères Missionnaires d’Afrique, appelés Pères blancs (1880), les Missionnaires du Cœur Immaculé de Marie (Pères de Scheut) (1888), les Sœurs de la Charité de Jésus et Marie (1892), les Jésuites (1893), les Sœurs de Notre-Dame (1894), les Sœurs Missionnaires d’Afrique, dites Sœurs Blanches (1895), les Franciscaines Missionnaires de Marie (1896), les Prêtres du Sacré-Cœur (1897), les Rédemptoristes (1897), etc. L’extension de ces Instituts ainsi que l’arrivée des nouvelles congrégations se poursuivent à grand pas pratiquement jusqu’aux années 1950 et de façon moins soutenue jusqu’à nos jours. Pendant ce temps, on assiste à la naissance des familles religieuses autochtones encouragée sûrement par l’esprit de l’Encyclique Rerum ecclesiae de Pie XI portant, entre autres, sur la promotion du clergé et des congrégations indigènes.

Les Instituts de Vie consacrée autochtones

Lors de leur première conférence plénière, les Ordinaires du Congo affirment ce qui suit :

Dans l’intérêt de nos Églises, nous croyons qu’il serait préférable de ne pas favoriser l’entrée des indigènes dans les Congrégations européennes. Nos petites congrégations naissantes restent notre espoir, même et surtout pour l’avenir, et elles méritent qu’on les aime, qu’on les aide, qu’on leur fasse confiance, pourvu qu’on les forme sérieusement à la vie religieuse, les établissant dans l’humilité et la charité surnaturelle opposée à l’égoïsme et à l’orgueil du paganisme.

En réalité, les pasteurs congolais, attentifs à la tradition de l’Église, ne vont empêcher ni l’implantation des familles religieuses d’origine étrangère en terre congolaise, ni l’entrée des autochtones dans ces Instituts ; leurs efforts iront plutôt dans le sens de poursuivre l’évangélisation en profondeur de l’homme et de sa culture ; ceci suppose entre autres, la promotion des diverses formes de vie évangélique dans l’écoute de l’Esprit et le discernement de ses dons. Ils soutiennent que « la vie religieuse qui surgit au sein de nos Églises locales est accueillie comme un don de Dieu et est appelée à s’organiser, selon son charisme, dans le cadre organique de ces mêmes Églises dont elle est et sera le témoin dans le monde [3] ».

On peut distinguer deux vagues dans la naissance des Instituts autochtones : la première va des années 1920 aux années 1950 avec des congrégations qui sont nées dans la conviction que la grâce de Dieu est aussi reçue par les « peuples nouvellement venus au Christ » et « capables de professer et d’assumer pleinement la pratique des conseils évangéliques dans la vie religieuse [4] » ; ces congrégations ont généralement reçu la mission d’éduquer leurs frères et sœurs indigènes à la culture évangélique. Certains pionniers de l’Évangile dans cette région au cœur de l’Afrique avaient vite compris qu’on ne pouvait pas évangéliser l’Afrique sans les Africains : c’est le cas du cardinal Lavigerie [5], fondateur des Missionnaires d’Afrique, et de Mgr Comboni, fondateur de la famille religieuse des missionnaires comboniens. Par ailleurs, plusieurs documents du Magistère romain encouragent les missionnaires à créer parmi les autochtones des agents évangélisateurs de leurs frères [6].

De cette première vague, on peut citer les Congrégations suivantes : Sœurs de Saint Joseph – Auxiliatrices de l’Église (Kalemie-Kirungu 1920) ; Sœurs du Cœur Immaculé de la Bienheureuse Vierge-Marie de Kongolo (1922) ; Sœurs Servantes de Marie de Boma (1928) ; Filles de Marie, Reine des Apôtres (Bukavu 1932) ; Sœurs de la Sainte Famille-Jamaa Takatifu de Kisangani (1936) ; sous l’appellation des Frères de Saint Joseph, plusieurs congrégation masculines ont été fondées à plus d’un endroit (Boma-1926, Mikalayi-1926, Mbuji-Mayi-1926, Kisantu-1934, Lisala-1935) ; Frères Joséphites de Kinzambi (1937) ; Sœurs de Sainte Marie de Kisantu (1940), etc.

La deuxième vague qui commence vers la fin des années soixante a vu naître des congrégations religieuses marquées par l’appel à répondre aux besoins pastoraux de l’Église au Congo à travers les diocèses, mais aussi par le souci de l’inculturation ou de l’incarnation de l’Évangile dans les cultures autochtones. Le Cardinal Malula, fondateur de la Congrégation des Sœurs de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus (1967), explique son intuition dans la création de cette nouvelle congrégation des filles congolaises : « Toute mon entreprise se résume dès lors en trois mots-clés : former des filles qui soient pleinement femmes, authentiquement africaines, authentiquement religieuses [7]. » Les valeurs culturelles africaines, telles que la joie, le sens de l’accueil, le sens communautaire, le sens de la globalité, le sens du symbole, seront spécialement soulignés dans la vie des consacrés. On retrouve aujourd’hui dans pratiquement tous les diocèses du Congo au moins une congrégation féminine de droit diocésain née localement [8] ; le nombre des familles religieuses masculines de droit diocésain est, par contre, beaucoup plus réduit [9].

C’est donc « sous l’habit religieux que l’Afrique rencontre le christianisme » :

Les religieux missionnaires ont traversé trois étapes : dans la première, immortalisée par le Broussard héroïque, il est surtout un diffuseur du kérygme, en parcourant les sentiers africains, voyageurs, itinérants, comme Paul semant la Parole à travers l’empire romain. Dans la deuxième phase, le religieux missionnaire devient gestionnaire d’Églises : vicariats et préfectures apostoliques. Dans la troisième phase, la nôtre, le religieux a surtout à trouver et développer sa spécificité au sein d’Églises diocésaines et interdiocésaines.

Les consacrées congolaises – et aujourd’hui beaucoup d’autres consacrées africaines – portent généralement le pagne comme habit religieux : le pagne est normalement l’habit de la femme congolaise (africaine) désignée dans les cultures de ce pays par « maman » ou « mama ». D’ordinaire, les consacrées portent un seul pagne (« mono-pagne ») comme le faisaient habituellement les femmes célibataires des années soixante et soixante-dix, époque du début de cette pratique : une façon de marquer leur consécration au Seigneur à travers le célibat consacré et d’autres vœux religieux par cet habit local, simple, modeste, pauvre et décent ; la tête est couverte d’un foulard – dit kitambala dans plusieurs langues de la RDC – et la blouse, cousue du même tissu que le pagne. S’adressant aux religieuses lors de la cérémonie du port d’habit, le cardinal Malula déclare :

Ce pagne te rappelle toujours la Maman africaine : que tu veux être en Dieu et dont tu veux spiritualiser la fécondité ; avec laquelle et pour laquelle tu veux vivre pour lui apporter le Christ ; dont tu veux garder la spontanéité et l’expansivité pour manifester au monde la joie des ressuscités ; dont tu veux garder la capacité de souffrir pour « achever ce qui manque à la passion du Christ » ; dont tu veux garder la capacité d’attendre pour te mettre à l’écoute de Dieu, te disposer au silence et à la contemplation ; dont tu veux garder l’âme hospitalière pour s’ouvrir aux dispositions évangéliques d’accueil, de respect profond pour chaque être humain.

Quelques chiffres

En 1924, on pouvait avancer les chiffres de 500 prêtres, 250 frères ou aides laïques et 300 religieuses européens. Les 150 postes de mission étaient desservis par 7 500 catéchistes. Le Congo belge avait 400 000 chrétiens baptisés et 300 000 catéchumènes. Le grand séminaire de Baudouinville (aujourd’hui Moba) qui avait déjà donné son premier prêtre, l’abbé Stéphane Kaoze, en 1917, comptait une dizaine de grands séminaristes philosophes et théologiens, 9 petits séminaristes et 150 aspirants au sacerdoce. En 1959, l’Église au Congo totalisait 32 vicariats et 7 préfectures apostoliques de façon qu’en cette même année, le pape Jean XXIII érigeait la hiérarchie au Congo Belge avec 6 archevêques, 26 évêques dont 3 autochtones (Mgr P. Kimbondo, Mgr J. Nkongolo, Mgr J. Malula), et 7 Préfets apostoliques [10].

En termes de circonscriptions ecclésiastiques de la deuxième évangélisation, tout part du Provicariat apostolique du Haut-Congo (1886) devenu Vicariat apostolique en 1895 confié aux Pères Blancs, et du Vicariat apostolique du Congo Belge créé en 1888 confié aux Pères Scheutistes. Ces deux Vicariats donneront naissance à toutes les autres circonscriptions du Congo Belge en sorte qu’on compte en 1923, quarante-trois ans après le début de la deuxième évangélisation, 7 vicariats et 10 préfectures apostoliques, toutes confiées aux Instituts de vie consacrée : Compagnie de Jésus, Pères Prémontrés, Prêtres du Sacré-Cœur de Jésus, Pères Bénédictins, Salésiens de Don Bosco, Pères du Saint-Esprit, Capucins, Pères Rédemptoristes, Pères Dominicains, Pères Franciscains, etc. [11]

L’Église Famille de Dieu au Congo compte aujourd’hui 47 diocèses regroupés en 6 provinces ecclésiastiques, 50 évêques, 3 353 prêtres séculiers [12]. On peut aisément comprendre qu’un passage s’est opéré de la gestion de l’Église par les missionnaires (consacrés) à celle tenue par les autochtones (séculiers) [13], et que, tenant compte de cette évolution, il serait logique de penser à l’augmentation du nombre de diocèses et de paroisses dans un proche avenir. Les consacrés continuent à collaborer à cette évangélisation, chacun selon le charisme de sa famille religieuse, et en collaboration avec le clergé local et les laïcs.

La vie consacrée constitue aujourd’hui une réalité en RDC : les religieux, religieuses et membres des Sociétés de Vie apostolique sont estimés au nombre de onze mille appartenant à 251 Instituts sur une population de plus de cinquante millions dont plus de la moitié sont catholiques. Les 84 familles religieuses masculines sont regroupées au sein de l’Assemblée des Supérieurs majeurs (ASUMA) alors que les 167 familles féminines se réunissent au sein de l’Union des Supérieures majeures (USUMA) [14]. Il convient de signaler aussi l’existence des Instituts séculiers et de Communautés nouvelles, d’origine congolaise (africaine) ou non. Présente en RDC sous toutes ses formes, la vie consacrée s’efforce de témoigner de l’amour et du primat du Christ « parfois dans des situations difficiles et héroïques, dans des conditions de pauvreté extrême [15] » : bon nombre de consacrés ont choisi de rester auprès des populations éprouvées pour leur apporter l’assistance, le réconfort et le soutien spirituel nécessaires, « certains jusqu’à verser leur sang pour le Christ ; d’autres, dans un attachement quotidien au Christ que seul Dieu peut apprécier à sa juste valeur [16] ».

Quelques options

Les options des Instituts de vie consacrée et des Sociétés de vie apostoliques peuvent être reparties en trois groupes : le social, l’inculturation et la redécouverte de l’identité religieuse.

Le social

L’œuvre évangélisatrice au Congo s’est fait accompagner par la création d’œuvres sociales réalisées par les missionnaires, hommes et femmes, appartenant aux Instituts de vie consacrée. Le réseau scolaire de l’enseignement primaire, secondaire et professionnel fut dans l’ensemble créé par les missionnaires. Les Instituts supérieurs ainsi que la première université congolaise (Lovanium) furent fondés par l’Église catholique. Il en est de même pour les entités médicales.

L’orientation sociale des interventions de l’épiscopat congolais a souvent attiré l’attention [17]. Église et société aura été un des thèmes centraux dans l’enseignement des évêques de la RDC pendant les trente dernières années. La situation de grande pauvreté et de dépendance déshumanisantes de la majorité des congolais inquiète les pasteurs de ce pays : les évêques de la RDC ont alors choisi l’option d’accompagner les engagements de la population pour l’indépendance, pour le développement et pour la démocratisation du pays [18]. Au nom de l’évangile, ils ont, à plusieurs reprises, pris position pour dénoncer la mauvaise gestion de la chose publique et proposer des voies de redressement de la situation. Il va de soi que cette option sociale des pasteurs congolais marque aussi la vie de l’ensemble des Instituts religieux, séculiers et Sociétés de vie apostoliques présents dans ce pays au cœur de l’Afrique.

Plus d’un thème retenu par les Assemblées plénières de l’Asuma et de l’Usuma sont liés à la situation sociopolitique du pays. Les années soixante-dix sont marquées par la politique de la nationalisation des universités et d’établissements d’enseignement primaire, secondaire et supérieur. Les supérieurs majeurs, masculins et féminins, vont entamer une réflexion sur la place de vie consacrée dans la nouvelle configuration politique de la nation congolaise : l’autonomie du pouvoir temporel et la mission spécifique de l’Église. La question de Justice et de paix ne va pas laisser indifférents les consacrés, témoins des méfaits dont sont victimes leurs contemporains ou les fidèles auprès de qui ils sont appelés à vivre ou à exercer leur ministère. Le rôle joué par les consacrés dans les commissions diocésaines et nationales de Justice et Paix n’est pas négligeable.

L’Inculturation et théologie du concile Vatican II

L’Église Famille de Dieu en Afrique considère l’inculturation comme prioritaire dans ses efforts pastoraux et dans la réflexion théologique. Si, au départ, l’inculturation a été comprise comme implantation, puis adaptation du christianisme et des charismes des familles religieuses, aujourd’hui elle est considérée comme exigence de l’Incarnation ; le synode africain y ajoute la dimension de la Rédemption [19].

Les autres thèmes retenus par les Assemblées de l’Asuma et de l’Usuma traduisent le souci du monde des consacrés d’approfondir la théologie de la vie selon les conseils évangéliques : théologie de la vie religieuse selon Vatican II ; rôle de l’apostolat, de la prière ou l’importance de la vie communautaire dans la vie religieuse ; rôle du supérieur dans la communauté religieuse ; place de la vie religieuse dans l’Église, etc. La question de la création des structures de formation communes et locales a préoccupé les Supérieurs ; il en est de même pour des initiatives dans le sens d’autofinancement. Bien que timidement, les pistes tracées par le concile Vatican II et par le premier synode africain sont en train d’être exploitées.

A la redécouverte du charisme religieux

Aux problèmes ci-dessus soulignés, s’ajoute aujourd’hui celui de l’identité de la vie consacrée. Les défis multiformes de notre société bousculent aussi la vie à l’intérieur des Instituts de vie consacrée. Les consacrés sont-ils encore des modèles, des signes pour le peuple ? La question de la crédibilité se pose. Dans cette nouvelle configuration sociale, la vie consacrée est alors appelée à se redéfinir, à réexaminer ses formes de visibilité et d’insertion dans le monde d’aujourd’hui.

La redécouverte du charisme signifie pour beaucoup savoir redire, avec les mots d’aujourd’hui, le charisme de la vie consacrée dans son ensemble et de chaque famille religieuse en particulier. Dans certaines congrégations jeunes ou nouvelles, il s’agit encore de définir leur être consacré et de tracer les contours de leur identité religieuse.

Dans l’ensemble, tout ce qui précède justifie l’action de grâce que l’Église du Congo avait entonnée lors de la célébration du centenaire de la deuxième évangélisation en 1980 prenant comme thème « Solidarité et partage » ; et celle qui se prépare cette année pour commémorer les cent vingt-cinq ans de cette même deuxième évangélisation. A la suite du synode africain tenu en 1994, Jean-Paul II estime que cette « croissance formidable de l’Église en Afrique durant les cent dernières années » et « les fruits de sainteté qui ont été obtenus » viennent de Dieu, « car aucun effort humain ne pourrait avoir accompli une telle œuvre dans cette période relativement brève [20] ».

Considérations finales

Ce rapide parcours de l’histoire de l’évangélisation de la RDC permet de mieux comprendre l’Exhortation de l’épiscopat congolais aux membres des Instituts de vie consacrée et des Sociétés de vie apostolique. Elle comporte plusieurs blocs. Le premier renferme les motifs de joie et de fierté de la présence des consacrés au Congo (nos 6-9) : l’annonce de l’Évangile, les nombreuses vocations, la présence de toutes les formes de la vie consacrée en RDC. Dans le deuxième bloc, les évêques invitent les consacrés à se mettre à la suite des pères africains de la vie consacrée comme saint Antoine (nos 10-15). Les évêques rappellent ensuite l’exigence, pour les consacrés, de mettre le Christ au centre de leur vie et de prendre au sérieux leur consécration au Seigneur à travers les conseils évangéliques (nos 16-23). Enfin, tenant compte de la crise multiforme que traverse la société congolaise, les consacrés doivent s’engager dans la voie du renouveau pour rendre toujours vivant ce trésor de la vie selon les conseils évangéliques sur le sol et la culture congolais : ne pas oublier le Christ, ne pas se modeler sur le monde, être prophète pour ce temps, rester fidèles au charisme de l’Institut, travailler à l’inculturation de la vie religieuse au Congo, reste en communion avec les pasteurs de l’Église, se former en profondeur (nos 24-43).

L’Exhortation constitue une invitation à rendre toujours actuel et vivant le don de la vie selon les conseils évangéliques. Le continent africain qui accueillit l’Enfant Jésus sur son sol, y a aussi vu naître les premières formes de la vie de consécration au Seigneur à travers les conseils évangéliques de chasteté, de pauvreté et d’obéissance. Les consacrés sont appelés à être des prophètes pour le monde d’aujourd’hui, chacun selon le charisme propre de sa famille religieuse et de sa personne, mais toujours en conformité avec l’Église :

Vous êtes tous appelés à être des signes de contradiction, des prophètes à la mesure de votre temps. Votre identité est d’être des « marginaux » dans des situations-frontières, des trouble-fêtes du statu quo social, des veilleurs et des éveilleurs de vos frères et sœurs. Vous pouvez vous impliquer dans le débat d’idées de notre société pour y proposer la solution radicale de l’Évangile de Jésus Christ. Aidez à construire des foyers de culture pour le développement de tout l’homme et de tout homme. Désirez voir s’installer le règne de Dieu parmi nous. Développez et manifestez un regard de foi sur les événements ; ainsi vous ne vous laisserez pas modeler par le monde mais aiderez nos contemporains à le transformer de l’intérieur. Les membres des Instituts apostoliques s’y consacreront dans l’action et la prière. Cachés dans le mystère de Dieu, les contemplatifs qui sont retirés du monde dédient pourtant toute leur vie, dans le silence, le jeûne et la prière, à la conversion du monde. Ceux des Instituts séculiers le feront, dans la discrétion et la charité parfaite, en participant à la transformation du monde tout en étant plongés dans le monde à la manière du levain dans la pâte.

[1Cenco, Exhortation aux consacrés : Frères et sœurs consacrés, réveillez-vous ! avancez au large ! (cf. Ap 3, 2 ; Lc 5, 4), Ed. Secrétariat général de la CENCO, Kinshasa 2005. (Désormais cité dans ce texte sous l’abréviation Exhortation).

[2Conférence nationale du Zaïre (CEZ), Année du Centenaire, 3 juin 1979 – 29 juin 1980. Célébration, Ed. du Secrétariat général, Kinshasa, 1979, p. 5-6 ; M. Storme, « Engagement de la Propagande pour l’Organisation territoriale des Missions au Congo » in Sacrae Congregationis de Propaganda Fide Memoria Rerum, Vol. III/1, Rome/Fribourg-en-Bresgau, 1975, p. 256-294 ; F. Bontinck, « Ndoadidiki ne Kinu a Mubemba, premier évêque Kongo (1495-1531) » in RAT 6 (1979) ; Marcos Iorge, M. Cardoso, Doutrina christaa, Gerardo da Vinha, Lisboa, 1624 ; F. Bontinck, Le catéchisme kikongo de 1924, Réédition critique, Coll. « Mémoire de l’Académie royale d’Outre-mer », Bruxelles, 1978.

[3Idem, nos 141.

[4Idem, nos 122.

[5C. Lavigerie, Enseignement sur la vie religieuse et l’apostolat africain, Saint-Charles de Kouba, Alger, 1951 ; J. Peraudin, Lavigerie : ses principes missionnaires, Fribourg (sd) ; lire aussi le travail de E. Kanke Kyezi, Être « Mama » dans l’Église selon le charisme et la spiritualité des sœurs de Saint Joseph-Auxiliatrices de l’Église, Mémoire de licence, Institut Pontifical « Regina Mundi », Université Pontificale Grégorienne, Rome, 1987 (inédit).

[6Alexandre VII, Instruction à l’usage des vicaires apostoliques en partance pour les royaumes chinois de Tonkin et de Cochinchine (1659) ; Léon XIII, Lettre apostolique Ad Extremas (1893) ; Benoît XV, Lettre encyclique Maximum Illud (1919).

[7Cardinal Malula, Œuvres complètes du Cardinal Malula (rassemblées et présentées par Léon de Saint Moulin, s.j.) Vol. V : Textes concernant la vie religieuse, Faculté catholique de Kinshasa, Kinshasa, 1997, p. 10.

[8Par exemple Filles de la Résurrection à Bukavu (1966) ; Sœurs de la famille Backita à Lubumbashi (1967) ; Sœurs de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus de Mbuji-Mayi (1959), de Lisala (1967), de Basankusu (1975), de Budjala (1980), de Bokungu (1983) ; Sœurs du Cœur Immaculé de Marie de Lwebo (1960), de Lwiza (1960), de Kananga (1961) ; Sœurs de Marie Reine des Apôtres de Kabinda (1969) ; Sœurs Congolaises de l’Immaculée Conception de Inongo (1969) ; Sœurs de Jésus Educateur de Bondo (1970) ; Sœurs de Sainte Marie de Matadi (1970) ; Sœurs de la Mère du Sauveur (1976) ; Filles de Saint Dominique (1979) ; Sœurs de Marie Reine de la paix de Kenge (1985) ; etc.

[9Frères de l’Assomption de Butembo (1952), Frères de Notre-Dame des Apôtres de Kasongo (1959), Fraternité Balangwa Kristu de Basankusu (1976), Frères de St Joseph Travailleur de Mbandaka (1978), Frères de Saint François d’Assise de Likasi (1979), Société de Marie Immaculée de Mangaï-Idiofa (1980), Congrégation du Fils de Dieu de Kananga (1980), Frères du Verbe Incarné de Kalemie-Kirungu (1982), etc.

[10CEZ, Année du Centenaire, 3 juin 1979-29 juin 1980…, op. cit., p. 11.

[11Idem, p. 9-11.

[12CENCO, Le clergé séculier de la République Démocratique du Congo 2003-2004, Ed. du Secrétariat général de la CENCO, Kinshasa, 2005 ; Annuaire de l’Église Catholique de la R.D. Congo 2003-2004, idem ; Commission épiscopale de l’évangélisation, Ordo 2005-2006, idem, p. 313-319.

[13Commission paritaire « évêques-supérieurs majeurs », Conventions entre les Ordinaires des lieux et les Instituts missionnaires, Ed. Secrétariat général – Asuma, Kinshasa, 1972.

[14Cf. Statistiques de l’an 2004 : ASUMA, Religieux et Religieuses en République Démocratique du Congo 2004. Religieux, Secrétariat Général de l’ASUMA, Kinshasa, 2005 ; USUMA, Religieux et Religieuses en République Démocratique du Congo 2004. Religieuses, Secrétariat général de l’USUMA, Kinshasa, 2005. Les membres des Instituts séculiers ne figurent pas dans ces catalogues, n’étant pas membres de l’ASUMA et de l’USUMA.

[15Exhortation, n° 6

[16Idem.

[17Lire par exemple L. de Saint Moulin et R. Gaize N’Ganzi, Le discours socio-politique de l’Église catholique du Congo (1956-1998). Église et société. Tome 1 : Textes de la Conférence épiscopale, Facultés catholiques de Kinshasa, Kinshasa, 1998 ; CENCO, Annuaire de l’Église catholique de la R. D. Congo, Ed. du Secrétariat général, Kinshasa, 2004, p. 10-11 ; id., Manuel de référence d’éducation civique et électorale. Tome I : Modules I à IV, id., Kinshasa, 2004 ; id., Manuel de référence d’éducation civique et électorale. Tome II : Module V, éducation électorale, id., Kinshasa, 2005.

[18Mgr L. Monsengwo Pasinya, in L. de Saint Moulin et R. Gaize N’Ganzi, Le discours socio-politique de l’Église catholique du Congo, p. 11.

[19J. Kalonga, Inculturation de la vie consacrée en Afrique à l’aube du troisième millénaire. Actes du cinquième colloque international, Ed. Carmel Afrique, Kinshasa, 1998, p. 135-250

[20Jean-Paul II, Ecclesia in Africa, n° 33 ; Exhortation, n° 14.

Mots-clés

Dans le même numéro